M. le président. Mes chers collègues, chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, mais uniquement s’il n’a pas dépassé le temps de parole de deux minutes imparti pour présenter sa question.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean-Noël Guérini.
M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, au sommet de Tallinn du 29 septembre 2017, il a été décidé de faire de l’Europe un chef de file au niveau mondial dans le domaine du numérique. Le Conseil européen du 19 octobre a acté cette volonté partagée par tous les États membres. Dans ses conclusions, le Conseil a énuméré un certain nombre de chantiers à ouvrir ou à approfondir dans la perspective de l’Europe numérique. Parmi ceux-ci, je veux évoquer en particulier celui de l’approche commune de la cybersécurité.
Comme l’a rappelé Jean-Claude Juncker dans son discours sur l’état de l’Union, « les cyberattaques sont parfois plus dangereuses pour la stabilité des démocraties et des économies que les fusils et les chars ». En effet, la lutte contre les cyberattaques représente un défi majeur. En 2016, on a recensé 4 000 attaques par rançongiciel chaque jour et 80 % des entreprises européennes ont été touchées par au moins un accident lié à la cybersécurité.
Au regard de la rapidité des évolutions technologiques et de l’ampleur du défi, il y a urgence à agir et à mobiliser les moyens. Aux États-Unis, l’investissement consacré à la cybersécurité est quatre fois plus élevé qu’en Europe.
La commissaire européenne à l’économie et à la société numériques a demandé un doublement du budget qui couvrira les priorités numériques pour atteindre 70 milliards d’euros. Quelle pourrait être, madame la secrétaire d’État, la part consacrée à la cybersécurité ?
Par ailleurs, l’Union européenne envisage de transformer l’Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l’information en véritable agence de cybersécurité de l’Union. Le rôle de cette nouvelle agence serait d’aider les États membres, les institutions de l’Union européenne et les entreprises à contrer les cyberattaques. Sachant que la France dispose déjà de la solide Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, comment va s’articuler le rôle de l’agence européenne avec notre agence nationale ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Je suis très contente de cette première question, monsieur le sénateur, car j’ai vécu très directement et très douloureusement l’année dernière, dans le cadre de mes précédentes responsabilités, l’attaque NotPetya. Je puis donc vous assurer que les cyberattaques sont extrêmement compliquées à gérer pour les entreprises.
Je me réjouis donc du fait que la Commission européenne ait présenté le 13 septembre dernier un paquet cybersécurité, qui comporte une communication sur la révision de sa stratégie, une proposition de révision du mandat de l’ENISA, l’Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l’information, comme vous l’avez mentionné, la création d’un centre de compétences et de recherche européen sur la cybersécurité, ainsi qu’une proposition pour une réponse coordonnée lors d’incidents et de crises de cybersécurité de grande échelle. Il s’agit donc d’un enjeu reconnu comme prioritaire au niveau européen.
Cela étant, je ne suis pas en mesure de répondre précisément à votre question sur le budget, puisque les crédits proposés par la commissaire ne sont pas ventilés dans le détail.
Nous nous félicitons, par ailleurs, du choix de l’Union européenne de mettre en place en son sein un outil utilisé par plusieurs États membres précurseurs depuis près de vingt ans – la certification de sécurité –, qui sera un élément-clé pour renforcer la sécurité et la confiance dans le numérique au sein de l’Union.
Dans les négociations sur la certification, la France veillera à ce que l’échelon européen garantisse une harmonisation des niveaux de sécurité, en préservant, pour les hauts niveaux de sécurité, d’une part, la réalisation d’expertises réalisées par des tiers indépendants et, d’autre part, le rôle des États.
Enfin, la France soutient l’idée de renforcer les missions de l’ENISA. Cette dernière doit avoir une véritable valeur ajoutée au niveau européen en tant que soutien aux États membres dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques liées à la cybersécurité ou par le partage et l’accès à des informations et analyses à l’état de l’art, tout en respectant les compétences techniques et opérationnelles des États membres.
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la secrétaire d’État, comme vous l’avez rappelé dans votre propos liminaire, la question de l’orientation et du financement de l’innovation est absolument centrale pour le devenir économique de notre pays, mais également pour celui de notre continent.
En France, même si l’investissement des entreprises et des collectivités territoriales en matière de recherche et développement a progressé au cours des dernières années, on constate cependant un recul de la situation relative de notre pays à l’échelle internationale tant la compétition à laquelle se livrent les pays asiatiques, mais aussi les autres pays européens et des pays développés, est forte en la matière.
En 2016, on ne comptait qu’une trentaine d’entreprises françaises parmi les 1 000 entreprises mondiales investissant le plus en recherche et développement. L’enjeu est donc considérable en termes tant de compétitivité de notre industrie que de création d’emplois. Cela fait partie de la vision nationale et européenne que le Président de la République a développée à la Sorbonne en septembre dernier ou, plus récemment, le 17 avril 2018 devant le Parlement européen.
Où en sommes-nous dans la mise en place de notre stratégie dans ce domaine au moment où la Commission européenne vient de présenter ses premières propositions pour le cadre pluriannuel financier 2021-2027 ? Où en est-on également dans la concrétisation, vous l’avez évoqué, de l’agence européenne pour l’innovation de rupture, qui avait été présentée par le Président de la République ? Prendra-t-elle la forme d’une agence globale au niveau des Vingt-Sept ou s’agira-t-il d’une coopération renforcée ?
Par ailleurs, dans l’attente de la création de cette agence à l’échelle européenne, la France entend-elle créer une agence nationale de ce type en renforçant, par exemple, les missions et les moyens alloués à l’INRIA, l’Institut national de recherche en informatique et en automatique ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, comme vous le soulignez, les niveaux de dépenses intérieures de R&D dans l’Union sont encore très en deçà de l’objectif de 3 % fixé par la stratégie de Lisbonne en 2000, puisque nous atteignons laborieusement les 2 %. La France, quant à elle, consacre à la recherche et au développement 2,25 % de son PIB.
Il est donc heureux que le budget de l’Union européenne reconnaisse ce besoin d’accélération. La Commission européenne a notamment prévu dans le cadre du programme Horizon Europe 2021-2027 de consacrer 98 milliards d’euros à ces sujets. C’est une évolution significative par rapport à la situation actuelle.
Nous nous félicitons que le commissaire Moedas ait repris cette thématique de l’innovation de rupture, portée par Emmanuel Macron et par le gouvernement français depuis l’année dernière. Nous croyons vraiment que l’Europe constitue une valeur ajoutée et qu’elle a un rôle à jouer. Nous n’attendrons pas 2020 pour commencer à agir : nous travaillons avec la Commission sur la préfiguration de cette initiative et sur la possibilité de mettre en route des actions dès 2019.
Nous avons formulé des suggestions concrètes afin que les caractéristiques-clés de la proposition du Président de la République – des financements élevés, une forte prise de risque, un management agile – figurent dans le projet pilote.
Nous souhaitons un instrument qui soit, à terme, entièrement européen et pas limité à quelques États membres, car une telle initiative est appelée à contribuer au leadership technologique de l’ensemble de l’industrie européenne. En outre, cette initiative requiert une masse critique de financements qui ne peut être atteinte qu’à l’échelon européen.
M. le président. Il faut conclure, madame la secrétaire d’État !
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. Vous m’avez aussi interrogée sur l’articulation du programme français avec les mesures européennes de soutien à l’innovation. Le fonds pour l’innovation de rupture s’inscrit tout à fait dans cette logique.
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour la réplique.
M. André Gattolin. Je vous remercie de cette réponse, madame la secrétaire d’État. Il est effectivement essentiel que la stratégie de l’innovation investisse l’ensemble des secteurs de l’économie, y compris les secteurs considérés comme traditionnels. Nous l’avons vu lors de nos déplacements, le Canada développe la recherche et les nouvelles technologies dans le domaine de la foresterie. La semaine passée, avec le groupe d’amitié France-Europe du Nord, nous nous sommes rendus en Islande où nous avons constaté que l’industrie halieutique développait de plus en plus les hautes technologies. Il faut penser à ces industries d’hier, qui peuvent aussi être celles de demain, et pas uniquement à l’industrie informatique ou pharmaceutique !
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, le développement des technologies, qui transforment en données numériques nos comportements et nos relations avec les entreprises et les administrations, nous impose de veiller avec la plus grande vigilance à la défense des libertés individuelles.
Par la voix du Président de la République, le gouvernement auquel vous appartenez, madame la secrétaire d’État, a pris des engagements dans ce domaine, notamment en garantissant aux citoyens l’impossibilité d’une automatisation complète des décisions individuelles prises par l’administration. Je rappelle que la directive européenne relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel nous y oblige.
Lors de la discussion au Sénat du projet de loi ayant pour objet sa transposition, la Haute Assemblée, à l’unanimité, a été troublée par les libertés prises par votre gouvernement avec les principes forts de la directive, notamment en ce qui concerne la dérogation accordée aux établissements universitaires de mettre en œuvre des traitements automatisés des informations personnelles collectées par la plateforme Parcoursup.
Un grand quotidien du soir vient d’apporter les preuves de ce que le Sénat soupçonnait : ces traitements sont massifs et certaines universités utilisent même des logiciels de classement automatique des dossiers ex aequo qui leur sont fournis par votre gouvernement.
Le 12 avril dernier, le Sénat, à l’unanimité, je le répète, sur proposition de sa commission des lois et de sa rapporteur, Mme Sophie Joissains, a défendu une rédaction de ce texte qui protège les droits individuels, conformément à l’esprit de la directive européenne. Ma question est donc simple : lors de la lecture définitive de ce texte à l’Assemblée nationale, votre gouvernement va-t-il de nouveau s’opposer à la position du Sénat ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous vous inquiétez de la façon dont le Gouvernement transcrit la directive européenne sur la protection des données personnelles. Je rappelle que cette directive s’inscrit dans une approche absolument unique, avec un caractère très précurseur à l’échelle mondiale. On s’en aperçoit avec les scandales et les débats actuels sur l’utilisation des données personnelles par les grandes plateformes. Cette approche, qui doit encore faire ses preuves, présente un caractère novateur et exemplaire reconnu partout dans le monde. C’est sur cette base que l’Europe pourra construire son approche, son modèle, afin de protéger ses valeurs, pour peser et d’être plus influente dans le développement de l’utilisation de ces technologies.
Ce cadre, qui est un élément clé, me semble au contraire extrêmement positif et extrêmement favorable au développement des technologies de type intelligence artificielle en Europe, tout en étant protecteur quant à l’utilisation qui en est faite.
S’agissant de Parcoursup, le Gouvernement a bien indiqué ses avantages par rapport au système préexistant. La plateforme sera transparente et ne donnera lieu à aucune dérive. Les préoccupations exprimées sur ce point ont donc été entendues.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.
M. Pierre Ouzoulias. Les deux engagements que vous venez de prendre prouvent que vous êtes d’accord avec la position du Sénat, ce dont je me félicite. Vous allez donc mettre en œuvre pour la dernière lecture de cette loi à l’Assemblée nationale une transposition de l’esprit même de la directive, comme le réclame le Sénat. Par ailleurs, vous venez de prendre l’engagement ferme de la publicité des algorithmes de Parcoursup et de ceux de l’université, ce que le Sénat réclame également. Je vous remercie donc d’avoir pris aujourd’hui ces deux engagements devant nous.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, en mars dernier, cinquante entreprises de dix-neuf États membres de l’Union européenne ont appelé les décideurs politiques européens et nationaux à revoir le projet de règlement « e-Privacy ». Elles s’alarment des dispositions envisagées au niveau européen qui, selon elles, n’offriront pas une protection efficace des citoyens, nuiront au développement de l’économie numérique européenne et porteront atteinte au rôle essentiel des médias dans la vie démocratique, le tout en renforçant les positions des acteurs déjà dominants de l’économie de la donnée et en privant les acteurs numériques européens de relations directes et de confiance avec les utilisateurs de leurs services.
En France, suite au rapport Villani, nombre d’entreprises s’interrogent sur la manière dont l’usage de l’intelligence artificielle va être encadré. Ces dispositions, vous le savez, madame la secrétaire d’État, détermineront leur champ de travail et leur compétitivité à l’égard de concurrents étrangers, comme la Chine et les États-Unis, qui exploitent les données de leurs citoyens sans réelles contraintes.
Le rapport de Cédric Villani met également en avant les capacités importantes de la France en matière de recherche sur l’intelligence artificielle.
De fait, de grandes entreprises américaines et asiatiques implantent des laboratoires de recherche sur le territoire français.
Il est donc essentiel, madame la secrétaire d’État, que vous précisiez la position éthique qui sera celle de la France au sujet de l’intelligence artificielle, tant en amont, dans la collecte et le traitement des données des citoyens, qu’en aval, sur les relations entre intelligence artificielle et être humain.
Il est également important de préciser la manière dont le Gouvernement pense articuler cette politique en matière d’intelligence artificielle avec le niveau européen.
Par ailleurs, comment la France et l’Europe entendent-elles faire respecter ces dispositions par les acteurs internationaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice, de nombreuses questions porteront sur l’intelligence artificielle. J’essaierai donc de vous apporter une réponse de fond plutôt que de vous faire une réponse in extenso.
S’agissant du marché mondial de l’intelligence artificielle, vous avez mentionné l’émergence d’un duopole Chine-États-Unis s’appuyant sur des échelles de valeurs et des approches industrielles différentes de celles issues du cadre européen. Il est important, face à ce duopole, de pouvoir proposer un système et un encadrement qui correspondent à notre propre culture et à nos valeurs.
Comme vous l’avez souligné, l’aspect éthique est important ; c’est un des quatre grands axes de la stratégie et de la réflexion annoncées par le Président de la République sur la base du rapport du député Cédric Villani.
Le premier axe est celui des compétences, de l’expertise et de la recherche. Le deuxième axe est celui de l’accès aux données et de leur sécurisation. Le troisième axe est celui des projets : comment faire émerger ces écosystèmes, éventuellement sectoriels, pour travailler à l’apparition de grands acteurs européens de l’intelligence artificielle ? Le quatrième axe concerne les sujets éthiques, qui sont extrêmement prégnants dans nos discussions, au niveau français comme au niveau européen.
Toute la difficulté, bien sûr, vient du fait que les algorithmes de l’intelligence artificielle sont souvent opaques et incompréhensibles pour le commun des mortels. Il y a donc un problème de confiance sur la façon dont opèrent ces systèmes d’intelligence artificielle. Par ailleurs, ils doivent être nourris d’un grand nombre de données : les bases qui leur sont fournies pour les configurer peuvent avoir des biais.
Sur tous ces sujets, il convient en effet d’avoir une surveillance et une expertise très forte. Nous comptons les développer à la fois en France et en Europe.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la secrétaire d’État, l’expertise est certes essentielle, mais il faut avoir à l’esprit l’urgence de la situation. Aujourd’hui, bon nombre de start-up, notamment sur des produits d’interfaces utilisateurs, sont dans l’attente de savoir quelles données elles pourront demain utiliser. Est-ce que leur produit aura encore une viabilité et une faisabilité sur le marché ? Nous sommes actuellement dans un entre-deux compliqué à gérer pour les entreprises du secteur.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vais prolonger le débat sur l’intelligence artificielle : 3 milliards, 8 milliards et 15 milliards d’euros sont respectivement les montants des investissements privés dans l’intelligence artificielle au sein de l’Union européenne, en Chine et en Amérique du Nord.
Encore récemment, ce retard de l’Union européenne se doublait d’une absence de vision stratégique en matière d’intelligence artificielle, contrairement à ce qui se faisait en Chine ou aux États-Unis. La communication de la Commission européenne du 25 avril dernier, L’intelligence artificielle pour l’Europe, pose désormais les fondations d’une stratégie européenne pour le développement de l’intelligence artificielle.
Outre une volonté de quadrupler l’investissement public et privé d’ici à 2020 et de le porter ainsi à 20 milliards d’euros, la Commission souligne que l’Union européenne et les États membres devront orienter leurs ressources vers des secteurs stratégiques : la santé, l’environnement et les mobilités.
De plus, afin d’éviter toute dilution des moyens, qui s’apparenterait à une gabegie, la Commission prône une coordination à l’échelle européenne des politiques menées par les États membres. Dans cette perspective, quelle est la position du Gouvernement sur l’idée d’un fonds commun européen qui permettrait de mutualiser les efforts financiers des États membres et qui traduirait concrètement le pacte pour le développement de l’intelligence artificielle signé entre vingt-quatre pays, dont la France ?
Les progrès effectués par l’intelligence artificielle passent aussi par l’exploitation et l’analyse de données. Je reviendrai ultérieurement sur la question très importante des données personnelles, car l’intelligence artificielle ne peut se faire au détriment de la protection des données.
Si le RGPD, le règlement général sur la protection des données, constitue une avancée salvatrice, d’autres projets actuellement en discussion suscitent, a minima, des interrogations, voire des inquiétudes. Notre assemblée a ainsi adopté une résolution sur le règlement concernant un cadre applicable à la libre circulation des données à caractère non personnel dans l’Union européenne, exprimant des doutes sur sa pertinence et s’étonnant que ledit règlement ne définisse même pas ce qu’est une donnée non personnelle. À l’heure où le croisement entre données rend possible l’identification des individus, il est primordial de faire preuve de précision et de prudence, et de maintenir des garde-fous opérants, notamment sur les objets connectés.
M. le président. Il faut conclure, chère collègue !
Mme Sylvie Robert. Comment le Gouvernement entend-il concilier le développement de l’intelligence artificielle et la protection des données personnelles ? Envisagez-vous de demander la révision du Privacy Shield afin de durcir les conditions d’autocertification des entreprises américaines ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice, l’intelligence artificielle ne sera compétitive en Europe que si elle a accès au plus grand nombre de données. La France et l’Europe ont de nombreux atouts à faire valoir. Le RGPD, qui vise à la protection des données personnelles, est une exigence démocratique devenue un point focal de préoccupation des consommateurs. La CNIL a d’ailleurs souligné que la collecte disproportionnée de données personnelles faisait partie des craintes les plus partagées concernant les algorithmes.
Nous souhaitons avoir l’opportunité de faire émerger un écosystème vertueux qui puisse devenir un réel facteur de différenciation et de compétitivité pour les entreprises européennes dans le cadre du RGPD.
Un autre atout de l’Europe, c’est la richesse de ses gisements de données. On résume souvent les batailles industrielles dans le domaine de l’intelligence artificielle à la seule question des données, en faisant allusion à l’avance prise par les géants de l’internet. S’il est vrai que les GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon – et les BATX – Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi – disposent d’une avance en matière de connaissance des faits et gestes des consommateurs, les usages de l’intelligence artificielle couvrent bien plus de domaines que cela.
L’intelligence artificielle peut être alimentée par une grande diversité de données, qu’elles soient industrielles, environnementales, médicales, juridiques ou liées aux services publics, données sur lesquelles l’avantage est parfois favorable aux acteurs européens.
Enfin, le marché unique numérique, qui offre un cadre protecteur et harmonisé au niveau européen, constitue un facteur de compétitivité de long terme.
S’agissant des moyens que vous avez mentionnés, nous nous félicitons que la Commission européenne soutienne la recherche et le développement en matière d’intelligence artificielle. En effet, dans sa proposition du 25 avril dernier figure l’annonce d’une augmentation de l’investissement public dans le cadre d’Horizon 2020 de 1,5 milliard d’euros pour la période 2018-2020. La Commission estime que, si tous les pays faisaient un effort similaire, l’investissement total serait de 7 milliards d’euros par an, soit 20 milliards d’euros d’ici à 2020.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, grand défi de ce XXIe siècle, l’intelligence artificielle est aujourd’hui déjà un enjeu diplomatique de premier plan. Dans la course entre la Chine et les États-Unis, la France seule ne peut rivaliser avec ces géants étrangers. Elle a besoin d’être épaulée par l’Europe. Preuve en sont les 20 milliards dépensés par la Chine en 2016 pour financer le développement de l’intelligence artificielle, quand notre pays peine à dégager une enveloppe de 1,5 milliard d’euros. L’effort du Président de la République mérite d’être salué, mais il n’est pas suffisant.
À la fin du mois de mars 2018, le mathématicien et député Cédric Villani a dressé une liste de recommandations pour assurer le développement de l’intelligence artificielle aux niveaux national et européen : mise à disposition des données publiques sur l’agriculture, l’énergie, la météo ou le climat dès 2019, facilitation des expérimentations numériques, avancées sur la transformation du travail ou encore création d’un réseau d’instituts interdisciplinaires de recherche sur l’intelligence artificielle.
L’appel français a été entendu. Le 10 avril dernier, vingt-quatre États membres, plus la Norvège, ont signé une déclaration commune de coopération sur le sujet, assurant que ces défis numériques devaient être relevés collectivement.
Madame la secrétaire d’État, derrière cette intention de principe, quelle est concrètement la réalité pour les chercheurs et les entrepreneurs du numérique de l’Hexagone ? Qu’en est-il, plus particulièrement, du projet de supercalculateur européen dédié aux applications de l’intelligence artificielle, que le rapport Villani appelait de ses vœux ?
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice, vous mentionnez les efforts à faire en matière de recherche et développement. Il s’agit bien, en effet, du premier axe de la stratégie française en matière d’intelligence artificielle annoncée par le Président de la République : il faut former et attirer les meilleurs chercheurs pour rester à la pointe de la compétition mondiale et permettre l’émergence de futurs champions industriels.
Dans ce cadre, un programme de recherche national coordonné par l’INRIA, l’Institut national de recherche en informatique et en automatique, impliquera l’ensemble de la communauté scientifique et sera incarné par la création d’un réseau d’instituts emblématiques.
Il est également prévu un doublement des capacités des formations en intelligence artificielle, de tous niveaux – il faut des techniciens, des ingénieurs, des chercheurs –, et un renforcement de l’attractivité des meilleurs chercheurs internationaux par le lancement d’un programme de chaires individuelles internationales et nationales.
Enfin, des appels à projets de recherche en innovation de rupture seront lancés.
Voilà ce qui sera fait au niveau français, en plus de l’assouplissement proposé de la loi Allègre, afin de permettre des allers-retours et une fructification croisée entre le monde de l’entreprise et celui de la recherche.
La Commission européenne, quant à elle, accompagne également fortement la recherche et le développement en matière d’intelligence artificielle, avec le soutien à l’émergence et au renforcement des centres de recherche d’excellence en intelligence artificielle, l’encouragement à la collaboration européenne et le soutien aux expérimentations, notamment celles qui s’appuient sur les pôles d’innovation numérique.