compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Yves Daudigny,
M. Joël Guerriau.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Soixantième anniversaire de la Constitution de la Ve République
Allocution de M. le président du Sénat
M. le président. Mes chers collègues, monsieur le ministre, demain, nous célébrons le soixantième anniversaire de la Ve République. « Rendre la République forte et efficace », telle fut la volonté du général de Gaulle. Le 4 septembre 1958, sur la place de la République, il souhaita « que le pays puisse être effectivement dirigé par ceux qu’il mandate, qu’il existe, au-dessus des luttes politiques, un arbitre national, qu’il existe un gouvernement qui soit fait pour gouverner, que le Parlement et le Gouvernement collaborent mais demeurent séparés quant à leurs responsabilités. Telle est la structure équilibrée que doit revêtir le pouvoir. »
En soixante années, marquées par des crises économiques, sociales et politiques, nos institutions ont toujours résisté aux chocs. Après quatre alternances politiques et trois cohabitations, notre Constitution a fait la démonstration de sa solidité. Je pense également à la fin du processus de décolonisation, à la crise de mai 1968, ou encore, si près de nous, aux terribles événements qui frappent notre pays depuis janvier 2015.
À l’heure où certaines des grandes démocraties européennes, d’ailleurs fondatrices de l’idée d’union, connaissent l’instabilité, notre Constitution est une chance pour notre pays.
En 1958, en pleine crise institutionnelle, il fallait remédier à l’instabilité gouvernementale de la IVe République qui paralysait le pays alors qu’il était confronté à des défis majeurs. La nouvelle Constitution allait donc renforcer le pouvoir exécutif et rompre avec ce que l’on qualifiait de « régime des partis » pour rendre l’action publique plus efficace.
Le Président de la République est devenu un arbitre, tel que défini par le discours de Bayeux, au-dessus des partis politiques, et il dispose de compétences propres. Après la révision constitutionnelle de 1962, il a eu la légitimité du suffrage universel direct.
À vingt-quatre reprises, notre Constitution a été révisée, pour renforcer l’État de droit et les pouvoirs du Parlement avec l’élargissement, en 1974, des modalités de saisine du Conseil constitutionnel, pour se conformer à nos engagements européens et internationaux – je pense notamment au traité de Maastricht, en 1992 –, pour consacrer le caractère décentralisé de notre République et les libertés locales, en 2003, ou encore pour marquer notre attachement à certaines valeurs – je pense à la constitutionnalisation de l’abolition de la peine de mort, en 2007.
Au fil du temps et de la pratique, mais aussi avec le passage au quinquennat et avec l’inversion du calendrier électoral, les équilibres de la Ve République ont évolué. Pour reprendre la citation du sage Solon, à laquelle le général de Gaulle faisait référence à Bayeux, « quelle est la meilleure Constitution ? Dites-moi d’abord pour quel peuple et à quelle époque. »
Il s’est donc avéré nécessaire d’adapter notre système institutionnel pour rééquilibrer les pouvoirs. La meilleure illustration de cette adaptation est la loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, issue des travaux de la commission dite Balladur : un pouvoir exécutif mieux contrôlé, un Parlement renforcé et des droits nouveaux pour les citoyens.
Mes chers collègues, renforcer les prérogatives du Parlement est en réalité indispensable à notre démocratie. Un gouvernement qui ne rend pas de comptes aux représentants du peuple, un gouvernement qui n’est pas régulé dans sa production législative est un gouvernement contestable. Montesquieu l’exprimait : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».
Préserver les pouvoirs du Parlement, c’est préserver les fondements de la démocratie représentative. Affaiblir le bicamérisme, c’est affaiblir tout le Parlement.
L’un des fondements de la Ve République, c’est, quoi que l’on ait dit et malgré les vicissitudes de l’histoire, le bicamérisme ; il est au cœur du discours de Bayeux : « Il est entendu que le vote définitif des lois et des budgets revient à une assemblée élue au suffrage universel et direct. Mais le premier mouvement d’une telle assemblée ne comporte pas nécessairement une clairvoyance et une sérénité entières. Il faut donc attribuer à une deuxième assemblée, élue et composée d’une autre manière, la fonction d’examiner publiquement ce que la première a pris en considération, de formuler des amendements, de proposer des projets. »
Le dialogue bicaméral et la navette parlementaire, à laquelle je suis tellement attaché, comme je suis attaché à la commission mixte paritaire, sont des conditions de la qualité de la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe socialiste et républicain.)
Nous devons nous employer à ce que le Sénat, représentant les collectivités territoriales de la République, continue à incarner, par sa composition, l’ensemble des territoires de notre pays. Sous prétexte de réduire le nombre de parlementaires, on ne doit pas condamner au quasi-silence certains territoires de notre pays dont la démographie serait plus faible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Ce lien avec les territoires confère aussi au Sénat un autre atout : la proximité avec les élus locaux, tous les élus locaux, qui, à l’heure de la mondialisation, constituent l’un des socles fondamentaux de la cohésion nationale.
« Il n’est pas de République forte sans institutions puissantes » : je partage ce constat fait par le Président de la République, Emmanuel Macron, devant le Congrès, en juillet 2017. La révision constitutionnelle devra donc s’inscrire dans la continuité de celle de 2008. Elle doit avoir pour objectif de mieux faire la loi, de réconcilier nos compatriotes avec leurs parlementaires et de préserver la représentation des territoires.
Le pouvoir constituant appartient au Parlement. Le Sénat a des propositions solides à faire ; je crois qu’il sera au rendez-vous. Réformer la France est difficile, mais réviser la Constitution ne l’est pas moins. Il n’est pas facile de distinguer entre l’intangible et ce qui doit être modernisé ni de résister à la pression de l’opinion publique tout en tenant compte de son aspiration au changement. Le général de Gaulle, lors de sa conférence de presse du 31 janvier 1964, expliquait qu’« une Constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique. » Il me paraît primordial de se souvenir de ce triptyque pour replacer au cœur du contrat républicain le renforcement indispensable de la confiance de nos concitoyens dans la République.
La place du Parlement au sein de nos institutions n’est pas un sujet mineur. Elle engage toute notre conception de l’équilibre entre les pouvoirs. Un anniversaire, c’est l’occasion de réfléchir à nos fondamentaux, à leur nécessaire évolution lorsque la société change, mais sans rien céder à l’esprit qui, voilà soixante ans, a inspiré la réforme de nos institutions. (Applaudissements prolongés. – Mmes et MM. les sénateurs du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain se lèvent.)
Merci, mes chers collègues, de cette large unanimité autour de la Constitution de la Ve République !
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Demande par une commission des prérogatives d’une commission d’enquête
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen d’une demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable tendant à obtenir du Sénat, en application de l’article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires – une conséquence de la Constitution, mes chers collègues –, qu’il lui confère les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête, pour une durée de six mois, afin de mener sa mission d’information sur la sécurité des ponts –chacun a en tête le drame qui s’est déroulé cet été en Italie.
Il a été donné connaissance de cette demande au Sénat, lors de sa séance du mardi 25 septembre 2018.
La commission des lois a déclaré cette demande conforme aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance précitée.
Je mets aux voix la demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
(La demande est adoptée.)
M. le président. Je constate que cette demande a été adoptée à l’unanimité des présents.
En conséquence, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable se voit conférer, pour une durée de six mois, les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête pour mener cette mission d’information.
Le Gouvernement sera informé – il l’est déjà par votre intermédiaire, monsieur le ministre – de la décision qui vient d’être prise par le Sénat.
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Candidatures à la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l’évaluation interne
M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des onze membres de la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l’évaluation interne – je rappelle qu’il s’agit d’une désignation annuelle.
En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 103 bis de notre règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
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Réforme du baccalauréat
Débat organisé à la demande de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, sur la réforme du baccalauréat.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur du débat disposera d’un temps de parole de huit minutes ; puis le Gouvernement bénéficiera de la même durée pour lui apporter une réponse. Ensuite, chaque orateur disposera de deux minutes pour présenter sa question, laquelle donnera lieu à une réponse du Gouvernement, de deux minutes également. Quinze questions seront posées, et Mme la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication tirera de ce débat des éléments de conclusion.
Dans le débat, la parole est à Mme la présidente de la commission auteur de la demande.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le ministre, vous avez présenté un projet ambitieux de réforme du baccalauréat et, partant, du lycée général et technologique. Ce projet s’est traduit par un décret et par plusieurs arrêtés publiés le 16 juillet dernier. Les élèves entrés cette année au lycée constitueront la première cohorte concernée ; ils passeront les épreuves terminales dans leur nouveau format en 2020 et en 2021.
Comme le soulignait notre collègue Max Brisson, auteur avec Françoise Laborde d’un excellent rapport sur le métier d’enseignant, le caractère restrictif du domaine de la loi en matière d’éducation a pour conséquence que le Parlement, au-delà du vote des crédits, est davantage amené à se pencher sur des questions de faible importance – par exemple, les modalités d’utilisation des téléphones portables dans les établissements scolaires – plutôt que sur des questions de fond comme celle qui nous réunit cet après-midi.
Ainsi la commission a-t-elle souhaité la tenue de ce débat en séance publique, afin d’évoquer avec vous, monsieur le ministre, et sous le regard de nos concitoyens, les enjeux de cette réforme, et d’obtenir des réponses aux questions que mes collègues vous poseront. Parmi ces derniers sont bien sûr mobilisés Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis des crédits de l’enseignement scolaire, et Laurent Lafon, qui a défendu les amendements de notre commission sur l’orientation scolaire à l’occasion de l’examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
Commençons par reconnaître, monsieur le ministre, que vous avez eu, avec la confiance du Gouvernement, le courage de vous attaquer à un sujet d’envergure, sur lequel nombre de vos prédécesseurs avaient échoué ou auquel ils avaient renoncé.
C’est vrai, le baccalauréat, « monument national » et rite initiatique pour les jeunes lycéens, pose, sous sa forme actuelle, un certain nombre de questions, dont la première réside dans sa finalité, dans la mesure où, s’il ouvre les portes de l’enseignement supérieur, il n’intervient qu’après l’affectation des élèves de terminale.
Je ne m’étendrai pas sur ses défauts, désormais bien connus – lourdeur excessive entraînant, malgré les entreprises de reconquête du mois de juin, la perte de nombreuses semaines de cours, entretien d’une hiérarchie stérile entre les filières de l’enseignement général, ou encore tendance des élèves au bachotage.
Nous partageons votre ambition d’un baccalauréat plus simple, mais non moins exigeant, et comportant moins d’épreuves terminales, sans toutefois renoncer à un tronc commun, garant d’une culture générale nécessaire à une citoyenneté éclairée. À cet égard, et ce sujet m’est cher, il faut veiller, au travers de l’enseignement, unique en Europe, de la philosophie, à préserver l’apprentissage du débat d’idées, même si, convenons-en, cet enseignement aurait besoin d’être repensé.
La fin des séries dans la voie générale est une très bonne chose ; les combinaisons d’enseignements de spécialités donneront aux élèves une plus grande liberté de choix et leur permettront de construire des parcours de formation adaptés à leurs goûts et à leurs ambitions. Il conviendra de veiller à ce que ces choix de spécialités puissent faire l’objet d’une certaine réversibilité, afin que les élèves qui le souhaitent puissent ajuster ceux-ci au cours de leur scolarité au lycée.
Toutefois, le maintien des séries dans la voie technologique suscite des interrogations : n’est-on pas passé à côté de l’occasion d’une plus grande perméabilité entre les voies générale et technologique ? La place de la voie technologique, confrontée à la concurrence, si vous me permettez l’expression, des voies générale et professionnelle, est de moins en moins évidente.
D’autres éléments de la réforme doivent être salués, comme la mise en avant de l’expression orale grâce à l’introduction d’une épreuve orale terminale inspirée du colloquio italien – d’ailleurs, quid de l’apprentissage des langues ? –, l’allégement des emplois du temps, l’accompagnement renforcé pour l’orientation dès la classe de seconde, ou encore la prise en compte, à hauteur de 40 % de la note finale, des notes obtenues tout au long de l’année, ce qui permet de récompenser la constance et la rigueur dans le travail.
Si nous en soutenons les principes et les orientations, les modalités de la réforme et les conditions de sa mise en œuvre posent néanmoins un certain nombre de questions – je n’en citerai que quelques-unes.
La première porte sur les modalités du contrôle continu. Dans un souci d’équité entre les élèves et les établissements, les trois quarts de la note de contrôle continu proviendront d’épreuves dites « communes », organisées dans un cadre très contraignant qui rappelle furieusement le baccalauréat actuel. Ces épreuves, se déroulant au cours des années de première et de terminale, prendront appui sur une banque nationale de sujets, les copies étant anonymes et corrigées par d’autres professeurs que ceux de l’élève. Dans ces conditions, l’allégement annoncé de l’organisation pourra-t-il vraiment être atteint, dans la mesure où les établissements seront contraints d’organiser régulièrement des « mini-baccalauréats » qui empiéteront sur le temps d’enseignement ?
Autre sujet de préoccupation pour les membres de la commission : comment s’articulera le futur baccalauréat avec Parcoursup ? Afin que le baccalauréat conserve tout son sens, il me semble important que les notes obtenues soient prises en compte, dans la plus large mesure possible, dans l’affectation dans l’enseignement supérieur. Or, vous l’avez annoncé, monsieur le ministre, les épreuves terminales auront lieu au retour des vacances de printemps, soit bien trop tard pour que les résultats soient pris en considération dans Parcoursup. Il semble que vos discussions avec le ministère de l’enseignement supérieur soient encore en cours ; êtes-vous aujourd’hui en mesure de nous dire quand auront lieu les épreuves terminales ?
Dernier, et sans aucun doute principal, sujet de préoccupation que je souhaite relever au nom de la commission, celui de l’offre de formation. Il semblerait que les douze spécialités offertes ne seront pas proposées dans tous les lycées ni même au sein des bassins de formation. Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que seules sept spécialités sur douze seront accessibles dans un périmètre raisonnable. Si l’on peut aisément concevoir une forme de spécialisation des lycées autour de certains enseignements en ville, il en va autrement en milieu périurbain et dans le monde rural, où les élèves n’ont souvent qu’un lycée de secteur. Il serait regrettable que les élèves des territoires ruraux soient privés de la possibilité de choisir leurs enseignements du seul fait que leur lycée ne propose pas les matières désirées, d’autant qu’avec le jeu des « attendus » de Parcoursup, ils seront désavantagés pour suivre les études de leur choix.
Vous savez, monsieur le ministre, combien notre assemblée est attachée à l’équité territoriale ; la ruralité ne doit pas être oubliée ni défavorisée. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.)
Comme vous pouvez le constater, c’est un regard aussi bienveillant que critique et vigilant que nous portons sur cette réforme. J’espère que le présent débat permettra d’apporter des réponses claires aux inquiétudes qui se font jour sur le terrain. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
(Mme Catherine Troendlé remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale. Madame la présidente, madame la présidente de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est évidemment avec grand plaisir que je viens échanger avec vous sur la question du baccalauréat. Il s’agit d’un sujet dont a déjà discuté le Sénat à l’occasion de différents débats que nous avons eus précédemment, mais nous avions en quelque sorte rendez-vous, rendez-vous qui a lieu aujourd’hui, pour approfondir tout ce qui touche au baccalauréat.
Nous savons tous que, en travaillant sur le baccalauréat, nous travaillons en réalité sur l’ensemble du système scolaire. En effet, transformer le baccalauréat a un impact sur le lycée – général, technologique, professionnel –, mais aussi sur l’ensemble du système scolaire, dès la petite section de maternelle.
Je ne prendrai qu’un seul exemple, que vous avez évoqué, madame la présidente de la commission, celui des compétences orales. Avec le grand entretien de fin d’année, nous avons voulu signaler à l’ensemble du système scolaire que nous voulons des élèves ayant confiance en eux-mêmes, capables de s’exprimer oralement et d’user d’arguments rationnels. Nous savons que cela ne constitue pas aujourd’hui un point fort des élèves français, et nous avons comme priorité l’émergence d’une excellente capacité d’expression écrite et orale en français, pour tous. Voilà l’un des exemples de signal qu’envoie la réforme du baccalauréat.
L’objectif de cette réforme pourrait se résumer en une formule : en réformant le baccalauréat, nous voulons que, en le préparant, les élèves préparent ce qui les fera réussir après. En d’autres termes, nous voulons en finir avec une certaine artificialité de l’exercice, qui a même donné lieu à une création sémantique – le bachotage, terme péjoratif. Nous voulons conserver le baccalauréat, le fortifier et en finir avec ce bachotage, afin que, grâce à la préparation de cet examen, grâce à cet horizon donné à chaque élève de France, existe un tremplin vers la réussite dans l’enseignement supérieur, réussite qui a fait défaut jusqu’à aujourd’hui.
Différentes réformes doivent contribuer à cette réussite ; je pense évidemment à la réforme de Parcoursup, que vous avez évoquée, madame la présidente.
Je veux d’emblée vous répondre que, oui, cette réforme contribuera à donner plus de sens au baccalauréat, puisque les notes pourront être davantage prises en compte au moment des admissions dans l’enseignement supérieur. La question des calendriers sera donc réglée dans un sens qui permettra une telle prise en compte des disciplines de spécialité.
Le Premier ministre avait précisé, dès sa déclaration de politique générale, que la première session de ce nouveau baccalauréat interviendrait en 2021 et qu’elle concernerait donc les élèves entrés en classe de seconde en septembre 2018. Le Président de la République lui-même avait pris au cours de la campagne présidentielle des engagements sur la structuration de ce nouveau baccalauréat, notamment sur la question du contrôle continu et des épreuves anticipées.
Après une consultation conduite par M. Pierre Mathiot, à qui j’avais confié cette mission, puis une concertation que j’ai menée personnellement avec les partenaires de l’éducation nationale, nous avons, au mois de février dernier, présenté une réforme dont je souhaite aujourd’hui présenter de nouveau les grandes lignes et, bien entendu, préciser les détails.
Tout d’abord, je rappelle que le baccalauréat 2021 comprendra, comme aujourd’hui, une épreuve anticipée de français en classe de première, puis quatre épreuves terminales. Ces différentes épreuves représenteront 60 % de la note finale au baccalauréat, lequel aura pour point d’orgue deux moments très importants.
Le premier sera une épreuve de philosophie commune à tous les élèves. C’est là un point important.
Oui, madame la présidente de la commission, la philosophie sort de cette réforme revigorée, et cela à plus d’un titre. Elle l’est sur le plan horaire, notamment pour les élèves à profil scientifique, qui, à l’avenir, suivront quatre heures de cours de philosophie au lieu de trois aujourd’hui. Par ailleurs, les élèves qui veulent se spécialiser en philosophie pourront choisir la nouvelle spécialité que nous avons intitulée « humanités, littérature et philosophie ». Nous renouvelons donc à la fois les contenus, les contours et les volumes horaires de cette discipline, qui est affichée comme un moment clef en fin de parcours.
Le second moment essentiel sera l’épreuve orale, un grand entretien devant un jury qui permettra à l’élève d’exercer sa compétence d’argumentation.
Par ailleurs, pour valoriser la régularité du travail des lycéens, donc pour contribuer à en finir avec le bachotage que j’ai évoqué, il y aura une grande part de contrôle continu, qui représentera quelque 40 % de la note finale. En particulier, le lycéen sera régulièrement évalué lors d’épreuves communes, qui représenteront 30 % de la note finale, donc les trois quarts du contrôle continu. Ces épreuves communes seront organisées dans trois à cinq disciplines – selon les cas –, qui ne sont pas évaluées dans les épreuves terminales. Elles seront comparables à ce que sont les baccalauréats blancs aujourd’hui.
Madame la présidente de la commission, je veux répondre à une autre de vos questions : bien entendu, l’objectif n’est pas de créer une lourdeur supplémentaire dans le système. Il est, au contraire, d’épouser des pratiques qui existent déjà, comme celle des baccalauréats blancs, que les lycées connaissent bien. Ces pratiques doivent garantir à la fois l’objectivité – c’est le sens des banques de sujets – et la souplesse – c’est le sens de la large autonomie d’organisation confiée aux établissements – du dispositif.
Ces épreuves communes auront évidemment de l’importance pour souligner la régularité du travail de l’élève. Toutefois, nous voulons aussi, grâce au contrôle continu, susciter un autre effet positif pour la société française : à partir de 2021, le mois de juin ne sera plus accaparé par les examens, au détriment des cours des élèves non seulement de terminale, mais aussi de seconde et de première. C’est une transformation sociétale très importante qui se joue là : la société française ne sera plus organisée de la même façon au mois de juin, tout simplement parce que les lycéens ne seront plus amenés à vaquer.
Bien sûr, notre objectif n’est pas de reporter la lourdeur qui se manifeste aujourd’hui vers d’autres moments de l’année. Il est, au contraire, de nous doter d’une certaine souplesse. Outre la part équivalant au contrôle continu, le quart restant des 40 % de la note finale correspondra aux bulletins scolaires, qui seront donc pris en compte à hauteur de 10 % de la note finale, afin de valoriser la progression des élèves au cours du cycle.
Les élèves ne joueront donc plus leur examen sur une seule semaine d’épreuves. L’organisation sera mieux répartie sur les classes de première et de terminale. Elle ne paralysera plus les lycées en fin d’année scolaire. Aussi, le baccalauréat de 2021 sera à la fois pleinement national, pleinement juste et pleinement facteur de réussite.
Comme je le soulignais au début de mon propos, cette réforme aura évidemment un impact sur le lycée. Aujourd’hui, nous allons nous concentrer sur le baccalauréat en tant que tel, mais, je tiens à le signaler, à partir de la rentrée de 2019 le lycée français entamera une métamorphose importante. Nous en avons déjà une première saveur en cette rentrée pour ce qui concerne la classe de seconde, notamment avec les cinquante-quatre heures consacrées à l’orientation et avec le test de positionnement, qui a été organisé ces derniers jours pour offrir un accompagnement personnalisé en français et en mathématiques aux élèves de seconde qui auraient des bases fragiles.
À partir de la rentrée de 2019, l’implantation des spécialités permettra d’accompagner au mieux les élèves, de les soutenir dans leur parcours et d’organiser les approfondissements nécessaires. Madame la présidente de la commission, je veux là encore vous rassurer : le processus d’implantation des spécialités obéira à un impératif d’équité territoriale et même de compensation territoriale.
Dès l’annonce de la réforme, j’avais indiqué qu’il y aurait douze spécialités, dont sept se retrouveraient partout, dans tous les lycées de France, à quelques très rares exceptions près, liées à la taille des établissements. En outre, une ou plusieurs des cinq autres spécialités seront proposées dans les lycées. Il s’agira d’un outil d’équité territoriale, parce que nous implanterons ces spécialités de façon privilégiée dans les établissements ayant besoin de renforcer leur attractivité, qu’ils soient urbains ou ruraux.