M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christian Eckert, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous vous apprêtez à examiner la proposition de loi présentée par votre collègue Vincent Delahaye. Ce texte, motivé par des situations locales observées après des changements d’exécutifs départementaux ou régionaux, comporte deux grands volets.
Premièrement, un volet préventif vise à renforcer les contrôles. L’article 1er instaure une périodicité minimale pour le contrôle, par la chambre régionale des comptes, du respect du principe de l’annualité budgétaire par les collectivités territoriales les plus importantes et, ainsi, du dispositif de rattachement des charges et produits à l’exercice.
Les modalités de ce contrôle seraient les suivantes : un examen annuel pour les 194 collectivités et leurs établissements publics dont les recettes dépassent les 200 millions d’euros par an ; un examen tous les deux ans, pour 112 collectivités dont les recettes dépassent 100 millions d’euros. En outre, un contrôle obligatoire des comptes et de la gestion s’appliquerait tous les six ans pour les collectivités les plus importantes.
Deuxièmement, un volet répressif avec des sanctions nouvelles ou alourdies : ce texte propose en effet de rendre justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière, la CDBF, les élus locaux au-delà de ce qui est déjà prévu aujourd’hui ; il renforce les sanctions applicables, le cas échéant, avec des peines d’inéligibilité ou pécuniaires, voire les deux, et crée comme corollaire un mécanisme de protection assurantielle des exécutifs locaux justiciables de la CDBF en cas de sanction pécuniaire.
Les objectifs visés avec cette proposition de loi, c’est-à-dire la sincérité et la fiabilité des comptes locaux, sont totalement partagés par le Gouvernement. Je ne doute pas qu’ils le soient aussi par les membres de cette assemblée, car ils relèvent d’une exigence constitutionnelle. Je vais moi aussi citer l’article 47-2 de la Constitution : « Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière. »
Vous le savez, les comptes de l’État et des organismes de sécurité sociale sont d’ores et déjà certifiés. C’est aussi le cas, désormais, des comptes de la plupart des établissements publics nationaux, ainsi que des hôpitaux. Le secteur public local est moins avancé, c’est exact, mais une expérimentation de certification des comptes des collectivités locales a également été lancée. J’y reviendrai plus tard.
Votre initiative, monsieur Delahaye, permet un échange de vues utile, et un point d’étape tout aussi utile sur ces chantiers très importants que sont la fiabilisation et la certification des comptes locaux. Cependant, je ne pense pas que les moyens que vous proposez pour y parvenir soient les plus adéquats.
En effet, la systématisation du contrôle, par le juge financier, du rattachement des charges et des produits, qui est au cœur de votre proposition, présente, me semble-t-il, trois inconvénients.
Elle nécessiterait tout d’abord des arbitrages délicats en termes de moyens alloués aux chambres régionales des comptes, les CRC. À ce stade, les conséquences potentielles en termes d’effectifs n’ont pas pu être expertisées finement avec la Cour des comptes. Je vous rappelle que, en l’état, les contrôles des CRC sur les collectivités les plus importantes se font généralement tous les quatre ou cinq ans.
Ensuite, l’introduction de ce nouveau contrôle devrait aussi être articulée avec les dispositions actuelles relatives au contrôle budgétaire confié au préfet, et associant également les chambres régionales des comptes. Je rappelle que le contrôle budgétaire porte à ce stade sur cinq étapes du processus budgétaire : la date d’adoption du budget ; le respect de l’équilibre réel, ce qui renvoie à la question de la sincérité du budget ; la date d’adoption du compte administratif ; le déficit de celui-ci, et, enfin, l’omission ou l’insuffisance de crédits correspondant à des dépenses obligatoires.
Par ailleurs, les exemples cités portent tous sur la question de l’annualité ou plus exactement du rattachement des charges et des produits à chaque exercice, prévu par les règles budgétaires et comptables. C’est vrai, cette thématique est importante, mais d’autres irrégularités, plus discrètes peut-être, peuvent aussi porter atteinte à la sincérité des comptes des collectivités territoriales. Il en est ainsi du défaut d’amortissement ou de provisionnement des risques, du défaut d’inventaire du patrimoine pénalisant son entretien et handicapant sa valorisation, etc.
C’est pourquoi, tout en partageant, je le répète, votre objectif, le Gouvernement privilégie une démarche différente, à la fois plus globale, c’est-à-dire visant à atteindre la qualité sur tout le champ comptable, et moins péremptoire, donc plus progressive et partenariale : il ne suffit pas de généraliser les contrôles et de créer des sanctions ; il faut que les acteurs locaux s’approprient les bonnes pratiques.
Des outils existent déjà, que le comptable public, et, au-delà, le réseau local de la direction générale des finances publiques, la DGFiP, mettent à disposition des collectivités : restitution des contrôles comptables automatisés ; indicateurs de la qualité comptable locale. Ils donnent déjà une première tendance de la qualité des comptes.
Mais, depuis 2011, pour agir plus en amont, la DGFiP travaille à fiabiliser les comptes locaux en relation étroite avec les associations d’élus. Il s’agit d’établir des guides ou référentiels de contrôle interne, qui permettent à l’ordonnateur de s’assurer que le budget comme la comptabilité sont tenus conformément aux règles en vigueur. Les thèmes de ces référentiels portent sur des sujets aussi divers et lourds de conséquences financières que les provisions pour risques et charges des collectivités, tout le cycle des recettes, l’évaluation du parc immobilier et les immobilisations financières.
Ces travaux se déclinent aussi, sur le plan local, à travers la signature, avec le comptable public et la direction locale, de conventions de services comptables et financiers pour les collectivités les plus importantes ou, le cas échéant, d’engagements partenariaux pour les collectivités locales de taille plus modeste.
Surtout, comme je l’ai déjà évoqué, le Gouvernement souhaite aller plus loin, ainsi que le prévoit la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, qui comporte une expérimentation de la certification des comptes sur 25 collectivités. Celles-ci ont été désignées en fin d’année dernière, parmi une cinquantaine de candidatures. Elles comprennent : 2 conseils régionaux, 6 conseils départementaux, 10 communes de taille variable et 7 EPCI, dont une métropole, situés tant en France métropolitaine que dans les territoires d’outre-mer.
Pilotée par la Cour des comptes, mais associant naturellement dans sa mise en œuvre le comptable public, la démarche de certification vise à porter une appréciation annuelle sur la qualité des comptes et repose sur la méthode suivante : audit des processus à enjeux et analyse de la qualité des dispositifs de contrôle interne concourant à la fiabilité de l’information financière ; intervention d’auditeurs indépendants assujettis à des normes d’exercice professionnel reconnues, dont, le cas échéant, la dénonciation de faits délictueux ; « regard externe » d’un auditeur qui constitue un véritable levier de progression en matière de qualité comptable et conduit à une appréciation sur les états financiers annuels.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la proposition de loi dont vous débattez aujourd’hui a un objectif ambitieux, que le Gouvernement partage, comme je l’ai déjà dit.
Nous nous sommes attelés à sa réalisation et avons engagé des réformes d’ampleur, modifiant non seulement les textes, mais établissant aussi un dialogue avec les collectivités pour améliorer les pratiques.
Sous le bénéfice de ces explications, le Gouvernement donnera un avis favorable à la motion tendant au renvoi à la commission, ce qui permettra, je l’espère, de continuer à travailler les pistes contenues dans votre proposition, tout en assurant une meilleure prise en compte des évolutions législatives récentes, que je viens d’évoquer. (M. Alain Richard applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je rejoins le point de vue des précédents orateurs : le sujet mis en débat par la proposition de loi de M. Delahaye présente un grand intérêt. L’examen de ce texte offre l’occasion d’établir une sorte d’état des lieux ou de bilan des dispositifs assurant la sincérité et l’exactitude des comptes des collectivités territoriales ou, du moins, y contribuant. Il doit ainsi nous permettre de définir des pistes pour renforcer encore cette sincérité.
Notons que la présentation de ce texte, et son auteur ne s’en est pas caché, est un peu circonstancielle. C’est une espèce de marronnier, car l’on y retrouve des sujets de récrimination réciproque à l’occasion d’une alternance dans une collectivité locale, le prédécesseur étant, à ce moment-là, chargé de tous les maux.
Je le rappelle, nous avons eu des débats, qui ne sont pas encore clos et ont donné beaucoup de soucis à ce gouvernement et à ses prédécesseurs, sur les emprunts toxiques, sujet un peu comparable. Dans ces cas-là, il se trouve parfois, compte tenu de la durée de ces opérations, que c’est le successeur de l’auteur de l’erreur d’appréciation qui est ensuite amené à en assumer les conséquences.
Bien entendu, ces dysfonctionnements méritent critique et suggèrent forcément des réflexions pour essayer d’y remédier, mais nous pouvons tous convenir que ce n’est pas uniquement à partir de ces éléments de circonstance, assortis en plus d’une certaine acrimonie politique, que nous pourrons inspirer la meilleure législation.
Puisque le sujet a été évoqué, je veux donner ma propre lecture, partagée par mes amis, de ce qu’a été l’évolution de la législation dans ce domaine.
Il se trouve que, voilà déjà trente-six ans, j’étais rapporteur au côté de Gaston Defferre de la loi de décentralisation de 1982. Même si nous y avions réfléchi et que le Gouvernement avait beaucoup travaillé, ce texte donnait le sentiment d’un saut dans l’inconnu : que va-t-il se passer lorsque le préfet ne vérifiera plus les budgets des collectivités territoriales ?
C’est cette interrogation qui a conduit à une réflexion pour définir pour la nouvelle génération le mécanisme d’authentification et de vérification, avec des effets de droit, des comptes des collectivités territoriales. Nous avons donc inventé les chambres régionales des comptes, créant ainsi la catégorie des juridictions financières, alors que n’existait jusque-là que la seule Cour des comptes.
L’expérience s’est révélée positive à deux égards.
Le nouveau mécanisme de contrôle des comptes des collectivités locales apparu en 1982-1983, avec les cinq hypothèses de déclenchement d’un contrôle, a donné des résultats, conduisant à des sanctions ou à des redressements là où c’était nécessaire, mais jouant surtout un rôle dissuasif ou de mise en garde pour les gestionnaires locaux.
Par ailleurs, il a fait apparaître une ressource humaine très qualifiée avec une expertise nouvelle via les chambres régionales des comptes, dont les effectifs se sont étoffés au fil des ans. Nous avons aujourd’hui dans ces chambres des magistrats de grande qualité, bien spécialisés, qui sont venus renforcer la « puissance de feu » de la Cour des comptes.
Puisqu’il a été fait référence au projet de réforme inspiré par Philippe Séguin, alors premier président de la Cour des comptes, je rappelle que son objectif de base était en réalité, après vingt-cinq ans d’expérience montrant que l’effet de mise en garde des CRC avait atteint son but, de faire évoluer leur activité du simple contrôle périodique des comptes des collectivités territoriales vers l’évaluation financière. Telle était l’ambition de Philippe Séguin, partagée par beaucoup de personnes.
La réforme constitutionnelle de 2009, d’ailleurs, est orientée en ce sens. La Cour des comptes, en tant que navire amiral, mais aussi l’ensemble des juridictions financières ont désormais un rôle d’assistance du Parlement, et plus largement des citoyens, pour analyser le bien-fondé des politiques financières suivies et l’efficacité de l’utilisation des fonds publics, ce qui renvoie à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, déjà évoquée.
Ces dernières années, le rôle des CRC n’a pas évolué vers une intensification de la fonction de simple contrôle comptable ; au contraire, on leur demande d’exploiter au mieux l’expertise et le savoir-faire qu’elles ont acquis pour faire du travail qualitativement supérieur, c’est-à-dire de l’évaluation financière et économique. Il me semble qu’il s’agit d’une bonne orientation.
Je rejoins la première réflexion de M. Delahaye pour regretter que la mission de vérification confiée aux comptables publics, une des conséquences de cette réforme de « densification » du rôle des CRC, ne soit pas exploitée à plein. En effet, ceux-ci sont parfaitement en mesure de vérifier les comptes annuels des collectivités, au moment où ils arrêtent les comptes de gestion, et d’adresser aux ordonnateurs les remarques qu’ils estiment justifiées. Par conséquent, on pourrait leur déléguer une partie importante de la fonction de mise en conformité des comptes des collectivités territoriales.
La question centrale à l’origine de la présente proposition de loi est au fond celle du contrôle du rattachement, lorsque les ordonnateurs sont tentés de faire glisser des factures et des charges d’une année sur l’autre pour faciliter l’équilibre budgétaire. Le Gouvernement, dans sa fonction normale d’instruction et de directive, peut appeler les comptables publics à une vigilance particulière sur ce sujet dans un contexte non polémique, dans le cadre d’un dialogue normal entre administrations.
Certes, l’attention de M. Delahaye a été plus attirée par les grandes collectivités en termes budgétaires, mais ce sujet se retrouve à tous les échelons, lorsque les gestionnaires de collectivités se sentent en difficulté. Je pense donc qu’une vigilance un peu stimulée du réseau des comptables est préférable.
Je voudrais terminer sur une autre initiative prise par M. Delahaye, et qui soulève des questions de principe, sur lesquelles il est utile d’échanger un instant. Il s’agit du basculement de gestionnaires élus dans le champ des justiciables relevant de la CDBF.
Depuis que cet organisme a été créé, juste après la Seconde Guerre mondiale…
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. En 1948 !
M. Alain Richard. Voilà ! C’était d’ailleurs une grande époque de réformes financières.
Depuis que la Cour existe, donc, seuls les agents publics professionnels sont soumis à sa juridiction. C’est pourquoi, d’ailleurs, elle ne prononce que des sanctions pécuniaires.
Selon la tradition républicaine, et les majorités successives ont toujours réitéré ce choix, les autorités politiques élues n’y sont pas soumises. Il en est de même pour les ministres. Lorsque s’est posé le problème de l’autonomie financière des collectivités territoriales au moment de la décentralisation, on a appliqué le principe de parallélisme des formes, ce qui est d’ailleurs très flatteur pour de modestes élus locaux. Ainsi, il a été décidé que les fonctionnaires territoriaux pouvaient être justiciables de la CDBF, mais pas les élus.
Ce sujet est revenu devant le Parlement à maintes reprises, et ce choix a toujours été confirmé par une large majorité de parlementaires. On n’a jamais voulu franchir ce pas.
Considérant que la vigilance s’est accrue et qu’il y a moins d’erreurs et de dérives de gestion dans les collectivités, le moment n’est-il pas venu de donner à la CDBF la possibilité de prononcer des sanctions pécuniaires contre des élus ? Connaissant certains de ses membres, je puis vous dire qu’elle n’en serait pas particulièrement enchantée.
Mais le système ne fonctionnerait pas, puisque les sanctions pécuniaires de la CDBF sont plafonnées en fonction des rémunérations des intéressés. Or, dans la grande majorité des cas, les élus territoriaux ont des rémunérations assez limitées.
Enfin, M. Delahaye y est allé gaiement en prévoyant que la CDBF pouvait prononcer des inéligibilités, possibilité, qui, la plupart du temps, n’est confiée qu’à des juridictions à caractère pénal, voire, dans le cas de simples parlementaires comme nous, ou de simples candidats au Parlement, au Conseil constitutionnel.
Il me semble qu’une telle disposition est disproportionnée et décalée par rapport au rôle traditionnel de la CDBF. Ou alors, si l’on devait le faire pour les élus locaux, il faudrait aussi prévoir la même chose pour les membres du Gouvernement, ce qui ferait trembler les colonnes du temple… Disant cela, je préfère ne pas croiser le regard courroucé de M. le secrétaire d’État. (Sourires.) La soirée était calme jusque-là, et je préfère qu’elle le reste. (Nouveaux sourires.)
Pour conclure, je dirai qu’il y a matière à améliorer un certain nombre de contrôles. À mon sens, le réseau des comptables est bien adapté pour le faire, mais les outils préconisés par M. Delahaye ne sont pas forcément les plus opportuns.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, qui ne peut partager le souci de sincérité et de transparence des comptes publics, en l’espèce des collectivités locales ? Ce sujet anime et structure la proposition de loi déposée par Vincent Delahaye, dont j’ai cru comprendre qu’elle ne constituerait que la première étape d’une réflexion en marche, étant donné le dépôt d’une motion de renvoi à la commission, que nous voterons.
Je suis convaincu, et même à peu près certain, que la très grande majorité des élus locaux, comme des fonctionnaires qui les assistent, est parfaitement respectueuse des règles comptables en vigueur pour ce qui est de la gestion locale. Par conséquent, les errements constatés ne concernent que quelques situations bien connues.
Je dois d’ailleurs souligner que, dans certains dossiers où des noms ont été en quelque sorte jetés en pâture à la vindicte populaire, les choses n’ont pas toujours été simples. Il ne suffit pas d’incriminer dans tous les cas les élus locaux, et eux seuls, ceux-ci ne déployant pas ou n’ayant pas déployé leur action dans un vase clos, sans interaction avec l’extérieur.
Je pense, par exemple, aux collectivités locales victimes des emprunts structurés et de la montée en charge d’une dette libellée ou, à tout le moins, ajustée sur une devise étrangère s’étant quelque peu appréciée.
Nous concevons fort bien le sens de l’article 1er, qui tend à placer obligatoirement certaines collectivités, à compter d’un certain seuil de ressources, sous le contrôle attentif des chambres régionales des comptes, singulièrement en vue d’éviter la regrettable pratique de la cavalerie budgétaire.
De même, nous pouvons concevoir de modifier les règles, voire le quantum des peines, si l’on peut dire, dès lors que la responsabilité des élus et des principaux fonctionnaires et cadres territoriaux les ayant assistés se trouve engagée quant à la situation de la collectivité ou de l’établissement public en difficulté.
Nous sommes, en revanche, nettement plus circonspects, pour ne pas dire plus, devant le contenu de l’article 2, qui propose la mise en place, à terme, d’un dispositif d’assurance anti-sanction pécuniaire pour les élus locaux.
On ne peut décemment, nous semble-t-il, appeler à la transparence et à l’éthique et imaginer dans le même temps un système qui, moyennant liquidation des primes versées par précaution, vous abriterait des foudres de la justice.
L’élu « délinquant », si l’on peut dire, serait épargné au seul motif d’avoir été prévoyant !
Les errements qu’a pu connaître la gestion locale, notamment à Mennecy, dans le département de l’Essonne, dans les années 1990, à Yerres, dans les années 1980, à Bussy-Saint-Georges, apparemment également à Corbeil-Essonnes, sont parfaitement répréhensibles et ont été poursuivis comme tels. Il n’en demeure pas moins que tout cela pose aussi, et de nouveau, la question de la gestion locale, des marges de manœuvre dont disposent les élus pour mener des politiques originales, et des moyens dont l’État dispose pour conseiller comme pour vérifier la qualité de la décision locale.
Nous ne devons surtout jamais oublier, en dernière instance, que les habitants demeurent juges et parties. Par leurs impôts, la facturation des services rendus à la population, leur contribution directe et indirecte, ils financent les actions et les orientations politiques appliquées de leurs élus. En outre, ils subissent le plus souvent les conséquences des errements constatés, des négligences éventuelles des autorités préfectorales devant les agissements ou fautes de gestion de telle ou telle équipe, notamment parce que les plans d’apurement et de redressement comprennent toujours un volet fiscal.
Songeons, pour donner quelques exemples, au cas des habitants d’Yerres, victimes des errements financiers d’un maire se piquant pourtant, au milieu des années 1980, d’être expert en finances locales. Ils ont choisi, en 1989, une autre équipe municipale qui ne put, sur un mandat, réparer les désastres du passé. En 1995, un jeune maire fut élu à Yerres et mit en œuvre un plan particulièrement sévère de redressement financier, qui fut confirmé, en quelque sorte, en 2001 …
Reconnaissons que les cures de redressement des comptes sont sévères et largement payées par la hausse des impôts locaux.
Comment ne pas citer le cas de Saint-Cast-le-Guildo, cette petite ville balnéaire des Côtes-d’Armor où une équipe municipale, de sensibilité de gauche, mal conseillée, eut recours à un emprunt structuré conduisant à l’aggravation de l’endettement de la commune, avant qu’une alternance politique ne s’épuise à tenter de redresser la situation ? La responsabilité des élus n’a pas été formellement engagée, loin de là, dans cette affaire, mais la situation est telle que les électeurs ont, de nouveau, fait jouer l’alternance en 2014.
À ce stade de la discussion, vous me permettrez, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, de relever un élément important.
Les dépenses des collectivités locales tendent, dans les faits, à devenir de plus en plus obligatoires, et la réduction des recettes fiscales directes, comme des dotations de l’État, limite d’autant ce qui reste pour donner un cachet d’originalité à la gestion locale.
Je suis convaincu que nos compatriotes attendent autre chose de leurs élus locaux que de se contenter de mener, en tout point du territoire, la même politique, en se préoccupant simplement de nettoyer les voies publiques, de les réparer et de les entretenir au besoin. Ils souhaitent, de manière légitime, que la politique menée dans leur ville ait un sens, une « couleur », qu’elle traduise des choix politiques originaux et clairs.
Le moins que l’on puisse dire est que cela dépasse quelque peu la seule problématique soulevée par la présente proposition de loi.
Au-delà de la transparence et de la sincérité souhaitées par les auteurs de ce texte, il ne nous semble pas légitime de pouvoir mettre en cause l’opportunité de telle ou telle dépense. Le respect des règles comptables est nécessaire, mais il n’est la condition suffisante ni d’une saine gestion ni d’une gestion répondant aux besoins et aux attentes des populations.
Le respect des règles comptables ne saurait, en dernière instance, être le seul mobile de la décision locale.
Le renforcement des effectifs et de la qualité des agents de l’administration préfectorale est l’une des conditions de la résolution du problème. Avec des agents plus nombreux et mieux formés, cette administration sera mieux à même d’accomplir les missions qui lui sont confiées, notamment celle d’éclairer les élus locaux sur la pertinence de certains de leurs choix.
De même, les services du Trésor disposent-ils des moyens matériels et humains pour faire face à la charge de gestion des comptes des collectivités locales de leur ressort ? C’est dans la qualité du dialogue entre les élus de la collectivité et les agents du Trésor public que réside une partie de la solution.
Entre les lignes, cette proposition de loi indique également qu’il est grand temps que la politique locale, comme la politique en général, reprenne quelque allure et que la démocratie participative, l’implication des citoyens et des citoyennes soient la base et la raison d’être de l’action locale.
Quand les choix sont partagés, tout est plus clair ! (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous voudrez bien m’excuser de ne pas partager ce quasi-consensus sur la nécessité de renforcer les contrôles sur l’action des élus locaux. (M. Jean Desessard s’esclaffe.)
Appeler en renfort la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pour justifier l’alourdissement de la tutelle sur des élus directement issus du suffrage populaire par des organismes sans autre légitimité démocratique que d’avoir été nommés par l’exécutif, il faut oser !
Mais, d’abandon de souveraineté au nom d’une Europe sans union en formalisme paralysant de la LOLF, de réformes comptables destinées à aligner la gestion publique sur la gestion privée en culte d’une illusoire transparence de papier, nous nous y sommes tellement habitués que nous trouvons naturel de faire certifier des comptes publics tenus à deux mains, l’une d’entre elles étant celle de fonctionnaires du ministère des finances, pour mieux sanctionner les ordonnateurs publics.
« Que de bruit pour rien ! », me dira-t-on.
Cette proposition de loi appelle juste à un effort de vérité visant seulement à établir la situation financière exacte des collectivités annuellement et à sanctionner les ordonnateurs qui auraient manqué à leurs obligations, sans jugement sur les choix budgétaires des élus de la collectivité.
Elle ne concernerait qu’un nombre limité de collectivités.
Aux innocents les mains pleines, dit le proverbe. N’en doutons pas, une nouvelle proposition de loi visera bientôt à étendre les dispositions de celle-ci à d’autres collectivités beaucoup plus petites. Surtout, focaliser l’attention sur la conformité formelle des documents budgétaires aux règles comptables, ce que ne manquera pas de produire le spectacle médiatique qui entourera fatalement l’opération, c’est favoriser la confusion entre bonne gestion et régularité comptable, qui ne sont pas les mêmes choses. C’est imposer sans le dire une vision de la bonne gestion où l’endettement et les frais de personnel sont minimums, l’autofinancement maximum, quel qu’en puisse être l’intérêt réel pour les administrés, comme le reconnaît d’ailleurs candidement l’exposé des motifs.
La qualité du service rendu, son coût, le poids réel de la fiscalité et son évolution, devenus secondaires, se perdront dans les commentaires annexes. Pouvoir dire que chaque habitant de telle commune ploie sous tant d’euros de dette et que les frais de personnels ont augmenté dans cette commune, voilà ce qui importera seul. L’impact réel de cette dette sur l’impôt et de cette augmentation des frais de personnels sur le service rendu n’est pas la préoccupation des comptables, encore moins de ceux qu’ils nourrissent. On tient des chiffres comparables entre eux, donc susceptibles de faire les titres des gazettes : cela suffit. Qu’importe le reste !
J’irai plus loin : les choix des règles comptables n’ont rien d’anodin. Ils dissimulent une philosophie de la bonne gestion, qu’il s’agit d’imposer sans le dire.
Je prendrai un exemple : l’introduction, pour les collectivités d’une certaine taille, de l’obligation d’amortir leurs investissements sur le modèle de la comptabilité privée, prise désormais comme modèle.
Le caractère pervers de l’obligation d’amortir, c'est-à-dire de faire figurer en dépenses de fonctionnement une fraction des dépenses d’investissement, y compris les subventions d’équipement versées en toute liberté à d’autres collectivités, ce qui est pure stupidité, apparaît dès lors qu’elle conduit à interdire des dépenses utiles, simplement pour pouvoir garantir un niveau d’autofinancement purement décoratif. Ainsi, une collectivité présentant un excédent important de ses recettes réelles de fonctionnement sur ses dépenses réelles de fonctionnement peut se trouver contrainte, pour respecter le formalisme comptable, de réduire des dépenses de fonctionnement utiles.
J’ai eu l’occasion de le constater avec effarement au temps où j’étais conseiller général : on avait des excédents de fonctionnement importants, mais des difficultés pour équilibrer le budget, dans la mesure où il fallait placer au titre des amortissements des crédits destinés à « dormir » sur ces lignes. Pour ma part, j’ai toujours trouvé cela complètement stupide, mais il paraît que c’est absolument génial.
Il s’agit d’une sorte de « règle d’or » sournoise, marotte sans portée en période de vaches grasses, mais catastrophique en période de difficulté pour équilibrer les comptes.
Première objection fondamentale à ce type d’approche, la régularité comptable n’est pas toujours un bon reflet de la gestion.
Avant que M. Vincent Delahaye ne le rappelle dans son intervention liminaire, j’ai cru qu’il avait oublié l’existence, en France, d’une séparation des ordonnateurs et des comptables. Nous sommes nombreux ici à l’avoir éprouvé : les comptables sont bien là, et il faut passer sous leurs fourches caudines !
J’ai cru également que l’on avait oublié l’existence de ce qu’on appelait et que l’on appelle d’ailleurs encore – M. le secrétaire d'État l’a fait – le contrôle de légalité. On se demande ce que font les comptables du trésor et les préfets s’il est encore nécessaire d’en ajouter une couche ! On se demande également en quoi cette énième couche de contrôle sera plus efficace que les autres.
Si l’on voulait vraiment répondre à l’attente de la société civile « en demande d’une éthique politique forte », plutôt que de compliquer un peu plus la vie d’élus croulant déjà sous les obligations, on pourrait peut-être améliorer ce qui existe déjà, en donnant les moyens aux comptables et à ceux qui effectuent le contrôle de légalité de faire correctement leur travail.
Côté répression, on pourrait peut-être mettre en œuvre ce que la loi Sapin II n’a pas prévu, à savoir la création d’une agence de lutte contre les délits financiers dotée de moyens d’investigation sous la responsabilité de la justice.
La démocratie ne reprendra pas des couleurs en multipliant les contrôleurs, et encore moins les procédures bureaucratiques. Elle retrouvera son dynamisme par ce qui fait sa force, à savoir le débat, la confrontation entre majorités et oppositions. Dotons donc les minorités des assemblées territoriales d’un statut leur permettant de jouer pleinement leur rôle, ce qui suppose un droit à l’information autre que celui dont elles disposent aujourd’hui. Or le fonctionnement des collectivités, déjà trop monarchique, est en passe, avec la multiplication des intercommunalités XXL de la loi NOTRe, de s’alourdir, avec un système qui rendra le contrôle démocratique encore plus difficile. Pour ma part, j’avais proposé un statut des oppositions pour améliorer l’accès aux documents.
Tout cela est resté lettre morte, alors que ces réformes simples, préférables à l’instauration de nouveaux contrôles, auraient quelques chances de porter leurs fruits.
Ne comptez pas sur la participation du RDSE pour alourdir encore les contrôles pesant sur les élus locaux, lesquels contribuent finalement à nourrir un climat de défiance envers les élus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)