M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Mon groupe vote par principe contre toutes les motions tendant à opposer la question préalable. Il s’agit là d’une position constante : nous avons récemment voté contre une telle motion déposée par le groupe Les Républicains et contre une autre déposée par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ; cet après-midi, ce sera contre une motion déposée par le groupe socialiste et républicain.
Nous sommes en effet pour le débat, pour la discussion, pour la séance, fidèles à l’héritage de la Gauche démocratique et de la tradition radicale-socialiste du Sénat. (Exclamations amusées sur plusieurs travées.)
Voilà pourquoi nous ne voterons pas la présente motion, ce qui, bien entendu, ne préjuge en aucune façon notre vote final. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Applaudissements amusés sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1 rectifié bis, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 130 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 329 |
Pour l’adoption | 77 |
Contre | 252 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, à peine trois ans ont passé depuis la dernière réforme de l’asile et la dernière refonte du droit des étrangers, toutes deux menées par l’ancienne majorité ; trois années qui n’auront permis ni de faire un bilan précis de l’efficacité des mesures votées ni d’élaborer une véritable politique migratoire, ambitieuse et rationnelle.
Le texte que nous examinons en procédure accélérée est au moins le vingt-neuvième depuis la fin des années quatre-vingt. Notre législation tourne à vide. Elle ne semble avoir qu’une boussole : le Rassemblement national. Or ce n’est pas en s’alignant sur les thèmes du RN, ex-FN, que l’on réussira à faire reculer les votes en sa faveur, dixit Jacques Toubon lui-même.
On nous promettait un nouveau monde. Le candidat Macron rappelait, en janvier 2017 à Berlin : « On ne peut pas revoir nos valeurs à l’aune des risques du monde ». Fumée que cela ! De ce texte comme des autres, le demandeur d’asile sortira perdant.
Par son intitulé, ce projet de loi se veut rassurant. Mais il n’a qu’un but : décourager un peu plus ceux qui cherchent refuge chez nous ; ceux à propos desquels Mme la ministre Loiseau et M. le ministre d’État Collomb parlent avec cynisme de « submersion », de « shopping de l’asile » et de « benchmarking ».
Pour nos dirigeants, les exilés ne sont que des encombrants, un flux à gérer, un chiffre à réduire. Chacun sait que la prise en charge équitable des exilés par les pays de l’Union européenne est la seule issue. Mais ce n’est pas parce qu’il est urgent de mettre en œuvre une vraie politique européenne que la France doit tout s’autoriser.
Lisez le rapport 2018 de la Contrôleur général des lieux de privation de liberté, sur ce qui se passe à Menton : « La prise en charge quotidienne de personnes étrangères s’effectue dans des conditions indignes et irrespectueuses de leurs droits. »
Lisez le rapport d’Oxfam de ce mois sur la situation des exilés à la frontière franco-italienne. Il est aussi accablant pour la France que pour l’Italie.
M. François Bonhomme. Mais c’est le rapport Duflot !
Mme Esther Benbassa. Heureusement, notre pays a ses délinquants solidaires, ses associatifs, ses citoyens de bonne volonté qui, contre une opinion publique remontée, portent secours à ces sans-rien que d’aucuns rêveraient de voir tout simplement disparaître sous leur talon.
Une majorité de nos compatriotes était contre l’accueil de l’Aquarius dans l’un de nos ports. Et alors ? Faut-il les en féliciter ?
M. François Bonhomme. Faut-il les accabler ?
Mme Esther Benbassa. Ou faut-il féliciter le peuple espagnol d’avoir épaulé son gouvernement, plus de 1 000 bénévoles s’étant dévoués pour accueillir les rescapés ?
M. François Bonhomme. De belles âmes !
Mme Esther Benbassa. Quel contraste avec notre commission des lois, qui a même trouvé le moyen de supprimer le petit assouplissement que l’Assemblée nationale avait apporté en faveur des aidants au transport, en limitant à la marge notre définition du délit de solidarité !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Un encouragement à la fraude et aux filières ! (Marques d’approbation sur des travées du groupe Les Républicains – M. Pierre Charon applaudit.)
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président de la commission, je sais tout de même lire, un peu…
M. François Bonhomme. Alors, admettez-le vous aussi !
Mme Esther Benbassa. Décidément, rien ne doit brider l’œuvre de maltraitance de ce gouvernement. (Protestations sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains.)
À l’intention de sa droite, de la droite dure et même de l’extrême droite, l’exécutif fait miroiter un durcissement législatif susceptible de favoriser une augmentation des expulsions de migrants économiques et de déboutés du droit d’asile.
M. Bruno Sido. Tout en nuances…
Mme Esther Benbassa. En général, vous faites aussi dans la nuance, cher collègue ! (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Éric Bocquet rit.)
Or les législateurs que nous sommes ne peuvent ignorer que le budget voté il y a quelques mois ne prévoit pas de moyens supplémentaires en matière de reconduite à la frontière : nous sommes donc face à un simple affichage.
Ces derniers mois, je me suis rendue à Calais, à Ouistreham, à Menton, dans les camps parisiens, dans maints lieux d’enfermement des étrangers, à la rencontre de ceux qui ne sont plus, dans le langage courant, que des « migrants ».
Ce glissement lexical contribue à semer la confusion entre immigration économique et accueil des réfugiés. Il revient à faire oublier les conventions internationales que nous avons signées.
Les « migrants », ceux de l’Aquarius et de tous les bateaux affrontant une Méditerranée meurtrière ; les « migrants » dont on retrouve le corps sans vie dans les Alpes après la fonte des neiges ; ces mêmes « migrants » de Calais et de la porte de la Chapelle sont des hommes, des femmes et des enfants, nos semblables !
Je terminerai en citant Danièle Lochak, professeur émérite de droit public. Peut-être ses propos sont-ils susceptibles d’éclairer le débat qui suivra : « Les analogies sont décidément troublantes entre l’attitude des États à l’égard des Juifs dans les années 1930… (Protestations indignées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. C’est honteux !
M. François Bonhomme. C’est une insulte ! Calomnie !
Mme Esther Benbassa. … et celle qu’ils adoptent aujourd’hui à l’égard des réfugiés. » Je précise : bateaux refoulés inclus. (Mouvements divers.)
Chers collègues, c’est bien simple, à vous entendre, tout le monde ment, sauf vous !
Souvenons-nous du Saint-Louis, du Struma et d’autres. Contrairement à ce que l’on dit, l’histoire a la mauvaise habitude de se répéter – pour le pire. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. Mes chers collègues, j’invite chacune et chacun d’entre vous à respecter son temps de parole.
La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les sénateurs centristes abordent ce débat avec deux convictions. Premièrement, le sujet brûlant des migrations et du droit d’asile est européen ; le bon niveau de solution est, en conséquence, l’échelle européenne. Deuxièmement, ce sujet doit être traité sans angélisme et sans surenchère ; il est politique et non technique.
L’Europe est, selon nous, le seul niveau auquel nous pouvons agir avec pertinence. Sur une échelle virtuelle, l’enjeu européen est de niveau 10, là où le débat franco-français serait de niveau 1. À cet égard – je ne vous le cache pas –, je m’étonne de l’intensité des débats à l’Assemblée nationale et de la passion qu’a inspirée le soutien, par ailleurs légitime, à la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité dont nous venons de débattre.
Comment expliquer cette appétence française illimitée pour les débats idéologiques, alors que les enjeux sont ailleurs ? Chers collègues, pensez-vous vraiment que la Nation puisse se diviser au sujet des mouvements migratoires, dans un contexte démocratique européen pour le moins délicat ?
La question des frontières est bel et bien européenne.
Schengen ; FRONTEX ; la définition européenne du droit d’asile ; le dispositif de reconnaissance mutuelle des jugements statuant sur les demandes d’asile qui pouvait être espéré entre les États ; l’aide au développement qui été précédemment évoquée ; le prépositionnement de centres d’examen dans les pays d’origine ; la négociation avec les différentes autorités consulaires pour les laissez-passer ; le financement sur budget propre de l’Union européenne et, dans l’affirmative, selon des modalités à déterminer ; mais aussi la révision du règlement Dublin III, avec la responsabilité des pays de première arrivée ; le mécanisme, qui reste à travailler, de réallocation ; les règles évolutives – pardonnez-moi ces termes techniques – suivant le niveau d’urgence ou de flux : tous ces éléments constituent les véritables clefs de notre débat.
Au lendemain de l’affaire de l’Aquarius, dois-je vraiment insister sur cette dimension européenne ? Sans discourtoisie envers quiconque, notre regard doit probablement être plus tourné vers le Conseil européen des 26 et 27 juin prochains que vers notre débat législatif en tant que tel.
Vous le savez, la souveraineté des États européens est collective. Elle est partagée pour ce qui concerne les enjeux migratoires et le droit d’asile. La question de l’État de droit, évoquée sur plusieurs travées, est redevenue cruciale en Europe, et pas seulement en Europe de l’Est. Enfin – vous le savez également –, l’Europe est attaquée dans sa souveraineté, dans sa capacité d’action politique et économique, par des pays adeptes des rapports de force, voir par des États historiquement amis.
C’est dire que nous ne pouvons pas nous permettre un désaccord de plus, sur le sujet migratoire.
C’est dire aussi que le combat développé par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne, à Athènes, à Strasbourg, ou encore à Aix-la-Chapelle, que ce combat qu’il poursuit, et que les centristes mènent, pour leur part, de manière historique, pour redonner sens et efficacité à la construction européenne est, à nos yeux, le vrai combat de notre pays, celui dont dépend notre débat législatif.
Vous avez écouté notre rapporteur. Tel est aussi, en creux, l’enseignement des vingt-huit réformes du droit des étrangers que notre pays a adoptées depuis les années quatre-vingt et qui, selon nous de manière assez logique, n’ont pas donné satisfaction.
Cette question doit être traitée sans angélisme ni surenchère – je serais même tenté d’ajouter : ni instrumentalisation.
Madame la ministre, nous exprimerons une position assez proche de la vôtre. Nous avons entendu l’idée selon laquelle notre législation est largement perfectible, et nous en convenons. Toutefois, nous vous le répétons, les règles procédurales détaillées ne sont pas à la mesure des réalités que vous avez décrites.
Qui peut penser que des changements de procédure et des modifications de délais suffisent à constituer une politique d’ensemble ?
Ce projet de loi n’aborde pratiquement pas le droit de l’éloignement. Or ce droit provoque l’embolie de nos juridictions administratives. Il demande à être simplifié, au-delà de la question, également évoquée sur plusieurs de nos travées, des moyens humains et budgétaires.
À titre d’exemple, il existe à l’heure présente neuf régimes pour les obligations de quitter le territoire français, les OQTF ; et chacun de ces régimes comprend des sous-régimes et des exceptions.
À l’instar de M. le rapporteur, nous exprimons des réserves quant au volet « intégration » du présent texte : il est manifestement insuffisant. Notre pays n’assume pas sa responsabilité ou ne fait pas en sorte que les choses se passent si efficacement que l’on pourrait le souhaiter, pour les personnes que nous avons accepté d’accueillir sur le territoire et qui bénéficient du droit d’asile.
Chers collègues, nous ne suivrons pas les amendements de surenchère, par exemple pour ce qui concerne l’aide médicale de l’État, l’AME, ou le délit de solidarité. Nous ne suivrons pas davantage les amendements tendant à affaiblir l’efficacité nécessaire des moyens de régulation.
J’en viens aux trois sujets qui, selon notre analyse, seront les plus débattus.
Pour ce qui concerne l’extension du délai maximal de rétention de 45 à 90 jours, nous suivrons le Gouvernement et la commission. En effet, ce que l’on appelle le séquençage a été simplifié. Le nombre de phases a été porté de cinq à trois, ce qui aura des conséquences pratiques, notamment la réduction des escortes.
En la matière, le contrôle sera exercé par le juge des libertés et de la détention.
Nous prenons en compte le besoin, exprimé par le Gouvernement, de pouvoir négocier avec les États des laissez-passer consulaires et de disposer de davantage de temps à cette fin.
Pour ce qui concerne la rétention limitée à cinq jours pour les mineurs accompagnants, nous vous suivrons également, même si, nous en convenons, il s’agit là d’un sujet complexe.
Autant nous apprécions l’inscription, dans le projet de loi, de l’interdiction de rétention pour les mineurs dits « isolés », autant nous pensons que la question des mineurs dits « accompagnants » est spécifique et que l’on ne peut pas créer une immunité à l’éloignement, dans le cas où les familles seraient séparées. Cela étant, il faut bien entendu disposer de logements dits « adaptés » pour respecter les prescriptions de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH.
Pour ce qui concerne la réduction de 30 à 15 jours du délai de recours devant la CNDA, nous serons attentifs aux débats de la Haute Assemblée.
Madame la ministre, nous sommes quelque peu réservés à cet égard. Selon nous, le gain qu’assurerait cette réduction n’est pas vraiment perceptible. Voilà pourquoi nous fondrons notre appréciation sur l’issue de nos discussions.
Enfin, nous serons attentifs au traitement des migrations en Guyane et à Mayotte. Comme l’a souligné notre collègue Thani Mohamed Soilihi, ce sujet exige des dispositifs tout à fait spécifiques. Peut-être la révision constitutionnelle traitera-t-elle de cette question ; encore faut-il qu’elle aboutisse…
Chers collègues, je vous remercie de votre attention, et je signale à M. le président que j’ai bien respecté mon temps de parole ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en préambule, je tiens à formuler quelques remarques, sur ce projet de loi et sur le contexte dans lequel il s’inscrit.
Premièrement – je le souligne à mon tour –, le présent texte prolonge une frénésie législative : en la matière, vingt-huit lois ont été adoptées depuis les années quatre-vingt. Le Conseil d’État a dénoncé le manque d’évaluation qu’ont subi les derniers textes votés. Or – on le sait bien –, aujourd’hui, la priorité est de donner à l’OFPRA, à la CNDA et aux préfectures les moyens de mettre en œuvre la politique définie par les lois en vigueur.
Deuxièmement, nous sommes face à un amalgame. D’un côté, il y a l’asile, qui est constitutif de notre identité depuis 1793 : le peuple français « donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. – Il le refuse aux tyrans. » Le droit d’asile est également inscrit dans la convention de Genève de 1951. Il s’agit là d’un engagement par lequel la France a tiré les conséquences des drames de la Seconde Guerre mondiale. Mais le présent texte traite également de la gestion de l’immigration, ce qui nous empêche de travailler tranquillement à l’attractivité de notre pays, pour attirer les talents, notamment les étudiants, et de travailler correctement sur les questions d’intégration. À cet égard, ce projet de loi marquera même un recul.
Troisièmement, nous sommes face à une tromperie : l’architecture de ce texte, comme le discours qui l’accompagne, est fondée sur la lutte contre la fraude ; comme si toutes les personnes qui viennent demander l’asile étaient de faux demandeurs d’asile ! Comme si toutes les personnes qui veulent venir en France ne devraient pas le faire !
Pourtant, depuis 2011, le nombre de demandes admises par l’OFPRA et par la CNDA a augmenté, en valeur absolue comme en valeur relative. Chaque année, de plus en plus de demandes sont reconnues par ces deux structures comme étant légitimes. Ainsi, la question numéro un n’est pas : comment lutter contre la France ?, mais : comment réussir l’intégration de ceux que nous accueillons et comment mieux accueillir ? Ce projet de loi fait tout le contraire.
J’ajoute à l’intention de Mme Assassi que ce texte est en rupture avec la loi Cazeneuve. Cette dernière faisait le pari que l’on pouvait développer les droits, en particulier par la présence des tiers lors des entretiens de l’OFPRA et par la garantie d’un recours suspensif devant la CNDA. Elle faisait le pari qu’en développant les droits, l’on accroîtrait l’efficacité. Ce projet de loi fait tout le contraire.
Emmanuel Macron tient, à longueur de journée, un discours de solidarité européenne. Mais la politique qu’il mène depuis quelques semaines en matière de migrations fait tomber le masque : M. Macron n’est qu’un Viktor Orbán en bas de soie ! (Protestations sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains.)
M. Alain Richard. Quelle pitrerie !
M. Roger Karoutchi. Même moi, je n’aurais pas osé… (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Yves Leconte. Chers collègues, les migrations – je le relève à mon tour – sont aussi vieilles que l’humanité. La Banque mondiale considère que, en 2050, la mobilité climatique touchera, à elle seule, plus de 140 millions de personnes.
En 2016, plus de 66 millions de personnes ont quitté leur pays. Où sont-elles allées ? Pour 30 %, elles ont gagné l’Afrique subsaharienne ; pour 26 %, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient ; pour 11 %, l’Asie ; pour 17 %, l’Europe, et pour 16 %, l’Amérique.
Finalement, nous ne gérons que 17 % de cette mobilité ; et, parmi les 1,2 million de primo-arrivants qu’a dénombrés l’Europe en 2016, 77 000 ont gagné la France. Sur les 650 000 primo-arrivants de 2017, 91 000 sont venus en France. Voilà ! Nous disons avoir beaucoup de difficultés ; mais finalement, relativisons-les, par rapport à celles qu’éprouvent nos voisins.
Madame la ministre, le texte que vous défendez marquera une vraie rupture pour ce qui concerne les droits des demandeurs d’asile.
La procédure normale devant l’OFPRA sera réduite de 120 à 90 jours.
Vous auriez souhaité limiter à 15 jours le délai de recours devant la CNDA, mais M. le rapporteur est revenu sur cette disposition.
En cas de procédure accélérée, le recours devant la CNDA ne sera plus suspensif : la personne sera donc susceptible de ne plus être là lorsqu’elle sera convoquée à la CNDA !
Et que dire des vidéo-audiences ? Elles sont sans garanties ! Il n’y a pas davantage de garanties pour les langues. Au titre de l’orientation directive, on pourra envoyer quelqu’un dans une région sans lui assurer un hébergement. Ce sont autant de violations du droit d’asile qui s’ajoutent les unes aux autres et qui sont dans ce projet de loi.
Vous pourrez nous dire qu’il s’agit de rationaliser les dispositifs en vigueur. Mais ce n’est pas sérieux ! Nous parlons de personnes qui viennent de subir des traumatismes. Que ce soit à leur point de départ ou au cours de leur voyage, elles ont énormément souffert : nous avons vu les témoignages des passagers de l’Aquarius. De plus, ces personnes ne connaissent pas les règles en vigueur chez nous. On ne peut pas réformer les dispositifs de cette manière.
L’allongement du délai maximal de rétention de 45 à 90 jours participe de cette politique d’affichage.
Cela étant, je tiens à saluer M. le rapporteur, qui a revu quelques dispositions de ce projet de loi.
Ainsi, le délai de recours devant la CNDA restera de 30 jours ; pour les enfants, le séjour en centre de rétention a été limité à 5 jours – bien sûr, nous combattrons cette mesure, mais nous préférons encore ce délai à celui de 90 jours.
De plus, monsieur le rapporteur, vous avez rétabli l’hébergement directif, et nous vous en remercions.
Toutefois, avec cette réforme, on observe également les réflexes habituels de la majorité sénatoriale. Je pense notamment à la politique de quotas ;…
M. Roger Karoutchi. Et alors ?
M. Jean-Yves Leconte. … aux OQTF automatiques après une décision négative de la CNDA ; à la suppression de l’aide médicale de l’État ; à la liaison entre les laissez-passer consulaires et les délivrances de visas chez nos partenaires. Les élus du groupe socialiste et républicain s’opposeront à toutes ces mesures.
Nous défendrons l’abrogation du délit de solidarité, en réécrivant le délit d’exploitation de la misère humaine.
Nous proposerons la création d’un délit d’entrave au droit d’asile, car, face aux milices privées qui s’approprient la défense ou la pseudo-défense, nous devons appliquer la tolérance zéro. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Nous lutterons contre l’interdiction de territoire français pour les personnes en besoin de protection.
Nous défendrons un usage solidaire des dispositions actuelles de Dublin, pour que l’ensemble des personnes qui n’ont pas fait, préalablement, une demande d’asile, puissent la déposer en France.
M. Jean-Yves Leconte. Nous défendrons une protection de l’enfant plus efficace, en interdisant l’enfermement des enfants.
Enfin, nous défendrons un droit à l’autonomie des demandeurs d’asile en affirmant un droit à la formation linguistique et au travail, dès que les directives européennes le permettront.
En Europe, l’axe anti-immigration qui se profile, entre Munich et Rome, est très dangereux.
Jean-François Rapin a décrit toutes les conséquences que pouvait entraîner la question des frontières de l’Europe ; il a détaillé les problèmes humanitaires et la dégradation des droits qui pouvaient en résulter. Nous ne pouvons pas accepter cette évolution.
Or, pendant que se dessine cet axe, nous assistons au naufrage moral de l’Europe, avec l’affaire de l’Aquarius.
En l’espèce, la France ne peut pas rester en position d’observatrice. Nos textes contiennent cette obligation constitutionnelle : faire respecter le droit d’asile, lequel est constitutif de notre identité.
Il y a quelques années, nous avons renforcé le mandat de FRONTEX pour consolider les frontières de l’Union européenne. Dès lors, nous devons, en même temps, obtenir une réforme de l’asile, qui passe par un assouplissement du règlement de Dublin, par un renforcement de la solidarité entre les pays européens.
Il faut faire converger les procédures de demande d’asile entre les pays européens et dédramatiser ce qui concerne le pays de premier accueil et d’étude de la demande d’asile. À cette fin, il faut donner à toute personne bénéficiant de la protection un droit égal à celui dont dispose tout citoyen européen pour sa circulation sur l’ensemble du territoire.
La France ne peut pas se féliciter des progrès de la francophonie, la démographie africaine permettant de porter à 800 millions le nombre de locuteurs français d’ici à quelques décennies, et, en même temps, fermer la porte à l’Afrique. Une telle attitude est tout simplement irresponsable.
Nous avons une responsabilité particulière en la matière. Nous devons favoriser des mobilités construites et organisées ; détruire les mythes qui poussent tant d’hommes et de femmes à prendre le chemin de l’exil et, ce faisant, permettre à chacun d’avoir sa chance, de connaître ce qu’est l’Europe et de retourner dans son pays. Mais, à cet égard, il ne faut certainement pas lier les laissez-passer consulaires à la délivrance des visas !
Il n’est pas sérieux d’imaginer que nos relations bilatérales soient totalement liées à la manière dont tel ou tel pays, par exemple le Mali, le Maroc ou l’Algérie, délivre des laissez-passer consulaires : ce n’est tout simplement pas sérieux. Une telle mesure ne résiste pas à l’analyse, d’autant que nous avons d’autres priorités avec ces pays.
Pour ce qui concerne l’Europe dans son ensemble, il faut en être bien conscient : faute de disposer d’une opinion publique résiliente, acceptant le principe d’un accueil minimal, nous présentons aujourd’hui une immense faiblesse par rapport à nos voisins.
Voyez l’évolution qu’a suivie la Turquie depuis deux ans ; c’est pourtant ce pays qui, depuis 2016, a permis de réduire le nombre de personnes qui sont arrivées en Europe. Voulez-vous vraiment, parce que nous ne sommes pas résilients, affaiblir tous nos voisins, les faire évoluer vers des systèmes qui ne sont pas conformes à nos valeurs ?
Ce débat est essentiel. Il est essentiel pour l’avenir de l’Europe. Il est essentiel pour la manière dont nous allons construire nos relations avec l’ensemble de nos partenaires dans le monde.