M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour explication de vote sur l’amendement n° 179 rectifié bis.
M. Daniel Dubois. Madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, je veux revenir sur cet alinéa 11. Au-delà de sa rédaction, qui me paraît manifestement imprécise et qui mènera à une judiciarisation importante, il est dans de nombreux cas très difficile d’estimer, M. le rapporteur vient de le préciser avec raison, les impacts de l’action de l’homme sur la biodiversité. Je pense que nous ne disposons pas aujourd’hui de l’ingénierie nécessaire pour mesurer les interactions entre écosystèmes, à plus forte raison sur des territoires très vastes. Cela me paraît extrêmement compliqué.
Prenons quelques exemples. La vallée de la Somme – vous la connaissez bien, madame la secrétaire d’État – est aujourd’hui une zone humide, classée Natura 2000, parmi les plus importantes d’Europe.
M. Daniel Dubois. Si la main de l’homme n’avait pas créé les intailles en Haute-Somme pour extraire la tourbe, ce qui a constitué des marais en partie sur la Haute-Somme, la richesse de la biodiversité de ce territoire n’existerait pas. C’est donc l’homme qui, à travers son action au XIXe siècle, a modelé un environnement, qui a lui-même créé une biodiversité que nous sommes tous enclins à défendre aujourd’hui.
M. Daniel Dubois. Je vous pose une question, madame la secrétaire d’État : si aujourd’hui l’on devait recreuser dans la vallée de Somme pour extraire non pas de la tourbe, mais un minerai quelconque par exemple, comment ferait-on avec le principe inscrit à l’alinéa 11 de l’article 2 et quel bureau d’ingénierie pourrait affirmer qu’il n’y a aucun risque ? Ces bureaux diraient qu’il y a trop de risque et qu’il ne faut pas y aller parce qu’on n’est pas capable de mesurer les impacts.
Second exemple : quand les autoroutes ont été construites, dans de nombreux cas, les écologistes, notamment, sont montés au créneau en affirmant que ce serait une catastrophe du point de vue de la biodiversité. Aujourd’hui, dans le cadre des conventions d’entretien des abords de ces autoroutes, signées généralement avec les fédérations de chasseurs, ces abords ne sont pas ouverts à la chasse et, dès lors qu’il y a un entretien raisonné, ils deviennent des réserves extraordinaires de biodiversité. Encore une fois, avec les grands principes que nous sommes en train d’instaurer, on ne ferait plus aujourd’hui un seul grand chantier !
Mmes Évelyne Didier et Cécile Cukierman. Cela suffit !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Dubois. À l’inverse, l’œdicnème criard, le fameux échassier des plaines,…
Mme Évelyne Didier. Stop !
M. le président. Il faut conclure !
M. Daniel Dubois. … a bloqué une zone d’activité de cinq hectares pendant quatre ans en empêchant l’implantation d’une entreprise qui devait créer 250 emplois à proximité de la vallée de la Somme.
Voilà les risques que nous faisons prendre, en votant cet alinéa, à toutes les collectivités publiques pour demain.
M. le président. Merci, mon cher collègue. Je vous demande de respecter votre temps de parole.
M. Daniel Dubois. Veuillez m’excuser, monsieur le président, je me suis laissé emporter par mon élan !
M. le président. Vous vous êtes laissé emporter par votre passion…
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Je serai très brève, monsieur le président. Je veux simplement dire que le groupe écologiste ne votera pas pour l’amendement n° 179 rectifié bis.
Je veux aussi souligner une erreur dans la dernière phrase de l’objet de votre amendement, monsieur Dubois : vous affirmez que « le “principe de solidarité écologique” nie l’apport de l’homme » ; mais vous ne vous comptez pas dans la nature ? L’écologie, c’est étymologiquement la science de la maison, de l’habitat. Nous faisons partie de la nature.
M. Daniel Dubois. C’est encore un grand principe, ça, madame Blandin !
Mme Marie-Christine Blandin. Donc, la solidarité écologique nous concerne, c’est le soin de notre environnement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 179 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 83 et 121.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 160 rectifié est présenté par Mme Jouanno et MM. Cigolotti, Guerriau et Capo-Canellas.
L’amendement n° 220 est présenté par MM. Dantec et Labbé, Mme Blandin, M. Poher et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 14
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 9° Le principe de non-régression, selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante. »
La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour présenter l’amendement n° 160 rectifié.
Mme Chantal Jouanno. Nous traitons toujours de la réécriture de l’article L. 110-1 du code de l’environnement avec l’intégration de nouveaux principes ; il s’agit ici de celui de non-régression, qui figurait dans le texte issu de l’Assemblée nationale.
Dans le domaine de la protection de l’environnement, qui constitue théoriquement l’objectif de la loi, ce principe existe et est très largement répandu dans la communauté internationale et dans les conventions internationales, en particulier dans le droit de la mer. Il est aussi très utilisé dans de nombreux pays anglo-saxons.
Il permet d’instaurer un effet de cliquet, d’exclure tout abaissement du niveau d’exigence en matière de protection de l’environnement dans le domaine de la biodiversité.
M. le président. La parole est à Ronan Dantec, pour présenter l’amendement n° 220.
M. Ronan Dantec. La discussion est maintenant assez avancée : s’agit-il d’une loi qui acte le fait que nous nous mettons nous-mêmes en danger par la perte régulière et de plus en plus rapide de la biodiversité dans notre pays – il y a à ce sujet, n’en déplaise à certains ici, un consensus scientifique – et nous plaçons-nous dans la dynamique de la reconquête ?
On peut d’ailleurs avoir des débats d’échange, non de déni et de frein à main comme c’est le cas depuis le début de la soirée, mais sur les différentes solutions de reconquête. Tel devrait être le vrai débat dans l’hémicycle.
Ce principe de non-régression ouvre ce débat. Un vrai débat politique doit avoir lieu sur les choix à faire pour assurer la reconquête. On voit bien que, avant d’avoir ce débat politique noble, il faut déjà instaurer un cliquet sur la non-régression. C’est le sens du projet de loi et je regrette que cet alinéa ait été supprimé en commission. C’est pourquoi nous cherchons à le restaurer.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Défavorable.
Ces amendements visent à rétablir, les deux orateurs viennent de le dire, le principe de non-régression, que nous avons supprimé en commission.
Retraçons l’historique de nos débats sur ce sujet, parce que cela éclaire la solidité de l’argumentation sur l’instauration ou non du principe de non-régression dans notre droit positif. En première lecture à l’Assemblée nationale, le député Bertrand Pancher avait introduit dans le projet de loi l’idée de faire un rapport sur le principe de non-régression afin de pouvoir mesurer quels seraient les impacts éventuels de son insertion dans le droit français. Je le sais bien, c’était il y a très longtemps, mais les choses n’ont pas tellement évolué et aucun rapport n’est venu.
Cela me paraissait, à titre personnel, une très bonne idée dans la mesure où ce principe devient de plus en plus actuel, notamment au sein des instances internationales, comme l’a dit Mme Jouanno avec pertinence, comme souvent. Des sommités juridiques – j’ai lu beaucoup de choses sur ce point – s’y interrogent et contribuent à ce sujet.
Pour une raison que je ne m’explique pas, le rapport a été supprimé en séance publique. L’Assemblée nationale a rétabli, non pas un rapport, mais l’inscription dans le dur, dans la loi, de ce principe, « selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante ».
On passe ainsi brutalement d’une interrogation – il existe une notion intéressante, discutée, qui mérite une réflexion et l’Assemblée nationale, dont la majorité n’est pas aussi conservatrice que vous pourriez dire qu’elle l’est ici, veut y réfléchir en demandant un rapport – à une inscription immédiate, sans transition, dans le droit, le rapport ayant été évacué. On n’a pas réfléchi une demi-minute de plus entre la suggestion du rapport et l’inscription du principe « dans le dur ».
La commission l’a supprimé dans la mesure où, à ce stade, aucune étude d’impact ni aucun élément ne nous permettent de mesurer précisément quel sera l’impact de l’introduction de ce nouveau principe.
Je ne suis pas défavorable à ce principe, je pourrais même dire que j’y suis favorable. Il ne me paraît pas, à titre personnel, absurde. Mais ce n’est pas une formulation écrite au hasard, un peu à l’emporte-pièce, alors que nous n’avons ni circonscrit le débat ni étudié plus avant cette question, que nous devons adopter.
Je ne serais pas hostile à une demande de rapport, si quelqu’un prenait l’initiative de la rétablir. Je ne suis pas trop favorable aux rapports en général mais, sur ce type de questions, intéressantes, réelles et qui doivent être posées, où l’on n’a pas le début du commencement d’une réflexion approfondie, je trouverais dommage de s’en passer.
Peut-être que l’on va botter en touche en affirmant que l’on ne veut pas de rapport et que l’on n’en fera pas, mais je considère que ce rapport serait vraiment utile. Je regrette que l’on ne puisse l’inscrire dans le texte.
S’il n’y a pas de rapport, je suis défavorable à ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État. Le Gouvernement a émis un avis favorable.
J’entends bien la demande d’un rapport et je peux, moi aussi, y être favorable en certaines occasions mais, en l’occurrence, il y a déjà eu de nombreuses réflexions sur le sujet ; il ne s’agit pas d’une page blanche. J’ai l’impression que nous sommes au moment où l’on peut prendre la décision, que nous disposons des éléments nécessaires pour le faire, mais que l’on ne saute pas le pas parce qu’il serait « urgent d’attendre ».
Je considère que la réflexion approfondie a été menée sur le sujet, Mme Jouanno l’a dit, et qu’il s’agit maintenant de passer aux actes. Le Gouvernement est donc favorable à ces amendements identiques.
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour explication de vote.
M. Jean-Noël Cardoux. J’ai écouté avec attention les explications de notre rapporteur, auxquelles je souscris totalement. Il a parfaitement exposé les conditions dans lesquelles le Sénat avait supprimé, en première lecture, ce projet de rapport sur la non-régression écologique.
Le texte nous revient de l’Assemblée nationale en boomerang, avec l’application immédiate de ce principe. J’avoue – je prends mes collègues à témoin – que, quand j’essaie de formaliser ce que ce principe peut être, je suis extrêmement dubitatif et, même, je crois rêver. Cela signifierait que, en mai 2016, on fige toute évolution pouvant toucher la faune, la flore, l’environnement et les écosystèmes à partir de nos connaissances d’aujourd’hui.
En première lecture, j’avais donné un exemple – c’est bien entendu mon âme de chasseur qui revient à la surface (Mme Évelyne Didier s’exclame.) –, celui d’espèces que l’on avait crues disparues parce que leur habitat avait été modifié dans le Sahel, où des zones avaient été asséchées. On avait failli supprimer la chasse de la sarcelle d’été sur ce motif, mais on l’a retrouvée en plus grand nombre deux ans plus tard.
Si, au cours d’une procédure – on sait comment se passe l’application des directives en France –, on était confronté à un tel sujet en devant appliquer le principe de non-régression écologique, on affirmerait que c’est terminé, que la protection de telle ou telle espèce a été décidée et qu’on ne revient pas en arrière. Je prends le pari que telle serait l’interprétation franco-française d’un tel texte. Je dis donc simplement que c’est extrêmement pernicieux.
Je vais faire hurler certaines personnes, je le sais, mais le principe de précaution, inscrit dans la Constitution, montre les freins que cela a conduit à créer dans l’innovation et dans certains progrès.
Mme Évelyne Didier. Cela n’a jamais empêché quoi que ce soit !
M. Jean-Noël Cardoux. Je dis simplement : danger !
J’avais présenté un amendement de repli, que la commission, bien entendu, a rejeté puisqu’elle a supprimé ce principe de non-régression, mais je pense que l’on pourrait y réfléchir à nouveau en commission mixte paritaire. Si l’on devait conserver ce principe, il faudrait au moins que cette non-régression écologique soit liée à l’évolution des écosystèmes et des connaissances scientifiques, ce qui serait la moindre des choses.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Sans vouloir être cruel, madame la secrétaire d’État, je vous rappelle tout de même que, dans le projet initial du Gouvernement, qui est à l’initiative de ce texte sur la reconquête de la biodiversité, l’idée même de ce principe ne figurait pas ; il n’y avait pas un mot à son sujet.
En outre, ce rapport a été demandé par Bertrand Pancher, qui, sauf erreur de ma part, ne fait pas partie de la majorité gouvernementale. On a donc dû demander l’avis du Gouvernement et j’imagine – je n’ai pas cherché cette information, parce que vous m’obligez à improviser (Sourires.) – que Mme Royal a donné un avis favorable,…
M. Bruno Retailleau. En sommes-nous sûrs ? (Nouveaux sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bignon, rapporteur. … puisque cette demande de rapport a été adoptée par l’Assemblée nationale.
Je trouve donc un peu dommage que l’on évacue sans raison ce rapport, qui n’était pas dans le projet initial. Il y a un vrai sujet, dont tout le monde dit qu’il est intéressant et consistant – ce n’est pas quelque chose de vide –, alors essayons d’avancer plutôt que de nous balancer des choses qui ne sont pas positives. Il ne s’agit pas de se dire qui a tort ou qui a raison. Je propose qu’on essaie de construire quelque chose de concret, qui nous permette de faire un progrès substantiel sur ce principe.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Je ne suis pas certain d’être en mesure de proposer un amendement parce que je suis mandaté par la commission pour défendre une position défavorable sur ces amendements, mais vous pourriez le faire, madame la secrétaire d’État. Je regrette qu’on ne saisisse pas cette occasion…
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 160 rectifié et 220.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour explication de vote sur l’article 2.
M. Daniel Dubois. Je viens de m’exprimer sur le principe de solidarité écologique, en insistant sur les risques qu’il représente pour les décisions publiques, en particulier dans les territoires ruraux.
Je veux rappeler à mes collègues que nous avons adopté dans cet hémicycle, il n’y a pas très longtemps, la loi ALUR, qui gèle 80 % des terrains à bâtir dans les territoires ruraux. J’ajoute que nous avons constitutionnalisé voilà quelques années le principe de précaution. Personnellement, je n’ai pas voté pour, nous étions rares à ne pas le faire. Aujourd’hui, tout le monde veut le supprimer.
M. François Grosdidier. Non !
M. Daniel Dubois. Quasiment tout le monde…
M. François Grosdidier. Non, pas du tout !
M. Daniel Dubois. On est en train de prendre des décisions majeures, qui vont mettre les territoires ruraux sous cloche. Bientôt, nous serons des réserves d’Indiens…
M. François Grosdidier. Caricature !
M. Daniel Dubois. … et nous viendrons avec nos plumes dans cet hémicycle.
Je voterai naturellement contre l’article 2.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
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Article 2 bis
I. – Le code civil est ainsi modifié :
1° Après le titre IV bis du livre III du code civil, il est inséré un titre IV ter ainsi rédigé :
« TITRE IV TER
« DE LA RÉPARATION DU PRÉJUDICE ÉCOLOGIQUE
« Art. 1386-19. – Toute personne responsable d’un dommage anormal causé à l’environnement est tenue de réparer le préjudice écologique qui en résulte.
« Art. 1386-19-1 et Art. 1386-19-2. – (Supprimés)
« Art. 1386-20. – La réparation du préjudice écologique s’effectue par priorité en nature. Elle vise à supprimer, réduire ou compenser le dommage.
« En cas d’impossibilité ou d’insuffisance d’une telle réparation, ou si son coût est manifestement disproportionné au regard de l’intérêt qu’elle présente pour l’environnement, le juge peut allouer des dommages et intérêts, affectés à la réparation de l’environnement, au demandeur ou, si celui-ci ne peut prendre les mesures utiles à cette fin, à l’Agence française pour la biodiversité.
« L’évaluation du préjudice tient compte, le cas échéant, des mesures de réparation déjà intervenues, en particulier dans le cadre de la mise en œuvre des articles L. 160-1 et suivants du code de l’environnement.
« Art. 1386-21. – L’action en réparation du préjudice écologique est ouverte à l’État, à l’Agence française pour la biodiversité, aux collectivités territoriales et à leurs groupements dont le territoire est concerné. Elle est également ouverte aux établissements publics, aux fondations reconnues d’utilité publique et aux associations agréées ou ayant au moins cinq années d’existence à la date d’introduction de l’instance, qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement.
« Art. 1386-22. – En cas d’astreinte, celle-ci peut être liquidée par le juge au profit du demandeur ou de l’Agence française pour la biodiversité, qui l’affecte à la réparation de l’environnement.
« Le juge se réserve le pouvoir de la liquider.
« Art. 1386-23. – Les dépenses exposées pour prévenir la réalisation imminente d’un dommage, pour éviter son aggravation ou en réduire les conséquences, constituent un préjudice réparable, dès lors qu’elles ont été raisonnablement engagées.
« Art. 1386-24 (nouveau). – Indépendamment de la réparation du dommage éventuellement subi, le juge, saisi d’une demande en ce sens par l’une des personnes mentionnées à l’article 1386-21, peut prescrire les mesures raisonnables propres à prévenir ou faire cesser le dommage anormal causé à l’environnement. » ;
« Art. 1386-25 (nouveau). – Toute personne mentionnée à l’article 1386-21 peut demander au juge sa substitution dans les droits du demandeur défaillant aux fins d’obtenir la mise en œuvre du jugement.
2° Après l’article 2226, il est inséré un article 2226-1 ainsi rédigé :
« Art. 2226-1. – L’action en responsabilité tendant à la réparation du préjudice écologique réparable en vertu du titre IV ter du présent livre se prescrit par dix ans à compter du jour où le titulaire de l’action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du préjudice. » ;
3° Au second alinéa de l’article 2232, après la référence : « 2226 », est insérée la référence : « , 2226-1 ».
II. – Le livre Ier du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° À la fin de l’article L. 152-1, les mots : « trente ans à compter du fait générateur du dommage » sont remplacés par les mots : « dix ans à compter du jour où le titulaire de l’action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du préjudice » ;
2° Le chapitre IV du titre VI est complété par un article L. 164-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 164-2. – Les mesures de réparation prises en application du présent titre tiennent compte de celles ordonnées, le cas échéant, en application du titre IV ter du livre III du code civil. »
II bis (nouveau). – Les articles 1386-19 à 1386-25 sont applicables à la réparation des dommages dont le fait générateur est antérieur à la promulgation de la présente loi. En revanche, ils ne sont pas applicables aux actions judiciaires déjà engagées à cette date.
III. – (Non modifié) Le présent article est applicable :
1° À l’exception du 1° du II, dans les îles Wallis et Futuna ;
2° Dans les Terres australes et antarctiques françaises.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l’article.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il s’agit d’un article important puisqu’il traite du préjudice écologique, que nous connaissons bien. En effet, c’est au Sénat, sur une proposition de loi que j’avais signée et dont le rapporteur était Alain Anziani, que le principe de la consécration dans le code civil du préjudice écologique a été adopté à l’unanimité. Je le rappelle, le code civil est en quelque sorte, selon l’expression d’un grand juriste, la Constitution de la société civile.
Il s’agit au départ d’une construction jurisprudentielle ; je vous renvoie à la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 septembre 2012, concernant l’affaire de l’Erika, qui a fait émerger le concept de préjudice écologique, qui n’a rien à voir avec le préjudice matériel ni avec le préjudice moral.
Il existe aussi d’ailleurs une décision, peu connue, du Conseil constitutionnel, en date du 8 avril 2011 ; elle précise, d’une part, qu’il existe un devoir de vigilance vis-à-vis des atteintes à l’environnement et, d’autre part, qu’il est possible d’engager une action en responsabilité concernant les dommages à l’environnement.
Finalement, les choses en étaient restées là. Je veux remercier la commission de l’aménagement du territoire et son rapporteur, ainsi que la commission des lois, qui a produit un énorme travail juridique. D’ailleurs, le texte de l’article 2 bis sur lequel nous devrons nous prononcer a fait l’objet d’un vote unanime de la commission des lois (M. le rapporteur pour avis opine.) ; or on ne touche pas au régime de la responsabilité du code civil d’une main précipitée.
Le régime de réparation, tel qu’il est pour l’instant conçu dans le code civil – nous parlons sous le regard de Portalis – est complètement inadapté à la prise en compte de la réparation du dommage écologique. En effet, la nature n’étant pas une personne – traditionnellement, le régime de la réparation dans le code civil exige qu’un préjudice soit personnel pour être réparable –, elle ne peut être une victime ; donc s’il n’y a pas de victime, on ne peut réparer le dommage. Un raisonnement spécieux, bien sûr…
En même temps, le code civil pose un autre problème : en droit de la réparation, le juge est confronté à la fois à une liberté, celle de décider si le dommage est réparé en nature ou sous forme monétaire, et à une contrainte, puisque le juge n’a pas la faculté de décider de l’affectation de la réparation à un usage donné. Or il convient de réparer le préjudice écologique en nature et d’affecter cette réparation à un usage donné.
C’est la raison pour laquelle il convient désormais de consacrer ce que la jurisprudence a produit. Victor Hugo disait qu’il faut faire entrer le droit dans la loi ; en d’autres termes, il est nécessaire de légaliser la jurisprudence, parce que celle-ci est foisonnante, contradictoire (Mme la secrétaire d’État opine.) et conduit parfois à une double ou à une triple indemnisation sur le fondement d’un préjudice moral, d’un préjudice écologique et d’un préjudice matériel.
Si nous sommes attachés à la liberté en économie, alors nous sommes aussi attachés à la responsabilité. Si nous sommes attachés à la liberté d’entreprise, nous voulons en même temps créer un cadre stable, qui évite l’insécurité juridique.
C’est pourquoi, mes chers collègues, le législateur doit prendre le relais du juge, qui a fait son travail ; ce travail touchant à sa limite, chacun d’entre nous doit prendre ses responsabilités. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. L’amendement n° 182 rectifié quater, présenté par MM. D. Dubois, Détraigne, Bonnecarrère, Canevet, Guerriau, Marseille et Gabouty, Mme Gatel, MM. L. Hervé et Longeot, Mme Doineau et M. Cigolotti, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 1386-19. – Toute personne qui cause un préjudice écologique grave et durable est tenue de le réparer.
La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. Je viens d’écouter Bruno Retailleau avec beaucoup d’attention et d’intérêt et je partage complètement ses propos.
Simplement, je me pose une question à propos de la précision et de la définition d’un dommage « anormal ». Tel est mon problème. Il me semble plus intéressant de faire mention à un « préjudice grave et durable ». La notion juridique de la gravité de la faute me semble plus forte et plus claire que celle d’anormalité, qui laissera au juge une marge extrêmement large d’interprétation.