M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de résolution européenne sur les directives de négociation en vue d’un accord de libre-échange entre l’union européenne et l’australie, d’une part, et la nouvelle-zélande, d’autre part
Le Sénat,
Vu l’article 88-4 de la Constitution,
Vu la recommandation de décision du Conseil COM(2017) 472 final du 13 septembre 2017, autorisant l’ouverture de négociations en vue d’un accord de libre-échange avec l’Australie et, en particulier, son annexe comportant les directives de négociations s’y rapportant,
Vu la recommandation de décision du Conseil COM(2017) 469 final du 13 septembre 2017, autorisant l’ouverture de négociations en vue d’un accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande et, en particulier, son annexe comportant les directives de négociations s’y rapportant,
Vu l’étude d’impact du 13 septembre 2017, effectuée par les services de la Commission, d’un futur accord de libre-échange avec l’Australie SWD(2017) 293 final et son résumé SWD(2017) 292 final,
Vu l’étude d’impact du 13 septembre 2017, effectuée par les services de la Commission, d’un futur accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande SWD(2017) 289 final et son résumé SWD(2017) 290 final,
Vu la recommandation de décision du Conseil COM(2017) 493 final du 13 septembre 2017 autorisant l’ouverture de négociations relatives à une convention instituant un tribunal multilatéral chargé du règlement des différends en matière d’investissements,
Vu la résolution européenne n° 61 adoptée par le Sénat le 21 janvier 2017, pour une politique commerciale assurant la défense des intérêts économiques de l’Union européenne,
Vu le rapport d’information du Sénat “Relancer l’Europe : Retrouver l’esprit de Rome”, (n° 434 tome I, 2016-2017) -22 février 2017– de MM. Jean-Pierre RAFFARIN et Jean BIZET, fait au nom du groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l’Union européenne,
Vu la résolution du Parlement européen du 26 octobre 2017 contenant la recommandation du Parlement européen au Conseil sur le mandat de négociation relatif aux négociations commerciales de l’Union européenne avec l’Australie (2017/2192(INI)),
Vu la résolution du Parlement européen du 26 octobre 2017 contenant la recommandation du Parlement européen au Conseil sur la proposition de mandat de négociation en matière commerciale avec la Nouvelle-Zélande (2017/2193(INI)),
Vu l’avis 2/15 de la Cour de justice de l’Union européenne du 16 mai 2017 sur la compétence de l’Union européenne pour signer et conclure un accord de libre-échange avec Singapour,
Vu le rapport au Premier ministre de la Commission indépendante sur l’impact de l’Accord Économique et Commercial Global entre l’Union européenne et le Canada (AECG/CETA) sur l’environnement, le climat et la santé du 7 septembre 2017,
Vu le plan d’action du Gouvernement français sur la mise en œuvre du CETA du 25 octobre 2017,
Considérant que tout nouvel accord de libre-échange doit s’appuyer sur une réciprocité effective pour ce qui concerne tant l’accès au marché, en particulier aux marchés publics, qu’un degré élevé d’exigence dans l’élaboration de normes communes sociales, environnementales ainsi que sanitaires et phytosanitaires en vue d’une protection toujours plus forte des consommateurs ;
Considérant les relations économiques et commerciales déjà existantes entre l’Union européenne, d’une part, et, respectivement, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, d’autre part, l’Union européenne étant en 2015 troisième et deuxième partenaire, respectivement, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande ;
Considérant que l’Union européenne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande partagent des valeurs démocratiques communes et promeuvent une approche multilatérale des relations internationales ;
Prenant en compte les opportunités économiques et commerciales liées à la conclusion d’un accord de libre-échange avec chacun de ces deux pays, au profit des entreprises de l’Union européenne et de ses États membres, en particulier des petites et moyennes entreprises ;
Soulignant que le secteur agricole, singulièrement celui de l’élevage bovin en France, est confronté à des difficultés structurelles qui justifient que ces productions soient classées comme sensibles et fassent l’objet d’une attention toute particulière des négociateurs européens, qu’il en est de même des sucres spéciaux produits dans les régions ultrapériphériques ;
Considérant que l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont toutes deux fortement exportatrices de viandes bovines et ovines et de produits laitiers ;
Considérant l’implication de l’Australie dans la définition et le respect d’exigences environnementales malgré une forte dépendance de ce pays au charbon pour la production d’électricité, ce qui le classe parmi les principaux émetteurs de gaz à effet de serre par habitant ;
Relevant que, à la suite de l’avis 2/15 de la Cour de justice de l’Union européenne du 16 mai 2017 sur la compétence de l’Union européenne pour signer et conclure un accord de libre-échange avec Singapour, l’objet des deux directives de négociation ne porte que sur des domaines relevant de la compétence exclusive de l’Union européenne, ce qui pourrait priver le Parlement français de la possibilité d’autoriser ou de refuser la ratification de ces accords ;
Se félicite des initiatives récentes de la Commission européenne vers une meilleure transparence en matière de politique commerciale, en particulier par la création d’un groupe consultatif sur les accords commerciaux de l’Union et la publication systématique des propositions de directives de négociation ; salue également la publication des études d’impact, notamment sectorielles, d’une libéralisation accrue des échanges commerciaux entre l’Union européenne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ;
Demande à la Commission européenne d’accentuer cette démarche de transparence, pendant la durée des négociations, en direction des parlements nationaux, à l’instar de ce que le groupe consultatif sur les accords commerciaux réalisera pour les représentants des acteurs économiques concernés ;
Demande au Gouvernement de mettre en œuvre ses engagements inscrits dans le plan d’action sur la mise en œuvre du CETA du 25 octobre 2017 visant l’association du Parlement en amont des négociations et au moment de la discussion des mandats ; l’information par le Gouvernement des commissions parlementaires compétentes tout au long de la conduite des négociations commerciales ; le partage avec le Parlement du diagnostic du Gouvernement sur les études d’impact préalables ;
Demande à la Commission européenne d’assurer que les documents qu’elle publie -études d’impacts notamment– ou pour lesquels elle accorde un accès réservé conditionnel -documents de négociations– soient consultables dès leur publication et en intégralité en langue française comme le prévoient les traités en la matière ;
Demande que, pour les produits agricoles sensibles, l’étude d’impact se base sur une enveloppe globale d’importations, correspondant à un montant cumulé maximum d’accès au marché européen, qui soit soutenable pour chaque filière sur une période donnée ;
Appelle la Commission européenne, dans le cadre des négociations, à veiller à obtenir une véritable réciprocité dans l’ouverture des marchés publics de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande aux entreprises soumissionnaires de l’Union, au niveau national comme aux niveaux régionaux ou territoriaux ;
Insiste pour que les Accords de libre-échange Union européenne-Australie et Union européenne-Nouvelle-Zélande, de même que les accords futurs de même nature, intègrent des dispositions contraignantes dans leurs volets développement durable, environnemental et social, en prévoyant leur opposabilité dans le cadre des mécanismes interétatiques de règlement des différends prévus dans ce type d’accords ;
Souligne que les produits sensibles, en particulier les produits de l’élevage ou les sucres spéciaux, ne doivent faire l’objet que de contingents limités ou d’un étalement des périodes de démantèlement tarifaire ;
Demande aux négociateurs de prévoir des mesures de sauvegarde spécifiques, précises et opérationnelles, susceptibles d’être mises en place rapidement pour ces produits, en cas de flux d’importations qui risqueraient de déstabiliser des filières déjà fragilisées ;
Rappelle la nécessité de prévoir dans les accords la protection et la reconnaissance des indications géographiques ;
Souhaite qu’en matière sanitaire et phytosanitaire, l’ouverture des marchés de l’Union européenne soit conditionnée à un assouplissement réciproque par le pays partenaire de tous types de barrières à caractère discriminatoire aux importations de produits européens ;
Préconise de façon générale de lier plus étroitement le fonctionnement du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEAM) à la politique commerciale, compte tenu de son impact sur certains secteurs identifiés, fragilisés par l’ouverture du marché européen aux produits d’États partenaires dans le cadre d’accords de libre-échange ;
Invite le Gouvernement à proposer une augmentation des ressources du FEAM et un élargissement de son champ d’intervention aux types d’entreprises caractéristiques de ces secteurs ou filières ;
Souhaite que la Commission européenne procède à une évaluation globale des effets économiques et sociaux de chacun des accords de commerce, combinant approche sectorielle et approche géographique, et systématise ainsi les évaluations ex ante de l’impact économique et social filière par filière de chaque négociation prévue, avec une appréciation du nombre d’emplois créés et détruits, à court, moyen et long termes ;
Demande au Conseil et à la Commission européenne de veiller à ce que soient systématisés l’évaluation et le suivi réguliers des accords commerciaux en vigueur, déclinés par grands secteurs et par État membre ;
Considère que, parallèlement aux négociations et avant leur conclusion, l’Australie et la Nouvelle-Zélande pourraient utilement engager la ratification de la Convention n° 138 de l’Organisation internationale du travail sur l’âge minimum d’admission à l’emploi et au travail et la Nouvelle-Zélande celle de la Convention n° 87 de l’Organisation internationale du travail sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical ;
Souhaite que, dans l’attente de la mise en place d’un tribunal multilatéral chargé du règlement des différends en matière d’investissements, une négociation soit engagée en vue de conclure, respectivement avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, des accords séparés mais concomitants instituant un système juridictionnel des investissements sur le modèle agréé dans l’Accord de libre-échange avec le Canada ;
Préconise l’introduction, dans un tel accord, d’un mécanisme d’interprétation conjointe qui garantirait le droit des États à réguler le domaine du développement durable.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 12 rectifié, présenté par MM. Labbé, Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, MM. Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Guillotin, Jouve et Laborde et MM. Léonhardt, Menonville, Requier et Vall, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 19
Rédiger ainsi cet alinéa :
Soulignant que le secteur agricole est confronté à des difficultés structurelles majeures qui justifient que l’ensemble des productions alimentaires soient exclues des accords de libre-échange ;
II. – Alinéa 30
Rédiger ainsi cet alinéa :
Souligne que l’ensemble des produits alimentaires ne doivent faire l’objet d’aucun contingent ni d’aucun démantèlement tarifaire ;
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Cet amendement tend à reprendre le point de vue du Comité européen des régions : « Changer les règles du commerce international est un préalable indispensable pour relever les défis de l’agriculture, de l’alimentation et du climat. »
Dans son avis « post-PAC 2020 », le Comité européen des régions demande à l’Union européenne de peser de tout son poids de premier exportateur et importateur de denrées alimentaires pour modifier les règles du commerce international agricole – celles de l’OMC, adoptées en 1994 – dans le sens de relations commerciales plus justes, plus équitables, plus solidaires et plus durables.
L’agriculture connaît un certain nombre de crises structurelles, notamment concernant le lait, la viande bovine, ou encore les sucres spéciaux dans les régions ultramarines. L’alinéa 19 ne tire pas toutes les conclusions qui s’imposent concernant les accords de libre-échange : en effet, il convient d’exclure toutes les denrées alimentaires des accords internationaux de libre-échange, et non de demander seulement aux négociateurs d’y porter une attention particulière, comme la rédaction actuelle le recommande.
Mes chers collègues, à terme, nous devons arriver à créer une gouvernance mondiale de l’alimentation. Il est intolérable de laisser des denrées alimentaires essentielles à la survie des populations aux mains du seul marché libéral tout-puissant.
Le droit à l’alimentation est un droit humain fondamental. La souveraineté alimentaire des territoires doit en être une garante.
M. le président. L’amendement n° 10 rectifié, présenté par MM. Labbé, Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, MM. Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Guillotin, Jouve et Laborde et MM. Léonhardt, Menonville, Requier et Vall, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 19
Remplacer les mots :
classées comme sensibles et fassent l’objet d’une attention toute particulière des négociateurs européens
par les mots :
exclues de la négociation
II. – Alinéa 30
Remplacer les mots :
que de contingents limités ou d’un étalement des périodes de
par les mots :
d’aucun contingent ni
La parole est à M. Joël Labbé.
M. le président. L’amendement n° 8, présenté par M. Gay, Mmes Cukierman et Gréaume, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 30
Rédiger ainsi cet alinéa :
Demande à la Commission européenne d’exclure les produits agricoles les plus sensibles, comme les produits laitiers, la viande de bœuf et de veau, la viande ovine et les sucres spéciaux des négociations et de s’abstenir de prendre quelque engagement que ce soit, et ce afin de garantir des conditions de concurrence équitables ;
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. À l’instar de notre collègue Joël Labbé, nous souhaitons exclure les produits sensibles des négociations.
Nous le savons tous, notre agriculture sera la grande perdante de ces accords de libre-échange, compte tenu de la différence des modèles d’exploitation. La filière européenne de la viande bovine risque d’être ravagée en cas d’ouverture des marchés, comme le précise le rapport.
La commission de l’agriculture et du développement rural du Parlement européen a également demandé l’exclusion claire des filières les plus sensibles – à commencer par celles de la viande bovine et ovine, des produits laitiers et des sucres spéciaux – de ces négociations.
Les parlementaires européens considèrent qu’une plus grande ouverture du marché dans ces secteurs pourrait avoir des conséquences désastreuses pour les producteurs européens. Ils mettent en garde contre le risque de fort déséquilibre que font courir ces accords au détriment du secteur agricole européen.
Comme l’ont souligné de nombreux rapports, l’agriculture européenne est en position défensive par rapport aux produits néo-zélandais et australiens, notamment aux produits d’origine animale, en particulier au regard des coûts de production qui sont parmi les plus faibles au monde grâce aux pratiques extensives.
De plus, en raison de la taille des marchés concernés, l’intérêt offensif européen se limite à des produits de niches et dépend de la levée de barrières non tarifaires.
Enfin, cette exclusion nous semble d’autant plus importante qu’aucune évaluation des impacts sur notre agriculture des différents accords de libre-échange déjà signés n’a été réalisée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Anne-Marie Bertrand, rapporteur. Exclure a priori tous les produits agricoles revient à mettre un terme aux négociations commerciales avant même leur début ! Cette demande n’a aucune chance d’être acceptée ni par la Commission européenne ni par les autres États membres.
Par ailleurs, l’exclusion complète des produits agricoles est contraire aux intérêts mêmes du monde agricole français et européen. La France a, par exemple, des intérêts offensifs forts dans le domaine des vins et fait de la reconnaissance des indications géographiques un objectif essentiel.
Mme Anne-Marie Bertrand, rapporteur. S’il faut être très vigilant sur leur avenir, l’agriculture française ne doit pas être considérée à travers le seul prisme des filières sensibles. Nous avons intérêt à promouvoir les exportations agricoles et alimentaires, car la France a un gros potentiel dans ce domaine.
Concernant le cas précis des filières agricoles les plus fragiles, la rédaction de cette proposition de résolution est beaucoup plus équilibrée et protectrice des intérêts français que les dispositifs proposés par les auteurs de ces amendements.
Pour toutes ces raisons, la commission demande le retrait de ces amendements, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Je ne saurais mieux dire !
J’aurai donc le même avis : le Gouvernement demande le retrait de ces amendements, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Dans la mesure où les dispositions proposées dans l’amendement n° 12 rectifié vont très loin, d’une façon extrêmement volontariste – il s’agit d’un amendement d’appel –, je le retire, monsieur le président. En revanche, je maintiens l’amendement n° 10 rectifié.
M. le président. L’amendement n° 12 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 10 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 6, présenté par M. Gay, Mmes Cukierman et Gréaume, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 19
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Considérant que cet accord risque de causer un préjudice important à la sauvegarde de la société rurale, de son économie et de son identité ;
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Comme nous l’avions déjà mentionné dans notre proposition de résolution sur les conséquences du traité transatlantique pour l’agriculture et l’aménagement du territoire, l’agriculture est un secteur économique essentiel pour notre pays.
Depuis plusieurs années, il connaît des difficultés croissantes et récurrentes, différentes filières ayant traversé des crises graves. Autrefois deuxième exportateur mondial derrière les États-Unis, notre pays est passé au cinquième rang, devancé par l’Allemagne, les Pays-Bas et, désormais, le Brésil.
Aujourd’hui, la filière de l’élevage se trouve dans une situation critique, près de 10 % des exploitations étant au bord du dépôt de bilan. Quant à la filière lait, elle est confrontée aux conséquences de la disparition des quotas. D’une façon plus générale, l’agriculture n’échappe pas au désastre de la mondialisation des échanges.
De plus, l’accord de libre-échange avec le Canada prévoit déjà son lot de 50 000 tonnes de bœuf, importées sans droits de douane au profit de l’agrobusiness canadien. Et ce sont des quotas supplémentaires que la Commission européenne s’apprête à accorder à l’Australie, ainsi qu’au Mercosur, sans se soucier des conséquences pour nos éleveurs, l’emploi et la vie rurale.
Une telle situation est d’autant plus inquiétante que l’agriculture est déterminante pour la cohésion territoriale de la France. Dans les zones rurales fragiles, les difficultés des exploitations menacent la pérennité des activités économiques qui leur sont liées, comme les abattoirs, les services vétérinaires, les entreprises de transformation des produits, mais aussi celles des services de proximité, tels que les écoles, la présence postale ou les petits commerces.
C’est donc le devenir de nombreuses communes rurales qui est en jeu, de même que la préservation de l’équilibre des paysages et des territoires, avec un risque d’extension des friches ou des forêts.
C’est pourquoi nous souhaitons qu’une attention particulière soit portée à la ruralité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Anne-Marie Bertrand, rapporteur. Des accords commerciaux avec l’Australie ou la Nouvelle-Zélande ne mettent pas en danger la sauvegarde de la société rurale, de son économie ou de son identité. Le laisser penser est complètement exagéré. Il y a même de fortes chances que certaines filières agricoles françaises, notamment la filière vinicole, tirent profit d’un tel accord.
Pour autant, c’est vrai, la négociation de ces accords implique que l’on prête une attention particulière à certaines filières agricoles fragiles et que l’on mette en place des mesures de protection adaptées à ces filières sensibles, comme le prévoit d’ailleurs la proposition de résolution européenne.
La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 7, présenté par M. Gay, Mmes Cukierman et Gréaume, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 22
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Demande au Gouvernement de s’opposer à l’application de cet accord avant la ratification formelle et définitive par le Parlement français ;
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Je retente ma chance ! (Sourires.) Comme je l’ai précisé lors de la réunion de la commission, il s’agit d’un amendement d’appel, qui aura le mérite d’ouvrir le débat.
En tant que Président de la République, Emmanuel Macron s’est engagé à opérer une transformation de la politique commerciale européenne, pour « une Europe qui protège ».
Pourtant, la Commission continue de négocier une série d’accords de libre-échange qui mettent en danger les droits sociaux et la protection des consommateurs, l’environnement et nos principes démocratiques. En effet, même s’il y a un effort de transparence, celui-ci reste limité, pour reprendre les termes du rapport de la commission des affaires économiques.
De plus, pour contourner la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne sur les accords mixtes et, donc, la compétence des États membres, la Commission européenne a décidé de scinder les négociations, afin d’asseoir sa compétence exclusive, comme nous l’avons déjà mentionné dans notre intervention générale.
C’est pourquoi, par exemple, le règlement des différends ne fait pas partie du mandat de négociation. Il en est de même du chapitre sur les investissements. La Commission pourra dès lors faire adopter ces accords de libre-échange, sans consultation des États membres.
Ces traités seront donc négociés dans des conditions très éloignées des principes de transparence et de contrôle démocratique, alors qu’ils détermineront en grande partie l’avenir de notre agriculture et de l’aménagement du territoire dans les pays membres.
La politique agricole française a jusqu’à présent cherché à concilier la modernisation avec les objectifs de maintien de l’exploitation familiale, de qualité et de diversité de la production, d’aménagement équilibré du territoire et d’entretien du paysage. Les négociations en cours pourraient conduire à une profonde remise en cause de notre schéma agricole et à des changements économiques profonds.
À certains égards, c’est un choix de société. Selon nous, il n’est pas acceptable qu’une décision aussi lourde ne fasse pas l’objet d’un débat démocratique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Anne-Marie Bertrand, rapporteur. Les dispositions de cet amendement se heurtent à un obstacle juridique de taille. La Cour de justice de l’Union européenne a en effet rendu, le 16 mai 2017, un important avis, qui permet de préciser à quelles conditions un accord commercial est mixte ou non.
Or, très clairement, si l’on se réfère à cette clarification de la portée des traités européens en matière de politique commerciale, qui a pour effet d’exclure l’approbation finale des accords par les États membres, il devient plus que jamais essentiel de peser sur les accords en amont de leurs conclusions.
Monsieur le secrétaire d’État, je ne pense pas qu’il subsiste la possibilité d’un veto national au stade de la ratification.
Par conséquent, la commission demande le retrait de cet amendement. À défaut, elle se verra contrainte d’émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Je regrette que le Gouvernement n’ait pas d’avis sur cette question…
M. Fabien Gay. Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes là pour débattre. Je sais bien qu’il est tard, mais ce n’est pas moi qui ai fixé l’ordre du jour !
Cette question mérite un débat approfondi. Pensons-nous, en tant que parlementaires, que nous n’avons pas notre mot à dire sur ces traités de libre-échange ? Je note une certaine progression de la situation, puisque le mandat donné est désormais plus clair, ce que nous avions exigé. Jusqu’à présent, les choses se négociaient au troisième sous-sol de la Commission européenne, et nous n’avions rien à dire.
Dans ces conditions nouvelles, il me semble que nous pouvons avoir, à la fin, un débat. Si je suis minoritaire sur cette question, je me plierai à la décision de la majorité. Mais, je le répète, en tant que parlementaires pensons-nous vraiment que nous n’avons pas notre mot à dire sur le résultat des négociations ? Un certain nombre d’entre nous pense que nous avons notre mot à dire.
Bien sûr, je connais, comme vous, les difficultés juridiques. Selon moi, si le droit n’est pas adapté, nous devons avoir, ensemble, une action destinée à changer la situation. N’accusons pas à chaque fois le droit ! S’il n’est pas bon, il faut le changer. Il est normal que les parlementaires des vingt-sept États membres aient leur mot à dire. Ainsi l’adoption de cet amendement permettrait-elle au débat de devenir public.
Pour autant, parce que j’entends l’argument juridique, je vais retirer cet amendement. Mais nous devons avoir un débat approfondi sur cette question, au cours des prochaines semaines et des prochains mois. J’espère, monsieur le secrétaire d’État, que, à cette occasion, je pourrai entendre votre voix.
Je retire donc mon amendement, monsieur le président.