M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure.
Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est toujours malaisé d’analyser froidement les initiatives qui ont l’apparence de la supériorité morale. Nous savons tous combien les meilleures volontés peuvent tourner au cauchemar, particulièrement lorsqu’elles interviennent dans un domaine saturé par l’émotion.
Cette proposition de loi nous fait courir le même risque : d’apparence inoffensive, elle soulève de nombreuses objections juridiques et révèle un état d’esprit que nous ne pouvons cautionner.
D’apparence inoffensive, disais-je, elle a même à première vue l’aspect d’un texte salutaire. Il y aura évidemment consensus dans cet hémicycle pour nous accorder sur le principe de la responsabilité sociale des entreprises, la RSE. Qui d’entre nous n’a pas été choqué par l’affaire de l’Erika ou par la tragédie du Rana Plaza ? Mais cette proposition de loi engage bien davantage qu’un examen rapide ne pourrait le laisser penser.
Je ne m’étendrai pas sur le contenu juridique du texte, analysé par le rapporteur au cours des différentes lectures, mais soulignerai sa rédaction vague, qui ouvre des brèches considérables dans la stabilité juridique dont ont besoin les entreprises, placées dans un climat particulièrement concurrentiel. Il sera très difficile pour les entreprises de prouver qu’elles respectent la loi ; quant aux obligations créées, elles auront un coût très important, voire seront impossibles à appliquer à toute la chaîne de sous-traitants et de fournisseurs.
Par ailleurs, le champ potentiel de ce texte est considérable. Le cabinet ATEXO, que la délégation aux entreprises a chargé d’une étude sur la portée économique de la proposition de loi, a estimé qu’elle concernerait entre 146 et 243 entreprises, auxquelles il faudrait ajouter leurs filiales directes ou indirectes. Le chiffre de 243 entreprises peut paraître faible, mais il représente en réalité plus de 4 millions de salariés, plus de 33 % de la valeur ajoutée produite en France et plus de 50 % du chiffre d’affaires à l’export. En bref, la proposition de loi aurait potentiellement un impact sur de très larges pans de l’économie française.
En tout état de cause, est-il raisonnable d’avoir une attitude unilatérale et franco-française en ce domaine ? Dans un monde de compétition internationale, l’échelle pertinente sur le sujet est-elle la France ? Certainement pas ! Une responsabilité sociale qui dépasse les frontières nationales doit s’accompagner logiquement d’une démarche juridique qui dépasse ces mêmes frontières. L’aire naturelle de cette démarche est l’Union européenne. C’est pourquoi je souscris totalement à la position du rapporteur de la commission des lois, qui propose de procéder à la transposition en droit national de la directive du 22 octobre 2014, que le Gouvernement n’a jusque-là pas cru bon d’opérer.
J’ajoute que les entreprises françaises sont très engagées dans une démarche volontaire et efficace en matière de RSE. La France est même leader, 47 % de ses entreprises ayant un système de management de la RSE considéré comme très performant, alors qu’elles sont seulement 40 % dans l’OCDE.
Enfin, je regrette l’état d’esprit de ce texte, qui considère l’entreprise davantage comme une source de dommages que comme créatrice de richesses et qui soupçonne plutôt que de faire confiance. La confiance, pourtant, le Président de la République lui-même l’appelait de ses vœux il y a un peu plus d’un an lorsqu’il disait aux entrepreneurs, lors de sa visite au salon Planète PME : « Vous êtes des chefs d’entreprise donc vous prenez des risques. Vous prenez des risques pour vous-mêmes, parfois pour votre famille. Vous prenez des risques aussi pour que notre pays soit plus fort, qu’il crée plus d’emplois, qu’il ait plus de richesse et qu’elle soit distribuée. C’est la raison pour laquelle nous devons avoir, avec des chefs d’entreprise, avec ceux qui créent, une relation de confiance. »
Or la confiance se construit sur des actes, et non pas seulement sur des paroles. C’est pourquoi je reste hostile à la proposition de loi initiale et voterai donc le texte de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne suis pas membre de la commission des lois, aussi est-ce avec intérêt que j’ai lu le rapport de notre collègue Christophe-André Frassa.
Monsieur le rapporteur, j’avais été quelque peu refroidi par votre approche nihiliste en première lecture. Rappelons les faits : après avoir envisagé la motion préjudicielle, vous aviez méthodiquement supprimé les articles un à un.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est peut-être la meilleure méthode…
M. Jérôme Durain. Je dois avouer que vous m’avez surpris en changeant votre fusil d’épaule ! Il vous était sans doute délicat de maintenir un rejet pur et simple d’une législation de progrès, alors que grandit la mobilisation civile et internationale en faveur de l’instauration d’un devoir de vigilance.
Mes chers collègues, vous le constatez comme moi, le rapporteur a considérablement élargi son spectre : il s’agit non plus d’empêcher qu’une nouvelle législation naisse, mais de faire en sorte que celle-ci ne change rien. N’allons surtout pas plus loin que la réglementation européenne qui ne traite pas ce sujet ! Ne prévoyons pas de bâton pour sanctionner les entreprises qui ne respecteraient pas cette loi ! Sauvegardons d’abord et avant tout la compétitivité ! Cette forme de laisser-faire est dissimulée derrière une intention de façade.
Je dis « de façade » parce que, en réalité, je n’ai pas vraiment compris, monsieur le rapporteur, quel était l’objectif de votre réécriture de la proposition de loi… Votre rapport est plein de détails sur la nécessité de préserver la compétitivité des entreprises et de faire en sorte de ne pas punir ces dernières. En lisant et relisant votre rapport, on s’étonne. Il y a en effet des absents : les salariés des sous-traitants dont votre rapport ne fait pas mention. Vous écrivez « Rana Plaza » une fois, sans préciser s’il s’agit d’un atelier ou d’une épine dans le pied. J’ai l’impression, à la lecture du rapport, que certains sont pressés d’en finir avec ce débat qui constituerait « une atteinte à la concurrence », « engendrerait des coûts importants », voire « pourrait créer une perturbation des relations économiques et contractuelles tout au long de chaîne de sous-traitance ».
Cette proposition de loi a vocation à sauver des vies et à préserver l’environnement, mais on l’oublierait presque dans le rapport. Des salariés rescapés du Rana Plaza sillonnent pourtant la planète pour convaincre les opinions publiques qu’il faut inciter les compagnies occidentales à améliorer la sécurité de leurs usines. Des initiatives naissent dans de nombreuses démocraties : un référendum est à venir en Suisse ; le Modern Slavery Act a été adopté en 2015 au Royaume-Uni. Notons d’ailleurs que le lexique anglo-saxon démontre que les comparaisons que nous avons faites avec la fin de l’esclavage en France n’étaient pas aussi caricaturales que certains auraient bien voulu le faire croire.
Les États-Unis ont adopté une ligne très sévère avec le Bangladesh, puisqu’ils sont allés jusqu’à exclure ce pays d’un dispositif qui supprimait toute taxe dans le domaine de la poterie en juin 2013.
Ces exemples internationaux sont là pour vous convaincre que notre initiative ne relève pas du gauchisme de salon. Partout dans le monde, citoyens et institutions prennent conscience que la mondialisation sans frein n’a aucun sens. Ou plutôt qu’elle a bien un sens ou un objectif : le règne de l’oligarchie, comme l’écrit Thomas Guénolé dans un essai récent intitulé La mondialisation malheureuse. Sans règle, c’est la jungle. Toutes les démocraties occidentales, même celles que les partisans du laisser-faire ont tendance à citer en exemple, édictent des règles. Il ne suffit pas d’attendre que le MEDEF tienne ses promesses ou que les multinationales respectent leurs engagements humains. Il faut parfois, et je vais peut-être vous choquer, monsieur le rapporteur, utiliser le bâton.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Où est-il, votre bâton ?
M. Jérôme Durain. Je prendrai en exemple le décret de 2014 sur les investissements étrangers, dit « décret Montebourg ». Que n’a-t-on pas entendu à l’époque ? Les investisseurs étrangers allaient tous fuir sous des cieux plus hospitaliers – le Royaume-Uni, les États-Unis, etc. Et qu’a-t-on appris il y a deux semaines ? Que le gouvernement britannique conservateur durcissait son contrôle des investissements étrangers, nombre d’observateurs y voyant l’influence du décret Montebourg.
C’est de la politique concrète. Quel est notre objectif aujourd’hui ? Éviter un nouveau Rana Plaza. La proposition de loi permet d’éviter cela. Monsieur le rapporteur, pensez-vous que votre réécriture du texte empêchera de nouveaux drames ?
Vous comprendrez donc que votre argument selon lequel il ne faut surtout pas que la France soit en avance dans le domaine du devoir de vigilance ne m’a pas convaincu. Je suis très fier de la position de mon groupe qui a décidé de restaurer la version de la proposition de loi adoptée par les députés pour rester fidèle à son objectif : faire en sorte que la consommation ici ne s’appuie pas sur l’exploitation d’hommes et de femmes là-bas.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jérôme Durain. Les consommateurs, ou plutôt devrais-je dire les citoyens, veulent du concret. Les entreprises, dit-on, sont prêtes pour le concret. Les députés de gauche, mais aussi, me semble-t-il, certains députés du centre et de droite, sont prêts pour le progrès. Chers collègues de toutes les travées, le sommes-nous aussi ? Le groupe socialiste est clair sur cette question. Je suis certain qu’il ne sera pas isolé au Palais du Luxembourg.
J’entends déjà les rafales d’arguments que ne manquera pas de développer l’orateur suivant. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.) Mais il est possible d’imaginer un commerce international où l’on puisse, à la fois, vendre des avions et des tee-shirts et où les salariés de Dassault comme ceux des ateliers textiles du Bangladesh puissent bénéficier d’une égale dignité au travail ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.
M. Serge Dassault. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi de m’étonner de la conclusion de l’orateur socialiste qui m’a précédé. Qu’il vienne voir comment sont traités les salariés dans la société Dassault ! Ils touchent la moitié des bénéfices de l’entreprise, à égalité avec les actionnaires. Je ne crois pas qu’ils soient très malheureux !
M. Martial Bourquin. C’est bien ce qu’il a dit !
M. Serge Dassault. La proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre, présentée par le groupe socialiste, est extrêmement dangereuse pour toutes nos entreprises – les grands groupes comme les PME – et pour l’emploi, mais aussi, et plus généralement, pour la France, son économie et son attractivité. Notre pays n’est pas responsable des problèmes qui se posent dans les entreprises du monde entier. Il cherche à vendre ses produits et il trouve des sous-traitants. Ce n’est pas à lui d’aller vérifier que ces derniers respectent bien les règles humanitaires… C’est le travail de chaque État. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme Évelyne Didier. Le propos a le mérite d’être clair…
M. Serge Dassault. La proposition de loi vise à instaurer en droit français une obligation de vigilance des entreprises à l’égard de leurs filiales, de leurs sous-traitants et fournisseurs, quelle que soit leur localisation dans le monde. Mais les filiales sont contrôlées et ne dépendent pas des pays étrangers. Ce n’est peut-être pas le cas pour les sous-traitants.
Le champ de cette obligation est très vaste : règles sanitaires, protection de l’environnement, droits de l’homme, corruption, risques d’accident… Mais comme les normes varient d’un pays à l’autre, elles sont impossibles à respecter. Une entreprise choisit un sous-traitant à l’étranger pour ses prix et la qualité de ses fabrications, et non pour ses règles de sécurité ou ses mesures de protection de l’environnement.
De plus, cette proposition de loi prévoit des sanctions pouvant atteindre 10 millions d’euros, que les entreprises françaises seraient les seules à respecter. Un tel dispositif n’existe nulle part ailleurs. Ces sanctions pourraient conduire les PME à la faillite. Si c’est ce que vous voulez, continuez ainsi, mais ne dites pas que vous cherchez à préserver l’emploi !
M. Alain Néri. Qui vend les Rafale ? Nous !
M. Serge Dassault. Cette proposition de loi est inacceptable, car les entreprises françaises sont déjà exemplaires et vigilantes en matière de respect des droits fondamentaux des salariés et de nos normes environnementales.
Elles se soumettent déjà et depuis fort longtemps, de manière responsable et volontaire, aux normes internationales dans ces domaines sensibles, que ce soit dans le cadre européen ou dans ceux de l’OCDE et des Nations unies, mais elles n’ont aucune information sur les normes applicables dans d’autres pays.
Je voudrais souligner les graves conséquences que cette législation pourrait avoir sur notre industrie et sur sa compétitivité. Il faut envisager la question dans son ensemble et ne pas examiner seulement les problèmes humanitaires, dont nous ne sommes pas responsables. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
En effet, cette proposition de loi, qui vise les grandes entreprises françaises implantées dans le monde, pénalisera toute la chaîne de leurs fournisseurs, qui seront contraints de respecter les mêmes obligations.
Cette initiative franco-française, que seuls les socialistes français réclament, entraînera une distorsion de concurrence sur le marché international au détriment de nos entreprises.
Enfin, j’ajoute que cette législation provoquera une forte inflation des coûts et des risques juridiques pour les entreprises françaises. Le marché de l’emploi dans notre pays, déjà bien dégradé, en subira alors toutes les conséquences, car cette loi obligera nombre d’entreprises françaises à se délocaliser pour se soustraire à ces nouvelles obligations que nous serons les seuls à appliquer. Cela ira à l’encontre de la volonté politique du gouvernement socialiste de restaurer la compétitivité des entreprises françaises par l’allègement des charges. Une fois de plus, ce sont nos entreprises qui seront pénalisées parce qu’elles seront les seules à appliquer ces règles.
Je me demande ce que cherche Bruno Le Roux, auteur de la proposition de loi, et la raison pour laquelle ce n’est pas le Gouvernement qui la présente. Pourquoi cherche-t-il à pénaliser nos entreprises, qui de ce fait partiront et créeront des emplois ailleurs ?
Il faut arrêter « d’empoisonner » nos entreprises avec de nouvelles normes stupides qui ne sont pas appliquées dans les autres pays. Sinon, elles finiront toutes par partir, et il ne restera plus que des chômeurs en France.
Le Gouvernement raconte qu’il fait tout pour renforcer nos entreprises ; mais les socialistes font tout pour les affaiblir. Ce n’est pas normal !
Cette proposition de loi est suicidaire pour nos entreprises, qui ne sont pas responsables des conditions de travail dans le monde entier et qui ont assez de normes à respecter. Arrêtez de les emm… ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Nous voterons contre cette proposition de loi stupide ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre
Article 1er
Après l’article L. 225-102-1 du code de commerce, il est inséré un article L. 225-102-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 225-102-1-1. – Dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé qui, à la clôture de deux exercices consécutifs, dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français et à l’étranger, réalisent un total de bilan de plus de 20 millions d’euros ou un montant net de chiffre d’affaire de plus de 40 millions d’euros et emploient au moins cinq cents salariés permanents, le rapport mentionné à l’article L. 225-102 rend compte :
« 1° Des principaux risques d’atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, risques de dommages corporels ou environnementaux graves, risques sanitaires et risques de corruption résultant de son activité, de celle des sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3 et de celle des fournisseurs et sous-traitants avec lesquels la société entretient une relation commerciale établie ;
« 2° Des mesures destinées à prévenir et détecter la commission de faits de corruption ou de trafic d’influence, mises en œuvre par la société en application du chapitre XI du titre III du livre II ;
« 3° Lorsque la société n’est pas soumise à l’obligation de mettre en œuvre les mesures mentionnées au 2°, des mesures de vigilance raisonnable mises en œuvre par la société afin de prévenir les risques de corruption, en France ou à l’étranger, au regard de la loi applicable localement, résultant de son activité et de celle des sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3 ;
« 4° Des mesures de vigilance raisonnable mises en œuvre par la société afin de prévenir les risques d’atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, les risques de dommages corporels ou environnementaux graves et les risques sanitaires, en France ou à l’étranger, au regard de la loi applicable localement, résultant de son activité et de celle des sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3 ;
« 5° Lorsque cela s’avère pertinent et proportionné, des mesures de vigilance raisonnable mises en œuvre dans les domaines mentionnés aux 3° et 4°, en France ou à l’étranger, au regard de la loi applicable localement, par les fournisseurs et sous-traitants avec lesquels la société et les sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3 entretiennent une relation commerciale établie.
« Lorsque la société ne met pas en œuvre de mesures dans certains domaines mentionnés aux 3° et 4°, le rapport en précise les raisons.
« Les mesures mentionnées au présent article font l’objet d’une vérification dans les conditions prévues au septième alinéa de l’article L. 225-102-1.
« Lorsque la société établit des comptes consolidés, les informations fournies sont consolidées et portent sur la société elle-même ainsi que sur l’ensemble de ses filiales et des sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3. Le présent article n’est pas applicable aux filiales ou sociétés contrôlées qui dépassent le seuil mentionné au premier alinéa dès lors que ces informations sont publiées de façon consolidée par la société qui les contrôle au sens de l’article L. 233-3.
« Lorsque le rapport ne comprend pas les informations prévues au présent article, toute personne intéressée peut demander au président du tribunal statuant en référé d’enjoindre sous astreinte à la société de communiquer ces informations.
« Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article, notamment les modalités de présentation des mesures mentionnées aux 3° à 5°. »
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, sur l’article.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’essentiel de la proposition de loi est contenu dans cet article. Si je comprends et approuve les objectifs des auteurs de ce texte, je m’interroge sur la portée réelle de ces dispositions.
En effet, la vérification de la réalisation de la formalité administrative liée à ce devoir de vigilance dans le rapport et les documents d’information de certaines entreprises est à la portée de notre administration. En revanche, l’effectivité des mesures de vigilance et des contrôles sur les échanges internationaux, qui reposent souvent sur des chaînes d’approvisionnement en cascade, est plus qu’aléatoire, voire impossible à assurer dans de nombreux cas.
Nous ne devons pas adopter des lois uniquement pour nous donner bonne conscience : il faut s’assurer de leur caractère opérationnel sur le terrain. Le dispositif proposé, tant dans sa version issue des travaux de l’Assemblée nationale que dans celle du Sénat, a davantage une valeur incitative et pédagogique qu’une dimension opérationnelle.
Sur cette base, il ne me paraît pas utile de surtransposer par anticipation une directive européenne qui aurait pour seul effet concret de créer des contraintes administratives supplémentaires au moment où notre économie est en attente de simplification.
Pour la protection des droits humains, la défense de l’environnement et la lutte contre la corruption, nous devons agir d’abord au niveau des États, sur les législations et les réglementations qu’ils appliquent. C’est là que nous devons accentuer notre pression.
Mais il est vrai que l’on demande souvent davantage d’éthique aux entreprises, qu’elles soient nationales ou internationales, qu’aux États, y compris le nôtre, d’ailleurs. En effet, on pourrait s’interroger sur nos relations et partenariats commerciaux avec des pays qui n’appliquent pas un certain nombre de droits dont nous voulons nous assurer qu’ils sont bien respectés dans les échanges de l’économie privée.
Je citerai le Qatar ou l’Arabie Saoudite, qui ont déjà été mentionnés par l’un de mes collègues. Nous concluons des accords ou des conventions fiscales parmi les plus avantageuses au monde, avec le Qatar et le Koweït par exemple, sans nous poser trop de questions sur l’éthique, notamment en matière de droits de l’homme, de ces pays.
Avant de vouloir donner des leçons à la terre entière, il faut parfois savoir balayer devant sa porte !
M. le président. L’amendement n° 8, présenté par M. Labbé, Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après l’article L. 225-102-3 du code de commerce, il est inséré un article L. 225-102-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 225-102-4. - I. - Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger, établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance.
« Ce plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier et à prévenir la réalisation de risques d’atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Cet amendement vise à rétablir le texte initial de l’article. En effet, le mécanisme de responsabilité est essentiel dans le processus conduisant au respect par l’entreprise de son plan de vigilance. Si le plan ne bénéficiait pas de mécanismes de responsabilité civile, rien ne garantirait sa mise en œuvre effective par l’entreprise.
L’argumentation du rapporteur invoque des risques d’inconstitutionnalité, de responsabilité sans faute et d’extraterritorialité. Si elle peut tout à fait s’entendre, elle néglige néanmoins volontairement de préciser que l’entreprise est seulement responsable du plan de vigilance qu’elle a elle-même défini.
Ces arguments ne tiennent donc pas.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Nous n’allons pas refaire le débat qui a eu lieu en première lecture. La position défendue par M. Labbé est contraire à celle de la commission.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Sapin, ministre. Je l’ai dit dans la discussion générale, le Gouvernement sera favorable aux amendements qui rétablissent le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale. Néanmoins, comme je l’ai également indiqué, il faudra apporter un certain nombre de précisions juridiques.
Compte tenu de l’attitude peu coopérative de la majorité sénatoriale quant à la réécriture du texte, il me paraît préférable de rétablir la version de l’Assemblée nationale. Nous continuerons de peaufiner la rédaction lors de la prochaine lecture au Palais-Bourbon.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le ministre, je ne peux pas vous laisser dire que nous n’aurions pas été coopératifs, alors que les membres du groupe qui soutient le Gouvernement ont reconnu le contraire.
Nous avions décidé de nous opposer à cette proposition de loi. En deuxième lecture, nous avons cherché le moyen de la rendre viable, car elle ne l’est pas dans sa rédaction actuelle. Le texte est plein de bons sentiments, que nous partageons – nous ne devrions pas avoir à le répéter à longueur de débats –, mais les bons sentiments ne font pas les bonnes lois !
Les membres du groupe socialiste et républicain qui se sont succédé à la tribune ont rappelé que le texte comportait une obligation de moyens et non une obligation de résultat. C’est déjà dire que son ambition est limitée.
Cette ambition limitée, le texte ne permet même pas de la réaliser, pour une raison très simple : l’obligation de moyens est totalement indéfinie, indéterminée ! Voilà typiquement le type de législation pour lequel le Conseil constitutionnel nous dirait : « Mesdames, messieurs les parlementaires, vous venez de voter une loi qui n’épuise pas la compétence du législateur, car le juge ne saura pas comment l’appliquer. »
En effet, le contenu du plan de vigilance, qui serait opposable à des tiers, c’est-à-dire aux fournisseurs dénommés sous-traitants pour les besoins du texte, n’est pas précisé dans la proposition de loi. Comment un juge pourrait-il alors l’appliquer ? Il risque de mettre l’entreprise en situation d’insécurité : soit il aura des exigences élevées, soit il considérera que, en l’absence de précision, la loi permet de faire à peu près n’importe quoi si la lettre du texte est respectée.
La proposition de loi est donc inefficace, tout comme elle est probablement inconstitutionnelle. Elle n’est rien d’autre qu’un discours compassionnel mis en forme législative et sans valeur.
Dans ces conditions, le rapporteur, auquel je rends hommage, a dû faire de grands efforts pour essayer de sauver ce texte en lui permettant de ressembler, grâce à la transposition d’une directive, à une vraie loi, et non à un discours formé d’articles inconsistants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)