Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous débattons des conclusions de la commission mixte paritaire sur un projet de loi relatif à l’élection des représentants des citoyens européens vivant sur le territoire français – j’y insiste ! – au Parlement européen et non pas des représentants de la France.
Avec ce texte, nous en revenons à des listes nationales. Ce système, que nous avons connu dans un temps plus ancien, n’était peut-être pas parfait, mais il avait au moins le mérite de susciter dans chaque pays – en tout cas, il en allait ainsi en France – un débat sur les orientations européennes de chaque liste.
L’instauration des listes régionales, il faut le constater, n’a pas permis une plus grande proximité des élus. Surtout, il n’y avait plus d’incarnation des différentes orientations possibles pour l’Europe que permettaient les listes nationales. Tout l’objet du présent texte consiste donc à revenir à cette possibilité de débat à l’échelon national permettant à chaque liste d’incarner des orientations particulières pour l’Union européenne et la place de la France en son sein. L’expérience des listes régionales fut donc relativement peu satisfaisante, mais ce retour aux listes nationales est une sorte de pis-aller auquel nous nous résignons à partir du moment où la position du Parlement européen nous empêche de faire des listes transnationales.
Le groupe socialiste éprouve quand même quelques regrets. Il déplore, en particulier, de n’avoir pas pu progresser sur la voie de ce que certains appellent les Spitzenkandidaten. Ce système aurait permis à chaque liste d’indiquer le nom du candidat potentiel qu’elle souhaite porter à la tête de la Commission européenne. Or c’est bien là que se situe une bonne partie du débat ! Se prononcer sur l’Europe que nous voulons revient également à savoir quelle Commission européenne nous voulons. Il n’est donc pas du tout indifférent, même sous l’angle de la participation électorale, de savoir, au moment de l’élection européenne, quel sera le candidat à la Commission européenne soutenu par les listes qui se présentent au Parlement européen. En effet, le Parlement européen a une prérogative particulière pour confirmer la nomination du président de la Commission européenne. Le Gouvernement n’a pas souhaité aller dans cette voie. Je le regrette, parce que c’était une manière de progresser vers la démocratie européenne, une solution qui aurait, au bout du compte, renforcé cette idée de débat au niveau européen.
Nous avions progressé en 2014 sur ce point. Nous aurions pu continuer. C’est pourquoi il faut regretter que n’ait pas été retenue notre proposition permettant d’indiquer sur les bulletins de vote le candidat que les listes souhaitaient voir prendre la tête de la Commission européenne.
L’autre regret de certains de nos collègues – je sais qu’il est partagé sur toutes les travées –, c’est que les outre-mer n’aient pas obtenu la spécificité qu’ils demandaient compte tenu de leur relation particulière avec l’Union européenne. Je ne peux retenir un petit sourire ironique quand je vois les anciens ardents défenseurs de l’unité du territoire et de la non-divisibilité de la République qui n’hésitent pas à déposer des propositions de loi pour instituer un droit du sol différent à Mayotte… En revanche, quand il s’agit d’évoquer les spécificités de l’outre-mer par rapport à l’Union européenne, ils restent sur cette position de la République une et indivisible ! On ne tient pas compte des différences et spécificités, et je crois que c’est dommage pour l’outre-mer.
Je vous ferai une demande, madame la ministre, qui est l’expression d’un petit regret. Elle concerne la résolution du Sénat, en date de 2016, qui évoquait les listes transnationales. Il y était proposé de commencer par former une liste transnationale pour les ressortissants européens vivant hors de l’Union européenne.
Les négociations ne sont pas encore tout à fait terminées sur la répartition, après le Brexit, des sièges au Parlement européen. Il est bien évident que la proposition que je vais formuler arrive trop tard pour être appliquée en 2019, mais je pense à 2024. Dans le cadre de ces négociations, le Gouvernement ne pourrait-il revenir à la charge au sujet des listes transnationales en s’appuyant sur cette résolution du Sénat ?
Les apports du Sénat sur ce texte sont de deux ordres : d’abord, la répartition du temps de parole lors de la campagne, qui prend en compte les parlementaires européens. Ensuite, la précision des médias qui auront en charge l’animation de la campagne électorale, inscrite dans le texte pour satisfaire les observations du Sénat, en particulier celles de David Assouline.
Un autre regret appelle notre vigilance. Nous veillerons à ce que les consultations citoyennes en cours n’impactent pas, en termes de temps de parole dans les médias, la campagne électorale. En effet, il n’y a pas des gens qui sont pour l’Europe et des gens qui sont contre l’Europe. Chacun a sa manière de voir l’avenir de l’Europe. Nous sommes tous des Européens !
Mme Éliane Assassi. Oui !
M. Jean-Yves Leconte. L’enjeu n’est pas entre ceux qui ne veulent plus d’Europe et ceux qui veulent davantage d’Europe. Il est de pouvoir débattre ensemble sans manichéisme.
On voit la manière dont un certain nombre de gouvernements – en particulier, en Autriche et en Italie – se positionnent vis-à-vis de l’Europe. Or il ne s’agit pas de compter les « pour » et les « contre », mais de faire en sorte qu’entre Européens, au-delà de nos doutes et de nos scepticismes, nous arrivions, malgré tout, ensemble, à faire progresser l’Europe. Je crois que c’est également un enjeu des consultations citoyennes. Il est important que le Gouvernement et certains partis ne s’approprient pas l’idée européenne en pointant du doigt ceux qui la défendraient avec moins d’ardeur qu’eux ! En effet, tout le monde est européen.
L’article 7 a fait partie des points de discussion de la commission mixte paritaire. Son caractère non normatif a été parfois dénoncé. Il est quand même utile d’inscrire dans ce texte la volonté de mettre en place, à terme, des listes transnationales. Il y a deux raisons pour ce faire.
Notre collègue Philippe Bonnecarrère l’a dit, l’Europe doit continuer à progresser sur un certain nombre de politiques, qu’il s’agisse de sa sécurité, du traitement de l’asile ou de l’avenir de la zone euro. Nous savons que, sur tous ces sujets, il nous faut continuer à avancer. Cela impose de faire encore plus de choses ensemble. Et quand on touche à la fiscalité, à la sécurité, à notre identité, il faut agir avec un contrôle démocratique renforcé ! Ce contrôle démocratique renforcé est d’abord l’apanage du Parlement européen. C’est la raison pour laquelle il est important que l’élection au Parlement européen mobilise et que celui-ci soit complètement en mesure de débattre de ces sujets, lesquels doivent être abordés au moment de l’élection européenne. Les listes nationales le permettront mieux. Les listes transnationales le permettraient plus encore.
Les listes transnationales – puisque tel est le sujet de l’article 7 – permettraient aussi aux partis, aux candidats de différents pays de travailler en commun. L’enjeu est de mieux se comprendre entre ceux du sud et ceux du nord de l’Europe et de ne pas continuer à opposer ceux qui seraient dépensiers et ceux qui feraient attention à l’euro. Il ne faut pas continuer à opposer ceux de l’est et ceux de l’ouest de l’Europe au moment où l’on constate que le fossé continue de se creuser, où l’incompréhension continue à s’accroître de part et d’autre.
Travailler ensemble, être candidats sur les mêmes listes, pouvoir débattre et voter sur les mêmes listes, ce sont des facteurs d’unité qu’il ne faut pas négliger et qui mériteraient de pouvoir s’exercer en 2024, puisque cela ne sera pas possible en 2019. La défense des listes transnationales doit donc continuer. C’est pourquoi il me paraît utile d’avoir un article 7 qui précise cette orientation.
Débattre ensemble, travailler ensemble dans le respect de la diversité, telle est notre conception de l’Europe. Ce texte permet d’avancer un petit peu sur le sujet. Par conséquent, le groupe socialiste le votera, malgré les regrets que j’ai pu formuler.
Je rappelle, en conclusion, que nous inaugurerons, avec ces élections européennes, les nouvelles règles d’inscription sur les listes électorales, ce qui constituera un petit défi supplémentaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pas à pas, pierre après pierre, l’Europe se construit, en dépit des bourrasques, dont le Brexit, la crise migratoire et les élections italiennes sont les plus récentes. Elle parvient – plus souvent qu’on ne le dit et n’en déplaise à ses détracteurs – à décider ; j’en veux pour preuve, par exemple, le déclenchement de la loi de « blocage » par la Commission vendredi pour protéger nos entreprises opérant en Iran des sanctions américaines.
Dans un an, en mai 2019, l’Union européenne connaîtra un moment important : nous devrons choisir entre une Europe qui décide ou une Europe qui subit. Pour la neuvième fois depuis 1979, 500 millions de citoyens européens seront appelés aux urnes afin d’élire leurs représentants au Parlement, l’instance qui constitue non seulement l’organe législatif de l’Union européenne, mais également – et surtout – le lieu central de l’expression démocratique européenne. Or, malgré cette élection au suffrage universel direct, le niveau de participation électorale aux scrutins européens a chuté de 46,8 % en 1999 à 42,4 % en 2014.
M. François Bonhomme. Eh oui !
M. Claude Malhuret. Le découpage en huit circonscriptions issu de la réforme du 11 avril 2003 visait à susciter l’intérêt de l’électorat français pour les élections européennes et à resserrer les liens démocratiques entre les citoyens et leurs élus. Il faut bien reconnaître qu’il a échoué.
M. François Bonhomme. Quel enthousiasme !
M. Claude Malhuret. Ce découpage ne correspond à aucune réalité concrète : il manque de cohérence historique, culturelle, économique, sociale et administrative. Il nous éloigne du modèle majoritaire de circonscription unique retenu par vingt-deux des vingt-sept États membres. Les circonscriptions interrégionales doivent demeurer l’exception, parfois justifiées par l’existence d’un État fédéral comme en Belgique ou en Italie.
Avec ce projet de loi relatif à l’élection des représentants au Parlement européen, il s’agit, pour l’essentiel, de rétablir le principe de la circonscription unique.
La circonscription nationale apparaît la plus conforme à la nature de l’élection européenne et surtout la plus à même de faire de nos représentants les mandataires de la nation française tout entière. Je me réjouis donc que le territoire de la République soit considéré comme une circonscription unique. Cependant, une attention particulière devra être portée, lors de la composition des listes, à une représentation équilibrée de tout le territoire, notamment du monde rural et des outre-mer. Dans la réalité de la configuration actuelle, seuls les principaux bassins de vie bénéficiaient de la présence d’un député européen, et les territoires ruraux étaient, de fait, souvent mis de côté.
Je souhaite également saluer les dispositions relatives à l’organisation de la campagne des élections européennes à la radio et à la télévision, ainsi que celles qui sont relatives à la transparence des dépenses électorales engagées par les partis et groupements politiques en soutien d’une liste de candidats aux élections européennes. Ces mesures participent à la modernisation de la vie politique.
Je me réjouis donc que la commission mixte paritaire ait abouti à un accord sur un texte qui procède d’une ambition forte, celle de replacer l’Europe au cœur de la vie démocratique de notre pays. J’espère que ce texte contribuera à rendre le débat européen plus présent et plus visible aux yeux de nos concitoyens en permettant non seulement de mettre les grands dossiers de la politique européenne au premier plan des discussions, mais également de forcer chacune des forces politiques françaises à prendre clairement position.
Madame la ministre, mes chers collègues, ma génération s’est engagée pour l’Europe. Ma génération croit à l’Europe, parce qu’elle a compris les effets de son absence : la guerre ou la peur de la guerre, la misère et la haine. Toutes les générations avant la mienne, avant la nôtre, ont eu à l’esprit une guerre qu’elles devaient subir ou à laquelle elles devaient participer. La nôtre est la première qui n’a pas connu cette fatalité, et nous devons œuvrer pour que cela perdure. Nous en avons le devoir envers notre jeunesse et les générations futures.
En effet, fondée sur la volonté de vivre et de progresser en commun, porteuse d’espérance et tournée vers l’avenir, l’Europe est une promesse de paix, de prospérité et de liberté. Elle est un désir de fraternité. C’est la raison pour laquelle la diminution de la participation électorale à laquelle les gouvernements successifs se sont habitués ne doit pas nous laisser indifférents. Bien au contraire, adopter toutes les mesures indispensables au renforcement de la légitimité et de la représentativité du Parlement européen apparaît plus que jamais nécessaire.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants votera quasi unanimement en faveur de ce texte. Je dis quasi unanimement et non unanimement en raison notamment du problème spécifique que représentent les territoires d’outre-mer, lesquels risquent de voir leur représentation insuffisamment prise en compte. Ce sera la responsabilité des auteurs des listes présentées de prendre leurs décisions en ce domaine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche. – MM. Patrick Kanner et Jean-Yves Leconte applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, madame le ministre, chers collègues, dans ce texte, il y a deux éléments importants. Le premier, c’est le retour à une circonscription unique. Le second, c’est l’allusion faite à des listes supranationales.
Il est extrêmement important, et je me réjouis que le Gouvernement ait fait cette proposition, de revenir à une circonscription unique. Les découpages par pseudo-régions européennes n’avaient absolument aucun sens. Pour moi qui suis un ancien, je peux dire que, l’objet de ces découpages, c’était d’affaiblir l’effet de la proportionnelle. En gros, il s’agissait à l’époque d’une opération politique menée par des partis qui n’avaient pas de bonne tête de liste et qui voulaient avoir des sous-listes régionales, ce qui permettait de magouiller un petit peu et d’éviter une expression forte de la volonté populaire.
C’est donc très bien, je le répète, de revenir à une circonscription unique.
M. François Bonhomme. Un nouveau macroniste !
M. Jean Louis Masson. Je suis quand même un peu surpris : il y a trois ans, Les Républicains disaient qu’il fallait revenir à une circonscription unique - Laurent Wauquiez l’a même reconnu récemment. Et voilà que maintenant, tout à coup, ce que Les Républicains voulaient il y a trois ans, n’est plus bon ! Chacun fait comme il veut…
M. François Bonhomme. Ce qu’on veut, c’est le scrutin majoritaire !
M. Jean Louis Masson. Pour ma part, je crois que c’est une très bonne chose de revenir à une circonscription unique : c’est la France qui doit s’exprimer.
Mais, parce que c’est la France qui doit s’exprimer, il est tout aussi scandaleux de vouloir faire des listes supranationales qui amputeraient – et c’est l’article 7 que je vise ici ! – la souveraineté nationale et la force de notre pays au sein de l’Union européenne.
Avec mes deux collègues Claudine Kauffmann et Christine Herzog, nous avions déposé un amendement tendant à supprimer l’article 7, qui fait allusion aux listes supranationales. D’ailleurs, en commission, j’avais moi-même déposé un amendement qui anticipait en proposant de supprimer la phrase correspondante, au sein de l’article 7.
Je regrette – je le dis tel que je le pense – que la commission mixte paritaire ait complètement zappé cette question et rétabli le texte de l’article 7, qui est une aberration complète.
M. François Bonhomme. Ce n’est pas gentil !
M. Jean Louis Masson. Je ne sais pas qui a eu l’idée de rédiger cet article 7, parce qu’il ne sert à rien ! C’est un faux article, qui évoque une éventualité. C’est un article pour parler, ou plutôt pour faire semblant de parler de quelque chose ! (Marques d’impatience sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Jean Louis Masson. Je vais terminer, mais on ne nous laisse décidément pas beaucoup de temps !
Je ne comprends pas que le Gouvernement, qui se plaint tout le temps de ce que le Parlement ne cesse d’ajouter des textes qui ne servent à rien et qui ne sont pas législatifs, donne le mauvais exemple. (Nouvelles marques d’impatience sur les mêmes travées.)
Je le dis très clairement : le Gouvernement donne un mauvais exemple ! C’est la raison pour laquelle, bien que je sois pour le texte, je m’abstiendrai.
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. François Bonhomme. La doctrine officielle du macronisme !
M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer ici le travail très constructif de la commission mixte paritaire qui s’est tenue la semaine passée. Il a permis d’aboutir à un accord sur la base d’un texte très proche de celui que nous avions adopté lors de sa première lecture au Sénat, le 10 avril dernier.
Ce type de situation n’est pas si fréquent. Nous aurions donc tort de ne pas nous en réjouir, car cela souligne bien l’assez large consensus au sein de la représentation nationale quant à un retour à la circonscription unique pour la désignation de nos représentants au Parlement européen.
Tout cela est, somme toute, assez logique au regard du fait électoral.
Le découpage du territoire national en huit eurocirconscriptions, qui a présidé à la tenue de ce scrutin en France lors de ses trois dernières éditions, n’a en effet pas tenu ses promesses initiales, au premier rang desquelles celle de provoquer une participation accrue du corps électoral à l’occasion d’une élection dont les enjeux n’ont pourtant jamais été aussi prégnants. Ce retour à la circonscription unique provoquera-t-il un sursaut de participation chez nos concitoyens lors du scrutin qui se tiendra dans un an ?
M. François Bonhomme. Il va y avoir un embouteillage !
M. André Gattolin. Mon cher collègue, cela vous arrive-t-il d’écouter les autres ?
M. François Bonhomme. Je ne fais que ça !
Mme la présidente. Mes chers collègues, laissez s’exprimer M. Gattolin !
M. André Gattolin. Ce retour à la circonscription unique, disais-je, provoquera-t-il un sursaut de participation chez nos concitoyens lors du scrutin qui se tiendra dans un an ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Bien sûr que non !
M. André Gattolin. Très sincèrement, nous le croyons ! D’abord, parce qu’il offrira plus de lisibilité aux enjeux européens et plus de visibilité et de clarté aux propositions politiques des différentes listes qui seront en lice.
De fait, la répartition des sièges sera plus équitable au regard des suffrages obtenus par chacun des compétiteurs. Rappelons qu’il fallait jusqu’à présent recueillir au moins 15 % des suffrages exprimés dans la région Massif central-Centre pour espérer obtenir un siège quand il suffisait de franchir le seuil des 5 % en région Ile-de-France pour en gagner un !
Il y aura donc plus d’équité entre les électeurs de nos différents territoires, et c’est une chose importante, mais également plus de lisibilité. En effet, nous éviterons la démultiplication extrême des listes en compétition : plus d’une quarantaine en 2014 en raison du nombre élevé – plus de la moitié – de celles qui ne concourraient que dans une ou deux eurocirconscriptions seulement, lesquelles, comme par hasard, étaient les plus dotées en sièges à pourvoir.
Ce retour à la circonscription unique ainsi que le mode de répartition plus équitable du temps de parole proposé par ce texte suffiront-ils à générer une plus forte implication des électeurs à l’égard des élections européennes ? Une chose est certaine, c’est qu’ils y contribueront.
Nous ne sommes cependant pas naïfs au point de penser que les choix normatifs entourant les modalités de scrutin suffisent à entraîner l’enthousiasme participatif de citoyens souvent blasés des postures politiciennes et des promesses non tenues. Le reste du chemin à parcourir pour faire venir ou revenir les électeurs vers les urnes relève aussi, et peut-être avant tout, des choix politiques qui seront opérés par les formations et les listes qui candidateront. Va-t-on, contrairement à ce qui s’est souvent fait par le passé, mettre enfin la question européenne réellement au cœur de la campagne, plutôt que de transformer systématiquement cette élection en un petit tour de chauffe d’une élection présidentielle toujours à venir ?
Le scrutin de liste a ses qualités et ses défauts. Il a aussi, pour certains, le défaut de ses qualités. Il renvoie clairement aux formations politiques la responsabilité du choix et de l’ordonnancement des candidats qui concourront en leur nom. Ce sont à elles que revient en effet cette responsabilité, celle de présenter des candidats compétents, issus des différents territoires et qui s’investiront pleinement dans leurs fonctions d’eurodéputés.
Il est de bon ton, en France, de présenter les élections européennes comme un scrutin permettant de recaser un tel ou un tel pour service rendu ou d’exfiltrer élégamment telle ou telle personnalité devenue encombrante dans l’arène politique nationale.
M. François Bonhomme. Ça peut arriver !
M. André Gattolin. Vous savez de quoi vous parlez !
Si tant est que cela soit vrai, à qui en échoit la faute, sinon auxdites formations politiques ?
On vante aussi souvent, en France, la très forte implication et l’influence exercée par certaines délégations nationales au sein du Parlement européen, notamment la délégation allemande. Pourtant, elles sont presque toutes élues dans le cadre d’une circonscription unique.
On le voit bien, c’est la conjonction de normes justes et efficientes et de bonnes pratiques politiques, jusqu’au sein de nos propres formations, qui font la vitalité de notre démocratie et de sa représentation. Ce qui est nécessaire ici, ce n’est pas de déplorer, au soir de chaque élection, un nouveau recul de la participation, mais bien de se livrer régulièrement à une évaluation rigoureuse des choix, tant législatifs que politiques, auxquels nous avons procédé pour mobiliser le plus grand nombre. C’est précisément ce type d’évaluation des trois derniers scrutins européens en France qui nous conduit à soutenir le retour à la circonscription unique et à vouloir créer les conditions d’un véritable débat national sur l’avenir de l’Europe.
Le bon sens tout court – et pas seulement le bon sens politique – devrait nous amener de la même manière à procéder, à l’issue des prochaines élections européennes, l’année prochaine, à une nouvelle évaluation des effets des mesures proposées dans ce texte. C’est parce que nous avons la conviction profonde que celles-ci devraient nous permettre d’enrayer l’insupportable désertion des urnes, à un moment où l’Union européenne est à refonder pour continuer d’exister, que le groupe La République En Marche votera sans réserve en faveur de l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Cédric Perrin. Nous voilà rassurés !
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Poadja. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Gérard Poadja. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous discutons une nouvelle fois, dans cet hémicycle, du projet de loi relatif à l’élection des représentants au Parlement européen, texte qui nuit à la représentation de la population française, notamment dans ses dimensions ultramarines. En effet, dans le cadre du dispositif électoral aujourd’hui en vigueur, la circonscription outre-mer est constituée de trois sections : Atlantique, océan Indien et Pacifique. Depuis 2009, pour la première fois dans l’histoire de la représentation française au Parlement européen, les outre-mer de chaque océan avaient donc la garantie de disposer d’un représentant à Bruxelles.
Le choix qu’a fait le Gouvernement d’une circonscription électorale unique conduit inéluctablement la diversité ultramarine à ne plus pouvoir s’exprimer au Parlement européen, car la représentation des outre-mer est désormais soumise au bon vouloir des partis politiques. Or, lorsque les partis politiques témoignent de leur attachement aux outre-mer, l’arithmétique électorale étouffe les collectivités les moins peuplées, au premier rang desquelles celles du Pacifique.
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est vrai !
M. Gérard Poadja. Les élections européennes de 1999 en ont constitué une illustration caricaturale, avec l’élection au Parlement de trois Ultramarins qui, bien qu’issus de trois listes politiques différentes, étaient tous les trois de La Réunion. J’en profite pour saluer mes collègues Réunionnais, département ultramarin comptant le plus d’électeurs.
M. Alain Richard, rapporteur. Et de votants !
M. Gérard Poadja. Je suis d’autant plus atterré par le mode de scrutin retenu que l’étude d’impact demandée pour ce projet de loi affirme, de manière mensongère, que « le maintien d’une circonscription ultramarine serait susceptible d’engendrer pour les populations outre-mer le sentiment de bénéficier d’un traitement politique différencié auquel elles n’aspirent pas nécessairement ». À la lecture de ces lignes et constatant les prises de position de mes collègues Ultramarins sur ce texte, j’en viens à me demander d’où sort cette affirmation.
M. François Bonhomme. Il faut un référendum !
M. Gérard Poadja. Nous voulons justement pouvoir faire valoir notre diversité et défendre nos spécificités à l’égard de l’Union européenne. Madame la ministre, qui mieux qu’un habitant des outre-mer pour défendre les intérêts de sa région ?
Enfin, ce texte ne s’inscrit pas dans la perspective pour le Pacifique tracée par le Président de la République lors de son discours au théâtre de l’Île, à Nouméa, le 5 mai dernier, au cours duquel il a exposé « la stratégie indopacifique » que la France et l’Union européenne doivent développer à travers l’axe Paris-New Delhi-Canberra-Nouméa-Papeete. Le chef de l’État a notamment insisté sur un fait politique majeur : après le Brexit, la France « devient le dernier pays européen du Pacifique » grâce à ses trois territoires : la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna.
Madame la ministre, après l’adoption de ce projet de loi, le Pacifique deviendra le grand oublié des outre-mer français au Parlement européen, au moment même où l’État est engagé dans la défense des intérêts des PTOM, leurs statuts devant être renégociés dans la perspective de la fin des accords de Cotonou en 2020.
Pour l’ensemble de ces raisons, c’est avec une grande déception que je voterai contre ce projet de loi, comme l’ont fait à l’Assemblée nationale mes collègues députés du Pacifique. Cette déception est d’autant plus vive que résonnent encore à mes oreilles les mots prononcés par le Président de la République voilà quelques jours en Nouvelle-Calédonie. (Mme Sylvie Goy-Chavent et M. Jean-Louis Lagourgue applaudissent.)