M. Christophe Béchu, rapporteur. Le président du Sénat devient Président de la République !
M. Pierre-Yves Collombat. Certes, je voterai la motion tendant à opposer la question préalable, mais aurais-je voté le texte de la commission mixte paritaire si celle-ci avait abouti à un accord ? Non, même si le texte du Sénat était nettement plus acceptable que celui approuvé par le Gouvernement, par exemple en ce qui concerne la publication des listes de parrainages de candidats.
Le travail réalisé par le Sénat sur la campagne électorale était intéressant, mais même l’exercice, compliqué, habile, qui consistait à réduire la période intermédiaire, sans introduire ce « magnifique » principe républicain d’équité dans notre droit, n’était pas satisfaisant. En effet, cela entraînait, au fond, une réduction de la période durant laquelle tous les candidats peuvent bénéficier d’un temps de parole égal.
Finalement, je n’aurais donc pas voté ces textes et je veux, rapidement, vous dire pourquoi.
D’abord, parce que nous avons été particulièrement gâtés, durant ce quinquennat, en matière de modifications du droit électoral : modes de scrutin pour les sénatoriales, les municipales et les cantonales ; circonscriptions pour les cantonales et les régionales ; calendrier ; règles d’inscription sur les listes. Heureusement que, par définition, un quinquennat ne dure que cinq ans !
Ensuite, les textes dont nous débattons n’apportent aucune réponse au problème de fond de nos institutions, à savoir la concentration du pouvoir à l’Élysée. Or, ce problème explique justement le seul point qui intéresse les auteurs de ces textes : la multiplication des candidats au premier tour des élections présidentielles. Pourquoi tant de candidats se présentent-ils, même si leur nombre apparaît maintenant stabilisé ? Parce que l’élection présidentielle est l’élection mère ! C’est là que la dévolution du pouvoir se fait. Toutes les autres élections se trouvent dévaluées, d’où cette affluence de candidats.
Pour traiter le problème de l’augmentation du nombre de candidats, la première réponse a consisté à exercer une légère et discrète pression sur les parrains, pour qu’ils ne se laissent pas aller à donner leur signature à des candidats jugés non sérieux, car n’entrant pas dans le paysage habituel. La seconde réponse, celle qui suscite le plus de problèmes et de réactions, prévoit de remplacer, durant la campagne électorale médiatique, le principe républicain d’égalité devant les électeurs par le principe dit d’équité.
Lorsqu’un secrétariat d’État à l’égalité réelle a été créé, je me suis demandé ce que cet intitulé pouvait bien vouloir dire. Maintenant, j’ai la réponse : l’égalité réelle, c’est l’inégalité équitable ! (Sourires.)
Quel est finalement le but visé ?
Tout le monde le sait bien : il s’agit de donner un léger avantage aux candidats qu’on a l’habitude de voir, aux blocs politiques qui, depuis trente-cinq ans ou quarante ans, se partagent le pouvoir, les seuls « sérieux » ! Tous les autres, on essaie de les marginaliser. Il est vrai que, s’ils réussissaient à être trop visibles, ils feraient peut-être germer le soupçon que les politiques menées jusque-là ne sont pas forcément les bonnes… (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n’ai ni le talent de notre rapporteur, qui a déjà quasiment tout dit, ni le sens de l’humour et de la dérision de notre collègue Collombat.
Le groupe UDI-UC votera la question préalable et, comme M. Collombat, nous n’aurions pas voté ce texte s’il n’y avait pas eu de question préalable. Nous nous y sommes d’ailleurs fermement opposés lors de la première lecture.
Ce bricolage de l’élection présidentielle nous apparaît, comme à l’ensemble des « petits » partis, totalement inacceptable, de même que l’égalité transformée en équité. Tout cela n’est guère sérieux !
Au-delà des quelques dispositions pertinentes de ces deux textes, l’article 4 de la proposition de loi organique reste un casus belli.
Cela a déjà été amplement dit, la campagne présidentielle est un moment essentiel de notre vie politique. Et, entre les deux mauvaises positions prises respectivement par le Sénat et l’Assemblée nationale, les sénateurs centristes préfèrent marquer clairement leur franche et complète opposition.
Certains évoquent une confiscation de la parole publique. Je vais prendre un exemple. Un candidat à l’élection présidentielle de 2012, qui aurait obtenu 4 millions de voix et qui a déjà recueilli 87 000 parrainages citoyens, serait totalement empêché d’être candidat, avec les dispositions dont nous débattons, s’il lui manquait quelques signatures.
Le fait de modifier les modalités de l’élection et de diminuer le nombre de candidats freine évidemment les élans démocratiques, au profit de la parole officielle…
Ces textes ont été compris de cette manière-là par la société civile, qui ressent ce que nous sommes en train de faire aujourd’hui comme un bricolage insupportable, une confiscation de la parole publique.
Je ne m’exprime évidemment pas avec la brillante technicité du rapporteur, mais personne ne peut comprendre que la réduction de un an à six mois de la durée de prise en comptes des dépenses et recettes dans les comptes de campagne est finalement une question budgétaire. Les montants qu’ils comptabilisent entraînent en effet un remboursement par l’État aux candidats.
Pour les sénatoriales, cela représente une petite dépense. Je note que c’est grâce à notre collègue Anziani – ou à cause de lui… – que nous avons des comptes de campagne. Il a proposé d’établir, de ce point de vue, une égalité entre les députés et les sénateurs et cette règle de transparence est bien normale.
Pour en revenir à nos débats, la réalité, pour la société civile et l’opinion publique, c’est que nous bricolons un texte pour nous protéger. C’est complètement inacceptable, alors que le problème est, au fond, budgétaire.
Les campagnes que nous connaissons n’atteignent pas les niveaux de dépenses de celles qui se déroulent aux États-Unis, mais elles entraînent néanmoins des charges extrêmement importantes. En outre, ces dépenses sont parfois invalidées a posteriori.
Ces dispositions sont inacceptables. Nous manquons de temps pour en débattre. Discuter ainsi d’une proposition d’origine parlementaire, reprise par le Gouvernement, frappée par l’urgence et dans un calendrier contraint n’est pas sérieux, s’agissant de l’élection la plus importante de notre vie politique.
Quelles que soient les améliorations apportées par la commission des lois, le groupe UDI-UC est bien inspiré de s’opposer clairement et fermement à ces textes qui, sur le fond comme sur la forme, ne sont pas acceptables. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le débat que nous reprenons aujourd’hui montre bien que la précipitation et sa traduction parlementaire, la procédure accélérée, ne produisent pas toujours les effets escomptés.
En première lecture, nous avions critiqué les modalités de mise en débat de textes organisant la future élection présidentielle à une année tout juste de celle-ci. Nous avions également noté l’insuffisance du temps de discussion accordé à des textes fourre-tout comportant nombre de mesures de première importance pour la vie démocratique de notre pays.
Après l’échec de la commission mixte paritaire, la majorité de l’Assemblée nationale a choisi de reprendre les dispositions qu’elle avait adoptées en première lecture, à l’exception de quelques aménagements de second ordre.
Lors de notre discussion du 18 février dernier, en première lecture, j’ai regretté que le grand débat sur l’état de nos institutions n’ait pas eu lieu durant les quatre dernières années. Beaucoup regrettent le décalage croissant entre le pouvoir politique et les citoyens et, plus généralement, le rejet croissant de la politique, qui se concrétise, malheureusement, par une abstention massive.
La question de l’élection présidentielle est, selon nous, au cœur de cette crise.
Le déséquilibre des pouvoirs au profit de l’exécutif, induit par la Constitution de 1958, s’est renforcé au fil des années. L’effacement progressif du Parlement, détenteur du pouvoir législatif, a confirmé cette évolution dangereuse pour notre démocratie.
Avec la mise en place du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, qui soumet l’élection législative à l’élection présidentielle, une forme d’hyper-présidentialisation est à l’œuvre, symbolisée par l’introduction dans la Constitution, en 2008, du discours du Président de la République devant le Congrès, qui avait été alors critiquée par toute la gauche réunie.
La vie politique tourne autour de l’élection présidentielle et, finalement, de la quête de l’homme ou, plus rarement, de la femme providentielle.
Le Président de la République centralise des pouvoirs considérables. D’ailleurs, la manière dont François Hollande, hier, a clos le débat constitutionnel sur l’état d’urgence et la déchéance de la nationalité est assez symptomatique : il décide, tel un monarque, de la vie ou de la mort d’un débat public.
Que devient le pouvoir du peuple et de ses représentants dans un tel système ? À l’heure de la révolution numérique, bien réelle, un tel pouvoir pyramidal est contraire aux aspirations profondes de notre peuple.
Avec le parti communiste et le Front de gauche, nous appelons à une véritable révolution citoyenne et à une refondation de nos institutions, ce qui passe par plusieurs évolutions, notamment la remise à plat d’un système qui, chacun le sait ici, ne fonctionne plus et expose notre pays à de graves dérives démocratiques.
Nous n’aurons pas ce grand débat sur nos institutions, notamment sur la place du Président de la République en leur sein, durant ce quinquennat. En revanche, le Gouvernement nous propose ces deux textes, une proposition de loi organique et une proposition de loi, qui, sous un aspect anodin, renforcent encore le caractère bipolaire, voire tripolaire, de notre vie politique.
Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des points abordés par ces textes, car je les ai évoqués plus en détail lors de la première lecture.
Cependant, je tiens quand même à évoquer deux éléments importants rétablis par l’Assemblée nationale dans leur rédaction d’origine, ou presque, alors que la rédaction du Sénat, sans être totalement satisfaisante, atténuait quelque peu l’impact du texte gouvernemental.
En premier lieu, je tiens à dire que nous refusons radicalement la limitation du champ temporel des comptes de campagne pour l’élection présidentielle à six mois au lieu d’une année, et ce à plafond constant. Cette incitation à une augmentation importante des dépenses électorales favorisera bien entendu les grandes formations au détriment des petites et, surtout, s’inscrit dans une conception de la vie politique qui l’associe sans hésitation au monde de l’argent. Le modèle doit-il être celui où une élection présidentielle se gagne à coup de centaines de millions de dollars ? Nous voterons une nouvelle fois avec détermination contre une telle mesure.
En second lieu, je veux aborder la mise en cause de la règle actuelle de répartition du temps de parole, qui, là aussi, se fera au détriment du pluralisme.
La majorité de l’Assemblée nationale a confirmé le 24 mars sa version de la proposition de loi qui n’est, nous l’avons bien compris, qu’un projet gouvernemental déguisé.
Le texte dont le Sénat a été saisi en nouvelle lecture propose donc de nouveau, purement et simplement, de supprimer l’égalité du temps de parole durant la période dite intermédiaire, c’est-à-dire la période s’écoulant entre la publication des candidatures par le Conseil constitutionnel et l’ouverture de la campagne présidentielle officielle.
Au principe d’égalité, la majorité gouvernementale propose de substituer un principe d’équité, fondé en particulier sur la capacité d’animation du candidat ou de la candidate et sur son niveau dans les sondages !
Pourquoi ne pas avoir décidé de donner mission à un CSA transformé de faire respecter l’égalité du temps de parole plutôt que de procéder à de tels bidouillages, qui, là encore, et de manière caricaturale et provocatrice, remettent en cause le pluralisme et donc la démocratie ?
Faut-il que le pouvoir se sente faible pour procéder à de telles manœuvres destinées à le préserver… Les conditions d’examen de dispositions aussi essentielles sont indignes, et nous estimons que le Conseil constitutionnel devra en être saisi.
L’attitude du Gouvernement et de la majorité de l’Assemblée nationale est violente. Elle s’apparente à un coup de force que nous n’acceptons pas, et auquel nous appelons à résister, car l’esprit de résistance est dans nos gènes !
En démocratie, la voix du peuple trouve toujours son chemin, comme aujourd’hui, pour contester ce projet de loi détestable de casse du code du travail.
Nous nous opposons donc avec détermination et résolution à ces deux textes, et, ce qui est plus rare, nous voterons, en cohérence avec mes propos, la motion tendant à opposer la question préalable déposée par notre rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Très bien ! C’est un rassemblement œcuménique ! La modernité incarnée ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le groupe socialiste et républicain du Sénat est en accord complet sur un point avec l’Assemblée nationale : les nouvelles modalités de présentation des candidats.
Par ailleurs, nous souscrivons à la moitié d’un autre point : les horaires d’ouverture des bureaux de vote.
M. Jean-François Husson. Il y aura bientôt des quarts de point ! (Sourires.)
M. Alain Anziani. Oui, il est bien d’aller vers un horaire unique ! Oui, nous pouvons admettre qu’il faille un aménagement pour le milieu urbain ! Cependant, envisager que les horaires puissent être différents pour l’élection présidentielle et, quelques mois plus tard, pour les élections législatives nous semble être une source de confusion.
En revanche, nous sommes en désaccord avec l’Assemblée nationale sur quatre points.
Tout d’abord, il y a le collège électoral des Français de l’étranger, dont Jean-Yves Leconte parlera sans doute.
Ensuite, il y a les délais de prise en compte des dépenses et des recettes dans les comptes de campagne. Nous sommes, sur ce point, favorables à la position du Gouvernement, qui consiste à ne pas modifier le droit actuel, même si des modifications seront nécessaires après l’élection présidentielle.
Par ailleurs, nous sommes en désaccord, évidemment, sur la question des sondages, mais Jean-Pierre Sueur, tout à l’heure, le dira avec force.
Enfin, nous divergeons également sur la problématique de l’accès aux médias, que je traiterai plus particulièrement.
M. le garde des sceaux vient de préciser, pour s’en féliciter, que cette proposition de loi organique tendait à opérer une clarification dans un domaine où personne ne comprend plus grand-chose. Je voudrais aussi contribuer à cette clarification avec le plus de netteté possible.
Quelle était la situation jusqu’en 2007 ? La publication de la liste des candidats au Journal officiel intervenait trois jours avant le début de la campagne officielle. Il n’y avait alors pas de difficultés, l’égalité totale entre candidats étant la règle pendant la campagne, comme le prévoit toujours le texte en discussion.
Sur demande du Conseil constitutionnel, il fut décidé à cette époque de porter le délai de trois jours à vingt et un jours, soit trois semaines, et d’en faire une période dite intermédiaire, durant laquelle devait prévaloir – tel fut le cas pour les élections de 2007 et de 2012 – la règle de l’égalité des temps de parole et de l’équité des temps d’antenne, que je préfère appeler temps de programmation, car je trouve que c’est plus clair.
Ce système a fonctionné, mais le CSA a fait observer que personne ne regardait ces émissions, qui n’intéressaient pas, soulignant que les temps d’antenne se réduisaient, preuve selon lui que ces émissions ennuyaient tout le monde. Bref, il a considéré que ce dispositif d’égalité et d’équité devait être revu.
C’est pourquoi les auteurs de cette proposition de loi organique préconisent de garder la même période intermédiaire de vingt et un jours, tout en généralisant le principe d’équité, tant pour les temps de parole que pour les temps d’antenne.
Évidemment, cette règle pose problème, d’abord pour savoir qui va être le juge de l’équité, qui ne peut plus être le pouvoir politique. Il s’agira, selon le texte, du CSA, sous réserve que le Conseil d’État ne soit pas parfois saisi sur quelque interprétation du CSA.
Ce dernier va juger selon deux critères.
Tout d’abord, il tiendra compte de la représentativité. Est-il opportun de déterminer le temps de parole ou d’antenne à l’élection présidentielle à partir de la représentativité acquise dans d’autres élections ? Je vous en laisse juges !
Ensuite, il devra considérer la contribution à l’animation des débats. Cette idée me laisse pantois ! Que signifie cette formulation ?
Si un moineau vient se poser ici sur ce pupitre,…
M. André Gattolin. Vous n’êtes pas Bernie Sanders ! (Sourires.)
M. Alain Anziani. … peut-on considérer qu’il s’agit d’une animation des débats, et donc que j’ai droit à plus de temps de parole ?
Si un candidat à l’élection présidentielle prétend que les femmes qui avortent doivent faire l’objet d’une sanction, est-ce une contribution forte à l’animation des débats, de sorte que ce candidat mériterait plus de temps d’antenne et plus d’exposition ?
Si un candidat veut exposer son programme économique, il emploiera un ton peut-être plus sérieux, plus pesant, et il n’est pas sûr que cela intéresse beaucoup les médias. Le CSA jugera-t-il alors qu’il ne s’agit pas d’une vraie contribution à l’animation des débats ?
Pour tout dire, cette règle me laisse très perplexe, car elle va, à mon sens, nous compliquer la vie si elle est adoptée telle quelle.
C’est la raison pour laquelle, sans hésiter, j’ai été l’un de ceux qui ont cosigné un amendement pour tenter de régler le problème principal à nos yeux, à savoir la longueur de la période intermédiaire, passée de trois jours à trois semaines. Réduire de trois semaines à dix jours la période intermédiaire ne me semblerait ni scandaleux ni inhumain.
Cet amendement me paraissait être de bon sens, mais il n’a plu ni à l’Assemblée nationale ni, semble-t-il, au Gouvernement, ce que je regrette. En effet, cette solution, tendant à réduire la période à dix jours et à rétablir les principes d’égalité du temps de parole et d’équité du temps d’antenne, comme actuellement, était susceptible de satisfaire à la fois le Conseil constitutionnel, le CSA et, j’ose le dire, la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Jacqueline Gourault applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je veux dire en préambule que les écologistes contestent suffisamment la Ve République et sa concentration des pouvoirs pour, bien évidemment, souhaiter modifier les règles concernant sa clé de voûte, c’est-à-dire l’élection présidentielle.
Pourtant, à un peu plus d’un an de ladite élection, alors que les primaires, qui en constituent désormais le prologue, sont engagées, une telle démarche laisse perplexe. Il sera d’ailleurs difficile d’empêcher les citoyens, nos concitoyens, d’y soupçonner quelque calcul politique désespéré de dernière minute. Malheureusement, le contenu du texte n’est pas de nature à les rassurer.
Ainsi, comme toujours, derrière un beau titre et un discours de bon aloi sur la modernisation, on cherche surtout à masquer une logique de simple ravalement, qui n’est pas toujours inspirée par des intentions nobles politiquement. Cette logique vise plus la conservation des positions acquises que la modernisation telle qu’elle est attendue par le corps citoyen.
Finalement, si j’évalue l’impact possible de cette proposition de loi organique, notamment au regard de la discussion autour de l’équité et de l’égalité imposée par l’article 4, il me semble que l’on vise à favoriser les formations politiques dominantes et les candidats qui en sont issus dans la répartition du temps de parole lors de la période intermédiaire précédant la campagne. Naturellement, une telle disposition va conduire à réduire l’exposition des petits candidats, du moins ceux qui sont présentés comme tels, et des candidats émergents.
À mon sens, c’est là un vrai problème. Pour avoir été sondeur et analyste politique pendant de nombreuses années, j’ai pu constater une demande extrêmement forte de nos concitoyens, réaffirmée dans les sondages publiés récemment, notamment en janvier par le CEVIPOF, d’un renouvellement du corps politique et de la vie politique.
Dans toutes les enquêtes préélectorales et postélectorales que j’ai pu réaliser dans ma carrière professionnelle à l’occasion d’élections présidentielles, je puis vous dire que les gens étaient heureux d’avoir une offre très diversifiée au premier tour. Cela ne veut pas dire qu’ils soutenaient ces candidats, mais entendre et voir mis en scène un certain nombre de nouveaux acteurs de la vie politique était important pour eux. Or seule l’élection présidentielle, dans le cadre de nos institutions, permet de satisfaire ce désir.
Vouloir réduire l’offre sans tenir compte de ce souhait conduit à un système de reproduction. Nous sommes dans un pays fou, où pendant longtemps les candidats qui réussissaient le mieux à l’élection présidentielle étaient ceux qui avaient échoué les fois précédentes. Le candidat battu se représentait et progressait, parce qu’il avait acquis une notoriété lors des précédents scrutins, et donc une couverture médiatique plus élevée, une sorte de référencement.
Je signale que la modernité ne s’est imposée qu’en 2002, non pas en raison du résultat du scrutin, mais parce que, pour la première fois, les Français ont commencé à moins voter pour les candidats qui se représentaient à l’élection présidentielle. Et nous allons de plus en plus dans ce sens.
Or ce que le Gouvernement et la majorité de l’Assemblée nationale nous proposent, au nom d’une prétendue modernité, vise à entériner le droit et le pouvoir des médias à dicter le jeu. Cela revient à dire que, puisque les médias ne respectent pas la règle, il faut la changer. Mes chers collègues, faisons-nous le droit, la vie politique ou recherchons-nous simplement l’agrément des médias ?
Je vous rappelle que les médias audiovisuels bénéficient d’une délégation de service public, puisque l’État a le monopole des fréquences depuis la Deuxième Guerre mondiale. Le général de Gaulle l’avait voulu pour tirer les conséquences des dérives constatées avec les radios de l’entre-deux-guerres, privées en grande partie, et qui avaient largement collaboré. Aussi, quand nous donnons une accréditation à une chaîne d’information ou de radio pour émettre, nous l’assortissons de contraintes qu’elle doit respecter.
Par ailleurs, si nous considérons que ces chaînes ne respectent pas bien le temps de parole, agissons sur le service public ! Préalablement à chaque élection, et même hors des périodes d’élection, les partis politiques disposent de moments d’expression libre, dont on parle très peu. Or ces émissions sont programmées par le CSA à des heures de très faible audience – merci l’arbitre ! –, parce qu’il ne faut pas, au nom de la performance et de la compétitivité du service public, diffuser ces programmes, qui sont supposés faire moins d’audience, à des horaires de grande écoute.
Nous avons donc progressivement, et sans doute fort justement, réduit, régulé et encadré les dépenses de campagne électorale des partis ou des candidats, ce qui a conduit à placer les médias audiovisuels au centre du jeu.
Si l’on veut réduire l’exposition de certains candidats, c’est qu’on les considère comme moins légitimes, mais ils ont pourtant obtenu les 500 parrainages, qui sont justement censés leur conférer cette légitimité. S’il y a une règle à changer, c’est celle des parrainages, et non la règle du jeu postérieure à l’obtention des parrainages.
Il y aurait beaucoup à dire également sur la question de la participation. Il est certes important d’élargir les horaires d’ouverture des bureaux de vote, mais il faut bien voir que nous votons le dimanche, ce qui n’est pas très pratique quand viennent les beaux jours. Dans un certain nombre de pays, notamment au Canada, depuis plusieurs années, a été instauré le vote anticipé dans la semaine qui précède, et je puis vous dire que ce système est particulièrement efficace en termes de participation. Il constitue aussi un bon moyen de protéger le secret du vote, car il réduit le nombre de délégations données à des personnes supposées de confiance.
Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste ne soutient pas la proposition de loi et ne s’opposera pas à la motion tendant à opposer la question préalable à l’examen de la proposition de loi organique, présentée par M. le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, je soutiendrai évidemment la motion présentée par mon groupe, mais je m’exprimerai ici à titre personnel.
Je trouve fort raisonnable que ce débat se termine rapidement dans notre assemblée, parce qu’il est parfaitement hypocrite, et ce, pour plusieurs raisons.
La première hypocrisie, rappelée par le rapporteur, dont je salue l’excellent travail, est que nous connaissons depuis des années les préconisations qu’il faut suivre. Au lendemain de l’élection présidentielle, le Conseil constitutionnel a fait connaître ses observations, comme il le fait toujours. Et comme chaque année d’élection présidentielle, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a relevé les problèmes rencontrés.
Or, cette fois-là, comme les autres – je ne critiquerai donc pas le Gouvernement actuel, car j’aurais autant à dire à propos de ceux qui l’ont précédé ! –, nous n’avons pris le soin de lire ces observations et préconisations qu’à la veille de l’élection présidentielle qui arrive.
Et le comble de l’hypocrisie, c’est que, non seulement nous le faisons au dernier moment, ce qui réduit beaucoup nos marges de propositions pour le scrutin de 2017 – la tradition dite « républicaine » veut, en effet qu’on ne touche pas aux règles à la veille d’un scrutin –, mais nous nous offrons le luxe de faire des préconisations pour le scrutin qui se déroulera dans six ans, sans attendre ce que nous diront le Conseil constitutionnel et la Commission nationale des comptes de campagne au lendemain des élections de 2017 ! Autant dire qu’il n’est pas très sérieux de travailler ainsi !
La deuxième hypocrisie, c’est que nous connaissons parfaitement les vrais problèmes qui se posent à cette élection présidentielle.
Il va de soi que les candidats ne sont pas égaux. Tout le monde le sait, à commencer par eux ! Certains se présentent pour être élus ou, au moins, pour mesurer leur poids politique. Et ils s’en serviront pour faire pression sur celui qui sera élu et négocier des postes ministériels, voire pour demander Matignon.