M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour présenter l’amendement n° 259 rectifié.
M. Daniel Dubois. Jean-Louis Carrère vient de défendre cet amendement avec une grande sensibilité rurale, que je partage, même si nous avons des désaccords sur d’autres points. Je suis entièrement d’accord avec ce qu’il a dit.
Né à la campagne et y vivant depuis très longtemps, je partage complètement les objectifs qui viennent d’être énoncés. L’amendement a été parfaitement défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Un amendement similaire avait déjà été débattu au Sénat en première lecture.
Ces amendements visent à préciser que sont prises en compte, dans le cadre de la préservation et de la restauration de la biodiversité, la valeur intrinsèque et la valeur d’usage reconnues par la société. Or cet objectif est satisfait, car les députés Les Républicains ont rétabli en séance publique un amendement du Sénat prévoyant que le patrimoine commun de la Nation génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage.
Cet apport du Sénat ayant été repris à l’Assemblée nationale, je ne vois pas ce que la phrase proposée dans les amendements ajouterait de plus.
Par ailleurs, malgré les efforts déployés par notre collègue Jean-Louis Carrère pour nous expliquer ce qu’est une valeur intrinsèque, je ne vois pas encore très bien ce que cela recouvre.
Ce débat ne me paraît pas utile à ce stade. Cela fait trois fois que l’on revient sur le sujet, et je n’ai pas constaté d’avancée substantielle quant à l’explication des termes « valeurs intrinsèques ». En revanche, je vois bien ce qu’est la valeur d’usage, mais à cet égard les amendements sont satisfaits. Je suggère donc que l’on en reste là.
L’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Je partage l’avis du rapporteur : la reconnaissance des valeurs et des services retirés des écosystèmes est globalement cohérente avec la vision qui est promue dans ce projet de loi, selon laquelle notre société peut retirer des avantages de l’interaction avec la nature.
La préservation de la biodiversité ne peut pas être incluse dans un rapport d’opposabilité avec les valeurs intrinsèques et les valeurs d’usage. J’ajoute qu’il y aurait un risque à vouloir dresser une liste, de plus non exhaustive, des valeurs associées à la biodiversité. Il faut s’en tenir à un texte lisible.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour explication de vote.
M. Jean-Noël Cardoux. J’avais présenté le même amendement en première lecture, et il avait été adopté par le Sénat. J’ai écouté avec attention les propos de Mme la secrétaire d’État et de M. le rapporteur, selon lesquels il serait satisfait.
Je vais développer de nouveau ce que j’avais dit en première lecture, même si je n’ai pas voulu prolonger les débats en déposant encore une fois l’amendement. Vous savez quelle est la richesse territoriale de la France, avec ses provinces, ses usages, ses coutumes et la transmission de ce savoir-faire populaire qui a prospéré au fil du temps. C’est le pays aux 365 fromages, comme disait le général de Gaulle…
Nous sommes en train de nous priver de cette richesse culturelle et patrimoniale. Je veux bien que l’on joue sur les mots, mais il me semble que faire mention dans ce texte sur la biodiversité du patrimoine légué au cours des siècles par les populations rurales serait un signe fort, confirmant que l’activité humaine fait bien partie de la biodiversité, comme nous l’avions souligné en première lecture.
Pardonnez-moi d’anticiper – je le fais toujours ! –, mais je sais que vous allez me demander, monsieur Dantec, comme vous l’avez fait en première lecture, si la crucifixion des chouettes sur la porte des étables fait partie de ces usages que nous défendons. Non, naturellement !
M. Ronan Dantec. Ce n’est pas moi qui ai dit cela, mais Mme Blandin !
M. Jean-Noël Cardoux. Veuillez m’excuser, madame Blandin : rendons à César ce qui est à César ! (Sourires.)
J’ajoute que, pour la faune et la flore, la biodiversité n’est pas toujours une bonne chose. Je pense ainsi aux plantes invasives, comme la jussie, qui colonise les cours et plans d’eau, ou au frelon asiatique, dont nous a parlé Mme Didier. Toutes ces espèces font partie de la biodiversité, et pourtant on n’est pas favorable à leur développement ! De même que l’on ne saurait cautionner la crucifixion des chouettes…
Il faut certes faire un tri dans ces usages, mais se priver de cette richesse patrimoniale qui s’est développée au fil des siècles dans notre pays serait une erreur.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Vouloir parler des valeurs d’usage, c’est normal, car la biodiversité est par essence patrimoniale. Elle est aussi dynamique, c’est-à-dire qu’elle repose, à la fois, sur la nature dans sa variété et sur la culture, c’est-à-dire tout ce qu’on fait les femmes et les hommes pour la modifier.
Je ne suis cependant pas favorable à ces amendements car, comme l’ont dit Mme la secrétaire d’État et M. le rapporteur, cela figure déjà dans le texte.
J’ai été sensible à votre argumentation, monsieur Carrère, mais je ne peux que la contrer. Vous avez fait l’éloge des valeurs d’usage pour les ruraux. Mais que croyez-vous ? En ville, on mange du miel, on mange toutes les variétés de légumes et de fruits dans leur diversité, on isole nos maisons avec du chanvre, on s’habille avec du lin.
Il n’y a pas que les ruraux qui bénéficient des valeurs d’usage, mais aussi les urbains. Sinon, ils seraient morts depuis longtemps ! (Sourires.)
Le texte prévoit déjà ce que vous voulez y inscrire ; il est inutile de l’alourdir.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Carrère. Je suis un peu étonné par la pâleur des arguments opposés à ces amendements.
On me dit que mon amendement est satisfait et qu’il faut éviter les bis repetita… Cela veut bien dire qu’il a un fondement et qu’il n’est pas aussi dérisoire qu’il y paraît !
Que l’on y soit opposé, pour certaines raisons, je peux le comprendre. Mais j’attire votre attention sur le fait que ma conviction n’est pas partisane. Elle vient de mon vécu et de ma sensibilité. Comment ne pas admettre qu’il serait justifié d’insister sur des valeurs d’usage reconnues comme légitimes, telles que la chasse, la pêche, mais aussi la cueillette, la randonnée, l’alimentation, l’énergie ?
Dès lors qu’il n’y a pas de divergence sur ces valeurs d’usage, qui existent réellement et authentiquement, je suis favorable, non pas à ce que l’on dresse une liste préjudiciable à la qualité du texte, mais à ce qu’on les reconnaisse en tant que telles, de façon nette et tranchée.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 122, 156 et 259 rectifié.
M. le président. L’amendement n° 123 rectifié, présenté par MM. Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve et Laborde et MM. Mézard, Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Supprimer le mot :
significatives
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. L’article 2 du projet de loi précise le contenu du principe d’action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement. Ce principe implique, dans l’ordre, de les éviter, de les réduire et de les compenser : c’est le triptyque ERC.
La commission du développement durable a maintenu sa position en restreignant la portée de ce principe aux atteintes « significatives » à la biodiversité, ce qui constitue à notre sens une régression qui ne va pas dans le sens du projet de loi.
Le présent amendement vise à permettre que toute atteinte à la biodiversité soit concernée par le triptyque ERC.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Sur mon initiative, nous avions restreint en commission le champ d’application du principe d’action préventive, afin que celui-ci n’ait pas d’impact complètement disproportionné.
Ce principe, c’est-à-dire le triptyque ERC, ne doit concerner que les atteintes significatives à la biodiversité. Les juges ont l’habitude d’évaluer et de qualifier ce type d’atteinte. Chacun le sait, de minimis non curat praetor, comme dit l’adage : le juge ne s’intéresse pas aux petites choses, mais seulement à celles qui sont susceptibles de donner lieu à une décision de justice.
L’amendement vise à revenir sur cette restriction afin de prévenir toutes les atteintes à la biodiversité, y compris les plus mineures. L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Le juge peut tout à fait apprécier par lui-même l’atteinte portée à la biodiversité. Si celle-ci est minime, on peut se douter qu’il ne s’en saisira pas.
Supprimer la disposition selon laquelle la séquence « éviter-réduire-compenser » ne s’applique qu’aux atteintes significatives à la biodiversité répond à un enjeu simple : faire en sorte que ce triptyque s’applique à toutes les atteintes à l’environnement.
La formulation actuelle risque de restreindre considérablement la portée de cette séquence, qui est structurante pour le projet de loi relatif à la biodiversité.
L’avis est favorable.
M. le président. L’amendement n° 46, présenté par Mme Didier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Si les atteintes à la biodiversité ne peuvent être ni évitées, ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante, le projet de travaux ou d’ouvrage ou la réalisation d’activités ou l’exécution d’un plan, d’un schéma, d’un programme ou d’un autre document de planification à l’origine de ces atteintes doit être révisé.
La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Mme Jouanno a raison de dire que l’article 2 pose tous les principes et qu’il est donc fondamental.
Cet article consacre la connaissance de la biodiversité comme action d’intérêt général, précise le principe d’action préventive par le triptyque « éviter-réduire-compenser », et consacre les principes de solidarité écologique et de non-régression dans la liste des principes généraux du droit de l’environnement. C’est important !
Objet de vision divergente entre l’Assemblée nationale et le Sénat, il a subi de nombreuses évolutions durant les débats, notamment concernant les questions de perte et de gain net de biodiversité.
Avec cet amendement, nous vous proposons d’aller plus loin encore dans la définition du principe ERC. Ainsi, nous souhaitons prévoir que si l’application du principe ne permet pas d’éviter, de réduire et de compenser de façon satisfaisante les atteintes à la biodiversité, le projet de travaux ou d’ouvrage et la réalisation d’activités à l’origine de ces atteintes doivent être révisés.
J’insiste, mes chers collègues, sur le mot « révisé » : il ne veut pas dire « complètement transformé », mais peut signifier « amendé ».
Lors de la lecture à l’Assemblée nationale, une telle idée a été insérée à l’article 33 A sur la compensation. Cet apport a été supprimé en commission au Sénat, au motif qu’il prévoyait dans ce cas un abandon pur et simple. Or il ne s’agit pas d’abandonner, mais d’amender !
Nous proposons un juste milieu au regard des impacts environnementaux. Il semble utile de rappeler ce principe de bon sens dans cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Je comprends votre idée, ma chère collègue. Néanmoins, je ne partage pas votre avis sur l’utilité de cette mention.
Quels cas seraient visés, selon vous ? Je le rappelle, nous sommes à l’article L. 110–1 du code de l’environnement, qui énonce des grands principes du droit de l’environnement. Si l’on suit votre raisonnement, pour tous les principes, on devrait ajouter l’interprétation qui doit être faite de ce principe.
Je suis opposé à cette façon de procéder. Ici, nous disons que la protection, la restauration, la mise en valeur et la gestion de la biodiversité s’inspirent d’un certain nombre de principes.
Si ces principes ne sont pas respectés en découleront des conséquences qui n’ont pas à être fixées par la loi. Par exemple, vous dites que si le principe d’action préventive n’est pas respecté, le projet doit être révisé ; mais dans certains cas, il devra peut-être être abandonné. Il est très compliqué d’aller dans votre sens.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Vous proposez la révision du projet, du plan ou du programme de travaux lorsque les dommages portés à la biodiversité ne peuvent être ni évités, ni réduits, ni compensés de façon satisfaisante. Or il s’agit de l’application même du principe ERC !
Pour parvenir au bon équilibre entre l’évitement, la réduction et la compensation, des échanges entre le maître d’ouvrage et les autorités compétentes sont nécessaires. De tels projets pourront donc, le cas échéant, être révisés. Il ne me paraît pas particulièrement judicieux d’inscrire cette notion parmi les principes listés à l’article 2.
Je m’en remets néanmoins à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. J’entends ce que dit M. le rapporteur.
Une idée se développait, selon laquelle lorsqu’il n’était pas possible de compenser, on ne faisait rien. Dire que le projet peut au moins être révisé, c’est donner une piste, c’est proposer une possibilité de l’amender.
Très souvent, en effet, on a interprété ce principe comme s’il autorisait à ne rien faire ou à abandonner le projet. Je souhaite, quant à moi, que l’on prévoie la possibilité de le réviser, de l’amender.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Je suis sensible à l’argument défendu, avec sa conviction habituelle, par Mme Didier. Mais ce qu’elle souhaite voir inscrit dans le texte y figure déjà.
Si la compensation n’est pas possible, personne au monde ne peut empêcher que l’on révise un projet, que l’on en propose un qui soit différent ou simplement révisé, ou qu’on l’abandonne, ou qu’on l’amende, comme on dit souvent ici.
Nos travaux parlementaires permettront peut-être d’éclairer ceux qui auraient des doutes quant à l’opportunité de réviser leur projet.
Mme Évelyne Didier. Je retire l’amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 46 est retiré.
Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d'une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques.
L’amendement n° 82 est présenté par M. Filleul et Mme Bonnefoy.
L’amendement n° 159 rectifié est présenté par Mme Jouanno et MM. Cigolotti, Guerriau, Roche et Capo-Canellas.
L’amendement n° 219 est présenté par MM. Dantec et Labbé, Mme Blandin, M. Poher et les membres du groupe écologiste.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 9
Rétablir le 2°bis dans la rédaction suivante :
2° bis Le même 2° est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Ce principe doit viser un objectif d’absence de perte nette, voire tendre vers un gain de biodiversité ; »
La parole est à M. Jean-Jacques Filleul, pour présenter l’amendement n° 82.
M. Jean-Jacques Filleul. Dans un objectif de reconquête, l’article 2 du projet de loi actualise les principes gouvernant la gestion de la biodiversité afin de préserver notre patrimoine commun.
Cet article précise notamment le principe d’action préventive et de correction, déjà présent dans le code de l’environnement au travers de la séquence « éviter, réduire, compenser ».
Il s’agit « d’éviter les atteintes significatives à la biodiversité et aux services qu’elle fournit ; à défaut, d’en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées. » Ce nouveau principe met l’accent sur les fonctions et les services rendus par la biodiversité.
Les députés ont précisé que cette séquence ERC avait un objectif : l’absence de perte nette, voire l’obtention d’un gain de biodiversité. Cette précision est importante, car elle implique une compensation intégrale de la biodiversité détruite, conformément à l’objectif même du présent projet de loi.
Nous déplorons que cette précision ait été supprimée par notre commission de l’aménagement et du développement durable. En effet, le principe d’absence de perte nette est un objectif à atteindre et n’est pas assorti de mesures de contrainte ou d’interdiction. C’est pourquoi cet amendement vise à le rétablir.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour présenter l'amendement n° 159 rectifié.
Mme Chantal Jouanno. Nous sommes là au cœur des principes que pose ce texte, puisqu’il s’agit de rédiger une partie de l’article L. 110–1 du code de l’environnement, qui pose le principe d’action préventive et de correction.
Au travers de notre amendement, nous souhaitons adjoindre à ce principe un objectif qui vise l’absence de perte nette, voire l’obtention d’un gain de biodiversité.
Si le présent projet de loi, normalement consacré à la reconquête ou à la biodiversité – nous avons eu un débat sur l’intitulé du texte – ne pose pas cet objectif, qui est général et engage l’ensemble des actions publiques, mais n’est pas décliné avec des outils directement contraignants dans l’article L. 110–1, on autorisera une régression de la biodiversité en France.
Je le disais lors de la discussion générale, c’est comme si on adoptait un texte de loi sur l’emploi sans fixer l’objectif de plein-emploi. Cela revient exactement au même !
Il serait légitime que notre débat soit clivé et que nous assumions nos différences sur ce point. En revanche, renoncer à cet objectif reviendrait à faire perdre tout son sens à ce projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour présenter l’amendement n° 219.
M. Ronan Dantec. Avec ce texte, nous sommes au cœur de la fracture politique : on voit bien qu’il n’y a pas de consensus et que deux positions s’expriment, même si les divergences ne recroisent pas exactement les positions partisanes classiques.
Cet amendement permet l’aménagement et vise à le sécuriser, et c’est sur ce point qu’il faut réfléchir. Il prévoit que, dans tous les cas de figure, il n’y aura pas de perte de biodiversité en cas d’aménagement.
Ne pas faire figurer cela dans la loi reviendrait à encourager ceux qui sont très attachés à la lutte contre la perte de biodiversité à se mobiliser contre les projets de travaux. En effet, ils n’auront pas la garantie que cette perte ne se produira pas.
L’enjeu est, à ce stade, d’apaiser la société française, eu égard notamment à certains aménagements. Il faut donc donner des garanties, ce que nous faisons en rétablissant cet alinéa. Il s’agit de dire clairement que nous sommes tous conscients de la gravité de la perte de biodiversité.
Les chiffres sont là : la biodiversité s’effondre en France. Tous les rapports scientifiques vont dans le même sens à cet égard ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau. Non ! C’est la vision des Verts !
M. Ronan Dantec. Non, c’est un consensus scientifique !
On ne peut plus se permettre de continuer ainsi. Il faut trouver de nouveaux compromis dynamiques dans la société, non pas pour figer la société et laisser la biodiversité reconquérir le territoire. Cela ne se produira pas, à moins que ne survienne une régression de l’espèce humaine dont nous ne voulons ni les uns ni les autres.
Des compromis dynamiques : voilà ce que nous proposons avec cet amendement. Ne pas le voter, c’est renforcer l’exacerbation des conflits dans la société sur les questions de biodiversité. En outre, cela irait à l’encontre de ce que pensent certains de ceux qui s’apprêtent à voter contre !
Je demeure convaincu qu’il y a un véritable problème de dialogue entre nous sur le sens de ce projet de loi et sur la manière de sortir des conflits. Je regrette qu’il n’y ait pas consensus pour rétablir cette disposition qui permet la réalisation d’aménagements. Elle prévoit l’inverse de ce que vous craignez !
M. le président. L’amendement n° 124, présenté par MM. Bertrand, Amiel, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Rétablir le 2°bis dans la rédaction suivante :
2° bis Le même 2° est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Ce principe doit viser un objectif d’absence de perte nette de la biodiversité ; »
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Le principe de prévention et l’application du triptyque « éviter-réduire-compenser » implique de fixer un objectif d’absence de perte nette de biodiversité.
L’Assemblée nationale va plus loin puisqu’elle a précisé que ce principe doit également « tendre vers un gain de biodiversité ». Le Sénat en première lecture et la commission du développement durable en deuxième lecture ont préféré supprimer toute référence à un objectif.
À travers cet amendement, nous vous proposons d’adopter une voie intermédiaire entre les positions de nos deux assemblées en consacrant dans la loi l’objectif de perte nette de biodiversité, sans pour autant retenir l’objectif de gain de biodiversité, qui ne nous semble pas relever du principe de prévention.
Cette voie intermédiaire que nous proposons, certains l’appelleraient la synthèse, d’autres le compromis. Pour nous, c’est une solution radicale ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Je vais expliquer plus longuement pourquoi je suis défavorable à ces amendements.
À mes yeux, la séquence « éviter-réduire-compenser » est très importante, et je suis enthousiaste à l’idée qu’elle existe dans notre droit positif. Pendant des années, en effet, on n’a ni évité, ni réduit, ni compensé. Nous avons institué cette règle, et nous nous réjouissons qu’elle existe.
J’ai de nombreux exemples en tête de services de l’État qui instruisent des projets sans mettre en œuvre la séquence ERC : ils ne se demandent même pas si on peut éviter ou réduire, et ils compensent mal. Cela se passe dans mon département !
Lorsque j’étais président d’une commission locale de l’eau, j’ai été consulté par un syndicat intercommunal à vocation multiple, un SIVOM, qui voulait construire une station d’épuration. Le maître d’ouvrage délégué pour la construction de cette station était l’État, ou plutôt les services de l’équipement, à Amiens.
On me présente donc ce projet pour connaître l’avis de la commission locale de l’eau et savoir si ledit projet est conforme aux prescriptions du schéma d’aménagement et de gestion des eaux, le SAGE.
Je demande alors quelles sont les mesures préconisées dans le cadre de la séquence ERC, et notamment pour « éviter ». Il était prévu de construire la station, non pas à 100 ou 200 mètres, mais au bord du lit mineur du fleuve, j’ai bien dit : au bord ! On me répond alors qu’il n’est pas possible de prendre des mesures d’évitement. Or ils n’avaient cherché ni à éviter ni à réduire, et quand ils ont essayé de compenser, leur plan de compensation était nul !
Les principes, c’est magnifique, mais il faudrait commencer par appliquer ceux qui existent !
L’application de la séquence « éviter-réduire-compenser » relève du pouvoir de l’État, qui doit mettre en place des politiques organisées vis-à-vis des services, des maîtres d’ouvrage et des architectes. Ce n’est pas en disant que l’on va tendre à une absence de perte nette ! Comment mesure-t-on d’ailleurs l’absence de perte nette ?
Si tant est que je sois d’accord avec votre texte, il est vrai qu’avec la séquence « éviter-réduire-compenser », si on a un tout petit peu de bon sens, de bonne volonté écologique, on ne pense qu’à une chose : comment éviter de massacrer le paysage, les terrains sur lesquels on intervient ?
Puisque vous parlez de reconquête de la biodiversité, on devrait commencer par se poser la question de l’obtention du gain de biodiversité. Ce serait positif ! À défaut, si on ne peut pas faire de gain, comment éviter une perte ? Mais, je le redis, comment mesurer une perte nette ? Il faut être très calé… Nous n’avons aucun instrument de mesure.
On peut mener une politique de communication : je ne suis pas contre l’idée de faire de la pédagogie, d’expliquer aux services, aux maîtres d’ouvrage et aux ingénieurs ce qu’il convient de faire. Mais il faut voir la façon dont tout cela est actuellement appliqué sur le territoire national ! La preuve en est, d’ailleurs, que l’on s’est demandé comment allaient fonctionner les services de compensation. On s’est dit que ce ne serait pas une mauvaise idée que l’Agence française pour la biodiversité s’empare de ce sujet et tienne un registre des compensations.
On est là en train de se projeter dans un monde moderne : dans cinquante ans, on peut imaginer que nous aurons fait de grands progrès en matière d’ingénierie et que nous pourrons nous demander comment « éviter ». L’enfer est pavé de bonnes intentions, tout comme ce texte. Trouver, un jour, le moyen d’éviter la perte nette, je rêve qu’on y parvienne, mais ce ne sera pas aujourd’hui !
Actuellement, nous sommes incapables de faire des politiques de l’application de la règle ERC. (M. Gérard César opine.) Or on essaye déjà d’éviter les pertes nettes.
Il faut revenir sur terre ! On est en train de construire une loi pour la reconquête de la biodiversité, et pas de rêver à des objectifs comme des Bisounours – pardonnez-moi d’être un peu trivial ! –, alors même que la règle ERC ne fonctionne pas. Appliquons déjà cette règle et, dans cinq ans, dans une loi moderne – madame la secrétaire d'État, comme vous êtes très jeune, vous aurez la chance de présenter d’autres textes ; quant à moi, je ne serai plus là ! –, je verrai avec plaisir que l’on a fait un pas.
En tout cas, ne disons pas qu’on régresse parce qu’on n’est pas d’accord avec cette proposition ! Pour l’instant, cette histoire, c’est de la littérature ! (Mme Sophie Primas applaudit.)