COMPTE RENDU INTÉGRAL
Présidence de M. Jean-Marc Gabouty
vice-président
Secrétaires :
Mme Catherine Deroche,
M. Joël Guerriau.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidature à une mission d’information
M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la mission d’information sur Alstom et la stratégie industrielle du pays a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
3
Loi de finances pour 2018 et loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022
Discussion en nouvelle lecture d’un projet de loi et d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2018 (projet n° 172, rapport n° 176) et du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 (projet n° 173, texte de la commission n° 178, rapport n° 177), adoptés par l’Assemblée nationale.
Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis pour examiner en nouvelle lecture le projet de loi de finances pour 2018, ainsi que la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, les désaccords constatés entre les deux chambres lors des commissions mixtes paritaires sur ces deux textes étant trop nombreux .
Nos débats seront pour moi l’occasion de revenir sur les causes de ce double échec, qui sont, me semble-t-il, de trois ordres.
Tout d’abord, les deux chambres sont en désaccord sur les équilibres de finances publiques eux-mêmes.
Le Sénat a adopté une trajectoire que nous jugeons moins ambitieuse, avec un ajustement structurel de 0,6 point en 2018, soit 12 milliards d’euros d’efforts supplémentaires à réaliser.
Je dois à la vérité de vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement considère que ces chiffres ont peut-être été appréciés de manière rapide. En effet, que signifie un effort structurel fixé à 0,6 point de PIB pour nos concitoyens ? Cela signifie renoncer au dégrèvement de la taxe d’habitation ; cela signifie renoncer à la création de l’impôt sur la fortune immobilière, l’IFI, et à la création du prélèvement forfaitaire unique, le PFU.
M. Philippe Dallier. On assume !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. On est d’accord !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. À supposer même un renoncement à ces trois mesures phares, il resterait encore environ 5 milliards d’euros à documenter. Il s’agit donc, nous le voyons bien, d’une position qui relève plus de l’affirmation d’un positionnement politique que de la bonne gouvernance de nos finances publiques. Nous ne saurions y souscrire.
À l’inverse, la majorité présidentielle, à l’Assemblée nationale, a voulu préserver les grands équilibres de ce texte et tenir ses engagements de campagne. Elle les finance et les rend effectifs, tout en maintenant le niveau d’ajustement structurel programmé en 2018 et les années suivantes.
Je voulais aussi revenir sur la spécificité de nos discussions s’agissant des modalités d’association des collectivités territoriales au redressement des finances publiques. En effet, après les ajouts et les précisions de l’Assemblée nationale et du Sénat en première lecture, les propositions de la mission conduite par votre collègue Alain Richard et le préfet honoraire Dominique Bur doivent permettre d’aller plus loin dans la définition du mécanisme de contractualisation et de reprise financière, dans le cadre de la concertation avec les élus et leurs représentants, concertation offerte et permise par la Conférence nationale des territoires.
Certains d’entre vous étaient d’ailleurs présents à la Conférence nationale des territoires, qui s’est tenue à Cahors, jeudi dernier, sous la présidence du Premier ministre. Nous avons alors pu finaliser dans le dialogue la rédaction de l’amendement à l’article 10 dans la loi de programmation des finances publiques, telle que présentée aujourd’hui.
Deuxième cause de ce double échec : les principaux apports du Sénat en matière de recettes ont naturellement conduit députés et sénateurs à constater leur désaccord, tant étaient manifestes les divergences d’orientation donnée aux deux textes.
Je prendrai plusieurs exemples.
La majorité sénatoriale a ainsi préféré hausser le plafond du quotient familial de 1 527 euros à 1 750 euros par demi-part pour l’impôt sur le revenu 2018, plutôt que de mettre en œuvre, comme nous le proposons, le dégrèvement de la taxe d’habitation dès 2018.
C’est un choix qui nous paraît d’autant plus surprenant qu’il repose sur le double constat, que nous partageons, de l’obsolescence de ses bases,…
M. Vincent Delahaye. Certes !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. … ainsi que de la nécessité de refonder, à terme, la fiscalité locale.
M. Philippe Dallier. Révisez les bases, alors !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Oui, révisez-les !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. La majorité sénatoriale a également fait le choix de supprimer la trajectoire carbone au-delà de 2018, tandis que l’Assemblée nationale l’a votée, consciente de l’urgence écologique à laquelle nous devons collectivement faire face. Là encore, c’est un choix politique.
Le Sénat a intégralement supprimé l’ISF, sans tenir compte de l’impact d’une suppression sèche de cet impôt, aussi bien sur les finances publiques que sur la structure elle-même de notre économie.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Et l’imposition des bitcoins, des liquidités, des diamants ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Pour le dire autrement, l’idée d’une taxation différentielle de la rente au bénéfice de l’économie productive n’a pas recueilli votre assentiment, en dépit des atouts manifestes qu’elle nous semble présenter.
Enfin, le Sénat a souhaité maintenir le niveau des crédits alloués aux collectivités territoriales dans le cadre de l’ancienne réserve parlementaire, tandis que l’Assemblée nationale avait explicitement prévu sa suppression.
Au final, à l’issue de l’examen de la première partie, le solde budgétaire de l’État s’établissait à moins 86,4 milliards d’euros, soit une dégradation de 3,3 milliards d’euros par rapport à l’équilibre budgétaire présenté dans le projet de loi de finances, lequel tient compte, il est vrai, de l’impact de l’annulation de la taxe à 3 % sur les dividendes.
Troisième cause de l’échec des CMP, et non des moindres : l’examen de la seconde partie de projet de loi de finances.
Comme vous le savez, l’ensemble des votes intervenus sur la seconde partie du projet de loi de finances a conduit, à la suite notamment du rejet des crédits de cinq missions du budget général, à une réduction tout à fait artificielle des dépenses de 51,4 milliards d’euros. C’est ainsi que le texte adopté par le Sénat ne prévoit plus de crédits pour les missions « Travail et emploi », « Sécurités », « Justice », « Immigration, asile et intégration » et « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales». Vous imaginez bien que le Gouvernement le regrette.
Sur la mission « Travail et emploi », je tiens en particulier à rappeler que le Gouvernement triple l’effort budgétaire en faveur de la formation des jeunes et des chômeurs de longue durée.
Sur la mission « Sécurités », nous regrettons l’attitude qui consiste à la fois à reprocher au Gouvernement une hausse insuffisante des crédits de la mission et à décider de n’en voter aucun.
Concernant la mission « Justice », le budget proposé est en hausse de quasiment 4 %, comprenant notamment une augmentation de presque 5 % des crédits de fonctionnement, d’investissement et d’intervention, et la création d’un millier d’emplois. Par ailleurs, la création de 15 000 places de prison supplémentaires demeure une priorité gouvernementale. Elle commencera d’être mise en œuvre dès l’année prochaine, avec l’ouverture de trois établissements. Le choix de rejeter ces crédits est donc d’autant plus surprenant, pour dire le moins.
J’en viens à la question du logement et à l’article 52.
M. Philippe Dallier. Ah !
M. Philippe Dallier. Oh !
M. Xavier Iacovelli. Sincères ?
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. … pour esquisser un compromis avec les représentants du logement social et la majorité sénatoriale, force est de constater qu’un tel accord restait hors d’atteinte si nous ne voulions pas compromettre notre trajectoire des finances publiques et les grands équilibres du projet de loi de finances. Il reviendra donc à l’Assemblée nationale d’avoir le dernier mot sur cet important sujet.
Je tiens d’ailleurs à rappeler l’événement important qui s’est produit jeudi dernier dans ce dossier : la signature, entre le Gouvernement et une partie substantielle du mouvement HLM – représentant plus de 40 % du parc locatif social –, d’un protocole d’accord sur la base du texte que nous vous présentons aujourd’hui.
Pour conclure, j’aimerais évoquer avec vous une série de convergences qui méritent, malgré tout, d’être relevées.
Je pense tout d’abord à l’avenir de la réforme de la procédure parlementaire conduisant au vote de la loi de finances, notamment au rapprochement de la discussion des dispositions relatives aux recettes, qu’elles soient fiscales ou sociales, lequel, selon le rapporteur général du Sénat, « pourrait permettre au Parlement de porter un regard plus éclairé sur la cohérence d’ensemble de la politique du Gouvernement en matière de prélèvements obligatoires ».
Au-delà de cette remarque procédurale, il suffit de parcourir les différents rapports sénatoriaux sur ces deux textes pour se convaincre des points d’accord qui existent entre les deux chambres.
Là encore, je prendrai plusieurs exemples.
Au sujet de la sincérité de ce projet de loi de finances, le rapporteur général indique, dans le tome I de son rapport, que « le Gouvernement semble s’engager à revenir à une pratique plus conforme au principe de l’autorisation parlementaire des dépenses ».
Si l’on regarde les différentes missions du budget général, je note par ailleurs, à titre d’illustration, que, selon le rapporteur spécial de la mission « Défense », « le budget 2018 comporte différents motifs de satisfaction et devrait permettre de répondre globalement aux besoins des armées ».
De même, selon Emmanuel Capus, rapporteur spécial de la mission « Travail et emploi », les crédits de la mission « seront maintenus à un niveau très élevé » et « permettront le financement des dispositifs en faveur de l’emploi des jeunes et des personnes les moins qualifiées en particulier, via la montée en puissance de la garantie jeunes et le lancement du plan d’investissement dans les compétences ».
Au-delà, à propos des contrats aidés, dont la diminution du volume contribue certes au redressement de nos comptes publics mais peut nourrir des inquiétudes, le rapporteur spécial s’exprime en des termes que nous pourrions partager quand il indique que, « sans contester l’utilité de ces emplois pour les collectivités territoriales et le secteur associatif, ceux-ci ne constituent pas moins des contrats précaires subventionnés et, partant, une réponse de court terme, parfois motivée par des raisons purement statistiques ».
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, par-delà les positionnements de chacune des deux assemblées et les lignes de partage idéologiques, il y a des prises de position responsables qui, de part et d’autre, auraient pu laisser penser à l’aboutissement d’un consensus, fût-il ponctuel et parcellaire, avec la majorité sénatoriale.
Bien que le Gouvernement regrette que cela ne soit pas le cas, je vous appelle, mesdames, messieurs les sénateurs, à poursuivre malgré tout l’examen du projet de loi de finances pour 2018 et du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, le Gouvernement a appelé à une réforme de la procédure parlementaire pour l’examen des textes budgétaires. Je vous ai dit, monsieur le secrétaire d’État, que nous y souscrivions. Le président de la commission des finances et les commissaires sont prêts à y travailler. Cela devrait permettre de mieux examiner les textes qui nous sont soumis, mais aussi d’éviter certaines erreurs, comme nous le rappelle l’épisode très malheureux de la taxe de 3 % sur les dividendes, erreurs qui traduisent la précipitation dans laquelle parfois sont étudiés les textes budgétaires.
Je le dis clairement, le Gouvernement s’est plus discipliné que ses prédécesseurs sur le projet de loi de finances ; je tiens d’ailleurs à le saluer. Nous avons ainsi eu à examiner beaucoup moins d’amendements déposés en dernière minute ou en séance. De ce point de vue, les choses sont en net progrès.
En revanche, il y a encore de la marge pour améliorer l’examen du projet de loi de finances rectificative. Si le Gouvernement a ainsi plusieurs fois émis des avis favorables, ou des avis de sagesse, c’est pour que nous nous entendions dire que les dispositions ainsi adoptées n’avaient pas l’accord du Gouvernement et qu’elles condamnaient à l’échec de la commission mixte paritaire !
Je dois le dire, nous avons eu parfois du mal à comprendre les résultats de l’interministériel.
Pour ce qui est du projet de loi de programmation des finances publiques, le président de la commission des finances et moi-même étions avec le Gouvernement à Cahors, où les amendements ont été discutés dans des conditions un peu particulières. Le Gouvernement a entrouvert la porte sur certaines avancées - il faut le noter, mais il y a encore du travail à faire - raison pour laquelle la commission des finances proposera au Sénat de voter des amendements qui vont dans le sens de nos échanges de Cahors.
J’en reviens aux deux textes qui nous occupent, le projet de loi de finances pour 2018 et le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.
Vous le savez, des divergences importantes sont apparues entre nos deux assemblées. Elles ont conduit, à notre grand regret, à l’échec des deux commissions mixtes paritaires, qui se sont déroulées le 13 décembre dernier.
Les sujets restant en débat sur ces deux textes ne sont cependant pas de même nature ni de même ampleur. La commission des finances vous propose donc de ne pas prendre la même position en nouvelle lecture sur ces deux projets de loi.
Concernant tout d’abord le projet de loi de finances pour 2018, l’Assemblée nationale a heureusement repris certaines dispositions introduites par le Sénat. Sur les 150 articles restant en discussion, 24 articles ont été adoptés dans la rédaction du Sénat ; la suppression de 4 articles a été confirmée.
Par ailleurs, l’Assemblée nationale a modifié 17 articles, tout en conservant certaines modifications apportées par le Sénat. Elle a par exemple adopté, avec des apports du Sénat, l’article 4 sur le taux de TVA applicable aux offres de téléphonie ou internet comprenant un service de presse.
Elle a également adopté, cher Philippe Dallier, l’article 6 ter A relevant à 10 % le taux de TVA pour les logements sociaux à compter du 1er janvier 2018,…
M. Philippe Dallier. Oui !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. … mais aussi l’article 10 quater étendant le bénéfice du taux réduit d’impôt sur les sociétés pour les plus-values de cession de locaux ou de terrains en vue de la construction de logements, et l’article 10 sexies modifiant le régime fiscal et social des zones de revitalisation rurale, ou ZRR.
M. Alain Marc. Excellent !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Aux articles 39 et 39 sexies, l’Assemblée nationale a adopté l’encadrement du montant des frais et commissions susceptibles d’être imputés par les intermédiaires pour le dispositif « Pinel » et la réduction d’impôt « Madelin ». Elle a également adopté plusieurs autres dispositions techniques.
Pour autant, l’Assemblée nationale n’a évidemment pas modifié les dispositions les plus emblématiques du texte, sur lesquelles nous avions marqué notre opposition ; elle a même rejeté bon nombre de nos initiatives.
Elle a d’abord confirmé la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages à l’horizon 2020. Certes, la taxe d’habitation doit être réformée, ou du moins ses bases doivent-elles être révisées. Nous considérons néanmoins que la réforme proposée présente un caractère injuste et apparaît sans doute fragile au plan constitutionnel. Son adoption nous semble, en tous les cas, précipitée. Nous redisons en revanche au Gouvernement notre disposition pour travailler à une nouvelle fiscalité locale.
L’Assemblée nationale n’a pas remis en cause la création de l’impôt sur la fortune immobilière, dont le périmètre est pour le moins incompréhensible, puisque les liquidités, les bitcoins ou les diamants, autant de placements improductifs pour l’économie, en sont totalement exonérés, alors même que l’immobilier, qui contribue, lui, à l’économie réelle, est taxé. Elle a rétabli les surtaxes sur l’or, les yachts ou les voitures de sport, pour tenter de masquer l’incohérence de cette assiette.
L’Assemblée nationale n’a malheureusement pas retenu la proposition du Sénat de relever le plafond du quotient familial. Nous considérons qu’il s’agit pourtant d’une mesure de justice fiscale pour les familles. Elle n’a pas repris non plus nos propositions pour développer les investissements des PME.
Surtout, c’est là où mes regrets sont les plus vifs, monsieur le secrétaire d’État, l’Assemblée nationale a supprimé des dispositions pourtant adoptées à l’unanimité par le Sénat.
Je pense à la responsabilité solidaire des plateformes de commerce en ligne pour le paiement de la TVA. Je ne comprends pas cette position. Il s’agit en l’espèce d’une fraude avérée à la TVA. Nous nous étions inspirés d’un dispositif qui fonctionne au Royaume-Uni, et qui aurait pu recueillir l’assentiment du Gouvernement.
Elle a aussi refusé la création d’une taxe sur les locaux destinés au stockage des biens vendus par voie électronique au profit des commerces de centre-ville. Ne pas taxer les entrepôts des plateformes électroniques, alors même que les commerces de centre-ville doivent s’acquitter de la taxe sur les surfaces commerciales, la TASCOM : cela peut créer une vraie différence de traitement.
L’Assemblée nationale a également entériné une économie sur les aides personnelles au logement, les APL, de l’ordre de 1,5 milliard d’euros d’ici à 2020, en supprimant presque intégralement les APL accession.
Enfin, plus prévisible, elle a rétabli les crédits des cinq missions rejetés par le Sénat et n’a pas donné suite à nos propositions d’économies en dépenses, je pense notamment à nos propositions visant à contenir l’évolution des dépenses de la fonction publique.
Nous considérons donc que le texte qui nous revient de l’Assemblée n’est pas satisfaisant. Même si le Sénat rétablissait son texte en nouvelle lecture, une nouvelle navette ne serait pas de nature à nous rapprocher sur les points de désaccord majeurs. Vous avez d’ailleurs souligné le caractère incompatible de nos deux textes, monsieur le secrétaire d’État.
La commission vous propose donc, mes chers collègues, d’opposer la question préalable sur le projet de loi de finances pour 2018, même si, à titre personnel, je serais tout à fait disposé à revenir pour une nouvelle lecture entre le 25 et le 31 décembre - mais j’ignore si c’est le cas du Gouvernement… (Sourires.)
J’en viens maintenant au projet de loi de programmation des finances publiques.
La situation est assez différente, car, on peut le dire, le Sénat a été davantage entendu.
Ainsi, je me félicite de l’adoption de l’article 8 bis introduit sur notre initiative, qui rappelle les engagements du Président de la République en matière de réduction d’emplois de l’État et de ses opérateurs sur la période quadriennale.
Je me félicite également de la reprise des dispositions ajustant les plafonds des taxes affectées et les plafonds d’emplois à leur réalité, dans un objectif de plus grande sincérité budgétaire. Je regrette à cet égard que d’autres apports, pourtant validés par la commission des finances de l’Assemblée nationale et son rapporteur général, Joël Giraud, tels l’encadrement de la mise en réserve des crédits de l’État ou l’exclusion du ministère des armées des nouvelles dispositions relatives aux restes à payer, aient été supprimés sur l’initiative du Gouvernement. C’est dommage, car un consensus s’était formé sur ces points entre les deux assemblées.
Nous proposerons de rétablir certaines de ces dispositions, qui sont susceptibles de faire consensus entre nos deux assemblées.
Cette nouvelle lecture au Sénat a cependant un objet principal : l’examen du nouvel article 24, qui prévoit de nouvelles modalités de contractualisation entre l’État et les collectivités territoriales. En effet, le Gouvernement a déposé, au lendemain de la Conférence nationale des territoires, en grande banlieue de Cahors, un nouvel amendement tendant à compléter de manière très substantielle l’article 24 du projet de loi de programmation, pour définir les dépenses réelles de fonctionnement, les critères de modulation du taux maximal d’évolution de ces dépenses, les modalités de reprise financière, ou encore la possibilité d’accorder, par le biais des préfets, un « bonus », qui prendrait la forme d’une majoration de leur taux de subvention au titre de la dotation de soutien à l’investissement local, la DSIL.
Toutes ces dispositions nouvelles paraissent particulièrement fragiles au regard de la règle dite de « l’entonnoir » posée par le Conseil constitutionnel, qui veut que l’on n’élargisse pas les débats après la première lecture dans chaque assemblée. Par ailleurs, des dispositions figurant dans la partie purement programmatique du projet de loi sont transférées dans sa partie normative, ce qui change leur nature.
Quoi qu’il en soit, sans préjuger de la décision du Conseil constitutionnel en cas de saisine éventuelle, nous avons souhaité modifier ces dispositions nouvelles afin de les améliorer, bien que les délais dont nous disposions pour ce faire aient été très réduits.
C’est ainsi que nous proposons d’exclure du périmètre des dépenses de fonctionnement les dépenses contraintes imposées par l’État, qu’elles soient législatives ou réglementaires, l’évaluation, qui doit être la plus objective possible, étant fondée sur les travaux du Conseil national d’évaluation des normes.
Mme Nathalie Goulet. Excellent !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Le Gouvernement a lui-même entrouvert cette porte, en évoquant la possibilité d’une évaluation annuelle, sans prévoir de traductions précises pour les collectivités territoriales. Nous avons donc proposé cette disposition visant à défalquer le coût des dépenses nouvelles, législatives ou réglementaires, de l’évolution des dépenses de fonctionnement, de telle sorte que, après évaluation, les contraintes pesant sur les collectivités diminuent.
En clair, les collectivités territoriales doivent être responsables de leurs propres dépenses, et n’ont pas à subir des facteurs exogènes, qui conduiraient à faire dériver les dépenses au-delà des objectifs fixés.
Nous souhaitons également que soit mis en place un véritable bonus pour les collectivités territoriales qui dépassent leurs objectifs. Là encore, la porte a été entrouverte à Cahors. Le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, s’y était même engagé devant le Sénat. Nous ne souhaitons pas que ce dispositif reste à la seule appréciation du préfet.
Enfin, nous proposons de relever l’objectif d’évolution de la dépense locale de 1,2 % à 1,9 %, afin de tenir compte d’un tendanciel de dépenses plus réaliste – c’était l’objectif du Sénat dès la première lecture.
En conclusion, mes chers collègues, je vous propose d’adopter en nouvelle lecture le texte tel que la commission des finances l’a amendé ce matin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, les deux présents textes illustrent avec une grande clarté à la fois la méthode et le projet profondément libéral de ce quinquennat.
Le double discours permanent et le brouillage des repères sont une marque de fabrique qu’il convient de dénoncer.
En outre, ce qui caractérise l’action du Gouvernement, c’est souvent la brutalité et l’impréparation avec laquelle il conçoit les réformes structurelles. Comme si, pour faire bouger notre pays raillé pour son immobilisme, il fallait commencer par détruire violemment l’existant, sans avoir construit auparavant les bases d’une alternative crédible.
Fait majeur, ce budget va approfondir les inégalités et affaiblir notre modèle social. Au nom d’un monde nouveau, il nous propose un vaste retour en arrière, à rebours de la décentralisation, engageant des réformes portant le sceau des politiques libérales mises en œuvre dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix qui, on le sait de manière encore plus documentée depuis quelques jours, ont produit une augmentation massive des inégalités.
Le « premier de cordée » monte toujours plus haut, équipé jusqu’au bout des doigts, assuré par son capital financier, social et culturel, mais il laisse en bas celui qu’il accuse de n’être pas assez combatif pour grimper, alors que ce dernier ne dispose que de la simple force de ses bras.
Double discours, méthode brutale et augmentation des inégalités sont donc les caractéristiques de ce budget.
L’ultra-communication permanente de ce gouvernement ne saurait nous faire oublier une certaine dualité dans le discours.
Vous dites vouloir lutter, à l’échelon européen, contre l’évasion fiscale, monsieur le secrétaire d’État, mais vous ne saisissez pas nos propositions pour agir dès maintenant.
Prenons l’exemple de la fraude à la TVA pour les plateformes ou de la taxation des GAFA. Pourquoi ne reprenez-vous pas ces propositions votées ici, au Sénat, et de façon consensuelle ?
Vous prétendez lutter, à l’échelon européen, contre le dumping fiscal, mais vous jouez le jeu du nivellement par le bas, en essayant d’atteindre une moyenne européenne que nos voisins s’empresseront bien vite de faire baisser à nouveau.
Vous dites vouloir mettre en œuvre un Grand plan d’investissement. Or il n’apparaît pas, ou peu, en crédits de paiement : moins de 2 milliards d’euros pour 2018, quand vous annoncez 57 milliards d’euros sur cinq ans.
Vous vous targuez de présenter un budget responsable, mais ce budget cache en réalité un vaste plan social, relativement silencieux, que l’État mène dans ses administrations et ses agences. Je pense à l’INRS ; je pense à l’INSEE ; je pense à Pôle emploi ; je pense au CEREMA ; je pense à l’AEFE ; je pense aussi à la DIRECCTE, à l’IRSTEA, à Météo France, à France Télévisions, et j’en passe.
Au-delà du double discours, il y a aussi l’utilisation récurrente d’une méthode brutale qui consiste à casser un système avant même de préparer la construction du suivant.
Pensons aux coups portés aux bailleurs sociaux, tout d’abord.
Vous prétendez avoir l’ambition d’une réforme d’ampleur du financement du logement social, qui passe par la baisse des APL et sa compensation par la réduction des loyers applicables dans le parc social.
Si seulement, plutôt que d’annoncer une grande réforme du logement et de faire passer des mesures budgétaires qui risquent de provoquer un effondrement de l’offre, vous aviez pris le temps de mettre en place une véritable concertation avec les bailleurs sociaux et avec les élus !
Le Sénat a joué son rôle d’alerte en faisant une contre-proposition. Vous n’avez pas pris en compte ses travaux lors de la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale. On peut même dire que, in fine, loin de répondre à la fragilité financière de nombre de bailleurs sociaux, vous l’organisez !
Les conséquences sur le logement social comme sur l’accession sociale à la propriété - autrement dit, la crise du logement qui s’annonce -, seront très graves.
Il en va de même pour les contrats aidés. Sans proposer de solution alternative à court terme, ni aux personnes bénéficiaires ni aux collectivités, vous en supprimez une large part. Vous précarisez des personnes éloignées de l’emploi, pour qui la réinsertion professionnelle, et donc sociale, était concrète. Vous déstabilisez les collectivités territoriales et les associations dans la mise en œuvre de leurs actions.
En contrepoint, vous annoncez une grande réforme de la formation professionnelle, sans toutefois avoir pris soin d’en fixer le cadre ou le financement en amont.
Pour les collectivités territoriales, même chose ! Vous mettez en place un dégrèvement de la taxe d’habitation – dégrèvement que nous avons obtenu de haute lutte, le projet de départ était bien pire ! –, préfigurant sa suppression, et décidez de sa compensation sans réellement la garantir à l’avenir.
Disons-le clairement : il s’agit pour l’État de contrôler les recettes des collectivités.
Vous souhaitez aussi contrôler leurs dépenses, à travers la contractualisation que les préfets vont mettre en œuvre, rétablissant de ce fait le contrôle a priori des budgets des collectivités.
Cette brutalité a poussé les élus à se mobiliser. Vous avez alors été obligés de préciser, ce qui n’était pas prévu initialement, qu’une grande réforme de la fiscalité locale se préparait, qu’il ne fallait donc pas s’inquiéter.
La même brutalité a aussi obligé le Premier ministre à faire des modifications importantes sur la contractualisation, allant bien au-delà de la simple précision. N’aurait-il pas été plus raisonnable de commencer par là ? Une réflexion large et collective aurait certainement permis d’éviter l’arrivée dans le débat parlementaire, au stade de la nouvelle lecture, du nouveau dispositif de contractualisation liant l’État et les collectivités.
S’agissant d’une mesure aussi importante, est-il acceptable que le travail parlementaire soit ainsi réduit à une heure pour l’Assemblée nationale et une journée pour le Sénat ?
Je veux m’arrêter ici quelques instants sur les modifications introduites dans le projet de loi de programmation des finances publiques, conséquences de la précipitation manifestée sur ce thème par le Gouvernement.
Sur le fond de l’article 24, l’exclusion d’une partie des dépenses liées aux allocations individuelles de solidarité peut apparaître à première vue comme une avancée pour les départements. Mais ici on retrouve le double discours, car, en réalité, l’objectif de réduction, la cible finale de 13 milliards d’euros, est maintenu ! Si ces dépenses ne sont pas intégrées dans l’effort à fournir, celui-ci devra donc être concédé sur d’autres postes de dépenses départementales, ou reporté sur d’autres collectivités territoriales.
Pour ce qui concerne le mécanisme de correction, auparavant uniquement mentionné dans son principe, il est maintenant précisé.
Au final, votre démarche est habile, mais ne nous leurrons pas sur son résultat. L’objectif de contenir les dépenses de fonctionnement à 1,2 % en valeur, c’est-à-dire au niveau de l’inflation les premières années et en deçà du niveau de l’inflation en fin de période de programmation, ne pourra que conduire à des efforts de réduction des dépenses considérables pour les collectivités territoriales. Cela ne manquera pas d’affaiblir le service public local.
Aux mesures impréparées, sinon brutales, s’ajoutent des mesures fiscales injustes, qui entraîneront inexorablement un accroissement des inégalités.
Après avoir augmenté la CSG, vous décidez de supprimer la presque totalité de l’impôt de solidarité sur la fortune, et de mettre en place une flat tax pour les revenus du capital ; je note d’ailleurs que l’Assemblée nationale a rejeté l’amendement du Sénat visant à éviter l’optimisation fiscale qui en découlera et qui risque de coûter beaucoup plus cher au budget de l’État.
Concrètement, pour les 100 premiers contribuables à l’ISF, le gain des deux premières mesures est évalué à 1,5 million d’euros par an et par contribuable. Pour un impact macroéconomique très faible, on accroît ainsi les inégalités. La théorie du ruissellement, que vous dites ne pas suivre tout en reprenant tous les arguments y afférents, est un leurre.
Accroissement des inégalités, toujours : qui va payer l’augmentation de la fiscalité écologique ? Ce sont les bas revenus qui dépassent le seuil très bas de l’accès au chèque énergie, soit 7 700 euros par an et par unité de consommation.
Les effets positifs d’une fiscalité écologique seront socialement injustes.
Ainsi, vous réduisez la part des efforts demandés aux plus riches, vous accentuez celle demandée aux plus modestes et, dans le même temps, vous affaiblissez les services publics. La pression que vous mettez sur les collectivités et certains ministères va fragiliser les services publics essentiels. Les réduire va inexorablement conduire à une augmentation des inégalités.
Nous ne pouvons pas agir comme si nous ignorions que la baisse de la fiscalité des hauts revenus s’accompagnait toujours d’un accroissement des inégalités. Le dernier rapport des économistes autour de Thomas Piketty nous le confirme.