Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Très bien !
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis. À défaut, elle marquerait un renoncement, faute de consensus européen, comme l’a justement souligné le professeur Jean-Christophe Bureau dans un entretien publié avant-hier.
En définitive, il semblerait, pour reprendre les mots employés par Paul Verlaine dans son célèbre poème Chanson d’automne, qu’un vent mauvais souffle sur la prochaine réforme de la PAC.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Absolument !
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis. Cette deuxième proposition de résolution européenne du Sénat ambitionne précisément de servir à la fois de signal d’alarme pour les institutions françaises et d’un appel au sursaut sur le plan européen. Il n’est peut-être pas encore trop tard pour inverser le cours des choses. Cela supposerait, en particulier, que les autorités politiques françaises envoient désormais des messages univoques.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Très bien !
Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis. À tort ou à raison, certains de nos partenaires ont manifestement interprété la période récente comme celle d’un aggiornamento de la position suivie par la France depuis 1962.
Monsieur le ministre, si notre pays ne défend pas la PAC, qui le fera ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et au banc des commissions, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Antoine Lefèvre. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le président de la commission des affaires européennes, messieurs les rapporteurs, madame la rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous y préparions tous depuis de nombreux mois : la Commission européenne a publié, le 2 mai dernier, son projet de budget pour la prochaine période de programmation post-2020 et, le 31 mai, ses projets de règlement de la future politique agricole commune. Nous entrons donc dans une nouvelle phase de discussion et de travail.
Dès ma prise de fonction, j’ai organisé de nombreuses réunions sur ce sujet avec l’ensemble des acteurs concernés. J’ai notamment souhaité qu’une grande conférence se tienne – elle a eu lieu le 19 décembre dernier à Paris – pour que chacun puisse exprimer ses attentes, ses espoirs, ses exigences vis-à-vis de cette politique, qui reste plus que jamais au cœur du projet européen.
Cette conférence a été un grand succès ; elle a réuni de nombreuses personnes : des parlementaires français, dont des membres du Parlement européen, ainsi que des représentants du secteur agricole et agroalimentaire, de la société civile, des ONG et de la Commission européenne – le commissaire à l’agriculture Phil Hogan était notamment présent.
Ce succès s’explique par les fortes attentes des citoyens européens vis-à-vis de cette politique. Nous devons les entendre et nous donner les moyens d’y répondre.
La PAC est l’une des plus anciennes politiques européennes – cela a été rappelé. Elle est la seule qui soit véritablement intégrée et, de ce fait, elle est un symbole pour l’ensemble du projet européen. Elle n’est pas parfaite, nous le constatons tous, mais elle a su évoluer au fil des années pour s’adapter.
Ce que je retiens de ces échanges, c’est d’abord un impérieux besoin de simplification. Nous avons atteint un niveau critique, et la prochaine réforme de la PAC ne sera réussie que si elle apporte de réelles améliorations, avant tout, pour nos agriculteurs.
Cette simplification doit permettre aux agriculteurs de se recentrer sur leur métier, et la nouvelle PAC devra libérer leur capacité à innover, à se moderniser, à fournir non seulement une alimentation de qualité et durable, mais aussi l’énergie ou des matériaux de demain. En résumé, et c’est là l’essentiel, la PAC doit accompagner la transformation de l’agriculture européenne.
Nous l’avons vu tout au long des discussions qui se sont tenues dans le cadre des états généraux de l’alimentation, ce sont toutes les filières qui doivent se transformer, être mieux structurées afin de mieux répartir la valeur ajoutée et d’aboutir à des prix raisonnables pour tous. La PAC doit permettre d’accompagner les plans de filières. Elle doit continuer à être une politique tournée vers l’avenir, qui renforce la position des agriculteurs dans les négociations commerciales.
Mais tout cela ne sera possible que si les agriculteurs, et au premier chef les nouveaux installés, peuvent se prémunir contre les aléas de tous ordres : les événements climatiques extrêmes, les crises sanitaires et, de façon générale, les aléas économiques et la volatilité des prix.
L’agriculture européenne, singulièrement l’agriculture française, est ouverte sur le monde. Nous importons des produits, nous en exportons également beaucoup. Nous pourrions d’ailleurs mieux accompagner nos producteurs pour gagner des parts de marché à l’export ; nous nous devons d’être offensifs en la matière.
Mais nous avons également des filières sensibles, stratégiques, que nous devons protéger, soutenir, défendre. Nous sommes dans une phase de négociations commerciales bilatérales intenses. L’Union européenne, après avoir négocié avec le Canada, se prépare à entrer dans une phase finale avec le MERCOSUR et à ouvrir de nouvelles négociations avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
À ce sujet, je porterai un message clair partout où cela sera nécessaire : nous devons nous assurer que les politiques européennes sont cohérentes entre elles. Nous ne pouvons pas soutenir des filières sensibles grâce à la PAC, d’un côté, et ne pas les protéger dans les négociations commerciales internationales, de l’autre. Il serait inacceptable d’aboutir, par exemple avec le MERCOSUR, à un accord qui mettrait en danger les filières bovine, éthanol ou sucre.
M. Michel Raison. On est d’accord !
M. Stéphane Travert, ministre. Nos agricultrices et nos agriculteurs, les femmes et les hommes qui travaillent dans nos secteurs agricoles et agroalimentaires, doivent disposer de toutes les garanties pour faire face à ces aléas. Pour cela, j’attends que les outils de gestion des risques soient au cœur de la future PAC. De ce point de vue, pour moi, cela ne fait absolument aucun doute : les aides directes du premier pilier, découplées et couplées, constituent la première maille du filet de sécurité.
Mais la PAC doit aller plus loin, beaucoup plus loin, car les aléas climatiques, notamment, sont nombreux et de plus en plus violents. Nous l’avons vu récemment avec les terribles orages qui se sont abattus sur notre pays et ont partiellement – parfois, totalement – détruit les récoltes à venir. Ces aides doivent également s’accompagner d’une responsabilisation de chaque acteur au sein des filières.
Bien sûr, il faut que la PAC prévoie des outils pour que les agriculteurs disposent rapidement et facilement d’une aide de trésorerie. En ce sens, la réserve de crise doit absolument évoluer pour être d’utilisation plus souple. Tous les outils qui permettent d’agir sur le marché doivent être préservés : stockage public et privé, possibilité de réduire volontairement la production, comme cela a été fait lors de la crise laitière en 2016. Tout cela doit être fait plus rapidement, plus efficacement, sans attendre que la situation se dégrade. Nous avons donc besoin d’observatoires des marchés opérationnels et réactifs.
Il faut aussi que la PAC accompagne les agriculteurs pour faire face aux autres urgences, notamment le changement climatique. L’agriculture fait pleinement partie de la solution pour affronter cette question à travers le stockage du carbone,…
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Stéphane Travert, ministre. … mais aussi grâce au développement de nouvelles filières autour de la bioéconomie et de la chimie verte. L’agriculture est le seul secteur capable d’offrir aujourd’hui une alternative crédible à l’utilisation des matériaux fossiles. La PAC doit accompagner l’agriculture dans la mutation de toute notre société vers une économie bas-carbone.
De façon plus générale, les préoccupations environnementales doivent être pleinement intégrées à la PAC. Beaucoup de choses ont été faites pour améliorer les pratiques ; il faut continuer et amplifier ce mouvement.
La préoccupation environnementale n’est pas une lubie. Agir en faveur de la biodiversité et participer à l’amélioration de la qualité des eaux, de l’air ou du bien-être animal concourent à faire de l’agriculture européenne celle ayant les plus hauts standards au monde. Nous devons en être fiers et aller encore plus loin, en favorisant tous les dispositifs de qualité, l’agriculture biologique, mais aussi les autres schémas de certification. De ce point de vue, la présence dans la proposition de la Commission européenne d’un instrument en faveur de l’environnement dans le premier pilier de la PAC est une bonne nouvelle.
Les propositions de règlement que la Commission européenne a publiées le 1er juin nous permettront-elles de faire tout cela et de relever l’ensemble des défis qui se posent à nous – meilleur fonctionnement des marchés, renouvellement des générations ou encore développement équilibré de tous les territoires, qu’ils soient confrontés à des difficultés naturelles ou ultrapériphériques ? Cette nouvelle PAC nous permettra-t-elle d’innover, de moderniser les systèmes de production et de défendre nos exploitations familiales dans une économie mondialisée ? Il est encore trop tôt pour le dire. Nous n’en sommes qu’au début d’une négociation qui durera longtemps et qui, n’en doutez pas, sera âpre et dure. Nous devrons négocier cette politique à vingt-sept avec des logiques parfois totalement différentes. Il faudra prendre en compte non seulement la position des autres membres du Conseil, mais aussi celle du Parlement européen, l’autre colégislateur.
Comme je l’indiquais, des choses positives figurent d’ores et déjà dans les projets présentés par la Commission européenne, mais certaines orientations méritent d’être éclaircies.
L’un de mes points principaux d’attention concernera les aspects liés à la gouvernance. Nous ne pouvons qu’être satisfaits que la Commission européenne propose une approche stratégique globale, qui soit souple et source de simplification pour les bénéficiaires de cette politique. Cela peut permettre de répondre à notre demande de subsidiarité : les mesures européennes doivent pouvoir s’adapter à nos territoires, si variés en Europe.
Ces plans stratégiques, qui doivent décrire la façon dont les États mettent en œuvre à la fois le premier et le second pilier, permettront d’intégrer des objectifs européens de façon transversale. Ainsi, les questions environnementales doivent être abordées aussi bien à travers le premier pilier, avec la conditionnalité ou la rémunération des services environnementaux, qu’à travers le deuxième pilier, avec les mesures agroenvironnementales et climatiques.
Les plans stratégiques doivent permettre de s’assurer que toutes les mesures de la politique sont cohérentes et que les lignes de partage entre les différents dispositifs et la répartition des responsabilités sont claires. Cependant, sous prétexte d’une flexibilité et d’une simplification qui ne concerneraient que la seule Commission européenne, cette démarche ne peut pas et ne doit pas se traduire par un risque de distorsion de concurrence entre les États membres de l’Union.
La PAC doit rester, par construction, une politique européenne, et les obligations doivent être les mêmes pour tous les agriculteurs européens. Vous l’aviez souligné dans votre rapport de juillet 2017, toute renationalisation, même partielle, serait un coup fatal porté à cette politique – je partage pleinement cette orientation.
Dans les mois à venir, nous allons être totalement mobilisés. Je le suis d’ores et déjà. La France dispose d’une voix qui pèse à Bruxelles. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Ah ?
M. Laurent Duplomb. On en reparlera !
M. Stéphane Travert, ministre. Vous pouvez compter sur ma combativité, mon énergie et ma mobilisation pour la faire entendre.
Cela commence par le nerf de la guerre : le budget. Accompagner cette grande transformation de l’agriculture européenne ne se fera pas sans argent. Nous devons nous donner les moyens de nos ambitions.
Le 2 mai dernier, la Commission européenne a proposé un budget global pour l’Union européenne à vingt-sept en augmentation, mais, dans ce budget, la PAC est en baisse de 5 % en euros courants, c’est-à-dire sans prendre en compte l’inflation. En réalité, donc, c’est une baisse de plus de 15 %, si l’on prend en compte l’inflation, et elle atteint 25 % pour le second pilier de cette politique. Un quart du budget ! C’est donc la seule PAC qui participerait au financement du départ du Royaume-Uni ! Pourquoi le revenu des agriculteurs européens devrait-il baisser en raison du départ d’un État membre ? Je l’ai dit dès le premier jour, et je le redis : c’est inacceptable !
Je consulte l’ensemble de mes partenaires européens. Le 31 mai dernier, avec mes homologues espagnol, portugais, irlandais, finlandais et grec, nous avons créé le groupe de Madrid, parce que nous partageons la même position, la même aspiration pour une PAC forte avec un budget ambitieux.
Ce n’est qu’un début : hier, à Sofia, nous avons continué de travailler en ce sens, et l’Italie, la Pologne, la Roumanie, la Hongrie et bien d’autres vont nous rejoindre. Nous cherchons donc des alliés un par un, et notre mobilisation est totale pour défendre la politique agricole commune dont nous avons besoin. Nos agriculteurs ne doivent pas courir le risque de voir la viabilité de leurs exploitations remise en cause.
Je compte saisir toutes les opportunités pour défendre l’ambition qui est la nôtre : un budget stable pour une PAC renouvelée, simple et efficace. Pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis favorable à l’adoption de cette proposition de résolution européenne. (M. Claude Haut applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Claude Haut.
M. Claude Haut. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que le Sénat examine aujourd’hui cette proposition de résolution européenne, qui tombe à point nommé.
En nous saisissant à nouveau de ce dossier complexe, nous honorons non seulement la Haute Assemblée, mais surtout, et avant tout, le travail inlassable de nos agriculteurs. Or il est impératif de continuer à les défendre pour plusieurs raisons : ils sont affaiblis par des crises successives et les aléas climatiques ; ils se trouvent aux prises avec la volatilité des marchés mondiaux ; l’agriculture est à la base de notre culture et de notre civilisation ; sans les agriculteurs, notre sécurité alimentaire ne serait plus qu’un leurre. Aujourd’hui, notre vigilance sur les difficultés qu’ils rencontrent est essentielle, elle demeurera constante et indéfectible.
Je souhaite aussi remercier mes collègues du groupe de suivi de la PAC pour le travail constructif et transpartisan que nous menons ensemble depuis plusieurs années déjà, en particulier lors de ces derniers mois où les auditions ont été d’une grande richesse.
Le projet de budget de la PAC proposé par la Commission européenne est désormais connu et, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, il est inacceptable, car il conduirait à des baisses drastiques et insoutenables de revenu pour nos agriculteurs. Les défis actuels auxquels fait face l’agriculture européenne sont si nombreux qu’il serait incompréhensible qu’une telle réduction budgétaire soit entérinée.
Comment, avec une telle baisse du budget, ne pas craindre pour la viabilité de nos exploitations ? Comment accompagner la transition de notre agriculture vers des systèmes plus durables et résilients ? Comment réparer les conséquences encore visibles des crises passées ?
Monsieur le ministre, nous connaissons votre combat aux côtés de plusieurs de vos homologues européens – vous les avez cités – pour défendre un budget stable et à la hauteur de nos ambitions. Nous ne pouvons que vous soutenir dans cette entreprise, et nous vous demandons bien évidemment de continuer en ce sens afin de convaincre d’autres de vos collègues.
Rappelons que la PAC est la politique la plus intégrée de la construction européenne. Bien que perfectible, elle est l’une des réussites de ce projet européen, mais elle est aussi la pierre angulaire de notre sécurité et de notre souveraineté alimentaires, nationales comme européennes. En effet, dans les négociations commerciales qu’elle mène au nom de ses pays membres, l’Union européenne a fait de la défense de standards élevés de qualité, sanitaires et environnementaux, tout comme de la promotion de ses indicateurs géographiques, un point offensif. Nous approuvons évidemment cette démarche.
Ces normes élevées sont une force et font de l’Union européenne l’une des principales puissances agricoles du monde. Or la PAC contribue pleinement à rendre ces standards possibles. De même, elle sera demain l’une de nos réponses aux défis climatiques, qui nous frappent déjà de plein fouet. Soyons donc cohérents et ne défendons pas d’un côté des normes que nous affaiblissons nous-mêmes de l’autre !
Nous en convenons : la PAC doit être modernisée. Elle souffre d’imperfections et de complexités, qui l’empêchent d’être pleinement efficace. Toutefois, nous refusons que cet effort de simplification se fasse au détriment de l’essence même de ce qui la caractérise : incarner une politique commune qui protège les agriculteurs comme les consommateurs. Il n’est pas question de sacrifier ce trait de caractère de la PAC, et je dirais même ce trait de valeur, qui a été si ardemment défendu.
Les objectifs poursuivis par ce projet de réforme de la Commission européenne sont louables sur le papier. On ne peut qu’y souscrire. Je pense par exemple à la simplification visant à atteindre une meilleure efficacité, à l’établissement d’une allocation plus juste des aides directes, aux ambitions plus élevées en matière d’environnement et d’action pour le climat ou à l’attention portée aux jeunes dans un contexte où seuls 6 % des agriculteurs européens ont moins de trente-cinq ans.
Cependant, des interrogations subsistent. Parce que le temps me manquera, je ne partagerai avec vous qu’une seule de mes réflexions ; elle concerne les plans stratégiques nationaux agricoles.
L’expérience passée des plans de développement régional du second pilier nous a laissés bien perplexes… Avec cette proposition de plans nationaux, nombreux sont les experts qui s’inquiètent des risques élevés de distorsion de concurrence et de divergences entre les agricultures nationales.
Cette crainte est légitime, dès lors que les conditions d’attribution des aides ne seront plus identiques pour l’ensemble des États de l’Union européenne et qu’elles seront seulement guidées par des principes généraux. Certains États pourraient être tentés d’utiliser le principe de subsidiarité pour gagner en compétitivité, en ayant recours au moins-disant réglementaire. Inversement, d’autres pays, dont le nôtre, pourraient vouloir aller au-delà des normes minimales européennes.
Même si le commissaire Phil Hogan tente de nous rassurer et nous promet que la Commission européenne veillera à éviter de telles distorsions, ces scénarios ne sont pas fantaisistes, puisqu’ils se réalisent sur d’autres sujets.
Vous l’avez compris, malgré ces réserves, le groupe La République En Marche votera cette proposition de résolution européenne en faveur de la préservation d’une PAC forte. (M. Arnaud de Belenet applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la négociation du prochain cadre financier européen pour la période 2021-2027 aurait pu être l’occasion de recadrer, réorienter, la politique agricole commune, mais, encore une fois, l’occasion est manquée. Le pire, c’est qu’il semble qu’il n’y ait plus véritablement de vision commune de la politique agricole européenne. Ainsi, la baisse du budget, annoncée à 5 %, sera en fait plus importante, comme cela a été souligné notamment par M. le ministre, afin de financer les nouvelles priorités politiques de l’Union européenne. Si le financement de ces priorités est nécessaire, cela ne doit pas se faire au détriment de l’agriculture.
Nous soutenons donc la démarche de nos collègues, en particulier sur la nécessité d’une adaptation du droit de la concurrence au secteur agricole, d’un renforcement du poids des producteurs dans la chaîne alimentaire ou encore d’un renforcement de la lutte contre les pratiques commerciales déloyales des firmes transnationales et contre les pratiques des centrales offshore d’optimisation fiscale du secteur de la distribution.
Toutefois, il ne faut pas se leurrer, la PAC a évolué au fil du temps vers un simple soutien au revenu des agriculteurs, principalement en fonction des surfaces cultivées – c’est le premier piller – et avec un budget modeste pour financer le développement rural – le second pilier. Ce faisant, elle bénéficie principalement aux gros producteurs.
L’objectif d’accroissement de la productivité a pris le pas sur les autres objectifs et a provoqué la disparition massive des petites exploitations jugées moins rentables et moins capables de faire face aux défis de la concurrence, notamment dans le cadre de l’OMC, qui exige que l’Union européenne aligne ses prix agricoles sur les cours mondiaux.
Il y a donc ceux qui s’enrichissent – 84 % des aides vont à 20 % des agriculteurs – et les petits exploitants qui ne s’en sortent pas.
La tentative de verdissement des aides, décidée en 2013, a globalement été un échec. Les propositions qui sont aujourd’hui sur la table correspondent à une PAC beaucoup moins commune avec une forte réduction des budgets du second pilier et un renoncement à toute politique environnementale ambitieuse.
Il est urgent que l’Europe mette en place une nouvelle politique agricole commune, intégrant un véritable plan stratégique de souveraineté et de sécurité alimentaires, et qu’elle cesse de sacrifier son agriculture sur l’autel du libre-échange. Il faut aussi que cessent les concessions agricoles accordées dans les négociations commerciales – MERCOSUR, CETA, etc. –, qui menacent des pans entiers de l’agriculture européenne et nombre de nos territoires.
De plus, pour nous, comme pour nos collègues députés européens, il faut sortir la PAC de cette politique productiviste mortifère. Entre le flux des paiements indiscriminés du premier pilier, dont une proportion échappe in fine aux agriculteurs et dont les effets redistributifs posent question, et l’éparpillement du second pilier entre des objectifs très variés, la politique agricole commune n’a plus de véritable orientation.
À l’inverse, nous voulons une agriculture familiale, locale, permettant une production de qualité, un « réinvestissement » des campagnes et une transition écologique et ayant pour objectifs la souveraineté alimentaire et une rémunération juste pour celles et ceux qui travaillent la terre. Pour cela, nous demandons une relocalisation de la production afin de favoriser les circuits courts, qui permettent une meilleure traçabilité des produits et favorisent de nouvelles formes de distribution.
Nous demandons aussi une redirection des aides vers les exploitations paysannes en faveur de la transition écologique ; une sortie du glyphosate et des substances nocives pour la santé et l’environnement, tout en accompagnant financièrement les agriculteurs ; une production axée sur la transition écologique, en favorisant la rotation des cultures et en refusant les OGM ; la mise en place des réformes foncières par les États membres pour lutter contre la spéculation sur les terres et l’étalement urbain ; des instruments publics de régulation de la production – réinstauration de quotas pour sortir de la logique de surproduction, maintien des droits de plantation des vignes – ; la mise en place d’un système européen de garantie de la propriété publique du patrimoine génétique animal et végétal pour éviter son appropriation par les multinationales ; la mise en place d’agences publiques de certification et de contrôles des productions bio et des labels afin de favoriser les savoir-faire locaux.
Nous voterons bien évidemment cette proposition de résolution européenne pour consolider le budget de la politique agricole commune, mais nous devons aussi être beaucoup plus ambitieux sur les objectifs et le contenu de cette politique. En ce qui nous concerne, nous ne cesserons de travailler dans le sens d’une agriculture durable et de qualité, tant en France qu’en Europe.
M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, toutes les informations qui nous parviennent sur la réforme de la PAC nous alarment, pour trois raisons.
D’abord, la réforme de la PAC s’inscrit dans un contexte complexe : celui de l’élaboration du prochain cadre financier pluriannuel, marqué, d’une part, par les conséquences financières du retrait britannique et, d’autre part, par les nouveaux défis posés à l’Europe, qui se traduiront par de nouvelles priorités politiques et budgétaires.
Ensuite, des réductions drastiques sont annoncées.
Enfin, l’agriculture européenne, notamment française, est fragilisée par les crises des dernières années. Nos agriculteurs, dont un tiers perçoivent 350 euros par mois, vivent des situations dramatiques.
Dans ce contexte, et au vu des éléments préparatoires de la Commission européenne, le signal d’alarme que constitue cette proposition de résolution européenne est plus que nécessaire. J’en salue les auteurs et rapporteurs, qui lancent un appel clair au niveau institutionnel français, ainsi qu’au plan européen.
Si nous voulons conserver notre statut de première puissance agricole mondiale et renforcer le poids de nos secteurs agroalimentaires, un budget stable et ambitieux s’impose. La Chine, les États-Unis, l’Inde et la Russie l’ont bien compris, qui ont accru leur effort budgétaire en la matière.
Au-delà de ces objectifs et de la volonté de conquérir de nouveaux marchés, il y a une volonté d’aller vers plus d’Europe et de sauvegarder une politique historique, symbole de l’ambition européenne.
Ainsi donc, il s’agit aujourd’hui de se poser les bonnes questions et de retrouver le sel. La PAC n’est pas seulement une affaire budgétaire : c’est la colonne vertébrale de notre modèle agricole.
Quelle alimentation voulons-nous réellement en Europe ? Quelle agriculture pour nourrir sainement 500 millions de consommateurs européens ? Quelle agriculture pour peupler nos territoires et les rendre dynamiques et attractifs ? Quelle durabilité de notre modèle agricole ? Quelles relations commerciales pour défendre nos intérêts ? Comment poursuivre le défi de l’autosuffisance alimentaire à l’échelle de notre continent ? Les recommandations formulées par cette proposition de résolution européenne répondent en partie à ces questions, et le groupe Union Centriste y souscrit pleinement.
Par ailleurs, je tiens à souligner que le redécoupage des zones défavorisées tel qu’il a été acté est une hérésie sur certains territoires de France et qu’il s’opérera au détriment de la préservation de l’emploi et de la diversité des territoires. Nombre d’exploitants exclus de la future carte attendent, monsieur le ministre, des réponses de votre part. Le sentiment d’abandon est très présent dans l’agriculture française.
Nous formons donc le vœu que les négociations à venir et le budget européen aboutissent dans un sens qui dote l’Europe des moyens nécessaires à une ambition franche pour notre agriculture européenne.
Cela passe aussi par la question des ressources budgétaires de l’Union européenne. À cet égard, monsieur le ministre, qu’en est-il de la position du Gouvernement au sujet de l’augmentation du budget européen et des ressources propres ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)