Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Parmi les chantiers à ouvrir en lien avec le développement du véhicule autonome, il y a effectivement celui du permis de conduire.
Aujourd’hui, on considère que l’humain qui conduit un véhicule doit être formé, que sa formation doit avoir été validée par un examen, qu’il doit être apte à conduire, à la fois physiquement et mentalement. Pendant longtemps encore, tant qu’il s’agira de véhicules à délégation partielle, voire quasiment totale, de conduite, ces conditions devront continuer à être satisfaites. Même s’il existe de nombreuses fonctions d’assistance, le conducteur devra être en mesure de reprendre la main si le véhicule identifie qu’il se trouve dans un environnement qu’il ne sait pas maîtriser.
Toutefois, eu égard à la multiplication de ces nouvelles technologies, il conviendra bien évidemment d’adapter le contenu de la formation et de l’examen du permis de conduire. Ce travail est engagé au niveau européen. Les conditions de délivrance du permis de conduire relèvent en effet de la compétence de l’Union européenne. À l’échelon national, le plan d’action stratégique que nous sommes en train de bâtir comporte un volet relatif au permis de conduire. Par ailleurs, se met actuellement en place, au sein du ministère de l’intérieur, un groupe de travail qui associera largement les professionnels automobiles, ceux de la formation, les inspecteurs du permis de conduire et la sécurité routière, ainsi que les associations, les psychologues experts de la conduite automobile.
Il nous faut effectivement repenser le permis de conduire au regard du développement du véhicule autonome. Je partage tout à fait votre ambition que le développement des véhicules autonomes apporte demain une réponse à nos trop nombreux concitoyens privés aujourd’hui de solution de mobilité faute de posséder un véhicule ou de détenir le permis de conduire.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Olivier Jacquin. Madame la ministre, j’ai bien entendu votre propos introductif. J’ai aussi eu récemment l’occasion d’entendre Mme Idrac.
Pour ma part, je souhaiterais prendre un peu de recul dans ce débat en m’intéressant à la prévention par la puissance publique des évolutions induites par les véhicules autonomes sous toutes leurs formes. Je pense notamment à la matière ferroviaire – la ligne 14 du métro parisien est automatisée – ou aérienne, avec le développement rapide des drones, ces deux domaines relevant invariablement d’un angle mort de notre réflexion. Qui peut savoir quelle sera la place de l’aérien, sous toutes ses formes, demain et après-demain ?
Alors que la durée d’élaboration et de vie de nos infrastructures est particulièrement longue, nous sommes soumis à des ruptures technologiques de plus en plus brutales. Je m’interroge donc sur la place de la puissance publique dans un tel contexte, sur notre capacité collective d’anticipation, de planification et de prospective. Vous préparez une importante loi d’orientation, que vous annoncez désormais pour l’été. Comment un État stratège et svelte entend-il s’inscrire efficacement dans le temps long ? Le peut-il, madame la ministre ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Les enjeux du développement des automatismes dans le domaine du transport doivent effectivement être au cœur de nos réflexions. La France a été précurseur en matière de métros automatisés, avec les premiers VAL, à Lille, puis, en 1998, la ligne 14 du métro parisien, qui reste une très belle vitrine pour notre industrie. Nous n’avons donc pas à rougir de la place de l’industrie ferroviaire française et de nos opérateurs dans le domaine des métros autonomes, qui sont la solution technologique de demain pour les grandes métropoles.
Je puis vous l’assurer, monsieur le sénateur, la réflexion conduite au sein de mon ministère prend bien en compte l’ensemble des modes de transport, notamment le transport aérien. Nous avons été assez précurseurs en matière de drones. Ce qui a été fait dans ce domaine est pour moi source d’inspiration, l’administration ayant su réunir autour de la table, de façon agile, les opérateurs, les industriels et les utilisateurs des services pour élaborer avec eux un cadre législatif, à soumettre au Parlement, et un cadre réglementaire propres à favoriser le développement de l’innovation et des drones.
Nous suivons la même démarche dans le domaine maritime. Il nous faut encadrer les conditions d’utilisation des navires autonomes, qui se développent également.
C’est selon ce même principe, en réunissant autour de la table l’ensemble des acteurs de la filière, que nous sommes en train de concevoir aujourd’hui la feuille de route pour le développement du véhicule autonome, en prenant en compte l’ensemble des enjeux en termes d’environnement, d’éthique et de responsabilité.
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Ronan Dantec. Nous avons cet après-midi un débat tout à fait intéressant intellectuellement, entre prospective et science-fiction.
Le véhicule autonome nous permettra de circuler sans tenir le volant. Par conséquent, tout ce qu’il est aujourd’hui interdit de faire quand on conduit – manger, regarder la télévision, téléphoner… – va devenir possible. Dès lors, le temps de transport sera un temps extrêmement agréable, vécu dans un habitacle sécurisé. Nonobstant son prix, qui sera évidemment l’une des grandes questions sur le plan social, on peut donc penser que les gens privilégieront le véhicule autonome.
Si le véhicule autonome se développe dans des conditions économiques satisfaisantes et si nous ne prenons pas en compte les autres formes de transport dans la réflexion, il y aura partout dans nos villes, qui depuis le Moyen Âge n’ont pas été adaptées aux véhicules, des embouteillages. Certes, il y aura moins de pollution atmosphérique parce que les véhicules seront électriques, mais tous les problèmes n’auront donc pas été réglés, sauf pour ceux qui se réjouiront d’avoir le temps de regarder leurs séries préférées, bloqués dans les embouteillages…
Madame la ministre, la question de la complémentarité des mobilités est-elle aujourd’hui au cœur de la réflexion que vous avez engagée avec Mme Idrac ou est-elle encore considérée comme secondaire par rapport à d’autres déjà soulevées ? Il faudra mettre en place des échanges de données en temps réel entre les différentes offres de transport, qu’il s’agisse des transports publics, des transports « doux » ou du véhicule autonome. Comment comptez-vous agir pour clarifier les enjeux en vue de l’arrivée massive des véhicules autonomes sur nos routes ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Je vous le confirme, nous menons une réflexion globale pour élaborer une stratégie du véhicule autonome, dans la foulée des Assises nationales de la mobilité : j’ai souhaité que, à cette occasion, puisse s’instaurer avec les citoyens et l’ensemble des acteurs – élus, opérateurs, associations, experts – un débat sur notre mobilité de demain, l’objectif étant que celle-ci soit plus propre, plus partagée, plus connectée et plus autonome.
Je l’ai dit, notre stratégie en termes de véhicules autonomes va dans le sens du développement de véhicules propres. Elle vise aussi à développer prioritairement les cas d’usage permettant de fournir de nouveaux services de mobilité et elle s’inscrit dans une réflexion globale qui débouchera, dans le cadre de l’examen de la loi d’orientation des mobilités, sur des propositions tendant à favoriser l’utilisation du mode de transport le plus adapté dans chaque environnement. Je ne doute pas que, dans les grands centres urbains qui souffrent aujourd’hui à la fois de congestion et de pollution, les métros, les tramways et les bus resteront des moyens de transport irremplaçables. Quelle que soit la pertinence du véhicule autonome, son encombrement de la chaussée restera supérieur à celui des transports en commun. Pour prendre un seul exemple, le RER A transporte 1,2 million de voyageurs par jour, soit l’équivalent du trafic d’une autoroute à deux fois trente voies pour rentrer dans Paris… Le mass transit, comme on l’appelle, est à mes yeux irremplaçable : il doit s’articuler de façon fluide avec les autres mobilités. Le véhicule autonome sera un outil supplémentaire au service d’une politique globale de mobilité.
Mme la présidente. La parole est à M. René Danesi, pour le groupe Les Républicains.
M. René Danesi. Le 23 novembre dernier, avec trois de mes collègues, j’ai présenté à la commission des affaires européennes un rapport d’information intitulé « Véhicule sans chauffeur : le futur imminent ».
J’avais alors souligné que les enjeux techniques, économiques et stratégiques étaient planétaires. En effet, une concurrence accrue s’est mise en place entre les différents acteurs, à savoir les constructeurs traditionnels, le nouveau constructeur Tesla, les géants du numérique, comme Google, les équipementiers et toutes les firmes actives dans le domaine de l’intelligence artificielle. À titre d’exemple, le géant chinois des télécommunications Huawei travaille aussi sur le véhicule connecté.
Nous constatons également que des alliances sont signées entre les différents acteurs à l’échelle mondiale. Mais, au-delà de cette dimension strictement industrielle, il y a un enjeu essentiel en matière de liberté et de sécurité.
En premier lieu, la protection des données personnelles risque d’être difficile à faire prévaloir dans une compétition mondiale où la collecte, la transmission et le traitement des données sont assurés par des opérateurs qui travaillent dans un contexte juridique et culturel souvent dédaigneux des conceptions européennes du respect de la vie privée. Disant cela, je ne pense pas seulement à des « démocratures » comme la Chine, mais aussi à notre modèle économique, où nos smartphones sont saturés de multiples applications gratuites, l’utilisateur étant devenu le produit à revendre. Le modèle Google est précisément fondé sur l’absence de protection des données individuelles.
Or la conduite sans chauffeur exigera la protection des données personnelles, car celle-ci constitue l’élément basique de la cybersécurité. Il faudra donc inventer un nouveau modèle économique : vaste programme !
Assurer une cybersécurité inviolable est un préalable absolu au déploiement du véhicule autonome capable d’emprunter n’importe quelle voie de circulation. Or un État hostile ou une organisation terroriste suffisamment puissante…
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. René Danesi. … pourrait provoquer des dommages de grande ampleur et aller jusqu’à transformer des véhicules autonomes en robots tueurs.
Ma question est très simple : quelles mesures, notamment législatives, le Gouvernement compte-t-il prendre dans le domaine du véhicule sans chauffeur pour garantir la protection des données personnelles et un haut degré de cybersécurité ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. La protection des données personnelles et la cybersécurité tiennent effectivement une place cruciale dans toute réflexion sur le véhicule autonome.
Le règlement européen relatif à la protection des données personnelles et le projet de loi relatif à la protection des données personnelles en cours de discussion apportent des réponses en matière de protection des données personnelles.
D’ailleurs, le champ de cette problématique excède le seul cas du véhicule autonome, tous les véhicules étant de plus en plus connectés. À ce titre, nous proposerons, au travers de la loi d’orientation des mobilités, de définir un socle minimum d’informations que le propriétaire du véhicule devra recevoir sur le fonctionnement des algorithmes de délégation de conduite.
Par ailleurs, la généralisation des applications numériques multiplie les risques de cyberattaques : injection à distance d’un code malveillant, immobilisation d’une flotte de véhicules, vol massif de données, etc. Il est donc nécessaire d’accompagner les innovations numériques, par l’application de préceptes ayant fait leurs preuves en matière d’architecture sécurisée, de maintien en conditions de sécurité, d’analyse de risques, de certification de sécurité adaptée aux environnements complexes.
Il y a là un enjeu en termes de réglementation technique internationale qui doit être pris en compte dans le cadre du processus communautaire de réflexion, mais il sera aussi utile, me semble-t-il, de mettre en place une structure d’échanges dédiée à l’échelon national, afin que les différents acteurs puissent échanger sur l’état de la menace cyber et les bonnes pratiques à adopter.
Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Marchand, en remplacement de M. Didier Rambaud, pour le groupe La République En Marche.
M. Frédéric Marchand. Je me fais ici le porte-parole de mon collègue Didier Rambaud, empêché.
Au-delà des enjeux de sécurité routière, écologiques, sociétaux qui ont été évoqués ou qui le seront d’ici à la fin de ce débat, je souhaite revenir sur un point soulevé par le rapport de René Danesi, Pascale Gruny, Gisèle Jourda et Pierre Médevielle : les entreprises européennes, et donc françaises, seront-elles en mesure de rester dans la partie ?
Le volontarisme des acteurs, que ce soit les industriels de l’automobile ou les entrepreneurs du numérique, est bien réel. On peut également saluer la décision du Gouvernement de s’emparer du sujet, en nommant un pilote de la stratégie nationale sur les véhicules autonomes, à savoir Anne-Marie Idrac. Pourtant, le risque de voir nos champions nationaux distancés par les industriels étrangers est bien réel !
Le rapport précédemment cité souligne l’inadaptation de la réglementation française aux évolutions actuelles et le danger que cela crée de sérieuses distorsions de concurrence avec des pays qui ne sont pas soumis aux mêmes règles. Pour être tout à fait clair, la convention de Vienne sur la circulation routière de 1968, dont la France est signataire, stipule que « tout véhicule en mouvement doit avoir un conducteur ».
Les États-Unis, la Chine ou encore le Royaume-Uni, pour ne citer que quelques pays n’ayant pas signé cette convention, peuvent faire librement évoluer leur législation afin que celle-ci ne soit pas un obstacle à l’évolution technologique. Les États-Unis ne se sont d’ailleurs pas privés de le faire en septembre dernier, en votant un texte permettant la circulation, à titre expérimental, de 100 000 véhicules autonomes sur toutes les voies du pays. Quant à la Chine et au Royaume-Uni, ils ont signé en novembre dernier un accord de coopération sur la conduite intelligente.
Très clairement, l’article 8 de la convention de Vienne bride dangereusement nos industries. Aussi, madame la ministre, pouvez-vous nous dire comment le Gouvernement entend faire sauter des verrous qui pourraient s’avérer très rapidement préjudiciables au maintien de nos champions nationaux dans cette course technologique et comment il peut œuvrer pour que notre droit s’adapte à ces mutations ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. La Chine ou les États-Unis ne sont effectivement pas soumis aux mêmes contraintes que les pays européens signataires, notamment, des conventions de Genève et de Vienne.
La tradition française étant de respecter le multilatéralisme, notre pays ne souhaite pas s’émanciper purement et simplement de ces conventions.
Pour autant, nous avons engagé des démarches auprès de la Commission économique pour l’Europe des Nations unies, la CEE-ONU. En 2016, un amendement à la convention de Vienne a été introduit, prévoyant l’intégration des dispositifs d’aide ou d’assistance à la conduite, l’interprétation que l’on peut en avoir étant qu’il permet de couvrir jusqu’aux niveaux 3 et 4 d’automatisation. En 2017, nous avons mis sur la table une réglementation horizontale visant à adapter l’un des règlements afin de permettre de traiter tous les cas d’usage et de prévoir que les exigences soient proportionnées et spécifiques aux risques.
Cependant, ces évolutions du cadre multilatéral prendront du temps. Or, du temps, nous n’en avons pas ! Nous ne pouvons pas nous laisser distancer par des concurrents chinois ou américains. Nous souhaitons que l’Europe prenne le leadership international en matière de technologie du véhicule autonome et que la Commission européenne puisse se saisir de ces sujets.
Vous pouvez compter sur la détermination du Gouvernement pour fixer, au travers de la loi d’orientation des mobilités, un cadre respectant nos engagements multilatéraux, mais ouvrant aussi, le plus largement possible, les possibilités d’expérimentation au bénéfice de nos acteurs.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour le groupe Union Centriste.
M. Jean-François Longeot. Le véhicule autonome est très attendu, en particulier en matière de sécurité routière. L’erreur humaine expliquant 90 % des accidents mortels, on attend de lui qu’il permette de réduire drastiquement le nombre de ces derniers. Mais, paradoxalement, il pourra aussi causer l’apparition de nouveaux types d’accidents, comme l’illustre la mort, en juillet dernier, du passager d’une voiture Tesla circulant en pilotage automatique.
Si, demain, la loi d’orientation des mobilités supprime certaines obligations – notamment la présence dans le véhicule d’un conducteur prêt à reprendre les commandes –, la question de la sécurité se posera rapidement, et avec acuité.
Tout comme les conducteurs humains, les véhicules autonomes ne voient pas toujours très bien. Ainsi, l’autopilote du véhicule Tesla accidenté, ébloui par une forte luminosité, n’avait pas repéré la remorque d’un camion…
Pour remédier à ce problème, et comme l’a très bien souligné notre collègue Pierre Médevielle, coauteur du rapport de la commission des affaires européennes, nous devrons faire évoluer nos équipements routiers. Il pourrait être question de créer de nouveaux marquages au sol ou de permettre aux panneaux de signalisation d’émettre des signaux radio à destination des usagers connectés.
Mais, bien entendu, tout cela un coût ! Récemment, devant l’inquiétude des départements, l’État s’est engagé à financer le changement des panneaux, à la suite du passage à 80 kilomètres par heure de la limite de vitesse sur les routes secondaires. Madame la ministre, devra-t-on adapter les équipements routiers au véhicule autonome et, si oui, qu’est-il prévu pour concilier sécurité des usagers et pérennité des finances locales ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Le développement des véhicules autonomes conduit à examiner et à tester des cas d’usage toujours plus étendus. Dans le cadre de cette évolution, un arbitrage devra être rendu – à ce jour, on ne sait pas précisément où se situera la frontière – entre un équipement lourd de certaines infrastructures afin d’accélérer le développement du véhicule autonome ou d’élargir la palette des cas d’usage et, au contraire, un équipement plus léger, supposant une autonomie plus large des véhicules.
Ce sujet fait aujourd’hui débat au sein de la filière : doit-on viser un degré d’autonomie des véhicules compatible avec un équipement très restreint des infrastructures ou renforcer l’équipement des infrastructures pour accélérer le déploiement des véhicules autonomes ?
Les expérimentations en cours doivent nous permettre de cerner les enjeux, d’identifier les cas dans lesquels il peut être intéressant d’équiper plus lourdement l’infrastructure et ceux dans lesquels le véhicule devra se débrouiller seul, sachant que la « route intelligente » vers laquelle nous nous dirigeons ne concerne pas que les véhicules autonomes. Les feux de signalisation communicants, les alertes émanant de la chaussée peuvent présenter un intérêt pour l’ensemble des véhicules connectés, y compris quand un conducteur se trouve derrière le volant.
Les réflexions sont donc en cours et la question n’est pas aujourd’hui tranchée. Ces enjeux ont été clairement identifiés par le Conseil d’orientation des infrastructures, qui va nous aider à envisager une programmation de nos infrastructures. Cette instance me remettra demain son rapport, qui contribuera à nourrir le projet de loi de programmation des infrastructures dont j’aurai le plaisir de débattre avec vous.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Françoise Cartron. Le hasard a voulu que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable organise, ce matin, une table ronde sur la mobilité. Dans ce cadre, j’ai été amenée à interroger un spécialiste des problématiques de mobilité et de connexion sur l’adaptation des infrastructures à la circulation des véhicules connectés. Il a d’abord évoqué des « corridors connectés », beaucoup plus adaptés aux grandes voies de circulation qu’aux routes départementales. Nos réseaux départementaux pourront-ils être adaptés aux véhicules autonomes et, si oui, disposons-nous aujourd’hui d’une estimation des investissements nécessaires ?
Par ailleurs, ce spécialiste a observé qu’il pouvait y avoir plusieurs types de véhicules connectés, dont des véhicules très haut de gamme moins dépendants des infrastructures. Cependant, le coût de ces véhicules très haut de gamme sera très élevé : outre l’inégalité territoriale, n’allons-nous pas vers une fracture sociale, ces véhicules hypersophistiqués étant réservés à une élite ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Votre question, madame la sénatrice, met en exergue la multiplicité des cas d’usage et l’impossibilité, de ce fait, d’avancer une réponse univoque.
On peut en effet imaginer que, demain, les flux de marchandises, en particulier, transiteront par de grands corridors européens fréquentés par des poids lourds plus autonomes. Je pense que la Commission européenne aura à cœur de se pencher sur ce cas d’usage, qui concerne plutôt le transport de marchandises.
S’agissant du transport de voyageurs, et à une échelle beaucoup plus locale, je pense que nous pourrons rapidement, moyennant des investissements assez peu coûteux, mettre en œuvre des navettes autonomes, telles que nous les connaissons aujourd’hui, dans des zones à faible circulation, donc en milieu rural. Des expérimentations de cette nature sont menées au Japon, par exemple pour acheminer des personnes âgées d’une maison de retraite à un centre-bourg. Nous pourrons sans doute procéder à de telles expérimentations dans les tout prochains mois, moyennant un équipement léger des infrastructures pour un trajet prédéterminé.
Entre ces deux situations, il existe toute une gamme de possibilités. En tout cas, je peux vous assurer que, en matière de conception des services de mobilité, nous aurons à cœur, à travers les accords noués avec les opérateurs de téléphonie mobile et l’extension des cas d’usage des navettes autonomes à tous les territoires, de faire de l’essor de ces véhicules autonomes, comme de tout ce qui découle de la révolution numérique, un vecteur de réduction des inégalités, et non un facteur d’aggravation de ces dernières. C’est tout le sens du projet de loi d’orientation des mobilités que je présenterai prochainement.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize, pour le groupe Les Républicains.
M. Patrick Chaize. Madame la ministre, vous avez rappelé tout l’intérêt du développement du véhicule connecté, sur le plan tant environnemental que sécuritaire. Un certain nombre de défis sont à relever, notamment s’agissant de l’évolution technique des infrastructures. À cet égard, je centrerai mon propos sur l’important sujet de la connectivité.
En ce mois de janvier 2018, un accord historique a été signé entre le Gouvernement, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, et les opérateurs mobiles, afin de garantir une couverture mobile de qualité à l’ensemble des Français. Les réseaux de communications électroniques seront en effet indispensables au fonctionnement des véhicules autonomes, dont nous savons qu’ils tiendront une place essentielle dans les offres futures de mobilité et constitueront un atout dans la lutte contre l’insécurité routière.
Dans ce contexte, notre pays doit se doter rapidement d’un cadre réglementaire, afin que les constructeurs automobiles et les différents acteurs puissent continuer à travailler au développement du véhicule de demain dans des conditions satisfaisantes et adaptées, que la gouvernance des déploiements soit définie et qu’un véritable plan des infrastructures connectées soit établi. Quelles dispositions est-il prévu de prendre en ce sens et, surtout, à quelle échéance ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Je voudrais vous rassurer, monsieur le sénateur, sur le fait que ces enjeux sont bien au cœur des réflexions menées au titre de l’élaboration de la stratégie nationale sur le véhicule autonome, et au-delà. Ainsi, les réflexions conduites dans le cadre des Assises de la mobilité visaient à promouvoir une mobilité plus propre, mieux partagée, plus connectée et plus autonome.
J’évoquerai à cet égard le projet Scoop de déploiement pilote de systèmes de transport intelligents coopératifs, fondé sur l’échange d’informations entre les véhicules ou entre le véhicule et l’infrastructure. Il s’agit d’une expérimentation à grande échelle, qui associe de multiples acteurs : collectivités locales, gestionnaires routiers, constructeurs automobiles – en l’occurrence PSA et Renault –, universités, centres de recherche, opérateurs de téléphonie, fournisseurs de services de sécurité. Ce projet vise à déployer 3 000 véhicules sur 2 000 kilomètres de routes, répartis entre cinq sites – l’Île-de-France, l’autoroute A4, l’Isère, la rocade de Bordeaux et la Bretagne – qui ont l’intérêt de présenter une grande diversité de situations : autoroutes, axes structurants de métropole, routes bidirectionnelles interurbaines, voirie locale.
C’est au travers d’une telle expérimentation, la plus importante à l’échelle européenne, et d’autres projets de ce type que nous pourrons progresser, le plus rapidement possible, dans notre appréhension des bénéfices à attendre des véhicules connectés et autonomes et, dans le même temps, permettre aux acteurs français de se positionner au mieux dans la compétition internationale.