M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.
M. Fabien Gay. Avant d’intervenir sur l’article, je tiens à abonder dans le sens de la présidente de la commission. J’ajouterai même que l’on ne s’y prendrait pas mieux si l’on voulait que le Parlement dysfonctionne.
M. Antoine Lefèvre. Oui !
M. Fabien Gay. Pendant plusieurs mois nous n’avons pas eu à notre ordre du jour de textes importants, et là on les enchaîne, avec le texte Immigration, droit d’asile et intégration la semaine dernière, le texte ÉGALIM cette semaine, puis le projet de loi ÉLAN la suivante. Je le dis, c’est un peu trop. Il faut que le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement lisse mieux dans le temps l’examen des projets de loi.
Pour en revenir au fond, j’abonde aussi dans le sens de l’orateur précédent. Pensez-vous – je le dis comme je le pense ! – que cette loi Agriculture et alimentation répondra à la problématique du revenu paysan ? Vous connaissez les chiffres – je vais vous les rappeler –, en moyenne – même s’il est très compliqué de faire des moyennes –, nous parlons de 15 000 euros de revenus mensuels. (Exclamations.)
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Ce serait bien !
M. Fabien Gay. Je voulais dire « de revenus annuels ». Cela dit, l’objectif est bien celui-là, mes chers collègues…
C’est plus complexe selon les régions : le Sud-Ouest et le Centre sont en situation de déséquilibre parce que la paupérisation y est plus forte. De même, il existe des différences en fonction des secteurs agricoles. Les viticulteurs sont, si je puis dire, un peu mieux lotis que les exploitants laitiers, avec 19 000 euros en moyenne pour les premiers, contre 10 000 euros pour les seconds. Je vous livre un autre chiffre : 20 % des exploitants ne pouvaient pas se verser de salaire et 30 % d’entre eux touchent moins de 350 euros.
Monsieur le ministre, lorsque vous êtes venu devant la commission des affaires économiques, vous avez dit : on veut un nouveau pacte social. Ce mot est fort !
M. Fabien Gay. Or vous avez refusé d’augmenter les retraites agricoles. Il ne faudrait pas qu’il en soit de même pour le revenu paysan ; la montagne ne doit pas accoucher d’une souris. Nos agricultrices et nos agriculteurs attendent cette loi avec impatience.
Enfin, j’ai une dernière interrogation : comment pouvons-nous discuter de ce sujet, alors que, dans le même temps, vous prolongez les politiques libérales en signant des traités de libre-échange - le CETA, le TAFTA, le MERCOSUR -,…
M. Fabien Gay. … qui organisent un dumping social et environnemental très fort ? Par exemple, l’Argentine utilise le glyphosate non réglementé ; le Brésil, le soja transgénique, le Mexique, les farines animales, ou encore l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les hormones de croissance.
Alors je vous pose une question simple : est-ce que vous considérez que l’agriculture doit être un bien de l’humanité et qu’elle doit être sortie de ces traités de libre-échange ? C’est là une question essentielle, car c’est le fond du sujet. Nous pourrons ensuite discuter du revenu paysan et d’une autre agriculture, saine et durable. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Joël Labbé et Daniel Chasseing applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, sur l’article.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, comme cela vient d’être très bien dit, l’article 1er est au cœur du projet de loi dont nous entamons l’examen. Fait assez rare dans cette assemblée, les orientations et les objectifs annoncés font plutôt consensus : on est tous d’accord sur les objectifs. Tout le monde, même les plus libéraux, reconnaît que la main invisible du marché étrangle nos agriculteurs et qu’il est indispensable d’établir des règles pour les protéger de la concurrence.
Ainsi, comme cela a été rappelé, le Gouvernement poursuit l’œuvre des deux précédents gouvernements en étoffant une nouvelle fois le mécanisme de contractualisation mis en place par la loi de 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche, sans cesse renforcé depuis lors, sans répondre à la crise structurelle que connaît le monde agricole.
Nous approuvons l’inversion du mode d’établissement des contrats, qui seront désormais proposés par le producteur et non plus par l’acheteur, ce qui constitue une véritable avancée. Dans la même logique, la prise en compte, dans les contrats, d’indicateurs relatifs au coût de production va également dans le bon sens. On regrette néanmoins, comme l’a expliqué Fabien Gay, que la loi ne précise pas la manière de les prendre en compte ni ne détermine d’indicateur unique à même de consolider les contrats. Le projet ne prévoit en fait aucune contrainte pour l’acheteur.
Il est quand même à espérer une légère amélioration de la répartition de la valeur, ce qui redonnera un peu d’air à nos paysans, mais rien n’est moins sûr.
Outre ce manque d’ambition, nous déplorons vivement que ce projet de loi ne s’attaque pas aux véritables problèmes que sont la concurrence exacerbée au sein de l’Union européenne et la multiplication des accords de libre-échange – Fabien Gay vient d’en parler –, qui exposent nos agriculteurs à la concurrence déloyale de denrées alimentaires venant du monde entier et qui sont produites dans des conditions sociales et environnementales souvent douteuses. Cette injustice sociale se double en plus d’une aberration écologique !
Pour protéger les bénéfices à l’export de quelques grands agriculteurs, on continue à exposer les autres à une concurrence délétère, qui entraîne une baisse incessante du prix de revient des agriculteurs et de la qualité de la production.
Aussi, pour permettre aux femmes et aux hommes qui nous nourrissent au prix d’un dur labeur de vivre dignement de leurs productions, il faut changer de logique économique. C’était d’ailleurs l’orientation des amendements tendant à insérer un article additionnel avant l’article 1er, qui visaient à créer une exception agriculturelle, mais qui ont été malheureusement rejetés hier soir. J’ai bien peur que, dans ce contexte commercial, sans une dose de protectionnisme, toutes les mesures prévues à l’article 1er ne suffisent pas à garantir un revenu paysan acceptable.
M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent, sur l’article.
Mme Noëlle Rauscent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous partageons tous ici la même volonté d’assurer une rémunération plus juste à nos agriculteurs. C’est cette volonté qui a porté les États généraux de l’alimentation et qui est la finalité principale de ce projet de loi.
La rénovation du cadre contractuel pour le secteur agricole et alimentaire offre une sécurisation des débouchés, de la visibilité aux acteurs et permet, surtout, d’inverser les rapports de force en faveur de nos agriculteurs.
Pour que ce dispositif soit effectif et aboutisse à un partage de la valeur ajoutée plus juste, tous les maillons de la chaîne alimentaire doivent prendre leur responsabilité et se coordonner. Le rôle confié actuellement à l’Observatoire de la formation des prix et des marges permet aux acteurs de déroger à leurs responsabilités. Nous soutiendrons donc les modifications proposées par le Gouvernement, afin que l’OFPM ne soit qu’une aide apportée aux interprofessions dans leur élaboration d’indicateurs et non un palliatif à leur manque de coordination.
Ce projet de loi établit un cadre commun à toutes les filières, ce qui améliorera leurs relations contractuelles. Il ne s’agit donc pas d’établir d’exception pour telle ou telle filière.
Enfin, certains amendements qui nous sont aujourd’hui proposés visent à améliorer le dispositif présenté. Ils prévoient de conserver la liberté contractuelle et permettent de clarifier le rôle de chaque acteur dans la transformation de notre modèle agricole. Nous les soutiendrons donc.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, sur l’article.
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la juste reconnaissance du travail des agriculteurs est au cœur de ce projet de loi et de son titre Ier.
Dans mon département du Gers – j’aurais pu tout aussi bien citer d’autres exemples, l’Aude, notamment –, 109 éleveurs sont en ce moment même injustement victimes de la révision des zones défavorisées. Ils vont perdre d’ici à quelques mois la quasi-totalité de leurs indemnités compensatoires de handicaps naturels, les ICHN, une perte de 1 million d’euros sur un total de 6 millions d’euros pour le département. C’est un drame, et nous ne sommes pas là sur un cas d’école, si j’ose dire, puisque vous entendez – je partage avec vous cet objectif, monsieur le ministre – redonner de la valeur à la production.
À cause de petites régions agricoles découpées il y a soixante ans - comme si les choses n’avaient pas bougé depuis lors ! - les critères de révision de la carte aboutissent à des non-sens : là où l’on a toujours pratiqué de l’élevage, il faut arrêter ; là où l’ICHN forme la totalité ou l’essentiel du revenu de l’éleveur, on l’interrompt !
La répartition de la valeur résulte tout au long de la chaîne de rapports de force, et, avec ce texte, nous allons travailler à ce qu’il en soit autrement. Mais, ici, elle résulte directement des aides publiques, et vous avez, monsieur le ministre, le pouvoir de préserver cette valeur.
Aussi, je vous suggère, avec les éleveurs, d’ajuster leurs droits à paiement de base à la moyenne nationale et d’étudier, par exemple, le classement de ces territoires en zone intermédiaire de type Piémont pour coller à la réalité, tout simplement. Je vous proposerai un amendement en ce sens.
Une nouvelle fois, monsieur le ministre, je vous demande de faire preuve de pragmatisme et – pourquoi ne pas le dire ? – de sensibilité et même d’humanité dans la façon de gérer au mieux, et dans l’esprit de votre texte, la situation de ces éleveurs qui ne demandent qu’à vivre de leur travail et de leur vocation. Je vous invite à venir vous rendre compte par vous-même sur le terrain des caractéristiques de ces territoires – vous y serez bien reçu, et l’évidence s’imposera à vous. En même temps, vous apporterez la considération et le respect que méritent ces agriculteurs éleveurs gersois. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l’article.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, l’article 1er de ce projet de loi cherche à obtenir un prix équitable de façon que les agriculteurs vivent décemment, tout simplement. Nous le savons tous, l’agriculture française est reconnue dans le monde entier pour sa diversité et son immense qualité, mais, il faut bien le reconnaître, elle est fragilisée par les crises successives – crises climatiques, sanitaires, économiques – ; d’où la nécessité d’intervenir pour, comme le prévoit le titre Ier, un meilleur équilibre des relations commerciales et une agriculture saine et durable.
Avant la discussion de ce texte en séance publique, j’ai rencontré des agriculteurs et les syndicats de mon département : ils espèrent, monsieur le ministre, des retombées positives, même s’ils reconnaissent des difficultés d’application.
Bien sûr, l’inversion du processus du prix payé aux agriculteurs est théoriquement positive. Mais il faut savoir ou avoir conscience qu’un agriculteur est obligé de vendre son produit dès qu’il est prêt à la consommation, tout simplement parce qu’il ne peut pas le conserver indéfiniment. Par conséquent, peu importe le prix, il doit s’en séparer.
Les agriculteurs espèrent que cette loi permettra de prendre en compte le coût de la production ; c’est acté dans l’article 1er. C’est une avancée importante, puisque les prix de vente de leur production n’étaient pas jusqu’à présent construits à partir de ce coût. Il est évidemment nécessaire d’encadrer les promotions et de fixer un seuil de revente à perte afin d’éviter la course aux prix bas et de toujours payer le prix le moins élevé au producteur.
Mais le doute et la difficulté résident dans le fait que l’agriculture est mondiale. Et il faudra bien sûr contrôler les grandes surfaces. C’est un premier pas. Vous devez, monsieur le ministre, interdire, en plus, l’importation de produits ayant subi des traitements proscrits en France et en Europe ; harmoniser la politique européenne en matière de normes et de charges ; effacer la crainte que suscite l’accord avec le MERCOSUR et, bien sûr, maintenir la politique agricole commune, la PAC.
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, sur l’article.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous l’avons évoqué hier et comme l’a rappelé notre collègue Fabien Gay à l’instant, le risque est grand que la montagne qu’est cette loi ÉGALIM n’accouche d’une souris, ou, mieux peut-être, d’un gros rat !
M. Antoine Lefèvre. Les États généraux de l’alimentation ont été prolixes et ont suscité un certain espoir, mais le résultat est en grande partie décevant.
Le contexte européen, nous le connaissons, puisque la Commission européenne envisage très ouvertement une baisse du budget de la PAC. Nous sommes très vigilants, ici, au Sénat, et nous enjoignons à nos dirigeants de préserver la politique agricole commune, lors du Conseil européen de demain et vendredi, cette PAC qui est la politique la plus ancienne et la plus intégrée de l’Union, alors même que notre agriculture doit faire face à de nouveaux défis en matière de souveraineté, de sécurité alimentaire, de performance, de durabilité.
Le financement de la PAC doit non seulement garantir notre souveraineté alimentaire, mais aussi assurer une juste rémunération de ses acteurs, à commencer par les producteurs. Or la baisse du budget de la PAC se traduira, demain, par une nouvelle baisse du revenu des agriculteurs, nous le savons. C’est une lourde responsabilité, monsieur le ministre, alors que leurs revenus ne cessent déjà de s’effondrer, à tel point qu’ils ont atteint, pour certains, un niveau indécent.
L’article 1er, et les suivants, en traitant de la contractualisation, doit impérativement permettre une juste redistribution des marges entre les producteurs, les transformateurs et les distributeurs. Le fait même que l’on doive légiférer une nouvelle fois, cela a été dit, montre bien que les relations entre les professionnels sont aujourd’hui déséquilibrées. Les victimes de ce déséquilibre sont nos producteurs et nos éleveurs, alors que ce sont précisément eux qui nous nourrissent !
Je rappelle que, selon le dernier rapport de l’Observatoire de la formation des prix et des marges remis le 19 juin, « les prix payés aux agriculteurs ont été à nouveau inférieurs à la réalité des coûts de production et n’ont pas couvert la rémunération du travail et du capital, et cela même en tenant compte des aides européennes ». La grande distribution continue, quant à elle, à conforter ses marges : cherchez l’erreur !
Ce télescopage d’informations et de rendez-vous européens dans notre actualité doit stimuler nos débats dans le cadre de ce texte, mes chers collègues.
En inversant le mécanisme de construction des prix, en intégrant le coût des produits agricoles, il y a nécessité de revaloriser de manière concrète et significative le revenu de nos agriculteurs. Cependant, il faudra que l’État se donne les moyens de faire respecter ce nouveau cadre commercial.
Pour conclure, je veux évoquer le secteur du sucre, moi qui représente ici le premier département sucrier, secteur dont le régime des quotas a pris fin en 2017 et pour lequel on constate une forte plongée des cours, comme ce fut le cas pour le secteur laitier en 2015. À cet égard, j’ai déposé un amendement tendant à renforcer la contractualisation au sein de cette filière, notamment en affermissant le rôle de l’interprofession, dans le strict respect du droit de la concurrence, assurant ainsi aux producteurs les mêmes garanties qu’aux autres agriculteurs.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, sur l’article.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par les mécanismes qu’il propose, l’article 1er est l’un des axes forts du projet de loi visant à rééquilibrer les relations commerciales entre les producteurs et les acheteurs. Il enrichit la contractualisation, amorcée depuis la loi de 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche, et déjà renforcée depuis lors, comme cela a été rappelé.
Rendre l’initiative du contrat au producteur et construire le prix autour d’indicateurs prenant en compte, notamment, les coûts pertinents de la production agricole permettra – je l’espère, nous l’espérons tous – un meilleur partage de la valeur.
À ce stade des discussions, le dispositif est plus équilibré qu’il ne l’était dans le projet de loi initial.
L’Assemblée nationale a transféré l’émission des indicateurs aux interprofessions. La liberté qui était laissée aux parties de choisir leurs propres indicateurs n’était pas, à l’évidence, de nature à garantir des négociations sereines. Le groupe du RDSE proposera d’aller plus loin, avec l’intervention de l’Observatoire de la formation des prix et des marges.
Quelle que soit la voie qui sera retenue, il n’est plus admissible que les producteurs vendent en dessous des coûts de production. Aucun autre acteur économique n’accepterait de le faire ! Beaucoup d’agriculteurs ont assez souffert de la volatilité des prix et d’un rapport de force trop favorable aux centrales d’achat. Lors de la crise du lait, en 2015, dans les territoires ruraux, tous ici nous avons croisé le regard d’agriculteurs en situation de détresse, abandonnant leur exploitation, pour ne pas parler du pire.
L’année dernière, le Premier ministre a conclu les États généraux de l’alimentation en souhaitant « non des compromis, mais des solutions durables ».
Monsieur le ministre, il est en effet temps de tout mettre en œuvre pour garantir aux exploitants des solutions pérennes afin que, tout simplement, ils vivent décemment de leur travail. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, sur l’article.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes nombreux à l’avoir rappelé dans cet hémicycle, la situation que connaissent beaucoup d’agriculteurs est aujourd’hui absolument intenable et insoutenable : un tiers des agriculteurs auraient, on l’a dit, un revenu mensuel de moins de 350 euros, et on a évoqué les suicides au sein du monde agricole, dans le silence.
L’article 1er prévoit des mesures visant à modifier le cadre applicable aux contrats : si celles-ci vont dans le bon sens, elles ne seront néanmoins pas suffisantes pour assurer l’équilibre des relations commerciales. Je proposerai plusieurs amendements pour aller plus loin, notamment en vue de garantir que les indicateurs utilisés pour la formation des prix soient clairs, accessibles, transparents, équilibrés et prennent réellement en compte les coûts de production. Mais, nous le savons tous, ces mesures, même renforcées, ne seront pas suffisantes pour garantir une juste rémunération aux agriculteurs.
Notre système ultralibéral, il faut le dire, fait que nous sommes limités tout à la fois par le droit international et par le droit européen, pour favoriser les prix à la production.
La loi de 2008 de modernisation de l’économie, issue du rapport pour la libération de la croissance française, a conduit à la dérégulation.
M. Didier Guillaume. Eh oui !
M. Joël Labbé. La libéralisation complète des marchés, souhaitée par les gouvernements de l’époque, en cogestion avec le syndicat majoritaire, nous amène aujourd’hui à la situation catastrophique que nous connaissons.
Je continuerai à le rappeler dans cet hémicycle, à l’heure du CETA et des autres traités internationaux, il est plus que nécessaire que les produits alimentaires soient sortis, dans notre intérêt, des accords avec les autres pays du monde, notamment des pays du Sud, des accords de libre-échange et des logiques de dérégulation des marchés.
Je souhaite aussi, avant d’entamer la discussion du titre Ier, préciser que je m’inscris en faux contre la présentation faite par certains, qui ne voient pas d’autre partie dans ce texte susceptible de concerner le revenu des agriculteurs. Le titre II serait alors une simple réponse aux demandes du reste de la société et ne serait constitué que de contraintes pour des agriculteurs déjà à bout de souffle. Cette lecture est trompeuse. La promotion d’une alimentation durable via la relocalisation des productions, la sortie des pesticides, sont, elles aussi, autant de moyens pour nos agriculteurs de trouver des revenus.
Ce n’est pas en tentant de regagner des parts de marché dans la compétition mondiale et en fonçant tête baissée dans la course au moins-disant social et environnemental que l’on retrouvera du revenu. C’est au contraire en développant la valeur ajoutée, la qualité et les circuits de proximité que l’on pourra assurer une transition de l’agriculture qui bénéficiera à la fois aux producteurs et à la société tout entière, sans oublier les générations futures. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, sur l’article.
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture est un secteur stratégique pour notre pays et pour nos territoires ruraux.
Avec 450 000 exploitations agricoles et 2 millions d’emplois directs, la France agricole permet notre souveraineté alimentaire. En outre, notre agriculture s’exporte partout dans le monde.
Pourtant, elle est soumise à trop de charges, trop de normes, trop de contrôles. Bien plus, nos agriculteurs ne sont pas suffisamment payés de leur travail. Ils attendent des solutions concrètes et pérennes depuis longtemps déjà – je l’entends régulièrement sur le terrain dans mon département, la Mayenne.
Les États généraux de l’alimentation ont créé des espoirs de rémunérations plus justes. Cela devrait être notre préoccupation première. Pourtant, le projet de loi n’a pas été fidèle à cet objectif : à l’origine davantage alimentaire qu’agricole, le texte remodelé par le Sénat revient à l’essentiel, à savoir permettre aux agriculteurs de vivre décemment de leur travail, réduire leurs charges et leurs contraintes, promouvoir les productions locales de qualité.
Ainsi, on relève plusieurs avancées visant notamment à rééquilibrer les rapports de force dans les relations commerciales, à mieux partager la valeur ajoutée, à supprimer les surcoûts de charges et de contraintes pour les agriculteurs qui ont été introduits lors des débats à l’Assemblée nationale, à stopper la transposition des directives européennes.
J’insiste sur la nécessité de soumettre les produits importés aux mêmes contraintes que les produits français. Exiger une réelle réciprocité des normes de production témoigne du bon sens.
Le texte initial était une forte déception. Le Sénat est mobilisé pour répondre aux grandes attentes des agriculteurs. Souhaitons que le débat soit l’occasion de relever ce défi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Émorine, sur l’article.
M. Jean-Paul Émorine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au début de l’examen de ce projet de loi, il faut rappeler ce que l’agriculture française représente à l’échelon européen et à l’échelon mondial. Elle représente à peine 1 % de l’espace agricole mondial, mais 20 % de l’espace agricole européen, soit environ 28 à 29 millions d’hectares sur 140 millions d’hectares.
Quand nous parlons du revenu des agriculteurs, il faut prendre en compte la mondialisation, l’Organisation mondiale du commerce. Des négociations sont en cours avec le MERCOSUR : si, comme je viens de le rappeler, la France compte 28 à 29 millions d’hectares de terres agricoles, le Brésil en compte 300 millions et les États-Unis 375 millions. Si les Chinois recherchent des terres en France, c’est parce qu’ils ne disposent que de 140 millions d’hectares de terres agricoles pour 1,4 milliard d’habitants. Nous avons, en France, à peu près un demi-hectare de terres agricoles par habitant. Actuellement, le contexte est tel que les agriculteurs ne vivent plus de leurs produits.
Joël Labbé a soulevé tout à l’heure la question du revenu des agriculteurs – pour une fois, je suis d’accord avec lui (M. Joël Labbé s’exclame.) : aujourd’hui, un tiers de ces derniers gagnent en moyenne 360 euros par mois – et il s’agit bien d’une moyenne !
J’ai les statistiques des centres de gestion des exploitations agricoles : les revenus annuels peuvent osciller entre 10 000 et 15 000 euros par unité travailleur. Aucune autre profession en France ne peut accepter cette situation ! Aucune activité économique ne peut tenir dans ces conditions ! Il faut que les agriculteurs aient un revenu décent.
Nous assistons même à des dépôts de bilan des exploitants agricoles, à des ruptures familiales, voire à des suicides. Dans le département dont je suis l’élu, la Saône-et-Loire, l’an passé, onze jeunes se sont suicidés. Ce sont autant de disparitions pour nos territoires.
Je le répète, l’agriculture en France couvre 50 % de notre territoire. Si nous, sénateurs, nous ne la défendons pas, l’espace rural se transformera en friche ! J’ose espérer que ceux qui sont contre le glyphosate prendront de petits sarcloirs pour entretenir la nature…
L’examen de ce projet de loi est l’occasion pour nous de défendre le revenu des agriculteurs. Je compte beaucoup sur la contractualisation. Nous l’avions déjà évoquée avec Bruno Le Maire, lors d’un précédent texte : il faut la renforcer pour dégager un revenu pour nos agriculteurs de demain, si nous voulons que des jeunes s’installent. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, sur l’article.
M. Bernard Delcros. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons s’appuie sur deux piliers extrêmement importants, qui répondent à de vrais enjeux : des enjeux de société, mais aussi des enjeux de territoire.
Le premier pilier, c’est garantir un revenu décent aux agriculteurs. Dans certaines régions, il y va de l’avenir même de l’agriculture ; or, je le rappelle, l’agriculture, c’est la nourriture des hommes. Elle concerne aussi l’aménagement du territoire. Je suis élu d’un département rural où l’activité agricole assure la vie au quotidien des communes rurales.
Ce texte porte donc sur des sujets déterminants et de véritables enjeux de société et d’aménagement du territoire.
En réalité, puisqu’ils ont le produit, les producteurs devraient détenir la clef. Malgré cela, on sait très bien que, dans les négociations, le poids des différents maillons de la chaîne est tel que ce sont toujours eux les grands perdants des contractualisations.
Le second pilier, il ne faut pas l’oublier – je rejoins ce qu’a dit Joël Labbé –, c’est fournir une alimentation de qualité à nos concitoyens, aux consommateurs et inverser la tendance des dernières décennies qui porte toujours plus atteinte à la santé publique.
Je pense vraiment que ce texte peut redonner confiance aux agriculteurs et aux territoires – je le répète, l’avenir, la survie même de certains territoires sont en jeu – et redonner confiance aux consommateurs.
Toutefois, comme l’a très bien rappelé Didier Guillaume dans son intervention, il ne faut pas que ce projet de loi soit le énième texte qui fixe des objectifs et des orientations sur lesquels nous sommes tous d’accord, mais qui ne se traduisent pas par des mesures concrètes sur le terrain.
Il faut donc que nous gravions dans le marbre de la loi les mesures qui nous assureront que ces objectifs seront atteints et que l’esprit de ces dispositions ne pourra pas être détourné au fil du temps. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Arnaud de Belenet applaudit également.)