M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’initiative du groupe CRC. La tenue de ce débat sur l’accord économique et commercial entre l’Union européenne et le Canada, communément appelé « CETA », vient à point nommé.
Alors qu’une première mouture de cet accord a été adoptée en 2014 et qu’une nouvelle version a été présentée en février dernier pour tenir compte des critiques portant sur le chapitre relatif aux investissements, plusieurs questions restent sans réponse et de nombreuses inquiétudes demeurent.
J’évoquerai d’abord les craintes exprimées par les collectivités locales au sujet de la libéralisation des services publics.
Pour la première fois dans un accord de libre-échange, on instaure une « liste négative » pour les services. Ainsi, tous les services, qui n’auraient pas été préalablement exclus du champ des négociations, y compris les services à venir, peuvent faire l’objet de libéralisation. Comment justifier un tel changement, alors que, jusqu’à présent, le recours à une « liste positive », méthode plus protectrice, impliquait que tous les services publics non mentionnés dans le traité étaient exclus d’office de toute libéralisation ? Même le TAFTA ne semble pas, en l’état actuel des négociations, relever d’une approche aussi extrême.
Un autre point, et non des moindres, concerne le règlement des différends sur les investissements, sujet sur lequel la Haute Assemblée a adopté plusieurs résolutions européennes.
Le nouveau système de cour d’investissement proposé semble encore loin d’être totalement satisfaisant et affecté d’un certain nombre d’incertitudes juridiques. Ainsi, récemment, la plus grande association allemande des juges et procureurs publics et l’Association européenne des magistrats s’y sont fermement opposées.
Comme cela a été souligné par mon collègue Daniel Raoul, nombre d’éléments appellent à remettre en cause cette nouvelle mouture : garanties insuffisantes en matière d’indépendance financière des juges, ambiguïté sur les critères de sélection, absence de contrôle parlementaire ou de magistrature de supervision indépendante, flou entourant le système d’appel…
Sans s’opposer sur le principe à l’accord commercial, c’est aussi à propos de ce point que le Parlement luxembourgeois s’est insurgé, mardi dernier, en demandant au gouvernement, au travers d’une motion adoptée à la quasi-unanimité, de ne pas adopter le CETA en l’état.
Monsieur le secrétaire d’État, pourquoi ne pas faire confiance aux systèmes juridictionnels des États membres, qui garantissent l’égal accès à la justice pour tous les plaignants, y compris les investisseurs ?
En outre, sommes-nous certains que ce système de cour d’investissement est compatible avec nos traités européens ? Dans un avis récent, la Cour de justice de l’Union européenne a refusé la possibilité d’un contrôle externe par une autre juridiction – il s’agissait en l’espèce de la Cour européenne des droits de l’homme –, qui pourrait imposer aux institutions européennes une interprétation du droit de l’Union. Ne court-on pas le même risque juridique avec cette cour d’investissement ?
J’en viens enfin à la question la plus essentielle aujourd’hui, celle de la nature juridique du CETA et des conditions de ratification qui en découlent.
En commission comme dans l’hémicycle, on nous a assuré que l’accord était mixte, du fait de la coexistence dispositions relevant de la compétence exclusive de l’Union et d’autres relevant d’une compétence partagée avec les États membres.
Mais aujourd’hui, nous sommes bien loin d’être rassurés ! En effet, le bruit court que, à l’occasion de rencontres en particulier avec des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, tente, en amont de la prochaine réunion des commissaires, le 5 juillet, d’imposer aux forceps la reconnaissance d’un caractère non mixte du CETA.
Cela conduirait à exclure les Parlements nationaux du processus de ratification, ce qui constituerait, surtout dans cette période de défiance à l’encontre de l’Union européenne, une atteinte à nos valeurs démocratiques. Nous demandons donc au Gouvernement de s’opposer fermement à toute démarche allant en ce sens.
Toutefois, même en cas de mixité avérée, une vraie inquiétude subsiste : le traité pourrait être appliqué provisoirement, dès son approbation par le Parlement européen, avant même que les Parlements nationaux aient donné leur feu vert. Placer ainsi les Parlements nationaux sous pression politique serait envoyer un très mauvais message aux parlementaires et aux citoyens européens. Nos homologues néerlandais se sont déjà prononcés contre cet aspect procédural. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous assurer que la France s’y opposera également si la Commission européenne propose de qualifier l’accord de « non mixte » ? Cette question est d’autant plus cruciale que, dans la rédaction actuelle du texte, une clause permet aux investisseurs de faire appel au mécanisme de règlement pendant la période d’application provisoire du CETA.
Nous comprenons qu’il puisse y avoir des incertitudes juridiques, car depuis l’extension des compétences de l’Union par le biais du traité de Lisbonne, aucun traité n’a encore été déclaré « mixte ». Mais alors, dans le cas d’espèce, pourquoi la Commission européenne n’attend-elle pas la décision de la Cour de justice de l’Union européenne, saisie pour avis sur un accord très semblable conclu avec Singapour il y a déjà plus de deux ans ? Au lieu de cela, la Commission européenne semble vouloir accélérer la cadence, pressée par la crainte que la mixité ne soit la porte ouverte à l’opposition des Parlements nationaux et régionaux amenés à se prononcer, comme en Belgique, au Luxembourg ou aux Pays-Bas, où des mises en garde ont été récemment signifiées.
En effet, la Commission négocie actuellement sur ce même modèle des accords avec une vingtaine de pays, tels le Japon et le Brésil. L’enjeu qui sous-tend le CETA dépasse donc largement la question de nos échanges commerciaux avec le Canada. Si nous laissons la Commission européenne imposer, selon une approche opaque et centralisatrice, un traité déséquilibré et insuffisamment protecteur, cela affectera lourdement toute la stratégie commerciale de l’Union pour les années à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce débat organisé à la demande du groupe CRC vient à point nommé, quand nos homologues du Parlement luxembourgeois ont adopté, voilà deux jours, une motion s’opposant à l’approbation en l’état du traité commercial entre l’Union européenne et le Canada, tandis que les parlementaires wallons et néerlandais avaient déjà pris des initiatives similaires.
Les choses étaient pourtant bien engagées. Qualifié par les médias de « petit frère » ou « petit cousin » du TAFTA, bien qu’il lui soit antérieur, l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, le CETA, paraissait susciter moins de controverses que ce dernier.
Dix fois plus petit que son voisin nord-américain en termes de population et de PIB, le Canada apparaît, de fait, moins menaçant pour l’Europe, d’autant qu’y prévaut une culture plus encline au multilatéralisme et au consensus, ainsi que moins protectionniste, en un mot plus européenne…
C’est pourquoi une première mouture de l’accord, dont les négociations avaient commencé dès 2008 – celles sur le TAFTA ont été engagées en 2013 seulement –, a été signée dès le 26 septembre 2014, la Commission européenne étant présidée par M. Barroso.
Les temps ont changé, puisque le CETA, comme le TAFTA, suscite désormais de vives contestations un peu partout en Europe, y compris dans des pays comme les Pays-Bas, l’Allemagne et le Luxembourg, pourtant de forte tradition commerçante et réputés favorables au libre-échange.
Au fond, les enjeux du traité CETA sont proches de ceux des négociations avec les États-Unis. C’est un accord ambitieux, qui prévoit la suppression des droits de douane entre l’Europe et le Canada pour presque tous les produits. Les bénéfices annoncés en termes d’échanges commerciaux et de création de richesses dépassent 10 milliards d’euros par an, mais le CETA fait l’objet de nombreuses critiques.
Premièrement, l’arbitrage privé, mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États qui constitue la pierre d’achoppement pour le projet de traité avec les États-Unis, avait pourtant été retenu dans le cas du traité avec le Canada. Depuis le début de cette année, sous la pression de certains États européens, dont la France, la Commission européenne est revenue sur l’ISDS, mécanisme prévu dans la première mouture du traité.
Je rappelle que des États développés, et non des moindres, tels que l’Allemagne et l’Australie, ont été attaqués par de grandes entreprises par le biais de cet ISDS. Il s’agit donc d’un risque réel pour les États. La seconde mouture de l’accord, présentée en février dernier, le remplace par une Cour d’arbitrage sur l’investissement. S’agit-il d’une amélioration réelle ou cosmétique ? C’est tout l’enjeu de ce débat.
Cette cour d’arbitrage existerait de façon permanente et fonctionnerait de manière plus transparente qu’un système strictement privé. Toutefois, il n’est pas encore prévu qu’elle soit composée de magistrats professionnels, à l’instar de la Cour internationale de justice qui règle les différends entre États. C’est pourquoi des ONG comme l’Association européenne des magistrats jugent cette proposition insuffisante.
Deuxièmement, de façon plus concrète, je m’inquiète de l’existence d’un risque économique pour nos filières de production nationales, notamment agricoles. Le secteur agricole est déjà durement touché par la concurrence intra-européenne et par l’embargo russe, qu’il s’agisse des viandes bovines ou porcines, des volailles, des productions de sucre et d’éthanol. Sur quelles garanties les petits producteurs locaux et les territoires ruraux peuvent-ils compter face aux enjeux énormes de ces négociations ? Il y a encore plus préoccupant : les appellations géographiques, qui sont au cœur de la défense de la qualité et de la spécificité des productions de nos terroirs, seraient menacées. Ce point me paraît crucial et il va sans dire que mon groupe est particulièrement attentif à ce qui pourrait être décidé en la matière.
Troisièmement, les conditions de ratification de l’accord posent question. Le texte commun de la Commission et du Conseil européen doit être présenté ce mois-ci aux États membres en vue du lancement du processus de ratification.
Dans ce processus, il est impératif de préserver les prérogatives du Parlement français. Or, on ne sait pas encore aujourd’hui si l’accord sera mixte ou non mixte. Dans le premier cas, le Parlement devra impérativement donner son accord, ce qui préservera notre souveraineté. Dans le second cas, une ratification au seul niveau européen suffirait. Cela étant, même en cas d’accord mixte, certains points pourraient s’appliquer de façon « provisoire » avant la ratification officielle par les Parlements nationaux ! Ma question est donc la suivante : quelles seront les prérogatives réelles du Parlement français ?
Arbitrage des différends entre entreprises et États, garanties pour les producteurs locaux et les appellations géographiques, préservation des prérogatives du Parlement : tels sont les grands enjeux de ce débat. Nous attendons des éclaircissements rapides sur ces sujets de la plus haute importance et rappelons que le Sénat doit rester étroitement associé à ces discussions qui ont une importance cruciale pour l’avenir de nos concitoyens, de nos entreprises et de nos territoires ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne a été conclu à la fin de l’année dernière, après cinq années de négociations. Il devrait prochainement entamer le long chemin des approbations et ratifications par les instances européennes, Conseil de l’Union européenne et Parlement européen.
Ensuite – c’est de notre part l’expression non pas d’un vœu pieux, mais d’une volonté résolue partagée par tous ici –, il devra passer le cap des Parlements nationaux. Pour des raisons autant juridiques que politiques, il s’agit là, à l’évidence, d’un accord mixte, mêlant compétences européennes et compétences des États membres : nous aimerions vous entendre l’affirmer avec force, monsieur le secrétaire d’État.
Il y aura donc, au total, un double examen : celui des instances européennes, d’une part, celui des Parlements nationaux, d’autre part. Les verrous de sécurité démocratique joueront donc bien leur rôle pour que l’adoption et la mise en œuvre définitives de l’accord expriment un réel assentiment collectif.
De même, la mise en œuvre provisoire de certaines de ses dispositions, correspondant aux compétences exclusives de l’Union, ne sera pas automatique : elle dépendra de l’accord des parties, notamment de celui du Conseil, qui représente les gouvernements nationaux.
C’est là un premier point majeur que je souhaitais soulever d’entrée. Il y aura donc, sur l’AECG, d’autres débats que celui-ci. Nous nous retrouverons, le moment venu, pour voter en connaissance de cause.
M. Fekl, dont je salue à mon tour l’engagement,…
M. Jacques Chiron. Très bien !
M. Jean Bizet. … a souvent rappelé l’essentiel du contenu de l’accord dans les principaux domaines qu’il couvre : les droits de douane, la coopération réglementaire, le commerce des services, l’ouverture des marchés publics, les normes, en particulier sanitaires et phytosanitaires. Je n’y reviendrai pas.
Des sujets essentiels pour la France sont pris en compte de façon équitable par l’accord. La reconnaissance de 42 indications géographiques protégées françaises est, à cet égard, un signal adressé à tous les partenaires commerciaux, actuels ou futurs, de l’Union européenne. Quarante-deux IGP reconnues, c’est beaucoup, d’autant qu’il s’agit des plus lisibles et des plus pertinentes. Quelques beaux esprits considèrent qu’il faudrait prendre en compte jusqu’à 3 000 IGP, mais trop d’IGP tuerait les IGP !
M. Daniel Raoul. C’est vrai !
M. Jean Bizet. Il en va de même de la nouvelle disposition concernant le règlement des différends entre investisseurs et États. L’article 8 de l’accord intègre pleinement les principes d’une professionnalisation des juges-arbitres, d’un mécanisme d’appel, de la transparence des procédures, du rejet d’emblée des procédures abusives. Dans un cadre juridique renforcé qui réaffirme la souveraineté totale des États pour légiférer, le principe d’une future cour arbitrale permanente est explicitement mentionné dans l’accord, là aussi en phase avec la réforme du mécanisme de l’ISDS proposée par la Commission européenne sur la base de la proposition franco-allemande.
L’accord ouvrira notamment des possibilités nouvelles aux entreprises européennes de services, ainsi qu’à nos entreprises candidates aux marchés publics canadiens. Sur ce dernier point, une inquiétude s’exprime régulièrement s’agissant d’un accord conclu, comme le PTCI, le partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement, avec un État fédéral : en matière de marchés publics, les provinces seront-elles tenues, ou non, de se conformer aux dispositions ratifiées par l’État fédéral ?
Dans le cadre de notre groupe de suivi des négociations commerciales, qui réunit les commissions des affaires économiques et des affaires européennes, nous avons entendu récemment un représentant de l’industrie canadienne. Il nous a assurés de la détermination de l’ensemble des provinces canadiennes à adhérer aux prescriptions du traité. Nous sommes prêts à croire à sa sincérité, mais pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous donner des assurances complémentaires sur ce point ? Je suis Normand : une grande confiance n’exclut pas une petite méfiance…
Enfin, se pose la question du traitement réservé à nos produits agricoles et agroalimentaires sensibles, en particulier la viande bovine. Le contingent d’exportation de 50 000 tonnes de viande bovine non OGM accordé au Canada est une concession qui peut en inquiéter certains. Il faut la mettre en balance avec les ouvertures dont plusieurs productions agroalimentaires européennes et françaises pourront bénéficier sur le vaste marché canadien.
Sur cette question concernant le secteur des viandes, monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi de me déplacer un instant vers le sud du continent américain pour vous interroger sur un point des négociations avec les pays du Mercosur, qui viennent de reprendre : la viande bovine sera-t-elle ou non exclue des négociations, comme l’information en a été donnée récemment ? Ce serait là un signal positif à l’endroit des professionnels d’un secteur que l’on sait lourdement fragilisé.
L’AECG représente ce que peut être un accord équilibré, qui respecte les principales « lignes rouges » que nous ne voulons pas voir transgresser. Il devrait être un exemple pour le futur accord transatlantique. Pour cela, il faut du temps. L’accord avec le Canada a nécessité cinq années de négociations ; pour le PTCI, elles ont commencé il y a à peine trois ans : laissons donc aux négociateurs le temps d’établir les bases d’un traité équitable, aux concessions réciproques équilibrées, ce qui n’est pas encore tout à fait le cas.
L’AECG ne doit pas être perçu comme la tête de pont d’un partenariat commercial transatlantique aujourd’hui diabolisé. Au contraire, il doit être, comme l’accord de libre-échange passé avec le Viêt Nam, un référent utile, équilibré, permettant à l’Union européenne et à ses citoyens de protéger leurs préférences collectives, tout en offrant des ouvertures commerciales intéressantes dans des secteurs clés de nos économies.
Au moment où les négociations commerciales multilatérales sont au point mort à l’OMC – on ne peut que le regretter –, ces accords de libre-échange de nouvelle génération sont la seule voie qui permette de décloisonner certains de nos secteurs industriels ou de services, de valoriser nos PME, de réduire les surcoûts administratifs et réglementaires des transactions. Ils sont aussi le seul moyen d’harmoniser des normes, mais selon le critère de l’exigence la plus élevée, et à condition que l’Union européenne, soutenue par les États membres, sache se montrer forte et déterminée. Il n’y a pas de « plan B ». Il va sans dire que le Sénat, qui s’est largement investi sur ce sujet, saura être au rendez-vous de l’efficacité, pour le développement de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant toute chose, je vous prie d’excuser l’absence de mon collègue Matthias Fekl, actuellement en déplacement aux États-Unis pour y défendre nos positions dans les négociations du partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement.
Le sujet qui nous intéresse aujourd’hui est le partenariat entre l’Union européenne et le Canada, dénommé accord économique et commercial global, ou AECG, mieux connu sous l’acronyme anglais « CETA ». Je remercie le groupe communiste républicain et citoyen d’avoir pris l’initiative de ce débat, qui nous permet d’évoquer cet important accord.
Concernant l’accès aux marchés publics et la reconnaissance des indications géographiques, les intérêts offensifs de la France ont été pris en compte. Le CETA est un accord gagnant pour l’économie française. En effet, nos demandes ont été satisfaites et la réciprocité a été l’un des principes directeurs des négociations.
Vous le savez, cet accord dit « de nouvelle génération » ne se limite pas aux derniers pics tarifaires sur les droits de douane entre l’Union européenne et le Canada. Il aborde le problème des barrières non tarifaires, qui restent des freins importants aux exportations.
Je veux rappeler ici les résultats positifs de ces négociations pour notre économie.
Tout d’abord, le Canada s’engage à ouvrir ses marchés publics aux opérateurs européens, à tous les niveaux, depuis l’État fédéral jusqu’aux provinces et aux communes. Je le précise à l’intention de MM. les sénateurs Bizet et Guerriau, les provinces sont bien liées par l’accord. C’était une condition indispensable pour que les marchés ouverts représentent une véritable chance pour les entreprises européennes, et françaises en particulier. Comme vous le savez, c’est un point de blocage dans les négociations avec les États-Unis sur le TTIP.
Ensuite, le combat mené pour la reconnaissance des appellations d’origine a porté ses fruits. Le Canada a reconnu 173 indications géographiques européennes, dont 42 indications supplémentaires pour la France, qui s’ajoutent aux indications géographiques de vins et spiritueux déjà protégées depuis l’accord de 2003, qui a mis fin à l’utilisation abusive de certaines appellations telles que « champagne » ou « chablis ». L’intégration de l’accord de 2003 au CETA permettra aux vins français d’être encore plus compétitifs sur le marché canadien, et cet accord est une bonne illustration de ce que nous souhaiterions obtenir des États-Unis. Il démontre d’ailleurs que, contrairement à ce qui nous est opposé par nos partenaires américains, la coexistence entre le système des marques commerciales et la protection des indications géographiques est tout à fait possible.
Il est certes toujours possible de regretter que toutes les indications géographiques ne soient pas protégées par l’accord, mais il faut rappeler que nous partons de loin. M. le sénateur Bizet a dit à juste titre que « trop d’IGP tue les IGP », mais je tiens à rappeler qu’aucune indication géographique n’était jusqu’à présent reconnue, ce qui signifie concrètement que toutes les usurpations étaient possibles. Les 42 indications géographiques françaises protégées par le CETA concernent les produits les plus exposés à une usurpation au Canada, comme le camembert de Normandie, cher à MM. Bizet et Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Merci, monsieur le secrétaire d’État ! N’oubliez pas le boudin noir de Mortagne !
M. André Vallini, secrétaire d'État. C’est un progrès majeur, et les professionnels s’en sont montrés très satisfaits ! Autre exemple, l’usurpation de l’indication géographique « jambon de Bayonne » sera passible de sanctions.
Enfin, vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur Raoul, les dispositions relatives aux marchés publics constituent l’une des principales avancées de cet accord.
Les entreprises françaises de l’industrie ou des services sont compétitives, mais elles continuent de se heurter à des réglementations désavantageuses. Le CETA en réduit drastiquement le nombre. C’est le cas pour l’industrie du textile : les entreprises européennes de ce secteur sont sous-représentées, détenant à peine 7 % du marché. De la même façon, les avancées sont notables dans le secteur des services financiers, avec la levée de certaines restrictions provinciales, ou encore dans celui des services de télécommunication.
L’instauration d’une cour de justice publique et permanente pour le règlement des différends entre les investisseurs et les États marque une rupture radicale avec l’ancien mécanisme d’arbitrage privé. Je tiens à rétablir la chronologie et les faits : les tribunaux d’arbitrage existent depuis les années cinquante et c’est en 2016, pour la première fois, qu’un accord de commerce, en l’occurrence le CETA, permet de remplacer ce mécanisme privé en créant une juridiction publique.
La France a activement contribué à l’élaboration de la nouvelle approche européenne et la Commission européenne a repris en septembre dernier en très grande partie la proposition présentée par Matthias Fekl en juin 2015. Cette initiative européenne a été reprise par le nouveau gouvernement progressiste de Justin Trudeau.
Vous avez raison de rappeler, MM. les sénateurs Raoul et Guerriau, que l’ancien mécanisme d’arbitrage privé a été dévoyé de son objectif initial, les entreprises attaquant la législation de certains États et remettant en cause leur droit à réguler. Nous avions abouti à des excès, à l’instar de la plainte de Philip Morris contre les législations sur le tabac de l’Australie et de l’Uruguay, qui a heureusement connu un dénouement favorable, ou, plus près de nous, de la plainte de Vattenfall contre la sortie anticipée du nucléaire décidée par le Gouvernement allemand.
Le modèle proposé représente un progrès indéniable en matière de transparence, comparable à celui qu’avait permis la création de la Cour internationale de justice de La Haye. Un code de conduite exigeant complétera cette avancée.
C’est bien pour lutter contre les dérives que j’ai citées à l’instant qu’une nouvelle institution est créée : une juridiction publique, avec des juges désignés et rémunérés –insuffisamment sans doute, monsieur le sénateur Raoul – par les États, et non par les entreprises. Cette nouvelle institution juridictionnelle s’appuiera sur des principes qui rendent impossible la remise en cause des politiques publiques par les investisseurs privés. La clause de protection du droit à réguler est une innovation majeure. J’espère que ces indications seront de nature à vous rassurer, monsieur le sénateur Bosino.
En effet, c’est bien l’extension abusive des droits des investisseurs qui est à l’origine des dérives que nous avons évoquées. Pour y mettre un terme, il fallait donc qu’une institution publique veillât au respect de la souveraineté réglementaire des États. Monsieur le sénateur Gattolin, la nouvelle cour appliquera donc le droit international public, comme vous l’avez souhaité. Elle n’empiétera pas sur les prérogatives de la Cour de justice de l’Union européenne en matière d’interprétation du droit de l’Union européenne ni, évidemment, sur celles des juridictions nationales.
Cette cour publique européenne est une première étape vers la création d’une cour multilatérale. Le Canada a en effet accepté d’engager avec l’Union européenne des démarches en vue d’instaurer une cour multilatérale, comme le souhaitait la France, et cette approche doit désormais servir de modèle pour l’ensemble des négociations commerciales européennes.
Ces acquis renforcent la crédibilité de la proposition européenne de Cour de justice des investissements, qui a également été soumise à Washington, dans le cadre de la négociation du traité transatlantique, ainsi qu’au Japon.
En ce qui concerne le secteur agricole, sur le volet tarifaire, l’accord est équilibré. Monsieur Requier, vous avez raison de souligner l’importance fondamentale de l’agriculture dans ce type d’accord. La France a donc veillé scrupuleusement au respect de ses intérêts, tant défensifs qu’offensifs, s’agissant du secteur agricole. Le CETA ouvre largement le marché agricole et agroalimentaire canadien, ce qui permettra aux entreprises européennes, et notamment françaises, de ce domaine de se développer à l’international.
Les droits de douane canadiens seront supprimés pour 92 % des produits agricoles et agroalimentaires européens, ce qui est évidemment très intéressant pour tous nos produits transformés de biscuiterie ou de boulangerie, secteur dans lequel la France est très compétitive. De nombreuses barrières non tarifaires disparaissent aussi, ce qui est aussi important.
En ce qui concerne les fromages, le Canada a accepté l’importation d’un quota annuel de 18 500 tonnes de fromages européens exemptés de droits de douane, qui s’ajoute au quota existant de 13 472 tonnes dans le cadre de l’OMC, alors que ces produits font aujourd’hui l’objet de droits de douane très élevés. C’est une avancée très importante pour nos producteurs de fromages, dont l’excellence est reconnue dans le monde entier.
Des contingents d’importation au Canada sont maintenus pour certains produits laitiers, les œufs et certaines céréales. La filière de la volaille a pour sa part été exclue de tout démantèlement tarifaire.
En ce qui concerne la viande bovine, je réfute l’affirmation selon laquelle les importations seraient entièrement libéralisées. Un quota annuel de 45 840 tonnes de viande de bœuf canadienne – sans hormones, je le précise – a certes été accordé, mais, au-delà de ces volumes, les importations en provenance du Canada continueront à être soumises aux droits de douane existants.
Monsieur le sénateur Bizet, dans le cadre de la reprise des négociations avec le Mercosur, le Gouvernement a bien obtenu le retrait des volumes de viande de bœuf, la discussion sur les lignes sensibles étant renvoyée à une éventuelle phase finale.
En ce qui concerne les normes sociales et environnementales, elles ne sont pas et ne seront pas remises en cause. J’ai entendu vos inquiétudes, et le Gouvernement est très attentif à celles qu’exprime la société civile sur ces sujets.
Pour le présent, les garanties, de deux ordres, sont là.
Premièrement, l’accord ne remet pas en cause les normes environnementales et sociales européennes : il n’est pas question de modifier la législation européenne, notamment en matière de décontamination chimique des viandes – je pense aux « poulets chlorés » –, d’OGM ou d’utilisation des hormones, autrement appelées « promoteurs de croissance ». Nos lignes rouges ont été intégralement respectées.
Monsieur Bosino, je tiens à répondre aux légitimes inquiétudes que vous avez exprimées : l’accord contient trois chapitres dédiés aux normes sociales et environnementales, qui prévoient des niveaux élevés de protection.
Deuxièmement, la coopération réglementaire n’est pas non plus un moyen de franchir ces lignes rouges. Elle ne s’applique que lorsque les niveaux de protection sont reconnus équivalents entre l’Union européenne et le Canada. De plus, elle est soumise à condition : un droit à réguler est garanti, les États pouvant toujours renforcer leur législation interne.
Pour le futur, nous aurons avec nos partenaires canadiens, au sein d’un forum, des échanges réguliers sur les réglementations et normes que nous adoptons. Je tiens à rappeler, monsieur Bosino, que ce forum n’aura pas de pouvoir réglementaire et ne pourra donc décider d’aucune évolution normative.
Messieurs Vera et Gattolin, je puis vous assurer que les services publics ne sont, délibérément, ni définis ni spécifiés dans une liste limitative. Les réserves sont aussi protectrices que dans l’AGCS précédent.
Pour la France, l’objectif est de fixer les standards sociaux et environnementaux les plus exigeants, qui ne sont d’ailleurs pas toujours européens, car nous n’accepterons pas de nivellement par le bas. La défense des services publics fait également partie de nos priorités, dans le domaine des négociations commerciales multilatérales internationales comme dans nos politiques nationales.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le CETA est bien un accord mixte, dont la mise en œuvre provisoire sera soumise à l’approbation du Parlement européen et des Parlements nationaux.
Comme vous le savez, la France est très vigilante et ferme sur la question de la reconnaissance de la mixité de l’accord. Le fait que le CETA soit un accord mixte signifie qu’il contient des dispositions relevant de la compétence de l’Union européenne et d’autres ayant trait à des compétences partagées entre celle-ci et les États membres. Le caractère mixte de l’accord implique donc que les Parlements nationaux auront à se prononcer.
Comme l’ont souligné, en particulier, MM. Vera, Lenoir et Bosino, cette question est absolument essentielle. Matthias Fekl a eu l’occasion de l’affirmer devant vous à plusieurs reprises, ainsi qu’à l’Assemblée nationale. Il s’est également exprimé devant ses homologues européens, lors du Conseil du 13 mai dernier à Bruxelles, pour demander à la Commission européenne de lever toute ambiguïté sur ce sujet et rappeler l’attachement de la France au respect des prérogatives du Parlement français.
Le Gouvernement regrette en effet que la Commission européenne laisse encore planer le doute sur le caractère mixte du CETA.
Le mandat de négociation confié par le Conseil à la Commission est en tout cas sans ambiguïté, puisqu’il prévoit cette mixité. C’est une position partagée par les États membres, notamment l’Allemagne : Matthias Fekl et Sigmar Gabriel, son homologue allemand, ont adressé une lettre en ce sens à la commissaire européenne au commerce, Mme Cécilia Malmström, au mois de mai dernier.
Aussi, si la Commission venait à proposer une décision autorisant signature de l’accord non mixte, le Conseil de l’Union européenne aurait à rejeter cette proposition, pour que la Commission soumette une version conforme aux attentes des États membres. Une large majorité des ministres européens se sont exprimés en ce sens lors du dernier Conseil de l’Union européenne du 13 mai et ont été très clairs sur leur volonté de signer un accord mixte.