Mme Esther Benbassa. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart, contre la motion.
M. Michel Vaspart. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nos collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste ont présenté une motion tendant à opposer la question préalable. Vous ne serez pas surpris que, au nom du groupe Les Républicains, je vous annonce que nous voterons contre. Permettez-moi de rappeler tout d’abord que la motion tendant à opposer la question préalable aboutit à une absence de discussion sur le texte proposé.
Le quatrième paquet ferroviaire européen, adopté en décembre 2016, ouvre le réseau de la SNCF à la concurrence à partir de 2020. Nous devons prendre des mesures de transposition avant la fin de cette année, pour une ouverture à la concurrence des services conventionnés – TER, Transiliens ou Intercités – à partir du 3 décembre 2019, et des services commerciaux dès le mois de décembre 2020.
Cette nécessaire adaptation de la SNCF à la concurrence est un révélateur qui nous oblige à nous pencher sur la situation globale de notre système ferroviaire. Il apparaît clairement que les performances de la SNCF sont insuffisantes et nécessitent modernisation et adaptation de l’entreprise. Son statut actuel n’est pas compatible avec le nouveau paysage ferroviaire européen. Notre système ferroviaire n’est toujours pas prêt pour la concurrence.
La dette du gestionnaire d’infrastructure, SNCF Réseau, a atteint 46,6 milliards d’euros à la fin de l’année 2017 et poursuit une trajectoire particulièrement inquiétante. Elle augmente chaque année de deux à trois milliards d’euros, sans que le service soit vraiment satisfaisant.
Ce rythme n’est clairement pas supportable. L’écart entre les coûts de production de notre groupe public ferroviaire et les autres entreprises ferroviaires a été estimé à près de 30 % dans le rapport de Jean-Cyril Spinetta. Ce manque de compétitivité ne sera pas soutenable dans un contexte d’ouverture à la concurrence.
La perte d’attractivité du rail par rapport aux autres types de transport témoigne aussi de cette inadaptation : sa part modale a été réduite, passant de 10 % en 2011 à 9,2 % en 2016, alors qu’elle augmente chez nos voisins européens.
Pour le fret, les chiffres sont encore pires, avec une part modale passant de 15 % en 2001 à moins de 10 % aujourd’hui.
Le projet de loi, dont nous souhaitons poursuivre l’examen, ne se limite pas aux questions d’ouverture à la concurrence, mais traduit une réforme plus globale de l’organisation du système ferroviaire français. C’est l’une des voies qu’avaient proposées notre collègue Hervé Maurey et notre ancien collègue Louis Nègre dans la proposition de loi que nous avons débattue en mars dernier.
Le présent projet de loi laisse en suspens un certain nombre de questions, comme les conditions de transfert des salariés ou les garanties d’aménagement du territoire. Notre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, soucieuse que la réforme du système ferroviaire fasse l’objet d’un véritable débat parlementaire, a très largement complété le projet de loi en adoptant des amendements substantiels et attendus.
Elle a également tenu à préciser les demandes d’habilitation en vue de fixer un cadre plus exigeant pour les ordonnances que le Gouvernement prendra et de les orienter en fonction des priorités du Parlement.
Nous avons ainsi permis de dessiner plus précisément les contours de la réforme ; le texte issu des travaux de notre commission complète très largement celui qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale.
Notre objectif a été de proposer une organisation plus efficiente de la SNCF. Je pense notamment à la transformation des établissements publics de la SNCF en sociétés anonymes à capitaux publics, et à la filialisation de SNCF Gares & Connexions vis-à-vis de SNCF Réseau. De plus, dans le cadre des négociations en cours, nous avons introduit dans le présent texte le caractère incessible du capital de ces trois entités. Cette disposition devrait rassurer celles et ceux qui craignaient une privatisation du groupe ou de ses filiales.
En matière financière, la reprise de 35 milliards d’euros de dette vient d’être annoncée par le Gouvernement. Cette somme sera, in fine, payée par le contribuable. C’est pourquoi il est non seulement normal, mais même absolument indispensable, que cet effort soit lié à un engagement de la part de l’entreprise et de ses personnels.
Nous avons entendu les préoccupations des salariés de SNCF Mobilités quant aux conditions de leur transfert à de nouveaux opérateurs. Le texte de notre commission propose un cadre sécurisé pour les salariés transférés.
Nous avons souhaité que le nombre de salariés à transférer soit arrêté par les régions, et non pas par l’opérateur sortant.
Nous avons également souhaité que, en cas de reprise par les autorités organisatrices de transport, les coûts liés aux matériels roulants soient équitablement répartis.
Nous avons enfin souhaité préserver l’intégralité des dessertes TGV, dans un souci d’aménagement du territoire.
Madame la ministre, les villes moyennes ont besoin de dessertes directes ; il y va de l’aménagement du territoire lui-même. Or le système de modulation des péages proposé dans le texte du Gouvernement faisait courir un risque à la desserte TGV directe des villes moyennes, dans un contexte d’ouverture à la concurrence : nous ne l’avons donc pas retenu.
À nos yeux, la responsabilité du maintien de ces dessertes directes ne saurait peser uniquement sur les régions. En l’absence de financement spécifique pour ces collectivités territoriales, nous avons introduit la possibilité, pour l’État, de conclure des contrats de service public – M. le rapporteur l’a rappelé précédemment – pour répondre aux besoins d’aménagement du territoire et, ainsi, préserver des dessertes directes, sans correspondance.
Dans un contexte de concurrence intermodale forte et de perte d’attractivité du mode ferroviaire, il nous est apparu primordial que l’État garantisse le maintien des dessertes directes. Nous pensons avec force que l’ouverture à la concurrence doit se traduire par une amélioration du service rendu aux voyageurs, et non par une offre réduite. Les dessertes TGV ne peuvent être limitées aux seules métropoles.
Mes chers collègues, cette nouvelle réforme du système ferroviaire français semble donc plus que nécessaire.
L’ouverture à la concurrence – nous en sommes convaincus – permettra de renforcer la compétitivité de l’opérateur historique et, je l’espère, de le sauver. Elle sera également positive pour les usagers du transport ferroviaire. C’est en tout cas ce que l’on constate dans beaucoup de pays qui ont mis en œuvre cette réforme avant nous.
Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons soutenir cette motion de procédure marquant le refus de poursuivre l’examen d’un projet de loi qui est, selon nous, essentiel pour notre pays.
J’ajoute que le travail effectué par le Sénat, par notre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, notamment par notre rapporteur, Gérard Cornu, rappelle et démontre à ceux qui en douteraient encore tout l’intérêt du bicamérisme.
Sur ces sujets, le Sénat aura travaillé en anticipation, avec la proposition de loi Maurey-Nègre, et il aura largement contribué à l’amélioration de la rédaction de la loi, malgré les délais fort contraints qui nous ont été imposés.
Le Sénat va même permettre au Gouvernement de sortir de l’impasse où il se trouve : il a considérablement amélioré ce texte en tenant compte à la fois d’un certain nombre de demandes et de souhaits des partenaires sociaux et des amendements déposés au nom du Gouvernement.
Voilà, s’il en était besoin, la preuve de l’intérêt d’un équilibre des pouvoirs, non seulement entre les deux chambres du Parlement, mais aussi entre l’exécutif et le législatif. J’espère que, pour d’autres textes, pour d’autres propositions de loi émanant de la Haute Assemblée, le Gouvernement saura enfin nous écouter.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, les membres du groupe Les Républicains voteront contre cette question préalable, pour que le débat démocratique ait bien lieu au sein de la Haute Assemblée ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard Cornu, rapporteur. Madame Assassi, vous le savez très bien, si nous ne défendons pas les mêmes convictions, je respecte la constance de votre engagement et le travail que vous avez effectué, au sein de la commission, avec M. Gontard ; les nombreux amendements que vous avez déposés en sont la preuve.
Cela étant, pour des raisons évidentes, j’adhère complètement aux propos de M. Vaspart. Vous comprendrez donc que j’émette un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame Assassi, j’ai bien relevé les points que vous avez soulevés, qu’il s’agisse de la méthode ou du fond.
Je vous rappelle que la méthode a été annoncée dès le départ par le Gouvernement ; elle a été choisie pour laisser la plus large place à la concertation…
Mme Éliane Assassi. Non !
Mme Élisabeth Borne, ministre. … et au débat parlementaire.
Je l’ai donc indiqué dès l’origine, lors du conseil des ministres du 14 mars dernier, le texte alors présenté, à savoir un projet de loi d’habilitation à légiférer par ordonnances, avait vocation à être remplacé par des articles au fur et à mesure de l’avancée des concertations menées avec l’ensemble des parties prenantes – à savoir les représentants des régions, des usagers et, naturellement, des organisations syndicales.
On ne peut pas nier que le débat parlementaire a toute sa place dans la construction de ce projet de loi. D’ailleurs, plusieurs orateurs l’ont souligné, le texte déposé à l’Assemblée nationale n’est pas celui qui sortira du Sénat, et pour ma part je m’en réjouis.
À la fin du mois de mars dernier, nous avons déjà consacré deux jours de débats à ce sujet, en examinant la proposition de loi présentée par le président Maurey. En avril, l’Assemblée nationale a consacré trente-trois heures de discussions à ce projet de loi, et elle a étudié quelque 500 amendements en séance publique. J’ai été auditionnée devant votre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, qui a accompli un important travail : elle a examiné de nombreux amendements, dont plus de 100 ont été adoptés.
Aussi, nous sommes, au contraire, face à l’excellent exemple d’un projet mené dans la concertation, d’une coconstruction assurée par le Gouvernement et par le Parlement.
Sur le fond, madame Assassi, on ne peut pas affirmer que ce projet de loi est un simple texte de transposition du quatrième paquet ferroviaire. La réforme défendue par le Gouvernement vise à assurer l’avenir de notre système ferroviaire, auquel les Français sont attachés, en offrant un meilleur service, au meilleur coût, en préparant l’ouverture à la concurrence et, dans le même temps, en donnant tous les atouts à la SNCF pour réussir dans ce contexte de concurrence.
Non, ce projet de loi ne porte pas le germe d’une privatisation. Toutes les garanties sont inscrites dans le texte qui vous est présenté ; en tout cas, elles seront adoptées à l’issue de ce débat.
Certes, ce qu’une loi fait, une autre loi peut le défaire ; mais l’unanimité qui s’est manifestée sur les bancs de l’Assemblée nationale et qui, je n’en doute pas, s’exprimera également sur les travées de la Haute Assemblée pour défendre le caractère public de la SNCF est sans doute la meilleure assurance dont on peut disposer pour l’avenir. J’espère que cette unanimité permettra de dissiper vos craintes.
Non, ce projet de loi ne met pas à mal le droit à la mobilité pour tous ni le maillage du territoire. Vous le savez, la défense de ce droit est au cœur de la politique des mobilités que je mène depuis que je suis au Gouvernement.
Nous aurons prochainement l’occasion d’examiner le projet de loi d’orientation des mobilités, qui donnera de nouveaux outils pour répondre aux besoins de tous les citoyens, dans tous les territoires. En ce qui concerne les dessertes ferroviaires, demain comme aujourd’hui, ce sont bien les régions qui définiront les dessertes, les fréquences et les tarifs pour les services régionaux conventionnés.
Par ailleurs, les dispositions, que M. le rapporteur a rappelées, relatives à la modulation des péages ont été complétées par des possibilités de conventionnement pour les TGV. Ainsi, le maintien de la desserte dans tous les territoires sera garanti.
À mon sens, on ne peut pas parler de « casse » du service public ni de désengagement de l’État, à l’heure où nous nous apprêtons à investir plus que jamais dans le système ferroviaire : un investissement de 36 milliards d’euros au cours des dix prochaines années, c’est 50 % de plus que ce qui a été fait au cours des dix dernières années.
Nous irons encore plus loin en ciblant les investissements de modernisation, qui permettront d’améliorer l’offre rapidement, de manière tant qualitative que quantitative. Ainsi la capacité de la ligne Paris-Lyon sera-t-elle accrue de 20 %.
S’y ajoutera un effort considérable, qui concerne tous les Français, à savoir la reprise de la dette. On en parlait depuis des décennies : le Gouvernement le fait, et, à l’échelle du quinquennat, il assurera cette reprise de dette à hauteur de 35 milliards d’euros. En agissant ainsi, il adresse un véritable message de confiance à notre système ferroviaire, à la SNCF et aux cheminots.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les cheminots et, plus largement, l’ensemble des Français attendent ce débat. Bien sûr, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cette motion. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les élus du groupe du RDSE ne voteront pas cette motion, et pour cause : nous sommes, par principe, hostiles aux questions préalables. (M. le rapporteur opine.)
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. En effet, nous sommes pour le débat, pour la discussion et, le cas échéant, pour la confrontation : discutons, étudions ce texte, et, à la fin, nous voterons et la majorité l’emportera. C’est tout simplement la démocratie.
Voilà pourquoi nous souhaitons prendre le train de la discussion, qui devrait nous conduire à bon port mardi prochain. Peut-être le trajet sera-t-il un peu cahoteux, mais nous ne souhaitons pas faire dérailler le convoi avant le départ ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Monsieur Vaspart, monsieur le rapporteur, vous ne cessez de répéter que cette motion aurait pour vocation de clore le débat. C’est assez osé, alors que vos amis députés ont accepté sans broncher que le Gouvernement dépose des amendements sur des sujets cruciaux de cette réforme, comme le statut de la SNCF !
Oui, c’est assez osé de nous dire aujourd’hui que nous refusons le débat !
Monsieur le rapporteur, vous l’avez relevé, nous avons été partie prenante du débat en commission, tout en exposant les raisons pour lesquelles nous sommes opposés à ce texte.
Je ne peux donc pas accepter cette litanie : à chaque fois qu’une motion est déposée en séance, on nous reproche de vouloir rejeter le débat. Au contraire, nous voulons le débat. D’ailleurs, pour ma part, je regrette qu’il n’y ait pas plus d’amendements que les quelque deux cent cinquante qui sont à examiner en séance.
J’ai suivi les débats à l’Assemblée nationale. Sur les bancs de la droite et de La République En Marche, tous les députés étaient favorables à ce texte, mais il y a eu, sur les mêmes bancs, une multitude d’interventions d’élus pour dire qu’il ne fallait pas toucher à telle ligne de leur département ou de leur circonscription.
Mme Éliane Assassi. Pourtant, in fine, ils ont voté le projet de loi comme un seul homme !
Mme Éliane Assassi. Certes, madame la ministre, c’est cohérent – tout dépend comment on comprend les choses… Pour résumer, les élus en question sont pour le texte, mais ils sont contre la fermeture des petites lignes. Il y a quand même un léger souci dans le raisonnement !
Pour notre part, nous ne baisserons pas la garde. Nous avons déposé une centaine d’amendements, et vous pouvez compter sur nous pour les défendre…
M. Gérard Cornu, rapporteur. Bec et ongles !
Mme Éliane Assassi. … autant qu’il est possible de le faire dans cet hémicycle,…
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Alors, il faut rejeter la question préalable !
Mme Éliane Assassi. … dans le respect de chacune et de chacun. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 106 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 15 |
Contre | 327 |
Le Sénat n’a pas adopté. (M. Jackie Pierre applaudit.)
Discussion générale (suite)
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, l’histoire du rail français fait partie intégrante de l’histoire de France. Il s’agit d’un patrimoine national, de ceux qui font la grandeur de notre pays, de ceux auxquels les Français sont particulièrement attachés.
De fait, notre système ferroviaire a toujours compté parmi les meilleurs au monde. Par son maillage extrêmement dense, il est un facteur essentiel d’égalité entre les citoyens et d’unité territoriale. Il assure tant la vitalité des territoires que la cohésion du pays.
Alors que la fracture territoriale et la transition écologique comptent parmi les défis majeurs du siècle, il est primordial de préserver notre réseau et notre excellence ferroviaire.
Pourtant, ce projet de loi est synonyme de retour en arrière. En effet, il y a plus de quatre-vingts ans, la SNCF a été créée pour remédier aux difficultés d’investissements et d’organisation du secteur ferroviaire.
En 1937, pour mettre un terme à la myriade inopérante de petites compagnies privées, le Front populaire décide d’unifier celles-ci en une seule compagnie nationale. Cette décision historique a permis à la SNCF non seulement d’atteindre l’excellence, notamment avec la création du TGV, mais aussi d’achever le maillage du territoire en assurant une nécessaire péréquation entre les lignes rentables économiquement et les lignes rentables socialement.
C’est aujourd’hui précisément cela que menace ce paquet ferroviaire, qui obéit à la délétère idéologie néolibérale. Mais non content de répondre aux exigences européennes d’ouverture à la concurrence, ce projet de loi fait du zèle ! En effet, il n’était nullement besoin de transformer la SNCF en société anonyme. L’opération n’a qu’un seul objectif : permettre demain, par un second texte de loi, l’ouverture du capital de la SNCF et sa privatisation progressive.
Vous ne tromperez personne, cette méthode bien connue a déjà été utilisée pour Renault, France Télécom, EDF-GDF, et j’en passe.
M. Gérard Longuet. Et ça marche bien ! Voyez le résultat !
M. Guillaume Gontard. Même le président de l’ARAFER, instance chargée de superviser la mise en concurrence de l’activité ferroviaire, a reconnu que ce changement de statut n’était pas nécessaire. La seule vertu – si j’ose dire – de ce changement est qu’il oblige le Gouvernement à s’intéresser enfin à la dette de SNCF Réseau, pour ne pas tuer dans l’œuf la future société anonyme.
Cette dette, largement imputable à une stratégie étatique mal pensée du tout LGV, obère toute capacité de rénovation et de modernisation de notre réseau ferré. Or la vétusté de ce dernier est telle que l’on peut s’estimer heureux qu’il n’y ait eu, à ce jour, qu’un seul Brétigny-sur-Orge !
Cités en exemples, l’Allemagne et le Japon ont assumé la reprise de la dette ferroviaire et déployé des investissements massifs dans leur réseau avant la mise en concurrence. Cela aurait dû être le cœur de la réforme : au lieu d’anticiper l’explosion future de la dette, le Gouvernement en éponge le minimum vital tout en contraignant drastiquement les capacités d’investissement de SNCF Réseau.
À ce sujet, il faudra donc nous contenter d’une promesse insuffisante : avec 36 milliards d’euros en dix ans, on est loin des 40 milliards d’euros que l’Allemagne a investis en cinq ans sur son réseau avant d’ouvrir son rail, loin des besoins de nos infrastructures !
Il n’y a d’ailleurs aucun exemple d’ouverture à la concurrence qui ne soit pas un échec sans investissement public massif dans les infrastructures. Plus que le dogme concurrentiel bruxellois, c’est l’investissement public qui explique que les modèles ferroviaires allemand et suédois n’aient pas suivi complètement le catastrophique exemple britannique.
Madame la ministre, pour nous répondre, vous nous direz d’attendre le projet de loi de programmation des infrastructures, mais ce texte est renvoyé aux calendes grecques, tout comme le projet de loi d’orientation des mobilités, alors que nous aurions dû consacrer un débat global aux transports du XXIe siècle !
Oui, la création d’un véritable service public ferroviaire méritait une réforme d’envergure. Or, dans une stratégie bien connue d’écran de fumée, le Gouvernement a préféré concentrer le débat sur le statut des cheminots, une paille qui permettra à la SNCF d’économiser 10 millions d’euros, 15 millions d’euros au mieux ; en revanche, ses agents s’en trouveront un peu plus précarisés… Quelle mesquinerie ! Qu’il est commode de tenter de dresser les Français les uns contre les autres pour démanteler sans bruit le service public, patrimoine de ceux qui n’en ont pas.
À rebours d’un enjeu comptable, rappelons que ces agents dévoués assurent une mission de service public et ne sauraient être des épouvantails masquant les difficultés de la SNCF. À l’opposé des attaques inacceptables que contient ce projet de loi, les cheminots doivent être confortés dans leur statut. Notre rapporteur lui-même l’a reconnu : loin d’être des privilèges, leurs acquis sociaux devraient être la norme pour tous les travailleurs de ce pays.
Nous remercions les cheminots d’avoir, par le sacrifice d’un mois de salaire, empêché le Gouvernement d’aller au bout de sa logique initiale : la privatisation de la SNCF par ordonnances. Grâce à leur engagement, la potion qui sortira du Sénat sera, je l’espère, un peu moins amère.
Néanmoins, selon une logique libérale bien connue de privatisation des profits et de socialisation des pertes, c’est tout le réseau secondaire qui restera à la charge du contribuable. En reportant le problème sur les régions sans accroître les moyens de ces dernières, on menace de disparition progressive des milliers de kilomètres de lignes.
En Allemagne, ce sont ainsi 10 000 kilomètres de lignes, soit 20 % du réseau, qui ont disparu en vingt ans. En France, Spinetta nous en promet 9 000 !
Une telle perspective est plus qu’alarmante (M. Jean-Paul Émorine acquiesce.) quand on examine les enquêtes d’opinion qui, en France, aux États-Unis ou en Autriche, établissent une corrélation irréfutable entre l’éloignement d’une gare et le vote d’extrême droite. Ce constat a d’ailleurs été relevé il y a quelques instants : supprimer une gare, supprimer une ligne, c’est renforcer ce sentiment d’abandon qui mine la concorde nationale.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Guillaume Gontard. Enfin, deux ans après la signature de l’accord de Paris, comment peut-on encore envisager de remplacer des trains par des cars, des trains de fret par des camions ? Comment peut-on envisager d’accroître nos émissions de gaz à effet de serre ?
La réflexion sur l’avenir de la SNCF doit partir des besoins et non des moyens ; du besoin de mobilité de tous nos territoires et du besoin impérieux de transition écologique.
Chers collègues, vous l’aurez compris, de notre point de vue, ce projet de loi n’apporte pas de solutions aux problèmes actuels du rail français ; pis encore, il les aggravera. Nous sommes loin d’un grand service public du ferroviaire. Partout en Europe, l’ouverture à la concurrence, vendue comme une potion magique, a systématiquement entraîné une augmentation des tarifs, des suppressions de lignes au détriment des territoires, une baisse des services et de la sécurité, ainsi qu’un allongement des trajets.
Madame la ministre, affirmer qu’il en ira différemment chez nous relève du dogmatisme et non du pragmatisme dont vous vous prévalez. Pour toutes ces raisons, vous l’imaginez bien, les élus du groupe CRCE ne voteront pas ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, contre toute attente, le Sénat aura fini par apporter sa pierre, et peut-être une pierre angulaire, à l’édifice de la réforme ferroviaire.
Cette réforme, la Haute Assemblée l’avait anticipée de longue date. Dès après l’adoption du quatrième paquet ferroviaire, en décembre 2016, nos travaux ont débouché sur une proposition de loi, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur et que le Sénat a adoptée il y a deux mois. Je saisis cette occasion pour féliciter les auteurs de ce texte, Hervé Maurey et notre ancien collègue Louis Nègre, qui est présent dans les tribunes, pour l’excellence de leur travail, que j’ai tâché de compléter en tant que rapporteur.
Le choix gouvernemental de réformer le ferroviaire par ordonnances a pu faire craindre que tout cela ne demeure platonique. Mais force est de constater qu’il n’en est rien : le Gouvernement a accepté de restreindre le champ des ordonnances pour donner au Parlement la place qui lui revient.
Merci, madame la ministre, de votre capacité d’écoute, qui aura, en particulier, permis de tenir compte de nos travaux puisque, en concertation avec vous, notre commission a enrichi le texte d’amendements directement issus de notre proposition de loi.
L’un de ces amendements est clef. Son adoption permet de réaffirmer le rôle de l’État pour préserver les dessertes d’aménagement du territoire : en vertu de ces dispositions, l’État conclura des contrats de service public pour préserver les dessertes directes, sans correspondance, même pour les lignes à grande vitesse. Il s’agit de garantir que l’ouverture à la concurrence dite « en open access » ne conduira pas à l’abandon des dessertes moins rentables.
Nous avons également repris l’article 7 de notre proposition de loi, relatif à la transmission obligatoire des informations nécessaires aux autorités organisatrices. Sans transmission d’information, il n’y aura pas d’ouverture à la concurrence. Mais cette obligation doit être conciliée avec le secret industriel et commercial. Nous prévoyons donc que la liste des données devant être nécessairement transmises soit fixée par décret en Conseil d’État pris sur avis de l’ARAFER.
Enfin, l’adoption de deux autres amendements a permis de reprendre des dispositions de notre proposition de loi sur des sujets plus techniques et plus pratiques, mais qui ne sont pas anecdotiques pour autant. Il s’agit du transfert des matériels roulants, des ateliers de maintenance et de la vente des billets.
Premièrement, le texte issu de nos travaux prévoit le transfert de la propriété des matériels roulants et des ateliers à l’autorité organisatrice compétente, à la demande de celle-ci.
Deuxièmement, dans la rédaction que nous avons adoptée, ce projet de loi permet à l’usager d’acheter un billet unique, même lorsque la prestation de transport est assurée par plusieurs opérateurs.
Comme je le disais lors de la discussion générale de la proposition de loi relative à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, le 28 mars 2018, je suis convaincu que nous transformerons cette ouverture à la concurrence, obligation européenne, en opportunité pour nos transports ferroviaires. Je suis également certain des effets positifs de l’ouverture à la concurrence sur la qualité du service, la fréquentation ou encore la réduction des coûts au profit des usagers. C’est pourquoi nous soutenons, sur le fond, cette réforme.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, l’ancien rapporteur de la proposition de loi Maurey-Nègre que je suis ne peut que se réjouir de voir ses travaux aboutir. Je veux, à cette occasion, saluer le travail remarquable réalisé par notre rapporteur, Gérard Cornu.
Dans ces conditions, le groupe Union Centriste, que je représente aujourd’hui, soutiendra le présent texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen ainsi qu’au banc des commissions.)