M. le président. La parole est à M. Christophe Priou, pour le groupe Les Républicains.
M. Christophe Priou. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux rendre hommage, à travers cette intervention, à deux figures historiques du XXe siècle qui ont fait l’histoire, mais qui ont également fait la loi. Je veux parler de Simone Veil et de Lucien Neuwirth.
La loi sur l’avortement a été promulguée en France le 17 janvier 1975, après des années de combat. Je veux saluer, donc, Simone Veil, alors qu’elle s’apprête, dans quelques semaines, le 1er juillet, à entrer au Panthéon. Son action a été déterminante pour faire évoluer le droit, notamment le droit des femmes.
J’ai plus qu’une pensée, également, pour celui qui fut député et sénateur de la Loire, Lucien Neuwirth, auteur de la loi éponyme, promulguée en décembre 1967, autorisant l’usage des contraceptifs – nous parlons, dans ce débat, de la contraception et de l’interruption volontaire de grossesse, et ma conviction est que les deux sujets sont liés. Gaulliste de la première heure, il sut convaincre le général de Gaulle : « Vous avez donné le droit de vote aux femmes. Donnez-leur maintenant le droit de maîtriser leur fécondité ».
Il y a une dizaine d’années, j’ai eu le plaisir et le bonheur de passer de longues heures avec Lucien Neuwirth, car il avait été compagnon d’armes de Robert Communal, habitant d’Assérac, commune de Loire-Atlantique où je réside.
Il me narra tout le circuit politique qu’il avait dû faire pour défendre sa proposition de loi, notamment sa rencontre avec le Premier ministre de l’époque, Georges Pompidou, qui lui avait dit : « Avec ce texte, Lucien, tu ne seras jamais ministre – ce fut le cas –, et tu seras battu aux élections ». Il fut réélu de nombreuses fois, et député, et sénateur ! (Rires.)
M. Jean-Pierre Grand. Et questeur !
M. Christophe Priou. Il me raconta également son entretien avec le général de Gaulle, une fois convaincu le Premier ministre. Le général de Gaulle conclut leur discussion avec une chute dont le fondateur de la Ve République avait le secret : « Vas-y, Lucien, avec ta pilule, mais puisque les Français la préfèrent à la natalité, elle ne sera pas remboursée ! ». (Nouveaux rires.) C’était céder sur le fond, mais pas sur la forme – en effet, dans un premier temps, la pilule ne fut pas remboursée.
Cette loi fut donc adoptée par l’Assemblée nationale en 1967, grâce à l’apport décisif des voix des élus communistes de l’époque.
M. Bruno Sido. Heureusement qu’ils sont là !
M. Christophe Priou. Lucien Neuwirth fut également, sept ans plus tard, un soutien intangible de Simone Veil lors de la mémorable discussion, très dure, passionnelle, mais historique, de sa proposition.
La possibilité de l’interruption volontaire de grossesse est inscrite depuis lors dans la loi, à l’article L. 2212-1 du code de la santé publique. Personne, je le pense, ne remettra ce droit en cause, et le Parlement y veillera – c’est sa fonction.
Ce droit a même été rappelé et consolidé à plusieurs reprises – les orateurs précédents y ont fait allusion.
Le 26 novembre 2014, l’Assemblée nationale a voté une proposition de résolution visant à réaffirmer le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse en France et en Europe.
J’énumère les faits : vote d’un texte qui réaffirme le droit fondamental à l’avortement, donc, mais aussi suppression du délai de réflexion, habilitation des sages-femmes à pratiquer des interruptions volontaires de grossesse médicamenteuses, remboursement intégral de tous les actes liés à l’interruption volontaire de grossesse, création d’un délit d’entrave à cette dernière.
Ce droit universel des femmes à disposer librement de leur corps ne saurait être remis en cause, car il est constitutif de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Pourquoi, alors, l’inscrire dans la Constitution ? Est-ce l’objet d’une constitution ? Ce n’est pas certain ; en tout cas, je ne le crois pas.
Qu’est-ce qu’un droit fondamental ayant valeur constitutionnelle ? Les principes fondamentaux de la République française sont déjà énoncés dans sa devise : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Ils se traduisent par des droits politiques et sociaux intangibles.
L’article 1er de la Constitution résume la nature de ces droits en proclamant : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. » Il s’agit de rappeler les principes du respect des libertés fondamentales et de la désignation des différents pouvoirs par le suffrage universel.
Tel est l’objet de notre Constitution ; et s’il fallait y énumérer les droits et acquis essentiels, la liste serait longue.
Montesquieu écrivait à propos des lois qu’« il n’y faut toucher que d’une main tremblante ». Il en est de même pour la Constitution, et nous aurons l’occasion d’y revenir, dans cet hémicycle, dans quelques semaines, sur d’autres sujets. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’interviens aujourd’hui devant vous en tant que ministre des solidarités et de la santé, en tant que femme et en tant que médecin, pour affirmer de nouveau ma conviction, notre conviction : l’interruption volontaire de grossesse est un droit de la femme, un droit humain.
Ce droit, dorénavant inscrit dans notre patrimoine juridique, garantit la liberté, le respect et la dignité des femmes.
Plus concrètement, il assure l’accès à l’information, à des services de soins dédiés, mais aussi à des IVG sécurisées, qu’elles soient volontaires ou qu’il y aille de raisons médicales.
Pourtant, malgré les progrès accomplis ces dernières années, je sais la nécessité, aujourd’hui plus que jamais, de continuer notre combat.
Toutes celles qui le souhaitent doivent pouvoir bénéficier d’une IVG pertinente, sûre et de qualité, quelle que soit leur condition et quel que soit le territoire où elles vivent.
Ce droit – nous ne devons jamais l’oublier – ne nous a pas été donné. Il a été conquis, au terme d’un combat acharné, au nom de la liberté des femmes – vous l’avez tous souligné dans vos interventions –, mais aussi au nom de raisons de santé publique.
Vous avez tous évoqué la loi défendue par Simone Veil, promulguée le 17 janvier 1975, qui autorisait pour la première fois l’IVG en France. Cette loi marque le premier jalon d’une pleine reconnaissance des droits des femmes.
Cet acquis majeur a permis à toute une génération de femmes, à laquelle j’appartiens, de voir leurs angoisses sortir de la clandestinité, à une époque où l’éducation sexuelle était rudimentaire, où nombreuses furent celles qui étaient hantées par la peur de l’accident.
Surtout, cette loi fondamentale a sauvé, et sauve encore, nombre de femmes de complications gravissimes, parfois mortelles.
Jusqu’alors, les avortements se faisaient dans la honte, discrètement, chez une conseillère du planning familial, qui resta longtemps clandestin.
Voilà pourquoi nous devons tout faire pour préserver cet acquis et veiller à sa bonne application.
Les mesures mises en place depuis 1975 en témoignent : nous devons continuer à rendre ce droit effectif. Je retiens, parmi ces mesures, l’allongement de la durée du délai de dix à douze semaines et l’introduction de la méthode médicamenteuse, en 2001, la suppression de la notion de situation de détresse, en 2014, la prise en charge progressive de l’ensemble des actes liés à l’IVG, entre 2012 et 2016, et la suppression du délai de réflexion, en 2016.
Loin de se reposer sur ces acquis importants, le Gouvernement devra approfondir ces droits pour répondre aux enjeux de notre siècle.
S’il n’est pas nécessaire, à mes yeux, de constitutionnaliser le droit à l’interruption volontaire de grossesse, nous devons continuer à le défendre avec vigueur et à faciliter sa mise en œuvre réelle sur tout le territoire.
Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de constitutionnaliser l’IVG, car la Constitution nous protège déjà.
Rien ne sert, nous le savons, d’ajouter des espèces, des faits particuliers à la loi fondamentale, qui, par définition, se doit d’être la plus générale possible.
L’inflation législative est à éviter à tout prix, a fortiori en matière constitutionnelle.
Qui plus est, dès 2001, l’interruption volontaire de grossesse a été reconnue par les sages de la rue de Montpensier comme composante de « la liberté de la femme qui découle de l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen », laquelle est garantie constitutionnellement au titre des libertés fondamentales.
Aussi le Conseil constitutionnel est-il déjà le garant de l’IVG. Si nous inscrivions celle-ci dans la Constitution, qu’en serait-il du droit à la contraception ? La Constitution nous protège par ses grands principes. Cette inscription n’éviterait pas les débats qui ont pu avoir lieu sur les modalités.
Cependant, l’IVG fait toujours l’objet de contestations, en paroles comme en actes.
Mon devoir, notre devoir, est de répondre sans faillir et sans faiblir à ces attaques, et de défendre avec fermeté, dans nos instances nationales, mais aussi dans les instances internationales, les valeurs de dignité et de liberté qui font la fierté de la France.
Je serai de celles qui continueront à se battre contre ceux qui culpabilisent les femmes, contre ceux qui rejettent les femmes dans la solitude, dans la honte et dans l’angoisse, contre ceux qui les mettent en danger.
À l’extérieur, je porterai mon engagement avec la même détermination.
Trop peu de pays disposent d’une législation en faveur de l’IVG. Et je constate une regrettable frilosité parmi certains pays européens – vous l’avez souligné, madame Cohen.
Certes, le Conseil de l’Europe rappelle que « le choix ultime d’avoir recours ou non à un avortement devrait revenir à la femme, qui devrait disposer des moyens d’exercer ce droit de manière effective. »
Pourtant, je n’ai pas besoin de chercher très loin pour trouver des exemples de mise en danger du droit à l’IVG : à Malte, on l’a dit, celle-ci demeure interdite ; en Irlande, elle n’est permise que lorsque la vie de la mère est en danger ; en Pologne, on l’a dit également, de nouvelles politiques très restrictives sont menées, et les femmes, en conséquence, sont dans la rue pour revendiquer leur droit. Je pense aussi à l’Italie, où quatre médecins sur cinq refuseraient de pratiquer l’IVG.
En parallèle, de vastes vagues d’attaques contre l’avortement se multiplient. Malheureusement, elles n’épargnent aucun pays – nous le voyons bien en France. Toutes les ruses sont utilisées. Je pense en particulier aux sites de désinformation et aux campagnes sur les réseaux sociaux. J’y reviendrai.
Ces contestations, ces régressions nous rappellent que le combat est loin d’être achevé pour que chaque femme puisse jouir de son droit à la vie privée, à la santé, à la liberté de prendre ses propres décisions.
J’y vois un enjeu majeur non seulement de santé publique, mais aussi de respect des droits des femmes et de leur autonomie.
C’est pourquoi je veillerai à ce que l’accès à l’IVG demeure toujours possible, dans notre pays, pour toutes les femmes, grâce à une offre accessible, diversifiée et de proximité.
En effet, nous devons rendre l’IVG plus accessible, en réduisant les délais des rendez-vous et en diversifiant les lieux de prise en charge, mais aussi l’offre, afin que chaque femme bénéficie d’une procédure conforme à sa volonté.
Je poursuivrai nos efforts en matière d’information relative aux différentes méthodes d’IVG, et je lutterai contre la désinformation sur internet.
Chacune de nos concitoyennes doit pouvoir prendre une décision éclairée et responsable.
Parce que l’entrave n’est plus seulement physique, parce qu’elle prend des formes diverses, insidieuses, le délit d’entrave a été rénové en 2017, contre les pratiques de désinformation, comme vous l’avez souligné, madame Laborde et monsieur Mohamed Soilihi. Certains, dans cet hémicycle, ont voté contre la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, en 2017, au motif de la liberté d’expression.
Mme Françoise Laborde. Ils ne s’en souviennent pas !
Mme Françoise Laborde. Tout à fait !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Ces pratiques de désinformation sont trop souvent à l’origine de pressions psychologiques sur les femmes et sur leur entourage.
En la matière, nous avons déjà fait de réels progrès, grâce à un site internet ad hoc et au numéro national gratuit et anonyme « Sexualités, contraception, IVG ».
Je pense aussi à l’ouverture des IVG instrumentales aux centres de santé, ou encore à l’extension des compétences des sages-femmes en ce qui concerne l’IVG médicamenteuse.
Enfin, le projet de loi ratifiant l’ordonnance portant extension et adaptation outre-mer de la loi de modernisation de notre système de santé est déposé devant le Sénat. Ce projet est d’importance, puisqu’il étend en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française les compétences des sages-femmes pour pratiquer l’IVG médicamenteuse.
Cela étant, ces mesures ne doivent pas rester de vains mots, et je ferai en sorte qu’elles soient effectives sur le terrain, qu’elles soient une réalité pour les femmes sur tout le territoire.
Précisément, les agences régionales de santé ont mis en place leurs plans régionaux pour l’accès à l’IVG, afin de faire de cet accès une priorité d’action territoriale.
J’ai une pensée toute particulière pour les jeunes femmes et pour les femmes les plus éloignées de notre système de santé. Toutes doivent pouvoir, en toute confiance, accéder à leurs droits.
Nous ne devons en aucun cas renoncer aux principes de confidentialité et d’anonymat dans les parcours proposés. À mes yeux, l’anonymisation du parcours est un gage essentiel de protection pour les mineures vulnérables, afin qu’elles soient protégées contre les pressions de leur entourage et libérées de tout sentiment de honte.
Toutes ces mesures que j’ai rapidement évoquées doivent aussi permettre de lutter contre les inégalités socio-économiques.
Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, ces inégalités se manifestent non seulement dans l’usage des moyens de contraception, mais aussi dans l’accès à une information fiable, vecteur de lutte contre les fausses représentations.
Plus largement, considérer l’accès à l’IVG comme un objectif détaché des autres enjeux relatifs à la santé sexuelle serait une erreur.
La santé sexuelle, dans son ensemble, est un sujet central et transversal – je vous rejoins, madame Gatel.
J’engage une démarche globale pour garantir à chacune et à chacun une vie sexuelle autonome, responsable et sans danger, ainsi que le respect des droits individuels en la matière.
C’est tout l’enjeu de la feuille de route sur la santé sexuelle qui sera prochainement rendue publique. Elle déclinera la priorité à la prévention que j’ai présentée il y a peu aux côtés du Premier ministre.
Plus spécifiquement, nous devons adopter une approche plus positive de la santé sexuelle, centrée sur l’éducation à la sexualité.
Les femmes, et plus généralement les couples, doivent pouvoir choisir quand et à quel moment ils peuvent et ils veulent avoir un enfant. Cela passe par la prévention et la planification.
Il m’apparaît ainsi indispensable de rappeler mon soutien, notre soutien, au Mouvement français pour le planning familial et le partenariat que nous avons noué avec lui.
Depuis 1960, ce mouvement milite pour que chaque personne puisse vivre une sexualité épanouie à l’abri des grossesses non prévues et des infections sexuellement transmissibles. Il participe en outre activement aux actions portées par la stratégie nationale de santé sexuelle.
J’aimerais enfin rappeler l’importance de l’ordonnance relative à la Polynésie et à la Nouvelle-Calédonie, ainsi que les moyens apportés à Mayotte, en Guyane et dans les territoires ultramarins en général.
Pour renforcer l’information et l’accès à la planification des femmes, plusieurs leviers ont déjà été mis en place.
Pour développer l’accès à l’information et aux soins, prévenir les grossesses non prévues et les infections sexuellement transmissibles, une convention entre le ministère des outre-mer et le Mouvement français pour le planning familial a été signée pour la période 2017-2019.
Pour renforcer le planning familial à proprement parler, mission qui relève de la protection maternelle et infantile, plusieurs mesures ont également été prévues : le versement du montant de la compensation financière pour 2009-2017, au titre du transfert de compétence de la protection maternelle et infantile qui sera étalé sur trois ans à compter de 2018, ainsi que le droit à compensation pérenne pour 2018, soit 120 millions d’euros, reconnu par l’État dans la loi de finances pour 2018.
Ces moyens supplémentaires permettront aux services départementaux de mieux répondre au renforcement des moyens du planning familial.
En outre, le centre hospitalier de Mayotte a prévu de s’engager par convention avec le département de Mayotte pour aider à la mise en œuvre de la protection maternelle et infantile. Cette convention vise le recrutement et la mise à disposition de personnels de sages-femmes et de médecins généralistes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons devant nous un enjeu majeur : faciliter l’accès à un droit effectif à l’IVG. Cet enjeu nous concerne tous ; il nous oblige à renforcer l’engagement des professionnels et de la société civile, pour que chaque femme, quelle qu’elle soit, puisse bénéficier d’un droit effectif en la matière.
Nous connaissons tous les mots que Simone Veil prononça dans votre hémicycle. Ils résonnent en moi dans toute leur modernité, car l’enjeu et le défi restent entiers.
D’aucuns ont vu dans l’année 2017 celle où la cause des femmes fut mise, enfin, en lumière. Nous revient la responsabilité de maintenir cette lumière par des actions concrètes qui facilitent et harmonisent sur notre territoire une accessibilité effective au droit fondamental qu’est le droit à l’interruption volontaire de grossesse. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains. – Mme Michelle Gréaume applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la constitutionnalisation de l’IVG.
Nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
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Politique de fret ferroviaire
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la politique de fret ferroviaire en France à la suite de la présentation du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures du 1er février 2018.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’orateur du groupe qui a demandé ce débat disposera d’un temps de parole de dix minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra pour une durée équivalente.
Dans le débat, la parole est à M. Gérard Cornu, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Alain Fouché et Loïc Hervé applaudissent également.)
M. Gérard Cornu, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Les Républicains a souhaité l’inscription à l’ordre du jour d’un débat sur la politique de fret ferroviaire en France, à la lumière du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures rendu en février dernier et dans le prolongement du débat que nous avons eu la semaine dernière, pour rappeler notre attachement au système ferroviaire français, mais aussi la nécessité de conforter le fret ferroviaire dans notre pays.
M. Charles Revet. Et il y a du travail à faire !
M. Gérard Cornu. La SNCF, devenue SNCF Mobilités le 1er janvier 2015, a toujours eu à faire face à la concurrence d’autres modes – routier, aérien et fluvial –, du fait de la porosité qui existe entre les différents modes du secteur des transports de marchandises. Mais le développement de la concurrence intramodale, avec d’autres entreprises ferroviaires, a constitué une contrainte nouvelle.
En effet, l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire est effective depuis mars 2003 pour les trafics internationaux et depuis mars 2006 pour les trafics nationaux. La concurrence intramodale avec les autres entreprises ferroviaires, dont les parts de marché atteignaient 44,5 % en 2016, est donc une réalité pour Fret SNCF.
L’adaptation de la SNCF au fret est une question posée depuis très longtemps. Les rapports présentés par nos anciens collègues Hubert Haenel et François Gerbaud, en 2003, et Francis Grignon, en 2010, respectivement intitulés Fret ferroviaire français : la nouvelle bataille du rail et Avenir du fret ferroviaire : comment sortir de l’impasse ?, recensaient déjà les causes du déclin du fret.
S’il est indéniable que la SNCF a multiplié ces dernières années les plans de réforme de son activité fret, les résultats sont malheureusement peu probants.
Pourquoi ce déclin ? Les causes en sont multiples, ce constat étant d’ailleurs très largement partagé.
Le déclin est tout d’abord lié à la désindustrialisation de la France : moins de produits fabriqués sur le territoire, c’est moins de produits transportés.
On observe par ailleurs une moindre attractivité des ports français par rapport à leurs voisins européens – on peut noter malgré tout, dans ce domaine, que le port du Havre, mon cher Charles Revet, est en train d’inverser la tendance et commence à faire concurrence à ses voisins européens.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Gérard Cornu. Quoi qu’il en soit, moins de marchandises arrivant par la mer, c’est moins de marchandises transférées sur les trains à partir des ports. À cet égard, on pourra souligner l’importance de l’intermodalité ferroviaire-fluvial.
En outre, le réseau ferroviaire est mal entretenu, insuffisamment équipé, et n’est pas du tout orienté fret. Les gouvernements successifs, toutes tendances politiques confondues, ont fait plus ou moins consciemment le choix de privilégier le transport de voyageurs au détriment du transport de marchandises, à l’inverse de ce que l’on observe en Allemagne, par exemple.
M. Alain Fouché. C’est vrai !
M. Gérard Cornu. Par ailleurs, la concurrence de la route est indéniable. Les entreprises jugent les camions plus fiables, moins coûteux et plus souples sur les distances courtes et moyennes. De plus, les délais sont en général respectés par les poids lourds, malgré les aléas de la route.
Enfin, nous ne pouvons ignorer les incohérences de la politique de l’État au cours de ces dernières années.
Si celui-ci affirme d’un côté son soutien au fret ferroviaire, il a dans le même temps pris plusieurs décisions qui pénalisent ce dernier fortement, comme l’abandon de l’écotaxe.
De surcroît, les négociations sur le cadre social commun prévues par la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire ont alourdi les contraintes des opérateurs privés, ce qui a encore augmenté leurs coûts.
La situation est encore pire pour Fret SNCF, dont le régime de travail a été rigidifié.
Le transport routier, que l’on s’en félicite ou non, restera donc longtemps encore le mode de transport prépondérant en France, grâce à sa flexibilité.
Nous devons absolument stopper l’érosion des parts de marché du fret ferroviaire par rapport aux autres modes de transport.
Le fret ferroviaire est un mode de transport propre, qui, je le rappelle, participe à l’aménagement du territoire. Il doit par conséquent être encouragé dans les domaines où il apporte une réelle valeur ajoutée, notamment dans les transports sur longue distance, pour des marchandises lourdes, en grande quantité et n’ayant pas besoin d’être livrées dans des délais trop serrés. Le développement d’infrastructures ferroviaires et de services doit évidemment répondre aux besoins des chargeurs et des clients.
Si l’on mettait en place un nouveau modèle industriel du transport ferré de fret à l’échelle de l’Europe, si l’on privilégiait les trains lourds et longs sur des sillons de bonne qualité, le fret ferroviaire pourrait être attractif.
Il me paraît pertinent de réaliser au plus vite des « corridors de fret », en utilisant les lignes existantes qui desservent nos territoires. Nous le savons, l’organisation logistique en « saut de puces » est défavorable au fret ferroviaire : pour pouvoir se développer, l’offre de fret doit donc se concentrer sur les grands corridors.
Le cas du nœud ferroviaire lyonnais, que beaucoup ici connaissent, ainsi que du contournement ferroviaire de cette agglomération est un exemple particulièrement significatif.
Nous le savons tous, les enjeux, tant ferroviaires que routiers d’ailleurs, des difficultés de congestion de l’aire urbaine de la métropole du Grand Lyon peinent à trouver depuis de nombreuses années des solutions acceptées par tous.
Pourtant, l’amélioration du nœud ferroviaire lyonnais est impérative si l’on veut développer le fret dans notre pays, dans l’ensemble du pays.
Ce nœud ferroviaire joue un rôle majeur dans le réseau national compte tenu de la densité et de la variété des trafics locaux, nationaux et européens qui le traversent. Ses fortes contraintes doivent absolument être levées pour rehausser le niveau général de fiabilité et diminuer sa congestion permanente, car j’ai pu constater que le réseau est en limite de saturation.
De plus, une modernisation pourrait garantir une meilleure intégration ultérieure des trafics induits par les grands projets appelés à se greffer ; je pense notamment à la liaison Lyon-Turin.
Le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures, le COI, reconnaît d’ailleurs l’importance majeure et primordiale que revêt le traitement de ce nœud pour le bon fonctionnement du système ferré français.
C’est pourquoi, en attendant la résorption du nœud lyonnais, le COI a prévu comme mesure transitoire, je dis bien transitoire, et la moins onéreuse la modernisation du tronçon Dijon-Chambéry-Modane, pour un coût estimé aujourd’hui à 700 millions d’euros. Cette mesure permettra d’apporter une première réponse à la problématique du contournement ferroviaire lyonnais pour les trafics nord-ouest et sud-est, tout en soulageant le nœud lyonnais. Mais il ne s’agit, je le répète, que d’une mesure transitoire.
Par ailleurs, pour soulager le nœud lyonnais, il semble indispensable de disposer d’une infrastructure à deux voies de circulation entre Lyon-Saint-Exupéry et Chambéry, ou plus exactement entre Saint-André-le-Gaz et Chambéry. Il faut tout de même le souligner, c’est une ligne à voie unique qui accueille actuellement – cela devient surréaliste ! – une ligne européenne, le Milan-Paris, sur laquelle passent, certes, le trafic passager, mais également le trafic fret ferroviaire !