Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, sur l’article.
M. Ronan Dantec. Nous ouvrons le débat par la question de savoir ce que sont le bien public et le service public. Il se trouve que j’ai commencé ma vie politique à Nantes, au milieu des années quatre-vingt, dans un territoire qui allait très mal : fermeture des chantiers navals, ville en grande difficulté…
À partir de 1989, les choses ont commencé à changer doucement. Certes, nous avions changé de majorité, la gauche avait repris la ville, mais, surtout, 1989, c’est l’arrivée du TGV à Nantes et cela correspond à la création progressive de cette métropole, qui est aujourd’hui l’une des plus attractives de France et d’Europe.
Le TGV a profondément modifié le territoire français. Il a permis un début de rééquilibrage par rapport à ce que l’on appelait « Paris et le désert français ».
La société française a une dette vis-à-vis du TGV ; ce n’est pas la SNCF qui a une dette vis-à-vis du TGV. Qu’aujourd’hui l’État français paye sa dette à la SNCF est tout à fait normal. Évidemment, on peut considérer que l’on aurait pu le faire avant, mais on sait très bien pourquoi il n’en a pas été ainsi. Le décider aujourd’hui est une excellente chose et c’est l’un des points positifs des engagements pris, même s’il s’agit de déterminer dans quelles conditions.
Aujourd’hui, nous sortons de ce temps de la métropole comme seul moyen de rééquilibrage du territoire, même si on voit encore avec l’arrivée du TGV à Bordeaux à quel point cela modifie le territoire. Ce qui se joue maintenant, ce sont les territoires autres. Dans ces territoires autres, le train jouera probablement le même rôle de rééquilibrage. Par conséquent, il faut non pas se priver de la capacité d’aménagement du territoire qu’est la SNCF – aucune autoroute, aucun aéroport n’a eu autant d’impact sur le territoire que le train –, mais garder la capacité d’équilibrage du territoire. C’est ce qui se joue dans ce débat.
Madame la ministre, ce que nous voulons, c’est avoir la garantie que nous garderons cet outil. Avoir transféré aux régions la compétence des TER et une dotation ne vaut pas solde de tout compte. Il faut que la solidarité nationale continue à jouer, non seulement sur les investissements, mais aussi sur les coûts de fonctionnement. C’était d’ailleurs le problème du rapport Spinetta : c’est aberrant en termes de passagers, mais cela ne l’est pas en termes de perception des territoires.
Je ne développe pas davantage au regard du bref temps de parole qui m’est imparti. J’insiste toutefois sur le fait que ce que nous cherchons à avoir ce soir et dans les jours qui viennent, c’est l’engagement de l’État que nous garderons la SNCF et le rail comme un puissant aménageur du territoire français.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article.
M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous commençons l’examen de ce texte important, qui succède à la réforme ferroviaire du 4 août 2014, dont notre ancien collègue Michel Teston était rapporteur et qui avait aussi donné lieu à des débats particulièrement intéressants dans cet hémicycle.
L’article 1er A a trait à la gouvernance. Sur ce sujet, pour s’y retrouver, ce n’est pas simple, car il faut distinguer le groupe SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités.
Pour ma part, je peux comprendre les interrogations et les craintes de beaucoup de membres du personnel de la SNCF, pour lesquels, cela a été rappelé dans la discussion générale, nous avons beaucoup de respect. Elles sont légitimes, puisqu’il est question de passer du statut d’établissement public à celui de société anonyme. On parle de capitaux publics, mais de quoi s’agit-il ? La question de la gouvernance suscite naturellement des inquiétudes.
Par ailleurs, je salue le travail du rapporteur et de l’ensemble de ses collègues au sein de la commission. Le rapport est très dense, il contient énormément d’éléments d’information qui nous éclairent. Là aussi, on peut parler de transparence et de communication.
Rattacher SNCF Gares & connexions à SNCF Réseau, comme l’a décidé la commission, soulève des inquiétudes – à titre personnel, j’en ai –, même si cela paraît cohérent : les bâtiments, c’est important, mais il faut les faire vivre ; malheureusement et on peut le regretter, on trouve de moins en moins de personnels dans les gares.
Sur les capitaux publics, il faut vraiment des garanties et vous vous êtes engagée sur ce point, madame le ministre. Dans tous les cas, la confiance reste primordiale, car il faut rassurer.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l’article.
M. Yves Daudigny. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la répétition est l’un des piliers de la pédagogie.
L’article 1er A prévoit le passage en société anonyme à capitaux publics de SNCF, SNCF Mobilités et SNCF Réseau. Il remet donc en cause l’équilibre négocié par les syndicats et entériné par la loi du 4 août 2014 portant réforme du ferroviaire, qui a fait de l’État-stratège un acteur central et a constitué un groupe public ferroviaire indissociable et solidaire.
L’argument consistant à expliquer que l’État doit se protéger de lui-même en limitant sa capacité à imposer des choix politiques coûteux à la SNCF a peu de portée. Celui qui prône une plus forte intégration du groupe ne vaut pas davantage.
Quand bien même vous affirmerez le contraire, madame le ministre, vous n’empêcherez pas que l’on considère que la nature juridique d’une société anonyme en fait un outil au service éventuel d’une libéralisation du service public ferroviaire français, bien au-delà des exigences européennes. La création par la loi de 2014 d’un groupe ferroviaire unifié composé de trois EPIC traduisait un compromis à la fois juridique et social, en accord avec les règles européennes.
Oui, le statut de SA est la forme juridique la mieux adaptée pour une entrée en bourse. Il ouvre la possibilité d’une privatisation. GDF ou France Télécom en sont des illustrations.
Comment ne pas imaginer demain un argumentaire fondé sur l’impossibilité de rechercher de nouveaux financements auprès du contribuable conduisant à demander ceux-ci à la bourse ? L’incessibilité des parts ne résistera pas.
Par ailleurs, un passage d’EPIC en SA entraînera une dégradation de la part des agences de notation. La société anonyme est solidaire de ses dépenses excessives, à concurrence des capitaux propres de la société. Sans garantie de l’État, la nouvelle société n’aura pas les mêmes capacités d’endettement, les emprunts seront plus difficiles à lever et plus coûteux. La transformation en 2004 d’EDF en SA n’a pas empêché la dette de la nouvelle SA de déraper.
À tout le moins et pour conclure, madame la ministre, quel intérêt à transformer en société anonyme SNCF Réseau, qui, par nature, ne peut qu’être en situation de monopole ? L’exemple du Royaume-Uni, qui a renationalisé pour des exigences de qualité et de sécurité, devrait vous inspirer au moment de proposer ce passage en société anonyme ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Martial Bourquin. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. J’entends que l’on puisse vouloir parler d’une autre réforme que celle que l’on est en train de mener. Néanmoins, il faudra prendre le temps de parler aussi de la réforme que le Gouvernement a proposée.
Mme Éliane Assassi. Elle n’est pas bonne !
M. Fabien Gay. On en parle assez !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Une autre réforme de privatisation et de démantèlement, une autre réforme de désengagement de l’État ? Ce n’est pas cette réforme qui est proposée par le Gouvernement !
Vous posez la question de la transformation des EPIC en SA.
M. Fabien Gay. C’est la question !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Cette transformation est la condition pour constituer un groupe unifié, auquel, je pense, les cheminots sont attachés. (Non ! sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.) Les Français ne savent même pas qu’il y a trois structures et trois dirigeants à la SNCF.
Un sénateur du groupe socialiste et républicain. Il faut un groupe unifié !
Mme Fabienne Keller. Chut !
Mme Élisabeth Borne, ministre. A-t-on aujourd’hui une unité industrielle à la SNCF ? A-t-on une unité économique ?
M. Fabien Gay. Ce n’est pas la faute des cheminots !
Mme Élisabeth Borne, ministre. L’objectif du Gouvernement, c’est d’avoir un groupe véritablement unifié avec une unité économique, sociale et industrielle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai envie de vous demander : qu’est-ce qui pose problème dans le statut de société anonyme ? (M. Guillaume Gontard s’exclame.)
M. Fabien Gay. On vous l’a dit !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je vous rappelle que c’était le statut de la SNCF de 1937 à 1982. La transformation en EPIC a-t-elle conduit à une avancée pour le transport ferroviaire depuis 1982 ? (Mmes Marie-Noëlle Lienemann et Éliane Assassi s’exclament.) Regardez les chiffres ! Regardez les courbes ! C’est précisément à partir de ce moment-là que la dette de la SNCF a commencé à augmenter. Si la SNCF avait eu un autre statut, personne n’aurait pu se permettre d’en laisser filer ainsi la dette.
C’est à partir de ce moment-là, aussi, que l’on a commencé à abandonner le réseau classique, celui qu’empruntent la plupart de nos concitoyens pour leurs transports de la vie quotidienne.
Donc, la transformation en EPIC a-t-elle été une réussite ? Je ne le pense pas !
Alors, on nous parle d’augmentation de capital… Mais je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à relire le texte voté à l’Assemblée nationale : il y est question de titres « intégralement » détenus. Je voudrais que l’on m’explique comment on peut, tout à la fois, procéder à une augmentation de capital au bénéfice d’un autre que l’État et affirmer que ce dernier détient intégralement les titres.
M. Alain Richard. Il faut lire !
M. Fabien Gay. Nous vous avons donné l’exemple de GDF.
Mme Élisabeth Borne, ministre. Non, veuillez m’excuser, il n’a jamais été fait mention d’un capital « intégralement détenu par l’État », ni pour La Poste, ni pour GDF. Cette rédaction empêche toute augmentation de capital.
D’ailleurs, si l’on parle d’augmentation de capital, c’est qu’on nous soupçonne de vouloir livrer la SNCF aux acteurs privés, tout en nous suspectant de ne pas faire le nécessaire pour rétablir sa situation financière. Je trouve cela un peu paradoxal : quel acteur privé, en effet, voudrait investir dans une société qui ne serait pas à l’équilibre ?
Je le redis, non seulement il sera désormais inscrit dans la loi que le capital de la SNCF est intégralement détenu par l’État et que la société nationale détient intégralement SNCF Réseau et SNCF Mobilités, mais pour éviter les rumeurs et les suspicions quant à une éventuelle privatisation, il sera aussi précisé que les titres sont incessibles.
Mme Éliane Assassi. Cela ne suffit pas !
M. Fabien Gay. Non, cela ne suffit pas !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Pour moi, c’est « ceinture et bretelles » ! Je pense même que la rédaction initiale est la plus protectrice qui soit.
Mais si l’on me dit maintenant que ce qui est voté dans la loi n’a pas de valeur…
Mme Cécile Cukierman. Personne n’a dit ça, madame la ministre !
M. Fabien Gay. Nous n’avons rien dit de tel !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je trouve un peu curieux d’entendre affirmer sur les travées de cette assemblée que les assurances données dans la loi n’ont pas de portée. Certains seront peut-être rassurés de constater, comme moi, qu’aucun groupe à l’Assemblée nationale et, je pense, ici, au Sénat, n’envisage une privatisation de la SNCF.
M. Guillaume Gontard. Alors, pourquoi passer en SA ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je peux reprendre mes explications au début, monsieur Gontard.
Il est très clairement indiqué, dans le projet de loi, que les titres sont détenus en intégralité par l’État et incessibles.
Le Gouvernement, j’y insiste, a pour projet d’améliorer l’organisation de la SNCF, grâce à unité sociale, économique et industrielle.
Mme Éliane Assassi. Si cela fonctionne si bien, pourquoi l’incessibilité ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Pensez-vous qu’aujourd’hui, madame Assassi, on peut se satisfaire de la situation actuelle ? J’entends le sénateur Dantec expliquer à quel point il est formidable d’avoir réalisé des TGV… Mais, dans le même temps, on a abandonné le réseau des transports de la vie quotidienne.
M. Jean-Paul Émorine. Tout à fait !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Si tout fonctionnait aussi bien, nous n’aurions pas 5 000 kilomètres de lignes connaissant des ralentissements – justement les lignes entre Limoges et Paris, entre Nantes et Bordeaux, entre Caen et Paris –, auxquelles s’ajoutent toutes les lignes menacées de fermeture.
M. Guillaume Gontard. La question de l’investissement sur le réseau n’a rien à voir avec le présent débat !
Mme Élisabeth Borne, ministre. À nouveau, le Gouvernement porte une réforme ambitieuse, visant à développer le service public ferroviaire, à en améliorer la qualité, et ce avec un engagement qu’aucun autre gouvernement n’a jamais pris à cette hauteur.
Tel est le sens de la réforme que je défends. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Fouché applaudit également.)
Mme la présidente. L’amendement n° 48, présenté par Mme Assassi, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
M. Alain Fouché. Encore ?
Mme Éliane Assassi. J’entends bien ce que vous dites, madame la ministre, mais vous ne répondez pas sur un certain nombre de sujets. Nous reviendrons dans le débat, par exemple, sur l’incessibilité des titres, que vous venez d’évoquer. Si tout fonctionne, pourquoi avoir besoin de l’inscrire dans la loi ? (Mme la ministre s’esclaffe.) Vous nous dites tout et son contraire !
M. Gérard Cornu, rapporteur. Pour ma part, je n’en voulais pas !
Mme Éliane Assassi. Donc, vous n’êtes pas d’accord, monsieur le rapporteur. Il faut oser dire les choses haut et fort dans cet hémicycle !
Comme nous l’avons souligné dans plusieurs de nos interventions sur l’article, le passage au statut de SA est l’aboutissement logique de la succession de réformes imposées au rail français au cours des dernières années, sous couvert de le rendre plus performant : privatisation du fret ; mise en concurrence du trafic de voyageurs ; découpe de la SNCF en une myriade de filiales de droit privé, qui, souvent, se concurrencent ; recours à des personnels sous-payés, subissant les mêmes entorses au droit du travail que les salariés de Veolia Cargo ou d’Euro Cargo Rail, filiale de la Deutsche Bahn.
Malgré vos dénégations, madame la ministre, le scénario est assez clair, et la rédaction de cet article 1er A ne manque pas de sel.
Ainsi, outre le passage au statut de SA, vous renforcez sous couvert d’unification la filialisation du groupe SNCF, filialisation qui transformera in fine la SNCF en coquille vide : tous les actifs seront transférés vers les filiales. Dès lors, la règle de l’incessibilité de son capital n’est qu’un leurre !
De même, vous énoncez, toujours à l’article 1er A, que la création de filiales par la SNCF ne portera pas atteinte à l’application du statut, ainsi que des accords et conventions collectives.
Pourtant, la SNCF compte plus de 1 000 filiales, lui ayant permis de supprimer plus de 30 000 emplois sous statut depuis 2002. Plus d’un quart de ces suppressions d’emplois ont concerné la gestion de la maintenance des infrastructures ferroviaires, soit l’équivalent de 30 usines Molex et de 8 usines Continental, d’après ce qu’ont calculé tous les syndicats. Que dire, en outre, des 3 000 emplois de cheminots menacés par la filialisation annoncée de Fret SNCF !
Cet article prépare donc la privatisation de la SNCF, et vous comprendrez bien, madame la ministre, que nous en demandions la suppression. (M. Fabien Gay applaudit.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard Cornu, rapporteur. Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, ai-je envie de dire !
Je constate, eu égard aux déclarations qui viennent de se succéder, que nous avons manifestement un désaccord complet, désaccord avec le groupe CRCE et avec certains de nos collègues qui ne veulent pas de l’ouverture à la concurrence et de la fin du statut de cheminot. Pour ma part, je l’assume !
J’assume vouloir et l’ouverture à la concurrence et la fin du statut de cheminot. Donc, oui, nous ne sommes pas d’accord !
Mme Éliane Assassi. La chose est dite, c’est bien !
Mme Fabienne Keller. Chut, madame Assassi !
M. Gérard Cornu, rapporteur. Madame Assassi, au Sénat, on se parle… et on s’écoute ! Je ne vous ai jamais interrompue,…
Mme Fabienne Keller. Très bien !
M. Gérard Cornu, rapporteur. … et je n’ai interrompu aucun des orateurs. Je crois que le Sénat mérite un débat digne. Bien que nous ne soyons pas d’accord, respectons-nous ! Vous l’avez toujours fait en commission. Il faut, me semble-t-il, que vous conserviez cette attitude digne dans l’hémicycle.
M. Alain Fouché. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas parce que l’on n’est pas d’accord que l’on ne se respecte pas !
M. Gérard Cornu, rapporteur. C’est aussi respecter l’ensemble des sénateurs et rendre possible un débat de qualité. (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Alain Fouché applaudit également.)
Cela étant dit, j’en viens à l’amendement n° 48.
Pour faciliter le débat, je ferai une réponse qui vaudra pour la batterie d’amendements, dont celui-ci n’est que le précurseur, qui tendent à supprimer les articles du projet de loi.
Vous êtes tout à fait dans votre logique, madame Assassi. Respectant les positions de chacun, je respecte les vôtres. Mais ce ne sont pas les miennes et, donc, je donnerai un avis défavorable à chacun de ces amendements de suppression.
Au-delà de ce préambule, sur la question précise de l’incessibilité, accordez-moi le fait que, en ma qualité de rapporteur, je n’ai pas porté l’amendement visant à l’inscrire dans le texte. J’estimais que le texte de l’Assemblée nationale suffisait et, surtout, que le point important était la détention de l’intégralité du capital par l’État.
Je l’ai dit très clairement, nous avions les bretelles et, quand M. Frédéric Marchand a présenté son amendement relatif à l’incessibilité et que tout le monde, ai-je cru comprendre, s’est accordé pour le voter, nous avons eu la ceinture. Ceinture et bretelles, donc !
Pour ma part, je le répète, le texte de l’Assemblée nationale était suffisant.
Reconnaissez-moi donc ceci : je n’étais pas forcément favorable à l’inscription de l’incessibilité ; je l’ai acceptée, car il était important de rassurer tout le monde et de faire taire cette petite musique de la privatisation, alors même que, j’y insiste, personne n’en veut.
Nous voulons que ce très grand groupe qu’est la SNCF soit entièrement détenu par l’État. Nous ne souhaitons absolument pas le privatiser.
Pour rassurer, j’ai accepté, en tant que rapporteur, cette mention de l’incessibilité et – c’est un peu désolant – j’entends maintenant qu’elle ne sert plus à rien !
Mais, madame Assassi, si elle ne sert plus à rien, réunissons la commission pour cinq minutes et retirons l’incessibilité ! (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Jean-François Longeot s’exclame également.)
Si vous la considérez inutile, je suis d’accord avec vous pour la retirer.
M. Pascal Savoldelli. Pas étonnant !
M. Gérard Cornu, rapporteur. Mais, si vous pensez qu’elle sert à quelque chose… (Brouhaha sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Un peu de respect ; nous sommes au Sénat !
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas une question de respect !
M. Gérard Cornu, rapporteur. Ne m’interrompez pas constamment ! Je vous dis que, si vous estimez que l’incessibilité ne sert à rien, je suis d’accord avec vous et nous pouvons la retirer ; si vous estimez important de la laisser dans le texte, nous la laisserons ! (Mme Éliane Assassi s’exclame.) Mais ne brandissez pas systématiquement des accusations de privatisation ! Personne, dans cet hémicycle, ne veut privatiser la SNCF !
Mme Éliane Assassi. Mais si !
M. Gérard Cornu, rapporteur. J’ai pris mon temps pour donner l’avis de la commission ; il sera, bien sûr, défavorable. Permettez que, pour les autres amendements de suppression d’article, je me contente d’un simple « Avis défavorable ».
Mme Éliane Assassi. Puisque vous voulez le débat !
Mme la présidente. Monsieur le rapporteur, j’ai souhaité vous laisser le temps de formuler l’ensemble de ces explications.
Quel est l’avis du Gouvernement sur cet amendement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. On pourrait aussi porter au crédit du Gouvernement, lorsqu’il veut quelque chose, de le dire clairement : nous voulons l’ouverture à la concurrence, nous l’avons dit ; nous voulons changer l’organisation et les statuts de la SNCF, nous l’avons dit, je pense, clairement ; nous voulons arrêter le recrutement au statut, nous l’avons dit tout aussi clairement.
Manifestement, cela ne suffit pas pour éviter les procès d’intention.
S’agissant de cet amendement de suppression, la nouvelle organisation de la SNCF, avec son nouveau statut, fait partie des éléments essentiels de la réforme, qui ne se réduit pas à l’ouverture à la concurrence, mais vise aussi à donner à la SNCF tous les atouts pour gagner dans ce nouveau contexte. Donc, évidemment, l’avis sera défavorable.
Je voudrais ajouter une précision, madame Assassi, au regard de votre remarque concernant un possible envoi des actifs dans les filiales.
Rappelons ceci : nous traitons du domaine public ferroviaire et il existe un principe de niveau constitutionnel selon lequel le domaine public appartient à une personne publique.
Voilà encore un procès inutile : le domaine public appartient à une personne publique ; ça tombe bien, puisque la SNCF est une société publique !
M. Jean-François Longeot. Exactement !
M. Gérard Cornu, rapporteur. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Éliane Assassi. Vous voulez le débat, nous avons le débat !
Mme la présidente. Madame Assassi, je vous en prie, c’est M. Savoldelli qui a la parole, et lui seul.
M. Pascal Savoldelli. Je poserai juste une question très apaisante. Nous venons d’avoir un échange sur le caractère incessible des titres. Vous nous proposiez, monsieur le rapporteur, de prendre cinq minutes pour revenir sur cette précision dans le texte et je me permettais de vous faire remarquer que le fond revenait à la surface. Ce n’est pas correct, je le comprends bien.
Une seule question, donc. Madame la ministre, monsieur le rapporteur, pouvez-vous nous dire si tout ce qui relève du réseau est inaliénable ?
M. Pascal Savoldelli. Vous répondrez publiquement. Comme ça, nous aurons la trace de nos échanges.
Il n’est nul besoin de créer des polémiques pour des polémiques. Nous venons de débattre de l’incessibilité ; je vous demande de préciser, sur la partie réseau, s’il y aura inaliénabilité du patrimoine. Si vous me répondez par l’affirmative, tout le monde l’aura entendu ici et nous en prendrons acte devant l’Histoire.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. Devant l’Histoire et devant cette assemblée, je peux vous confirmer, monsieur Savoldelli, que le réseau ferré national appartient au domaine public. En tant que tel, il est incessible, inaliénable, et le restera. (M. Alain Fouché applaudit.)
M. Alain Richard. C’est le droit existant !
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Pour continuer nos échanges, madame la ministre, nous avons été nombreux, dans cet hémicycle, à vous demander pourquoi transformer trois EPIC en SA.
Vous avez apporté une première réponse : « C’est pour unifier ». Mais nous vous avons signalé qu’il existait une autre façon de le faire : avoir un seul EPIC !
Dès lors que vous pourriez réunifier en créant un EPIC et que vous faites un autre choix, nous alertons : il y a potentiellement risque de privatisation. Personne ne souhaite affoler personne, mais, chacun et chacune, nous avons donné des exemples de service public ayant vécu l’ouverture à la concurrence, puis la privatisation. C’est ce que nous souhaitons éviter !
Je n’ai pas suivi de grands cours d’économie, mais il existe au moins trois façons d’éviter la privatisation.
Sur la première, vous avez répondu : il suffit de prévoir l’incessibilité. Cela évitera que vous ne vendiez les titres, comme vous allez le faire, par exemple, pour la Française des jeux ou Aéroports de Paris. Bruno Le Maire a annoncé ces privatisations par vente de titres voilà quelques semaines et, a-t-il précisé, ce n’est pas fini… Mais nous aurons un débat sur ces autres cas.
La deuxième façon passe par l’augmentation de capital. Nous vous avons soumis une question sur l’inaliénabilité, qui peut apporter une solution partielle.
Pour la troisième façon, madame la ministre, permettez-moi d’observer que je vous ai donné un exemple et que vous n’avez pas répondu.
On peut toujours prévoir l’incessibilité des titres et l’inaliénabilité du patrimoine – c’était le cas pour GDF… Mais, je le redis devant tout le monde, bien que GDF ait été incessible à 100 %, il a suffi qu’on l’accole à une entreprise privée, Suez, pour que cela donne Engie !
On n’a jamais vendu un titre, il n’y a eu aucune augmentation de capital et, aujourd’hui, c’est une entreprise privée, dont l’État n’est plus actionnaire qu’à 24 % et qui, en dix ans, a versé 22,7 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires ! Le secteur privé, en effet, a vocation à servir non pas les besoins humains, mais des intérêts privés. Le service s’est donc dégradé, ainsi que les conditions de travail des salariés, et les prix ont explosé, 40 % en dix ans.
C’est ce que nous voulons éviter.
Mais, comme vous ne répondez pas sur cet exemple, il y a débat !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Émorine, pour explication de vote.
M. Jean-Paul Émorine. Je vous rappelle, monsieur Gay, que nous sommes là pour débattre et que, pour être en mesure de le faire, nous devons avoir des avis différents.
J’étais président de commission au moment où est intervenue la fusion entre GDF et Suez, que vous évoquiez à l’instant. Il s’agissait bien d’une privatisation, puisque l’État était représenté, dans le cadre d’une golden share, à 36 %, ce qui lui conférait un droit de veto.
Je ne partage pas votre analyse sur l’évolution de GDF Suez. Aujourd’hui, le groupe Engie est présent non seulement en France, mais aussi à l’étranger.
Le deuxième exemple que je voulais vous donner est celui de La Poste.
Pendant 68 heures au banc des commissions, j’ai entendu les mêmes discours ! Ceux-ci relèvent des sensibilités politiques, c’est tout à fait naturel.
Pour La Poste, on dénonçait une privatisation. Mais nous avons réussi, aussi, à en faire une SA avec 100 % de capitaux d’État. Ce qui a fait évoluer la situation, c’est tout simplement l’entrée au capital de la Caisse des dépôts et consignations à hauteur de 25 %.
La Caisse des dépôts et consignations est-elle privée ? À ce jour, je crois que c’est encore une caisse de l’État !
J’ajoute que l’État, au travers de la CDC, a refinancé La Poste à hauteur de 2,7 milliards d’euros, justement pour lui permettre de s’adapter à la nouvelle demande de services et à la concurrence qu’elle avait à affronter.
Le projet de loi que nous sommes en train d’examiner n’est pas un projet de loi de privatisation, mes chers collègues, Mme la ministre se tue à vous le dire ! Il s’agit d’une transformation en SA !
Bien sûr, la SNCF est notre réseau national, mais pour en avoir été administrateur pendant trois ans, je peux vous dire qu’elle est intéressée, aussi, par la conquête de marchés à l’étranger. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
Par ailleurs, vous l’avez vous-même dit, madame Assassi, il y a 920 filiales à la SNCF. Ces filiales évoluent, et le droit n’est pas le statut des cheminots ! La SNCF est tout de même le premier transporteur routier !
Donc, nous pouvons avoir des philosophies différentes. Mais aujourd’hui, le projet de loi qui nous est présenté permet une adaptation au contexte européen et au contexte du XXIe siècle. Je voterai, bien sûr, contre cet amendement. (MM. René Danesi, Alain Fouché et Franck Menonville applaudissent.)