5
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai le très grand plaisir, au nom du Sénat tout entier, de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d’une délégation de sénateurs du Cambodge, conduite par Mme Ty Borasy, présidente de la commission des affaires étrangères et de la coopération internationale du Sénat cambodgien. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche, se lèvent.)
La délégation effectue actuellement un séjour d’études en France sur les thèmes des collectivités territoriales, du développement économique local, de l’aménagement du territoire et de la politique en faveur des petites et moyennes entreprises.
Après une journée d’entretiens au Sénat lundi, elle a été reçue hier en Seine-et-Marne par notre collègue Vincent Éblé, président de notre groupe d’amitié France-Cambodge. Elle a pu notamment y découvrir les activités de la chambre de métiers et de l’artisanat, et visiter deux centres de formation d’apprentis.
La délégation vient d’être reçue à déjeuner par les membres du groupe d’amitié, à l’invitation de nos collègues Vincent Éblé et Catherine Tasca, présidente déléguée.
Nous sommes particulièrement sensibles à l’intérêt que la délégation porte à notre institution dans le cadre des relations anciennes et fructueuses entre nos deux assemblées.
Au nom du Sénat de la République, je lui souhaite la plus cordiale bienvenue. Je forme des vœux pour que son séjour en France lui soit profitable et contribue à renforcer encore les liens qui unissent nos deux pays. (Applaudissements.)
6
Avenir du transport ferroviaire en France
Suite d'un débat organisé à la demande du groupe du RDSE
Mme la présidente. Nous reprenons le débat sur l’avenir du transport ferroviaire en France.
Dans la suite du débat, la parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, pour le groupe Les Républicains.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’interviens dans ce débat en tant que sénatrice du groupe Les Républicains, mais je me fais également la porte-parole du groupe de travail pluraliste sur le financement des infrastructures de transport de la commission des finances, qui a rendu ses conclusions le 28 septembre dernier.
Le sujet étant très vaste, je limiterai mon intervention à quatre points.
Tout d’abord, j’affirme que la régénération des lignes structurantes de notre réseau ferré, qui est le deuxième d’Europe avec 29 000 kilomètres de voies ferrées, est une urgence absolue. Ce patrimoine exceptionnel connaît un vieillissement alarmant.
À force de consacrer toutes les ressources financières et humaines de la SNCF au développement des lignes à grande vitesse, notre pays a gravement négligé les autres lignes du réseau structurant, notamment en Île-de-France, de sorte que l’âge moyen du réseau atteignait trente-deux ans en 2015.
Les désagréments, tels que les retards et les ralentissements, sont nombreux pour les usagers, et c’est parfois même leur sécurité qui peut être mise en péril, comme l’a montré le tragique accident de Brétigny-sur-Orge. Assurer le renouvellement et la modernisation de notre réseau ferroviaire, après plusieurs décennies de sous-investissements, représente donc une tâche colossale et de longue haleine.
Le Gouvernement, qui a pris progressivement conscience de l’enjeu, a mis en place ces dernières années des plans destinés à augmenter l’investissement en faveur de la régénération de ce réseau. Alors qu’en 2005 l’effort de rénovation du réseau ferroviaire n’était que de 900 millions d’euros par an, il est désormais de 2,5 milliards d’euros par an, mais ce montant permet seulement de limiter le vieillissement des lignes les plus utilisées. Il ne permet ni de remettre à neuf la signalisation ni de moderniser les lignes de desserte fine des territoires.
C’est pourquoi j’estime qu’il est indispensable de dégager de 1 milliard à 2 milliards d’euros supplémentaires pour le renouvellement des lignes structurantes de notre réseau ferré, afin de porter l’effort consenti par SNCF Réseau à une somme comprise entre 3,5 milliards et 4,5 milliards d’euros par an pendant quinze ans.
Pour assurer le financement de ce grand plan de modernisation, il est inévitable que l’État gèle, là encore pendant une quinzaine d’années, toute participation au financement des projets de développement des LGV, les lignes à grande vitesse, ce qui n’empêchera pas que des études, financées par l’Union européenne ou par les collectivités territoriales, puissent être menées.
Même si elle est de plus en plus partagée, cette proposition ne fait évidemment pas l’unanimité, mais j’ai la conviction qu’il n’est plus du tout raisonnable, dans le contexte actuel, de continuer à développer notre réseau de LGV à marche forcée. Nous devons nous concentrer sur la remise à niveau du réseau existant.
Le deuxième point que je souhaite aborder est la situation financière très dégradée de SNCF Réseau.
La réforme ferroviaire de 2014 était censée permettre des gains de productivité et, partant, une amélioration de la situation financière du groupe SNCF. À ce stade, ces objectifs tardent à se matérialiser. SNCF Réseau porte ainsi une dette de 44 milliards d’euros, dont les intérêts viennent grever ses finances de 1,2 milliard d’euros par an, et ce dans un contexte de taux bas. Cette dette, qui a connu une forte hausse ces dernières années, est devenue un fardeau trop lourd à porter pour le gestionnaire de notre réseau ferré national.
Je sais que le Gouvernement refuse pour le moment catégoriquement d’envisager tout cantonnement ou toute reprise par l’État, même partielle, de la dette. Pour autant, il nous faut absolument trouver une solution pour sortir de cette situation intenable, d’autant qu’a été instaurée une règle d’or en vertu de laquelle SNCF Réseau ne peut financer de nouveaux projets d’investissement qu’à la condition de respecter un certain ratio d’endettement. Là aussi, je constate que nous avons déjà accepté une première exception à cette règle d’or en faveur du Charles-de-Gaulle Express, ce qui augure mal de son respect dans l’avenir.
Monsieur le secrétaire d’État, il faudra tôt ou tard envisager une opération de reprise, même partielle, de la dette de SNCF Réseau ou son cantonnement.
Le troisième sujet que je voulais évoquer est la réforme actuellement en cours des trains d’équilibre du territoire, les TET.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Le Gouvernement fait actuellement évoluer en profondeur l’offre, notamment en déléguant les lignes d’intérêt local, pour lesquelles des synergies avec les lignes TER sont pertinentes, aux régions. Cette approche me paraît judicieuse.
Enfin, et pour conclure, madame la présidente, le dernier point que je voulais évoquer, même s’il y en a bien d’autres à soulever, est l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire, qui devrait intervenir à compter du 3 décembre 2019, en vertu du quatrième paquet ferroviaire européen. L’échéance étant très proche, il convient de nous y préparer.
Il faudra tout d’abord rendre la concurrence la plus équitable possible, ce qui impliquera de renforcer l’indépendance du gestionnaire des gares ou de transformer SNCF Mobilités en société anonyme.
Par ailleurs, je vois mal comment nous pourrions éviter de rouvrir le dossier du cadre social applicable aux personnels du groupe SNCF, sa réforme de juin 2016 ayant conduit à un nouveau renchérissement de ses coûts, ce qui n’est pas soutenable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour le groupe communiste républicain et citoyen.
Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’avenir du transport ferroviaire en France suscite de fortes inquiétudes chez les élus, les usagers et les salariés.
En préambule, je veux rappeler que nous parlons d’un secteur d’intérêt général, d’un réseau structurant pour notre pays, pour l’économie et pour la mobilité, d’un outil qui constitue une alternative crédible et efficace à la route et à l’aérien pour la transition énergétique et le passage à une économie décarbonée.
Or les politiques de mise en concurrence et de privatisation, d’assèchement des ressources, d’endettement massif de l’opérateur et l’absence d’investissements publics à la hauteur des besoins font craindre pour la viabilité du système.
Selon la Cour des comptes, il manque 11,8 milliards d’euros à l’AFITF, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, pour tenir ses engagements en matière d’investissement sur l’ensemble des infrastructures, dont le ferroviaire. Le changement de statut de la SNCF et l’arrêt des investissements dans de lignes nouvelles sont les deux principales solutions avancées, mais nous savons que c’est insuffisant.
Rappelons que depuis trente ans nous créons les conditions du dépérissement du service public ferroviaire. Ainsi, nous avons instauré une concurrence déloyale avec la route et l’aérien pour des motifs que je n’ai pas le temps de détailler ici.
Pour bien comprendre les enjeux, il est utile de se pencher, même rapidement, sur l’histoire du rail français.
Depuis 1827, la France a développé son réseau ferroviaire pour les besoins de l’industrie. Or, dès 1920, toutes les compagnies sont déficitaires, leur dette globale s’élevant à 37 milliards de francs en 1936 ! La nationalisation fut la réponse à cette situation périlleuse. Il y a donc quatre-vingts ans la puissance publique avait su faire le choix de la reprise de la dette ferroviaire pour donner un avenir au rail.
Le 31 décembre 1982, la SNCF devient un établissement public à caractère industriel et commercial, avec l’État comme unique actionnaire. Cela lui garantit une autonomie de fonctionnement et une unicité de commandement sur un réseau unifié et cohérent. Il s’agit alors d’un opérateur en charge du service public, qui a su également se doter d’une filière industrielle dont l’objet était de répondre aux exigences de performance technologique.
Malheureusement, depuis trente ans, nous allons de recul en recul pour en revenir à la situation d’avant 1937 : un système ferroviaire morcelé dépendant de multiples décideurs ; un système éclaté auquel on demande d’être rentable partout, ligne par ligne. Un non-sens !
Petit à petit, l’exploitant, le réseau et l’industrie sont soit livrés au privé, soit abandonnés, comme c’est le cas pour les trains d’équilibre du territoire, dont l’exploitation a été arrêtée sur plusieurs axes.
Une pression s’exerce parallèlement sur les collectivités pour qu’elles reprennent les activités jugées non rentables, comme les lignes dites capillaires.
Les nouveaux investissements, notamment concernant les lignes TGV, sont confiés au privé, à travers les partenariats public-privé, les PPP. In fine, au moment du bilan, nous constaterons que cela aura coûté beaucoup plus cher à tout le monde.
Les acteurs actionnaires soumettent le secteur à une telle pression que le service ne peut plus être rendu dans des conditions satisfaisantes. La financiarisation de l’économie n’est pas compatible avec l’économie réelle, car elle met en péril les industries, et notamment l’industrie ferroviaire.
M. Jean-Pierre Bosino. C’est vrai !
Mme Évelyne Didier. Le développement à l’international est devenu la priorité. Quant à la politique salariale, elle se résume à la réduction du nombre de cheminots : 28 000 suppressions de postes sont annoncées dans les sept ans à venir, comme si une telle solution était susceptible de résoudre les problèmes.
Régulièrement, les gouvernements annoncent qu’ils vont investir pour relancer la machine. D’ailleurs, je ne nie pas que des choses ont été faites, mais, dans le même temps, on a privé l’industrie ferroviaire de financements pérennes et dynamiques : privatisation des autoroutes, abandon de l’écotaxe, non-reprise de la dette ferroviaire… Autant de décisions qui condamnent le système ferroviaire au déclin par asphyxie financière.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a urgence à réorienter la politique ferroviaire nationale !
Pour jouer son rôle de stratège, l’État doit, comme l’a souligné le récent rapport de la commission des finances, programmer des lois pluriannuelles d’investissement. Il faut donner de la cohérence et de la lisibilité à notre stratégie ferroviaire.
Il convient par ailleurs de soulager SNCF Réseau du fardeau de sa dette, qui ne cesse de s’alourdir – 50 milliards d’euros actuellement, mais cette dette est dynamique –, à l’image de ce qui s’est fait en l’Allemagne. Une telle démarche permettrait de se dégager de l’emprise des banques, qui gagnent tout de même chaque année 1,7 milliard d’euros avec cette dette, sur le dos du système ferroviaire. Pourtant, le Gouvernement vient encore récemment de refuser cette possibilité.
M. Patrick Abate. Eh oui !
Mme Évelyne Didier. Il convient également de recréer une filière intégrée et cohérente entre l’industrie ferroviaire, les infrastructures et les opérateurs.
Il faut enfin replacer au cœur des politiques publiques la dimension d’aménagement du territoire du transport des personnes et des marchandises. Les exigences environnementales imposent de surcroît de donner la priorité au rail.
La bonne gestion des deniers publics et le soin à apporter à notre développement économique imposent ainsi de conserver la maîtrise publique de ces secteurs. Il s’agit notamment de trouver une forme d’équilibre dégagé du poids de la rente financière en recherchant de nouvelles sources de financements dédiés, comme nous le proposons régulièrement : généralisation du versement transport, création d’une écotaxe gérée par le service des douanes, création d’un livret de financement des infrastructures et, surtout, retour des autoroutes dans le giron de l’État.
M. Patrick Abate. Bravo !
Mme Évelyne Didier. Enfin, il faut mettre un terme aux exonérations sociales et fiscales indues des secteurs routier et aérien. Il faut créer la fiscalité et les outils nécessaires pour répondre aux besoins de nos concitoyens et de notre économie, dans le respect de notre environnement. Nous devons accompagner et développer notre industrie, et non pas les marchés financiers.
Mes chers collègues, voilà, de notre point de vue, les conditions essentielles pour garantir l’avenir du système ferroviaire. Il y va de notre responsabilité politique et morale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand et M. Ronan Dantec applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour le groupe du RDSE.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le train cherche sa voie… (Exclamations amusées.)
Nous sommes face à un véritable problème d’aménagement du territoire, et cela depuis des années. Monsieur le secrétaire d’État, la situation actuelle n’est en effet pas le fruit de la politique menée depuis cinq ans : elle est le résultat de longues années d’errance en la matière.
Nous connaissons tous l’endettement de SNCF Réseau, à hauteur de 44 milliards d’euros, ce qui nous amène à faire un constat plus que préoccupant.
Alain Bertrand a excellemment parlé des territoires ruraux et hyper-ruraux, et Ronan Dantec a bien fait le lien entre la fermeture des gares et le développement des votes extrêmes, mais les problèmes ne se rencontrent pas qu’au sein de ces territoires : dans les grandes agglomérations ou encore en Île-de-France, certains de nos concitoyens vivent au quotidien les difficultés que vous savez et les trouvent de plus en plus insupportables.
Monsieur le secrétaire d’État, nous n’avons pas programmé ce débat en séance publique pour faire le procès de la politique que vous menez. Je puis même en assurer mes collègues, chaque fois que j’ai eu l’occasion de vous signaler les difficultés graves que mon territoire rencontrait, vous m’avez prêté une oreille attentive pour essayer d’améliorer la situation.
Si nous l’avons fait, c’est parce que nous considérons que ce pays a besoin d’une vraie vision en termes d’aménagement du territoire et de mobilité. Or cette vision programmatique nous semble trop absente.
Nous avons eu un exemple frappant de ce déficit de concertation entre l’État et les grandes collectivités avec les incohérences entre les contrats de plan État-régions mis en place dans les différentes régions. Ainsi, dans mon territoire, nous avons une ligne ferroviaire qui concerne trois régions, lesquelles ont pris des engagements différents concernant cette ligne. On ne va quand même pas couper la circulation aux frontières départementales ! C’est une réalité à laquelle il faut mettre fin, monsieur le secrétaire d’État, ce qui nécessite que l’État reprenne le rôle qu’il n’aurait jamais dû abandonner, celui du coordonnateur qui trace les grandes lignes – c’est le cas de le dire. Nous subissons en effet aujourd’hui les conséquences cruciales de l’abandon de son rôle.
Certes, chacun plaide ici un peu pour sa paroisse, même si j’ai dit ce que je pensais des transports en Île-de-France et dans les métropoles. Par ailleurs, je ne remets pas en cause le choix du TGV, qui répond à un besoin. Mais il faut savoir sérier les problèmes, harmoniser les situations et, surtout, dire les choses telles qu’elles sont, plutôt que de faire voyager nos concitoyens dans des conditions absolument inacceptables sur les lignes rurales et hyper-rurales, comme l’a dit Alain Bertrand. Il faut savoir qu’il y a des lignes qui sont suspendues pendant des mois au motif que les feuilles mortes entraînent des risques de déshuntage. C’est la réalité, et pas seulement sur des lignes que je connais ! (Marques d’approbation.)
Quand on explique cela à nos concitoyens, ils se demandent vraiment si la République progresse.
Face à ces problèmes, mes chers collègues, nous avons le devoir d’apporter des réponses, sans être condamnés à attendre ce que va dire la SNCF pour savoir si telle ou telle ligne est suspendue, supprimée ou remplacée par des bus. Au XXIe siècle, on ne peut pas supporter un fonctionnement du service public ferroviaire nettement moins performant qu’il y a vingt ou quarante ans.
Je le répète, je ne vous en fais pas grief, monsieur le secrétaire d’État, et vous connaissez tout cela.
Quand j’organise une réunion de travail avec la SNCF dans mon département, c’est pour m’entendre dire qu’il faut 100 millions d’euros pour éviter une sortie de rails dans le Cantal. Mais où trouve-t-on cette somme ? Si encore la SNCF me répondait qu’elle ne peut pas y arriver et qu’il faut faire des choix, je saurais à quoi m’en tenir. Mais enfin, monsieur le secrétaire d’État, quand on n’a plus ni route ni train, comment fait-on ?
Mme Françoise Laborde. Du vélo ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. Oui, c’est bien, mais cela n’est quand même peut-être pas la solution d’avenir, n’en déplaise à notre collège Ronan Dantec. (Nouveaux sourires.)
Telles sont les réalités auxquelles nous sommes confrontés dans nos territoires.
Nous avons bien vécu une tentative de planification avec le schéma national des infrastructures de transport, mais, une fois les additions faites, la note totale s’élevait à 245 milliards d’euros… Le travail de Louis Nègre a été très apprécié, et nous l’en avons félicité, mais force est malheureusement de constater que sa mise en œuvre est impossible.
Monsieur le secrétaire d’État, ces questions méritent des réponses claires et loyales pour que nous puissions avancer. Vous devez toujours avoir à l’esprit que nous ne pouvons pas nous passer de la parole et des engagements de l’État en la matière. Voilà ce que je voulais vous dire aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Maurey, pour le groupe UDI-UC.
M. Hervé Maurey. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier le groupe du RDSE, qui a pris l’initiative de ce débat sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur en tant que président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de représentant du Sénat au sein du conseil de surveillance de la SNCF.
Ce débat intervient à un moment particulièrement critique pour le transport ferroviaire. J’illustrerai mon propos au moyen de quatre constats.
Premièrement, la dette ferroviaire atteint le montant record de 50 milliards d’euros et croît de près de 3 milliards d’euros par an.
Deuxièmement, les écarts de productivité de l’entreprise nationale par rapport à ses concurrents étrangers sont de l’ordre de 20 % à 30 %.
Troisièmement, l’état lamentable du réseau, dont l’âge moyen atteint trente-trois ans, alors qu’il est de dix-sept ans en Allemagne, non seulement constitue un réel risque pour la sécurité – il est presque surprenant qu’il n’y ait pas plus d’accidents mortels… –, mais conduit aussi à une dégradation de la qualité du service, puisqu’il entraîne des ralentissements et des retards sur de nombreux tronçons.
Quatrièmement, la concurrence des autres modes de transports, notamment le transport routier, avec le développement des autocars et du covoiturage, est de plus en plus vive. Il faut reconnaître que le transport ferroviaire a perdu de son attractivité, pour des raisons de coût et de qualité du service. L’ouverture du marché aux autres entreprises du transport ferroviaire en 2020 ne fera qu’aggraver la situation pour SNCF Mobilités.
Face à ces enjeux, le Gouvernement a proclamé le retour de l’État stratège, en particulier lors des débats sur la loi de réforme ferroviaire de 2014. Dans les faits, nous sommes malheureusement obligés de constater qu’il n’en est rien. Comme l’ont affirmé nos collègues Gilles Savary, député socialiste, qui était rapporteur de ce texte à l’Assemblée nationale, Bertrand Pancher et la quasi-totalité des acteurs, « l’État stratège est aux abonnés absents » !
Pis, l’État fait preuve d’incohérence dans ses actions, comme l’illustre l’actualité récente.
Premier exemple : la loi de 2014 devait donner lieu à une réforme sociale ambitieuse. Hélas, quelques grèves, les tensions sociales dues à la loi El Khomri et la volonté de ne pas troubler l’Euro 2016 ont eu raison de cette réforme pourtant indispensable, vitale même. Alors que la direction de la SNCF travaillait pourtant depuis des mois sur ce dossier, l’État lui a purement et simplement demandé de capituler.
En agissant ainsi, le Gouvernement a définitivement enterré toute perspective de voir l’entreprise devenir compétitive, et il a gravement compromis son avenir.
En effet, en l’absence de réforme sociale, la dérive des coûts et donc celle de la dette vont se poursuivre et, avec elles, la perte de compétitivité du ferroviaire par rapport aux autres modes de transport.
Cet immobilisme en matière sociale va de pair avec une position extrêmement frileuse quant à l’ouverture à la concurrence. Le Gouvernement l’avait fermement écartée en 2014 ; il commence à peine à l’envisager, pressé par les échéances européennes, tout en indiquant que ce processus prendra du temps, qu’il faudra commencer par des expérimentations, résoudre des difficultés juridiques, etc.
Attention à ne pas répéter les erreurs du passé, car nous savons tous comment la SNCF, insuffisamment préparée à l’ouverture à la concurrence du fret, s’est effondrée face à ses concurrents dans ce domaine.
Le Gouvernement s’est longtemps réfugié derrière les négociations européennes sur le quatrième paquet ferroviaire pour écarter cette question.
Les dates sont désormais fixées : la concurrence sera ouverte à partir de 2020 sur les lignes commerciales et à partir de 2023 pour les lignes sous convention de service public. Cela suppose que le cadre juridique soit fixé bien avant.
Le Gouvernement soulève déjà des difficultés en évoquant les questions du sort des personnels et de la reprise des matériels, questions certes légitimes, mais il faut être lucide : on ne peut pas imposer aux nouveaux entrants d’employer les personnels dans les mêmes conditions. Veillons à ne pas étouffer dans l’œuf cette ouverture à la concurrence, qui doit être un aiguillon pour l’entreprise nationale.
Deuxième exemple : la dette.
La loi de 2014 avait créé plusieurs instruments pour la contenir. L’État devait signer des contrats de performance avec la SNCF pour lui imposer des efforts de productivité et définir avec elle une trajectoire financière pluriannuelle.
La loi a aussi instauré une règle d’or pour éviter la fuite en avant d’une dette colossale.
Plus de deux ans après, ces contrats ne sont toujours pas signés et le décret d’application de la règle d’or n’est toujours pas sorti, mais le Gouvernement propose déjà d’y déroger dans le cadre du CDG Express !
Cela n’est ni sérieux ni responsable.
En juin dernier, le Premier ministre avait annoncé à l’Assemblée nationale qu’il prendrait des mesures pour alléger la dette afin de compenser sa décision d’enterrer la réforme sociale. Finalement, dans le rapport remis à ce sujet en septembre, il renvoie à un prochain gouvernement pour toute décision en la matière.
La loi d’août 2014 comportait d’autres promesses également non tenues.
On nous avait annoncé des économies d’échelle, permises par la réunion des services de gestion de l’infrastructure. On observe au contraire une augmentation des charges d’exploitation de SNCF Réseau, et il n’y a aucun effort de productivité particulier par rapport à ceux qui avaient déjà été engagés avant 2014.
L’effet de ciseaux entre l’augmentation des coûts et la baisse des recettes semble donc irréversible.
Le gestionnaire d’infrastructures unique a également encore des progrès à faire pour gérer efficacement les demandes de sillons. En attendant, le fret ferroviaire ne pourra pas devenir compétitif par rapport aux autres modes de transport, plus fiables et plus souples.
De façon générale, l’architecture globale du groupe public ferroviaire retenue à l’occasion de la réforme laisse toujours planer des doutes sur l’étanchéité entre l’activité de gestion de l’infrastructure et l’exploitation des services ferroviaires, ce qui est problématique dans la perspective de l’ouverture à la concurrence. L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER, l’a souligné à plusieurs reprises, pointant notamment les difficultés liées au rattachement des gares à SNCF Mobilités. J’en profite pour rappeler au Gouvernement que, sur ce sujet précis, nous attendons toujours le rapport qui devait être remis cet été, en application de la loi de 2014.
Enfin, dernière illustration de l’absence d’État stratège, des membres de notre commission avaient alerté à plusieurs reprises le Gouvernement sur la situation de la filière ferroviaire française, bien avant la crise de cet automne relative au site Alstom de Belfort.
Là encore, rien n’a été fait jusqu’à ce que cette crise éclate. Le Gouvernement a alors dû commander, en urgence, quinze rames de TGV pour circuler sur des lignes d’équilibre du territoire, à une vitesse limitée à 250 kilomètres par heure, et a également imposé à la SNCF, qui n’en avait vraiment pas besoin, l’achat de six rames TGV pour la ligne Lyon-Turin, dont les plus optimistes annoncent l’ouverture en 2030. Mais chacun sait que cette échéance ne sera pas respectée.
On a donc de nouveau fait preuve de « court-termisme » tout en chargeant la barque de la SNCF.
Monsieur le secrétaire d’État, il est désormais grand temps de réagir en préparant effectivement l’ouverture à la concurrence.
Cela passe notamment par la réouverture de la négociation sociale pour permettre à l’entreprise de renouer avec la compétitivité.
Il faut également investir fortement et dans la durée pour assurer la remise en état du réseau, ce qui passe par l’octroi de moyens importants et peut aussi être l’occasion de structurer une filière industrielle.
Enfin, il s’agit de prendre les dernières mesures d’application de la loi de 2014 : signature des contrats de performance et décret sur la règle d’or pour mettre fin à cette augmentation permanente et exponentielle de la dette.
C’est à ces trois conditions que notre système ferroviaire peut encore envisager un avenir, ce à quoi je veux croire. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du RDSE.)