M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Mohamed Soilihi, la question de l’immigration prend évidemment à Mayotte une dimension toute particulière, que le Gouvernement a pleinement à l’esprit.
Je veux revenir sur les mesures inacceptables prises par les Comores le 21 mars dernier, pour interdire les reconduites de Comoriens entrés illégalement à Mayotte. Nous les avons publiquement condamnées, et nous sommes résolument engagés à les faire lever. Nous avons choisi de maintenir un canal de dialogue ferme et constructif avec les Comores, dans une logique d’engagement d’État à État, avec deux objectifs : lutter efficacement contre les filières d’immigration illégale et stabiliser à moyen terme la relation entre les Comores et Mayotte, ce qui doit passer par des actions ciblées sur les sources d’immigration irrégulière aux Comores, en particulier à Anjouan.
Vous l’avez constaté, nous avons pris par ailleurs des mesures concernant les visas, qui concernent à la fois les passeports officiels comoriens et les demandes de visa sur passeport ordinaire.
Il serait prématuré de dire que la situation a trouvé un règlement satisfaisant. Les ministres des affaires étrangères français et comoriens se sont entretenus le 19 avril dernier. Il n’y a pas encore d’accord concernant la réadmission, mais nous cherchons des modalités de règlement rapide.
Permettez-moi d’évoquer la position de l’Union européenne à l’égard de Mayotte et des Comores.
Mayotte bénéficie en tant que région ultrapériphérique d’un soutien fort de l’Union européenne sur la période de budget actuel, 2014-2020. Ce sont ainsi 290 millions d’euros qui ont été versés par l’Union européenne à Mayotte, tous fonds confondus. Tel n’est pas le cas des Comores, qui bénéficient du FED, le Fonds européen de développement, à hauteur de 68 millions d’euros.
Je souhaite mettre l’accent sur un programme de coopération transfrontalière entre Mayotte et les Comores, qui est financé à hauteur de 16 millions d’euros, pour développer les échanges commerciaux, la santé des populations, les capacités de secours aux personnes et l’enseignement en mobilité.
La question de la pression migratoire à Mayotte est donc pleinement prise en compte au niveau national, mais aussi par nos partenaires de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis intervenue récemment en faveur d’un jeune homme originaire du Darfour, au Soudan, pays qu’il avait fui à l’âge de douze ans avec sa famille. Après avoir passé plusieurs années dans un camp du HCR, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, au Tchad, Abdel avait rejoint l’Europe par l’île de Lampedusa avant d’arriver en France. Quelques mois plus tard, en vertu du règlement de Dublin, il fut reconduit en Italie, où on lui signifia une interdiction du territoire. Il revint donc en France.
Durant ce douloureux parcours, marqué par la guerre et l’exil, Abdel n’a jamais été en mesure de formuler une demande d’asile, que ce soit en Italie ou en France. Cette situation est loin d’être unique, vous le savez bien. Elle vient toutefois illustrer sans ambiguïté la nécessité, si l’on veut que le droit d’asile ait encore un sens, de revenir sur le règlement de Dublin.
L’Union européenne ne s’y est pas trompée, et la Commission européenne s’est attelée à la refonte de ce règlement qui détermine l’État membre responsable de l’instruction d’une demande d’asile.
En France, le Parlement examine en ce moment le projet de loi Asile et immigration, sans aucune considération pour les négociations et travaux en cours au niveau européen.
M. Roger Karoutchi. Si !
Mme Esther Benbassa. Ma question est simple : de quelle manière le Gouvernement compte-t-il peser ? Quelles positions a-t-il l’intention de défendre au niveau européen, afin de rendre, comme il prétend le souhaiter, le droit d’asile effectif en France et sur le territoire européen ? Car la loi nationale s’adresse surtout aux futurs électeurs, en vue des prochaines élections !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Benbassa, vous aurez tout loisir d’évoquer le projet de loi Asile et immigration avec le ministre d’État, lorsqu’il sera examiné par la Haute Assemblée. On peut tout dire de ce projet de loi, sauf qu’il répond à des préoccupations électoralistes ! Il s’agit d’améliorer la situation à laquelle nous sommes confrontés : nous n’accueillons pas dignement les demandeurs d’asile et ne raccompagnons pas de manière efficace les migrants illégaux qui se trouvent sur notre territoire. C’est donc tout sauf un projet de loi démagogique !
Le règlement de Dublin a été adopté avant la vague migratoire de 2015. À l’évidence, cette dernière a mis en difficulté les pays de première entrée, qui se sont trouvés confrontés à un très grand nombre de demandeurs d’asile, mais de nombreux migrants, comme, probablement, le jeune homme que vous venez d’évoquer, n’ont pas souhaité demander l’asile dans le pays dans lequel ils sont entrés.
Madame, vous levez les yeux au ciel, mais lorsqu’on arrive du Soudan du Sud, on peut décider de faire du shopping de l’asile, et trouver qu’on est mieux en Suède qu’en Italie ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Esther Benbassa. Comment osez-vous utiliser ce mot ?
M. Jean-Yves Leconte. Donc, tout le monde doit faire sa demande en Italie ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Je suis allée au Soudan du Sud, et je vous invite à faire la différence entre ces pays et les pays européens. Et je ne considère pas que l’Italie soit un pays où il ne serait pas normal de demander l’asile.
Nous le constatons, les pays de première entrée ont laissé passer beaucoup de monde. Quant aux autres pays de l’Union européenne, ils n’ont pas témoigné d’une solidarité suffisante. Je prendrai pour exemple certains pays situés à l’est de l’Europe, qui ont décidé qu’ils n’accueilleraient aucun demandeur d’asile, malgré des décisions du Conseil européen et de la Cour de justice de l’Union européenne.
Aujourd’hui, il faut renforcer la responsabilité des pays par lesquels les demandeurs d’asile entrent dans l’espace européen et la solidarité de l’ensemble de l’espace européen. De ce point de vue, la présidence bulgare du Conseil de l’Union européenne a fait une proposition que nous soutenons : il s’agit de traiter la situation, soit lorsqu’elle est normale, soit lorsqu’une crise migratoire commence, soit lorsque cette crise s’aggrave, avec des obligations de solidarité différentes à l’égard des États de première entrée, qu’il s’agisse d’une solidarité financière, en expertise ou en matière de relocalisation, volontaire ou obligatoire lorsque la crise s’aggrave.
Aujourd’hui, l’Italie n’a pas un gouvernement en mesure de défendre une position. Nous attendons avec impatience la formation d’un nouveau gouvernement italien, pour essayer d’avancer sur une rénovation du règlement de Dublin.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.
Mme Esther Benbassa. Madame la ministre, vous êtes toujours dans la rhétorique, ce qui confirme mon sentiment : il y a non seulement une crise humanitaire, mais aussi, et surtout, une crise de l’accueil. Vous venez d’en donner l’exemple, en parlant, qui plus est, de « shopping » ! Mais comment pouvez-vous utiliser ce mot, pour évoquer la situation de gens qui sont dans la misère, l’anxiété et le dénuement ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. Pierre Ouzoulias. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la ministre, les quatre orateurs précédents ont évoqué la question du droit d’asile, ce que je ferai également. Ce n’est pas un hasard si ce même point est mis en avant par l’ensemble de mes collègues. Vous avez d’ailleurs, par anticipation, répondu aux questions en évoquant votre souhait d’un plus haut niveau de responsabilité des pays de première entrée et d’un plus haut niveau de solidarité des pays dits « de deuxième ligne ». Vous avez dessiné des perspectives pour le mois de juin prochain.
J’attends de votre part quelques précisions, pour que nous soyons certains de la volonté d’impulsion de notre gouvernement.
Tout d’abord, le traité de Lisbonne avait changé la donne en la matière, en faisant des mesures en matière d’asile une politique commune. Dans la mesure où il ne s’agit pas d’un sujet soumis à la règle de l’unanimité – sauf erreur de ma part –, j’aimerais savoir si un tel contexte peut jouer favorablement pour ce qui concerne la révision du règlement Dublin III.
Ensuite, au-delà des nécessaires convergences, à la fois des procédures – je pense à la reconnaissance mutuelle entre pays européens des décisions qui pourraient intervenir – et des positions de fond, la question de la conditionnalité est posée, à la fois en externe et en interne, comme vous le disiez à l’instant, madame la ministre, en évoquant le non-respect de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne par certains pays européens.
Enfin, j’aimerais avoir la certitude que notre gouvernement, mais aussi l’Union européenne, est actif s’agissant des accords de réadmission. Vous avez indiqué, par le biais d’une formule sympathique, que tout ceci était traité discrètement, bilatéralement. Je dois vous le dire, sur le terrain, nous n’avons pas du tout les mêmes échos. La réadmission ne fonctionne absolument pas avec les pays du Maghreb ou d’Afrique de l’Ouest, ce qui pose un vrai problème d’efficacité. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Bonnecarrère, vous avez raison, en matière d’asile, la règle est celle non pas de l’unanimité, mais de la majorité qualifiée. Toutefois, on l’a vu, les décisions de relocalisation n’ont pas été respectées par certains États membres. Aujourd’hui, au moment où nous sommes en train de négocier une nouvelle révision du règlement de Dublin, les divisions au sein de l’Union européenne sont fortes. Nous faisons le maximum d’efforts pour parvenir, d’ici à juin, à une avancée et à des progrès, ce qui ne signifie pas que l’ensemble du règlement de Dublin sera révisé à ce moment-là.
Nous travaillons sur une harmonisation des procédures, des délais et des critères utilisés dans l’Union européenne. De ce point de vue, le projet de loi Asile et immigration qui sera bientôt présenté à la Haute Assemblée va dans le sens de cette harmonisation. Mais il restera encore des questions à traiter.
Vous avez également évoqué, monsieur le sénateur, la conditionnalité. Au moment où l’on examine le prochain budget de l’Union européenne, il peut être tentant de conditionner l’octroi de certains fonds européens au respect par les pays bénéficiaires des obligations de relocalisation.
Le Président de la République a fait une proposition un peu différente, mais qui va dans ce sens. Il s’agit de considérer que l’accueil des migrants participe de la politique de cohésion. Dans cette logique, les collectivités accueillant un nombre important de migrants devront être éligibles au fonds de cohésion. Ce serait un soutien pour les États qui font de réels efforts, au détriment des États refusant d’accueillir des demandeurs d’asile.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour la réplique.
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la ministre, je veux exprimer mon soutien à l’action que vous venez d’évoquer et qui doit être mise en valeur auprès de nos concitoyens. En revanche, je suis beaucoup plus dubitatif sur l’effet des réformes franco-françaises en ce domaine.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, la procédure de Dublin ne fonctionne pas, cela a été dit. J’aimerais ainsi avoir quelques éclaircissements sur la figure rhétorique que vous avez utilisée : « plus haut niveau de responsabilité » et « plus haut niveau de solidarité ».
Un « plus haut niveau de responsabilité » soulève une contradiction avec le nouveau mandat confié à FRONTEX, qui vise à communautariser une partie de la surveillance de nos frontières. Dès lors, comment penser qu’on peut continuer à renforcer la responsabilité des pays de première entrée ? On le sait, c’est impossible ! Aujourd’hui, alors que les frontières sont surveillées par FRONTEX, c’est l’Italie et la Grèce et, bientôt, l’Espagne qui sont aux avant-gardes. Et ces trois pays ne pourront pas tout faire pour le reste de l’Europe !
J’en viens à la solidarité. Il est louable de proposer que les demandeurs d’asile puissent aller dans tous les pays de l’Union européenne. Mais quelles garanties avons-nous que les procédures seront les mêmes dans chaque pays ? Tel n’est pas le cas aujourd’hui ! Et les directives Procédure et Accueil ne suffisent pas, les procédures nationales étant aujourd’hui complètement divergentes. Comment faire pour arriver à une surveillance sur ce sujet ?
Enfin, quelle est la crédibilité de la France en la matière ? Alors que vous nous parlez de solidarité, votre gouvernement a fait voter voilà peu une proposition de loi « permettant une bonne application du régime d’asile européen », qui a vocation à renvoyer en Italie ou en Allemagne plus de 60 % des personnes susceptibles de demander l’asile en France. Madame la ministre, où est la crédibilité de la France en matière de solidarité, alors qu’elle n’a en tête que de renvoyer les personnes qui souhaitent demander l’asile sur son territoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Leconte, renforcer les moyens de FRONTEX ne signifie pas lui donner l’unique responsabilité du contrôle de nos frontières extérieures. Pour autant, le rôle qui lui est dévolu est essentiel pour soutenir les pays qui en ont le plus besoin.
Dans le projet de budget présenté par la Commission européenne, que nous soutenons, il s’agit non seulement de porter les réserves de FRONTEX de 1 500 à 10 000 hommes, mais aussi de renforcer, d’une part, les moyens apportés aux États de première entrée pour mieux contrôler leurs frontières et, d’autre part, le Fonds asile, migrations et intégration.
Dès aujourd’hui, des pays comme l’Italie et la Grèce font l’objet de soutiens financiers pour l’accueil des demandeurs d’asile : 800 millions d’euros pour l’Italie, 1,4 milliard d’euros pour la Grèce. Nous sommes d’accord pour considérer qu’il faut faire plus et mieux, conformément au budget qui est proposé pour l’Union européenne.
Vous parlez de la solidarité dont fait preuve la France. Je le rappelle, notre pays a rempli ses obligations à la fois en matière de réinstallation depuis les pays extérieurs à l’Union européenne et de relocalisation, qu’il s’agisse de la Grèce, où nous avons rempli l’intégralité de nos obligations, ou de l’Italie, où nous avons fortement augmenté, depuis quelques mois, le nombre de demandeurs d’asile relocalisés en France. Nous avons pris de nouveaux engagements et mis en place, au Niger et au Tchad, une nouvelle procédure de réinstallation. Nous incitons nos partenaires européens à nous accompagner dans cette démarche qui permet d’identifier les personnes en besoin manifeste de protection, afin de leur éviter le calvaire de la traversée de la Libye puis de la Méditerranée. De ce point de vue, nous sommes, me semble-t-il, à la hauteur de nos valeurs et de nos engagements.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, vous n’avez pas vraiment répondu sur la question de la solidarité, évoquant simplement le respect des engagements de la France concernant la relocalisation. Mais ces engagements sont plus que modestes par rapport au nombre de demandeurs d’asile qui arrivent en Italie et veulent déposer une demande d’asile ailleurs.
Le fait de se cacher derrière la relocalisation pour ne pas réformer le règlement de Dublin sera lourd de conséquences !
M. le président. La parole est à M. Philippe Pemezec.
M. Philippe Pemezec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, on nous impose une idée reçue, selon laquelle l’immigration serait normale. Les élus serviraient à justifier la politique d’immigration, qui relèverait non pas de leurs compétences, mais plutôt de celle des fonctionnaires de Paris et de Bruxelles, ainsi que des associations humanitaires, qui n’ont pourtant aucune légitimité.
Bien évidemment, je suis opposé à une telle vision des choses, tout autant que je le suis à la suppression des frontières, qui sont nécessaires à l’organisation du vivre ensemble. Régis Debray, dont je ne partage pas toutes les positions, a d’ailleurs écrit un Éloge des frontières, où il défend l’idée selon laquelle les frontières permettent l’hospitalité. Or l’hospitalité, c’est accueillir chez soi qui l’on souhaite. Et c’est là où le bât blesse : une grande majorité des Français considère que nous ne sommes plus en capacité d’accueillir l’ensemble des populations qui veulent venir chez nous. Elle souhaite donc que le nombre de ces personnes soit limité et que l’immigration soit régulée et choisie.
Est-il normal que, au sein de la communauté européenne, les élus ne puissent pas se prononcer sur des plafonds et le choix des personnes à accueillir, en fonction de nos besoins et de notre capacité à intégrer ces populations ?
Au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande, qui sont des démocraties évoluées, il existe depuis longtemps des plafonds d’immigration. Cela ne choque personne !
Au sein même de l’Union européenne, l’Autriche a maintenu des quotas d’immigration, tandis que l’Allemagne a prévu de mettre en place des quotas pour le regroupement familial.
Madame le ministre, quand des plafonds, votés chaque année par le Parlement, seront-ils mis en place en France ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Pemezec, vous examinerez dans quelques semaines le projet de loi Asile et immigration. J’ai donc du mal à comprendre que vous considériez que l’on retire aux parlementaires leurs compétences, au moment même où un texte leur est soumis.
Peut-être ce texte ne correspond-il pas à vos orientations. Vous souhaiteriez en effet, à l’instar, selon vous, de la majorité de nos concitoyens, que l’on mette en place des plafonds et des quotas. J’ai le regret de vous rappeler que la majorité s’est dessinée au moment de l’élection présidentielle, puis des législatives, et que les Français n’ont pas choisi un tel programme. Vous le déplorez sans doute, mais c’est la réalité politique de notre pays.
Notre responsabilité, c’est de mettre en place à la fois un meilleur accueil des personnes en besoin manifeste de protection, conformément aux valeurs européennes et dans le respect des conventions de Genève. Il s’agit aussi de poser une limite à l’immigration économique illégale, en étant capables de mieux raccompagner les migrants illégaux et, surtout, de trouver une solution, dans les pays d’origine, aux causes des migrations.
On peut décider artificiellement de tous les quotas qu’on veut, tant qu’il y aura autant d’inégalités entre les pays et aussi peu de perspectives d’éducation, de formation et d’emploi dans un certain nombre de pays du Sud, l’immigration illégale se poursuivra.
M. le président. La parole est à M. Philippe Pemezec, pour la réplique.
M. Philippe Pemezec. C’est bien ce que je craignais ! Une vision technocratique, qui creuse le fossé entre la population et la technostructure. Malheureusement, je ne pense pas que cela fasse beaucoup évoluer les choses dans le sens que je souhaite.
Par ailleurs, Emmanuel Macron n’a pas été élu sur cette thématique. Selon moi, une majorité des Français souhaite que l’immigration soit enfin contrôlée, jugulée et réglée. Puisqu’on gère l’ensemble des problèmes, qu’on possède des règles dans tous les domaines d’action, pourquoi n’en aurait-on pas en la matière ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Dominique de Legge. Madame la ministre, les défis de la sécurité et de l’immigration ne sont pas propres à notre pays, même si les chiffres concernant la France sont éloquents.
Le nombre de titres de séjour ne cesse de croître, de plus de 70 000 par an. Les demandes d’asile ont gonflé de 17 % entre 2016 et 2017 ; le coût des CADA, les centres d’accueil de demandeurs d’asile, enregistre une hausse de 9 %, tandis que l’ADA, l’allocation pour demandeur d’asile, a augmenté de 45 % par rapport à 2017. Si les moyens de l’OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, ont été renforcés, ils ne suffisent pas à instruire l’ensemble des dossiers. Quant à l’AME, l’aide médicale d’État, son budget grossit également.
Ces indicateurs témoignent d’un désarroi et d’une forme d’impuissance des pouvoirs publics à endiguer ce flot humain. Ils sont pris en tenaille entre la détermination de migrants, dont certains n’ont rien à perdre parce qu’ils ont tout perdu, le cynisme des passeurs et les inquiétudes grandissantes de nos concitoyens.
Comment aborder cette situation avec autant d’humanité que de réalisme ? Les solutions extrêmes, fermeture des frontières ou accueil de tous, ne sont pas réalistes. Chacun sait que le règlement de la situation ne peut trouver une réponse que dans le cadre européen. Toutefois, attendre tout de l’Europe nous conduirait à l’inaction, alors qu’il convient d’œuvrer en faveur d’un rapprochement des pratiques et des législations européennes.
Je vous poserai donc trois questions, madame la ministre.
Premièrement, que pensez-vous d’une augmentation de la durée minimale de résidence en France pour l’acquisition de la nationalité française par les étrangers nés à l’étranger, en l’alignant sur la législation allemande, qui prévoit une durée de huit ans ?
Deuxièmement, vous semble-t-il souhaitable de subordonner vraiment l’acquisition de la nationalité française à une maîtrise de la langue et d’écarter les étrangers ayant fait l’objet d’une condamnation pénale, comme c’est le cas dans de nombreux pays ?
Troisièmement, certains pays ont apporté des restrictions à leur droit du sol. Êtes-vous ouverte à une évolution de notre droit en la matière, afin de refuser l’acquisition de la nationalité française à des enfants nés de parents en situation irrégulière ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Je voudrais tout d’abord revenir sur le commentaire qui a été fait précédemment, qualifiant mes propos de « technocratiques ». En ce qui me concerne, j’ai passé plusieurs années de ma vie en Afrique subsaharienne, et plusieurs autres années au Maghreb. Depuis que je suis ministre chargée des affaires européennes, je me suis rendue à plusieurs reprises dans des camps de réfugiés et des foyers de mineurs isolés. Je crois donc que je sais de quoi je parle, parce que j’y suis allée voir de près, sans rester à l’abri de mes fonctions parisiennes.
Monsieur le sénateur, vous parlez de chiffres français éloquents en matière d’arrivées de migrants et de demandeurs d’asile. Que devraient dire nos partenaires allemands, qui ont accueilli en 2015 plus d’un million de demandeurs d’asile ? (M. Roger Karoutchi fait la moue.)
Je voudrais le rappeler, puisque vous mettez en avant l’échelle européenne sur un sujet qui – vous le savez et, je crois, vous vous en réjouissez – est un sujet de compétence nationale propre, celui de l’acquisition de la nationalité. Il n’y a pas encore – et personne ne le souhaite – de politique communautaire en matière d’acquisition de la nationalité dans les États membres ; je ne vois donc pas très bien ce que l’Union européenne a à voir avec tout cela. J’ai le sentiment qu’on mélange beaucoup de choses à parler à la fois de demandeurs d’asile et d’acquisition de nationalité.
Mais enfin, puisque vous posez la question, je vous réponds. Vous me demandez si une durée de séjour minimale ne pourrait pas être exigée pour pouvoir demander la nationalité ? Cinq ans de résidence légale, en France, sont requis pour pouvoir effectuer une telle demande.
Vous suggérez qu’on vérifie la réalité d’une pratique de la langue française par le demandeur ; mais c’est très exactement ce qui est exigé aujourd’hui de ceux qui souhaitent obtenir la nationalité : une connaissance suffisante de la langue, de l’histoire, de la culture et de la société françaises, ainsi que l’adhésion aux principes et valeurs essentiels de la République française.
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas ce qui se passe !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Je vous invite à vous rapprocher de personnes qui sollicitent en ce moment même la nationalité française pour constater de vous-même ce qui leur est demandé, avant de me poser la question.
M. Roger Karoutchi. Dans les textes, ce que vous dites est vrai ; pas dans la pratique !
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.
M. Dominique de Legge. Je pensais qu’un ministre, assis au banc du Gouvernement, avait vocation à le représenter. Par conséquent, je m’étonne que le ministre des affaires européennes n’ait pas une vision globale de ce que peut être la politique de la France pour défendre ses intérêts au niveau européen.
Votre réponse confirme celle que vous venez de faire à M. Pemezec. Décidément, nous sommes gouvernés par des technocrates ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame la ministre, ce débat sur l’Union européenne face aux défis de la sécurité, des migrations et des frontières est attendu non seulement par nos compatriotes, mais aussi, en ce 9 mai, par tous les citoyens européens.
Pourquoi ? Parce que nous avons face à nous une véritable bombe démographique. Selon les projections démographiques des Nations unies, la seule population de l’Afrique subsaharienne pourrait passer de 960 millions à 2 milliards d’habitants d’ici vingt-cinq ans. C’est naturellement considérable.
Que l’on analyse la question à l’horizon de quelques semaines, de plusieurs années ou des prochaines décennies, le même constat s’impose : plus que jamais, l’Europe va devoir apprendre à aborder cette question de l’immigration avec responsabilité, sous peine de voir nos démocraties submergées par le populisme.
J’en viens à ma question, qui comporte plusieurs volets.
Face à cette réalité démographique, peut-on réellement tenir le cap de la différenciation stricte – je sais que ce sujet est tabou – entre droit d’asile politique et immigration irrégulière, car économique ? En réalité, cela revient à accepter ceux qui meurent de peur et à repousser ceux qui meurent de faim. Cela revient surtout à nier que les véritables ressorts de l’immigration sont la misère, l’instabilité politique et l’absence de projet collectif.
Enfin, alors que la gravité de la question exigerait une politique européenne intégrée ambitieuse, comment articuler cette politique avec des politiques nationales qui, en la matière, restent extrêmement diverses ? Comment, aussi, articuler cette politique européenne de l’immigration avec celles des pays situés entre le Sahara et la Méditerranée – je veux parler des pays du Maghreb ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)