M. Olivier Henno. C’est exemplaire !
Il ne s’agit pas du tout d’effacer le rôle des régions, d’où le travail réalisé par les rapporteurs. La solution pourrait consister à mieux impliquer les branches, à mieux les rapprocher, sans éloigner pour autant les régions.
Sur cette question de l’apprentissage, plus spécifiquement de la taxe d’apprentissage, j’appelle une vigilance sur le « hors quota ». Cela permet à un certain nombre de lycées professionnels privés ou publics, comme je l’ai dit en commission, de fonctionner, mais aussi, et même si ce n’est pas tout à fait conforme à la loi, de pouvoir investir. C’est indispensable, car ces lycées réalisent un bon travail de formation auprès des jeunes.
France compétences est un organisme clef dont la création m’a quelque peu inquiété au début, car on peut y voir un risque de recentralisation. Néanmoins, compte tenu du travail accompli et de la représentation quadripartite, il me semble que cela pourrait être extrêmement intéressant.
Nous devons, en tant que parlementaires, être vigilants et attentifs à la gouvernance de cette instance et au respect des territoires. La réalité et le succès de France compétences seront jugés en fonction de sa capacité à adapter le système de formation dans les territoires. À cet égard, les partenaires sociaux auront un rôle majeur à jouer.
Mes chers collègues, une réforme comme celle-ci a trois temps : celui de la présentation du texte, celui de l’écoute et du dialogue avec les partenaires sociaux puis le moment de la législation au Parlement et, enfin, un art d’exécution, car c’est aussi le rôle du Parlement d’être associé aux ordonnances et aux décrets pris en application de ce texte. Cela nous paraît très important.
Les intentions sont bonnes, elles sont connectées aux évolutions de la société française, mais c’est pour nous un premier pas. Le groupe Union Centriste aborde ce débat avec un état d’esprit bienveillant,…
M. le président. Votre temps est écoulé.
M. Olivier Henno. … conforté par le travail des rapporteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi que nous abordons est, par son titre, particulièrement ambitieux : « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ». Cette volonté, madame la ministre, nous ne pouvons que la partager, tant elle fait écho à une célèbre citation de Blaise Pascal, « la chose la plus importante à toute la vie est le choix du métier ».
Mais encore faut-il avoir réellement ce choix ! La France vit une situation paradoxale : elle renoue peu à peu avec la croissance, mais elle reste le seul pays d’Europe où le taux de chômage ne baisse que faiblement.
Actuellement, 1,3 million de jeunes ne sont ni à l’école, ni à l’université, ni en apprentissage, ni en emploi. Seuls 7 % des jeunes de 16 à 25 ans sont en apprentissage, contre 15 % en moyenne chez nos voisins.
Madame la ministre, si votre texte contient des avancées intéressantes, il contient aussi de nouvelles sources de complexité ou d’imprudence que le Sénat s’est efforcé de corriger.
Je veux saluer ici le travail accompli par nos rapporteurs en commission des affaires sociales qui a permis d’aboutir à un texte plus équilibré et davantage en phase avec les réalités du terrain.
C’est la réforme de l’apprentissage qui a cristallisé le plus d’interrogations de la part de la commission.
L’objectif principal du Sénat a été de renforcer le rôle des régions dans la gouvernance de l’apprentissage. C’était indispensable, car ce sont elles qui connaissent les besoins des entreprises sur le terrain, via notamment leur partenariat avec les branches, les organisations consulaires et les lycées professionnels dans le cadre de contrats d’objectifs coconstruits.
La transversalité des métiers exige une telle approche partenariale, les branches professionnelles n’étant pas toutes organisées territorialement, ce que le Gouvernement ne semble pas vouloir prendre en considération. Les branches professionnelles sont en cours de restructuration. Peu d’entre elles sont aujourd’hui capables d’évaluer leurs besoins et de fixer le coût du contrat d’apprentissage.
Je regrette par ailleurs que le texte, en éloignant les régions de leur mission traditionnelle de financement des CFA, et en adoptant une logique de marché, avec des crédits alloués en fonction du nombre d’apprentis inscrits dans chacun des centres, mette malheureusement en danger les petites structures, notamment les CFA ruraux qu’il faudrait au contraire soutenir.
Le projet de loi devait simplifier, mais on retrouve la même complexité dans les flux de financement, faisant de cette réforme une occasion manquée.
Concernant l’apprentissage, j’évoquerai enfin une disposition introduite à l’Assemblée nationale à l’article 7, que notre commission a heureusement supprimée : il s’agissait de permettre à un médecin de ville d’effectuer la visite d’information et de prévention pour l’apprenti à la place du médecin du travail. La médecine de ville ne semblait ni demandeuse ni disponible pour un tel transfert.
Le médecin de ville n’est pas un expert des risques liés au milieu du travail. Rappelons d’ailleurs que les visites médicales pour la pratique du sport ont été supprimées récemment du fait de l’engorgement de la médecine de ville.
Il faut considérer le besoin du salarié avant tout et non chercher une mauvaise solution parce qu’il y a pénurie de médecins du travail.
Sur les autres sujets, je veux également saluer les importantes avancées issues des travaux en commission.
En matière d’assurance chômage, la commission a supprimé la possibilité offerte au Gouvernement de créer par décret à partir de 2019 un bonus-malus qui aurait modulé la contribution de chaque employeur à l’assurance chômage en fonction du nombre de fins de contrats constaté dans l’entreprise. Ce critère était trop flou et pénalisant pour de très nombreux secteurs d’activités. Pour le rendre opérationnel, il aurait fallu prévoir une longue liste d’exceptions, qui aurait abouti à un dispositif illisible et fort complexe.
En outre, l’instauration d’un bonus-malus n’aurait pas garanti une baisse de la précarité et du recours abusif aux contrats courts. Rappelons que l’expérience menée à la suite de l’accord national interprofessionnel de 2013 sur la sécurisation de l’emploi n’a pas été probante. La lutte contre les contrats courts ne doit pas conduire à dissuader les employeurs d’embaucher.
Il conviendrait de mettre en place plusieurs dispositifs simultanément pour lutter contre l’usage abusif des contrats courts, en privilégiant les mécanismes innovants proposés par les partenaires sociaux dans les branches.
En matière d’assurance chômage, l’opinion publique retiendra certainement, à la suite d’une communication bien rodée, l’ouverture des droits au chômage aux démissionnaires et aux travailleurs indépendants. Il s’agit pourtant d’une indemnisation sous condition qui restreint considérablement le champ de l’ambitieuse promesse faite par le candidat Macron pendant la campagne présidentielle.
Pour les démissionnaires, il sera impératif d’avoir un projet de reconversion ou de création d’entreprise et d’avoir travaillé sans interruption pendant cinq ans au minimum. Pour les indépendants, il s’agira non pas de l’indemnisation générale, mais d’une simple allocation forfaitaire de 800 euros par mois pendant six mois, et uniquement à la suite d’un événement tel qu’une liquidation judiciaire. Mais est-ce ce que l’on retiendra ?
La réforme était coûteuse, et l’ambition du Gouvernement a donc été revue à la baisse, et nous ne pouvons que nous en étonner au regard des effets d’annonce…
La commission a adopté de nombreux amendements concernant les travailleurs handicapés, ce sujet ayant été amené trop tardivement à l’Assemblée nationale, et concomitamment aux négociations avec les partenaires sociaux. Je me réjouis particulièrement de l’adoption de l’amendement des rapporteurs visant à délivrer définitivement la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé à tout travailleur dont le handicap est irréversible, afin d’éviter de reproduire les formalités. C’est une vraie simplification.
En matière d’égalité entre les femmes et les hommes, signalons la suppression du « référent harcèlement » prévu par l’Assemblée nationale au sein des entreprises d’au moins 250 salariés et au sein du comité social et économique, qui aurait été chargé de l’information et de l’accompagnement des personnes victimes de harcèlement et d’agissements sexistes.
Les mesures prises sur ce sujet doivent, dans le cadre posé par la loi, être mises en œuvre selon des modalités propres à chaque entreprise. Il n’est pas nécessaire qu’un nouveau référent vienne s’ajouter à ceux qui sont déjà prévus par la loi.
En matière de harcèlement, la responsabilité de l’employeur, parfois jusqu’au pénal, l’engage à mettre en œuvre les dispositifs nécessaires pour sécuriser chaque employé. Il n’est pas besoin d’une énième obligation.
L’examen en séance permettra d’améliorer encore la version actuelle du texte. De nombreux amendements ont été déposés. Je défendrai en particulier avec ma collègue Sophie Primas un amendement visant à sécuriser le CDD d’usage, ou d’extra, qui peut actuellement faire l’objet d’une requalification en CDI à temps complet, avec des conséquences financières importantes, voire des fermetures, pour les entreprises concernées, qui, la plupart du temps, n’ont pas d’autre option pour faire face aux fluctuations de leur activité. C’est le cas dans la branche hôtels, cafés, restaurants.
Pour conclure, mes chers collègues, nous souhaitons un texte à la hauteur des ambitions que nous portons pour notre pays. Si nous nous montrons exigeants, c’est parce que l’enjeu est important et parce que nous souhaitons que cette réforme puisse conduire dans la bonne voie toutes celles et tous ceux qui, aujourd’hui, attendent un avenir professionnel, en particulier les jeunes.
Ils nous jugeront sur notre engagement et sur nos résultats. Soyons au rendez-vous de leurs attentes ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Louis Tourenne. « Une révolution copernicienne, un droit universel, des avancées sociales sans précédent ! » : voilà ce que, dans un dithyrambe si habituel à votre gouvernement, vous annonciez, madame la ministre (Mme Catherine Conconne sourit.) ; autosatisfaction éphémère, puisque le Président vient de renvoyer à la négociation « les règles de l’assurance chômage » ou encore « la transformation de l’assurance chômage ». Rien de moins… Quel mépris intolérable pour le Parlement, quelle désinvolture, quelle légèreté !
Combien d’heures sacrifiées de fonctionnaires, de partenaires sociaux, de parlementaires pour se refaire une santé auprès des organisations syndicales et, surtout, pour trouver, par de nouvelles ponctions sur les plus modestes, les 500 millions d’euros non inscrits dans la trajectoire budgétaire promise à Bruxelles ? C’est d’ailleurs ce que relève la Cour des comptes.
Révolution copernicienne – dites-vous –, alors à rebours puisque tout le système tourne autour de Jupiter. Il décide de tout, comme Zeus, du haut du mont Parnasse, mais il peut se commettre avec le commun pour s’acharner sur un jeune collégien.
À quoi nous sert-il donc de débattre de votre projet déjà obsolète et qui illustre l’amateurisme, l’improvisation, l’autoritarisme d’un gouvernement et du Président de la République qui, pourtant, se répand en donnant des leçons au monde entier ?
Déjà votre projet souffrait de deux péchés originels : la mystification, parce que la réalité est loin des affirmations sur la liberté de choix, bien loin de l’universalité de l’assurance chômage, et la trahison, car les organisations syndicales, après avoir, confiantes pour certaines, signé un accord, n’y retrouvent que l’impression amère d’avoir été bernées.
L’assurance chômage, contrairement aux engagements du candidat Macron, n’a rien d’universel. Vous n’en avez gardé que l’alibi : 30 000 indépendants sur 2,8 millions bénéficieront de 800 euros pendant six mois, un peu plus que le RSA auquel ils auraient droit, mais le financement n’est pas assuré ; entre 15 000 et 27 000 démissionnaires, sur 1 million par an, seront potentiellement éligibles ; le CIF, que vous sabordez, accusé d’insuffisances, comme on accuse son chien de la rage, apportait pourtant aux démissionnaires une réponse plus large et mieux adaptée : il est remplacé par un ersatz, le CPF de transition, avec des moyens divisés par deux.
Vous sonnez ici, comme ailleurs, le glas du paritarisme. Oh, vous en conservez la coquille, mais elle est vide ! La contribution sociale généralisée, ou CSG, financera la part salariale supprimée. Ainsi, au droit acquis par le cotisant se substitue un devoir, celui de la reconnaissance à l’égard de la solidarité nationale fiscalisée. Le regard négatif d’une partie des Français sur les prestations sociales sera exacerbé, grâce à vous, par celui du contribuable.
Vous invoquez la confiance, mais vous mettez en place un contrôle suspicieux par Pôle emploi, devenu juge et partie et dont vous allez, dans le même temps, réduire les effectifs. Comme si, selon une certaine doxa, il serait doux d’être chômeur et de s’y complaire.
Vous entendez revenir sur les droits ouverts aux plus démunis, ceux qui ne travaillent que quelques heures et peuvent aujourd’hui encore percevoir un complément d’allocation chômage.
Nous aurons l’occasion, au cours du débat, d’exprimer combien, malgré quelques avancées, le rendez-vous est manqué d’afficher de réelles ambitions avec de vrais moyens pour un accès plus facile à l’emploi de nos concitoyens en situation de handicap ou pour un saut qualitatif vers une meilleure égalité entre les hommes et les femmes au travail.
Vous semblez vouloir réformer pour réformer, au point de réformer vos propres réformes. L’exemple nous en est donné, mais la réforme dont vous êtes si friands ne porte pas de vertu en soi. La preuve, vous vous y êtes beaucoup essayés, et les Français commencent à en percevoir les excès.
« L’inégalité est trop forte, nous risquons l’insurrection », dit Alain Minc. Nous avons un gigantesque défi à relever, quand 63 % des salariés redoutent le chômage et, pour nombre d’entre eux, expriment leur désespérance par des votes extrêmes, quand les progrès technologiques, le développement du numérique, auront des conséquences sur l’emploi. Nous avions, là, un moment privilégié pour imaginer une société dans laquelle les compressions de personnel ne riment pas avec chômage et toute la cohorte des malédictions qui frappent ceux qui en sont victimes et leur famille : un monde sans chômeurs, un monde au travail ou en formation, salarié dans tous les cas ; un monde innovant, dynamique, qui ne sacrifie pas sur l’autel de la modernisation des millions de nos concitoyens et leurs enfants.
Une ambition, une utopie, certes, mais un rêve de société plus juste. Et faute d’y accéder immédiatement, que ce soit, au moins, la direction à suivre, l’étoile qui guide toutes nos actions. Mais votre texte, régressif, est loin de nous faire rêver… (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Madame la ministre, n’y avait-il pas un message caché lorsque vous annonciez que votre projet de loi enclencherait « la révolution copernicienne de l’apprentissage » ?
Entendant cette formule, beaucoup ont cru qu’enfin notre pays se donnerait les moyens d’augmenter substantiellement le nombre d’apprentis et s’apprêterait à faire de l’apprentissage une voie à part entière pour la formation des jeunes Français. Et effectivement, certaines mesures comme l’assouplissement des conditions d’apprentissage en termes de temps de travail, de recul de la limite d’âge, ou de modalités de ruptures des contrats vont dans le bon sens.
Mais en réalité, madame la ministre, en parlant de Copernic, ne vouliez-vous pas plutôt nous rappeler que ce fut lui qui découvrit que la Terre tournait autour du soleil et que notre système était héliocentré ? Car c’est bien un système héliocentré que vous souhaitez construire ; c’est bien une réforme centralisatrice que vous nous proposez ; c’est bien une réforme verticale que vous voulez imposer aux territoires.
M. Julien Bargeton. Ne changeons rien !
M. Max Brisson. Je ne méconnais pas que, d’une région à l’autre, les politiques publiques de l’apprentissage présentent des visages différents. Je ne sous-estime pas davantage l’impérieuse nécessité de mettre au plus vite en adéquation les besoins de main-d’œuvre des entreprises et la formation de celles et ceux qui sont éloignés de l’emploi.
Est-ce une raison pour enclencher la première marche arrière de la décentralisation depuis Gaston Defferre ? Je ne le pense pas. Je le dis donc avec force : votre gouvernement sera le premier depuis 1982 à reprendre aux régions une compétence transférée. N’auriez-vous pas mieux fait de vous appuyer sur elles pour mettre davantage de cohérence dans leurs politiques de l’emploi, de la formation, de l’enseignement professionnel et de l’apprentissage ? Depuis 1982, ces politiques constituent pourtant un pan majeur et connecté des compétences régionales exercées en direction des jeunes et des demandeurs d’emploi.
Certes, les modifications initiées par nos rapporteurs en commission réduisent les effets négatifs de votre texte, et je veux saluer cet excellent travail. Je crains néanmoins que la matrice première du texte ne l’emporte.
En bouleversant le pilotage de l’apprentissage et son financement, vous provoquerez la fermeture d’un grand nombre de centres de formation, les plus petits et ceux des territoires les plus fragiles.
En dépossédant les régions de l’obligatoire conventionnement, en réduisant leurs outils d’élaboration d’une carte cohérente des formations, en limitant leurs leviers financiers, vous générerez des concurrences qui seront gagnées par les plus gros et les plus puissants.
C’est bien la seule logique de marché qui prévaudra (M. François Patriat s’exclame.) et cela sans aucune certitude que votre objectif soit atteint.
Madame la ministre, vous avez voulu privilégier les branches professionnelles, du moins les plus riches et les plus puissantes. Vous les invitez à reprendre la quasi-totalité des missions des régions. Or toutes sont loin d’être présentes sur tous les territoires et certaines n’ont aucune culture de l’apprentissage ni la structuration suffisante pour remplir leurs nouvelles missions. Et sont-elles d’ailleurs les mieux à même d’appréhender l’accélération des mutations technologiques qui nécessitent de la proximité et non le culte de la centralité ?
J’aurais souhaité arrêter là la liste de mes griefs, mais je ne peux passer sous silence le caractère, à mon sens, le plus aberrant de ce projet de loi. En effet, si le développement de l’apprentissage est appelé à devenir une voie à part entière de la formation initiale, comment expliquer alors que le ministère de l’éducation nationale soit spectateur et non acteur des réformes que vous engagez ? Je ne comprends pas la logique qui prévaut.
Déjà, nous avons travaillé à une loi sur l’orientation et la réussite des étudiants avant que ne soit lancée la rénovation du baccalauréat et alors que, tout le monde en convient, l’articulation entre le lycée et la licence est une priorité.
Désormais, nous examinons un projet de loi consacré pour partie à l’apprentissage sans rien savoir des objectifs précis du ministre en matière de rénovation de la voie professionnelle. Pas de travail commun, chacun réfléchit de son côté. Est-ce à la hauteur de l’enjeu ?
Nous en convenons pourtant tous, la rénovation de la voie professionnelle, voire, plus largement, de notre système de formation initiale, ne pourra être menée sans s’emparer pleinement des voies de l’apprentissage et de l’alternance.
Il fallait décloisonner, avoir une approche globale et transversale, faire de l’apprentissage une voie majeure de formation à tous les niveaux – CAP, bac pro, BTS, licence – et diffusable par tous les acteurs (M. André Gattolin s’exclame.) – CFA publics et privés, lycées professionnels et technologiques, établissements d’enseignement supérieur.
Madame la ministre, vous aurez compris mes vives réticences et celles de nombre de mes collègues du groupe Les Républicains.
Votre projet de loi s’inscrit encore et toujours dans une veine centralisatrice. En n’établissant aucun lien avec la rénovation de la voie professionnelle au ministère de l’éducation nationale, il passe à côté de l’essentiel.
En s’interdisant de voir large, le Gouvernement ne s’est pas donné les moyens d’une grande réforme de l’apprentissage. Madame la ministre, la révolution copernicienne n’aura pas lieu. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. L’amendement du Gouvernement a bien été diffusé avant la fin de la discussion générale.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et républicain. On n’a pas pu l’étudier !
Mme Laurence Cohen. Nous ne l’avons pas reçu !
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il s’agit de l’amendement n° 750, qui a effectivement été diffusé voilà une demi-heure environ.
M. le président. « Diffusé » ne veut pas dire « distribué ». (Ah ! sur plusieurs travées.) Cet amendement a été diffusé et est accessible, notamment sur tablette ; il sera distribué le moment venu.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons bel et bien déposé cet amendement, comme je m’y étais engagée tout à l’heure !
Je ne répondrai pas à l’ensemble de vos interventions : j’aborderai chacun des sujets importants que vous avez soulevés lorsque nous examinerons, sur le fond, les dispositions du texte lui-même.
À ce stade, je souhaite simplement insister sur un point, qui me paraît important : compte tenu des enjeux de société dont il s’agit – je pense notamment à la question des compétences –, le texte dont vous allez débattre concernera, potentiellement, un très grand nombre de nos concitoyens. Gardons-le à l’esprit en permanence au cours de nos débats.
Ce projet de loi concernera une partie, la plus importante possible, des 1,3 million de jeunes qui, comme cela a été rappelé, ne sont aujourd’hui ni en emploi, ni en formation à l’école, à l’université ou ailleurs, ni en apprentissage.
Il concernera également les 19 millions de salariés qui, tous, pour la première fois, auront un droit à la formation et pourront l’exercer : à ce jour, un tiers d’entre eux seulement peuvent aller en formation chaque année, et la plupart disent qu’ils n’ont jamais le choix de leur propre formation.
Parmi ces salariés figureront notamment les 8 millions de femmes qui, aujourd’hui, vivent l’inégalité des carrières et des salaires.
Le texte dont vous allez débattre concernera aussi les 2,7 millions de demandeurs d’emploi qui, eux aussi, disposeront d’un droit à la formation renforcé et d’un accompagnement plus précoce. Parmi eux, je pense particulièrement aux 500 000 travailleurs handicapés qui sont inscrits à Pôle emploi. Ces personnes subissent un taux de chômage plus élevé que la moyenne et, finalement, on ajoute encore un handicap social à leurs difficultés au lieu de leur permettre d’exprimer leurs talents dans les entreprises.
Enfin, ce projet de loi va concerner 1,3 million d’entreprises.
Je sais que vous tous, dans vos circonscriptions, rencontrez tout au long de l’année les représentants des entreprises, et notamment des PME. Or que disent les petites et moyennes entreprises, depuis des mois et des mois ? Qu’elles ne trouvent pas les compétences dont elles ont besoin et que, de ce fait, elles ne parviennent pas à remporter les marchés.
Je voulais juste, sans entrer dans le contenu du texte, que nous ayons en tête tous nos concitoyens qui sont concernés par cette réforme. Ce projet de loi concerne les jeunes, les demandeurs d’emploi, les salariés, les femmes, les personnes en situation de handicap et toutes les entreprises, en particulier le tissu de PME et TPE qui irriguent nos territoires. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche. – M. Michel Canevet et Mme Véronique Guillotin applaudissent également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par MM. Kanner et Daudigny, Mme Féret, M. Tourenne, Mmes Meunier, Grelet-Certenais, Rossignol et les membres du groupe socialiste et républicain, d’une motion n° 749.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires sociales le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel (n° 610 rectifié, 2017-2018).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
M. François Patriat. On va gagner du temps…
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la motion.
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, rassurez-vous, je ne prendrai pas la totalité de mon temps de parole, j’irai à l’essentiel ! Toutefois, je tiens à souligner que, il y a quelques instants, nous avons vécu un débat un peu improbable – passez-moi l’expression.
Le Parlement a été conduit à demander au Gouvernement, pour ne pas dire à le supplier, de bien vouloir lui présenter cet amendement essentiel, qui vient modifier lourdement, pour ne pas dire de manière existentielle, le titre II du projet de loi, d’une future loi de la République.
Madame la ministre, nous vous avons vue disciplinée, mais manifestement gênée de devoir aller prendre vos consignes « au château », comme on dit, en pleine séance. (Mme la ministre hoche la tête en signe de dénégation.)
Nous avons obtenu cet amendement ; je ne vous cache pas que nombre de sénateurs le cherchent encore sur leur tablette… J’espère que nous le trouverons aussi vite que possible.
Quoi qu’il en soit, une politique de coups d’éclat ne fait pas une politique sociale. Or, depuis quelque temps, nous sommes dans le coup d’éclat permanent… (Sourires sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. André Gattolin. Oh ! Les grands classiques socialistes !
M. Patrick Kanner. Ce fut notamment le cas lors du « meeting », ou plutôt du Congrès, auquel nous avons assisté à Versailles hier.
Les partenaires sociaux ont déjà négocié et conclu une convention, il y a tout juste un an, sur l’assurance chômage. Et cette convention est reprise en partie dans le projet de loi que nous devons examiner aujourd’hui.
Le processus n’est pas même abouti que vous revenez déjà sur les règles du jeu. À vouloir avancer à marche forcée, personne, pas même vous, madame la ministre, ne sait plus sur quel pied danser. On se demande où est la feuille de route. En tout cas, si une telle feuille de route existe, elle est modifiée en cours de route ! Or on ne gouverne pas ce pays au doigt mouillé, à moins que le nouveau monde ne soit celui de l’improvisation…
J’ai bien entendu le Président de la République hier : il souhaite « récompenser bien davantage la reprise d’activité ». Mais, à nos yeux, le Président de la République n’est pas là pour distribuer les images et les bons points.
Un chômeur qui ne retrouve pas d’emploi aurait donc démérité ? Il ne mériterait pas de continuer à percevoir des allocations chômage ? Si c’est cela, votre volet « sécurité » de la flexisécurité à la scandinave, permettez-moi de penser que l’histoire sociale de notre pays est face à de gros risques.
Le Président de la République doit œuvrer pour la protection des plus fragiles de nos concitoyens. Il l’a d’ailleurs affirmé hier. Mais est-ce véritablement le chemin qui est pris ?
Madame la ministre, avec votre annonce, vous ajoutez au mépris, en tout cas à l’incompréhension, des corps intermédiaires le mépris du Parlement.
Les sénateurs ne sont pas à la botte de Jupiter ou de Zeus. (M. François Patriat manifeste son exaspération. – M. Bruno Sido sourit.) Parce que nous sommes des républicains convaincus, nous respectons les institutions, et nous l’avons d’ailleurs démontré, hier, au Congrès. Nous sommes donc en droit d’attendre un respect réciproque de la part du Gouvernement. C’est tout le sens de notre motion de renvoi à la commission.
Après avoir, sauf erreur, réécrit cinq fois votre texte, à l’Assemblée nationale, pour ce qui concerne le financement de l’alternance, vous réitérez aujourd’hui sur l’assurance chômage. À nos yeux, ce n’est pas acceptable. Nous vous le disons solennellement. Nous vous le disons avec le poids qui est le nôtre dans la Ve République. Et nous vous le disons alors que le Sénat engage l’examen du présent texte sans avoir tous les éléments d’appréciation en main.
L’allocation chômage de longue durée, que tend à mettre en œuvre votre amendement, n’est pas un changement anodin. En tout cas, ce dispositif n’a pas été examiné en commission.
Alors que votre projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel réduit à la portion congrue le paritarisme, se caractérise par une défiance des corps intermédiaires et – cela a été dit à plusieurs reprises – par une remise en cause de la décentralisation au profit d’une mainmise de l’État, vous semblez faire machine arrière en remettant en avant la négociation. Peut-être aurait-il fallu le faire plus tôt…
Vous comprendrez que ce revirement puisse, à tout le moins, interpeller les représentants de la Haute Assemblée.
Pour notre part, quel but visons-nous ?
Le renvoi à la commission nous permettra d’examiner ce projet de loi avec sérieux, d’accomplir un travail digne de celui qu’a mené la commission des affaires sociales, dans des conditions pourtant déjà difficiles. Surtout, nous pourrons étudier ce texte en ayant pris connaissance des attentes que le Président de la République est censé exposer aux partenaires sociaux le 17 juillet prochain.
Alors seulement, si cette motion est adoptée, nous serons en mesure de nous prononcer en connaissance de cause, en fonction de la latitude qui sera donnée aux partenaires sociaux, s’il s’agit ou non d’une vraie négociation et si le but visé n’est pas la dégradation des conditions d’indemnisation des chômeurs.
Madame la ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris : nous sommes, pour notre part, très attachés à ce que l’indemnisation chômage soit conçue comme un revenu de remplacement et reste un droit acquis pour les salariés via leurs cotisations.
Voilà ce qui motive notre réflexion ; voilà ce qui motive cette motion. Nous voulons simplement que la commission, en exerçant ses prérogatives, puisse examiner dans de bonnes conditions le contenu de votre amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)