Mme Françoise Laborde. C’est vrai !
M. Yves Daudigny. Pour cette raison, je soutiendrai l’amendement n° 43 rectifié quater visant à supprimer l’article 2 du projet de loi rédigé en ces termes, ainsi qu’un second amendement visant à inscrire à l’article 34 de la Constitution la dégradation des droits civiques, civils et de famille, disposition excluant de la communauté civique ceux qui, par leurs actes, y porteraient atteinte et rompraient avec ses valeurs.
Alors que la déchéance de nationalité aurait une portée extrêmement réduite, cette mesure s’appliquerait de façon proportionnée dans « une France plus que jamais unie et diverse, multiple et harmonieuse », pour reprendre les mots du poète Aimé Césaire, déjà cités à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger, sur l'article.
M. Gilbert Roger. Si je ne suis pas favorable à la déchéance de nationalité, c’est parce que les effets d’une telle mesure pour lutter contre le terrorisme restent à démontrer, comme d’autres l’ont dit avant moi. En effet, elle serait difficilement applicable et non dissuasive, car, si la mesure est punitive, elle n’est en aucun cas préventive : le fait de déchoir ou de menacer de déchoir une personne de sa nationalité française aura-t-il un impact sur ses intentions terroristes ou sur son caractère belliqueux ? Je n’en suis pas certain.
Par ailleurs, malgré les modifications rédactionnelles apportées par l’Assemblée nationale, cet article vise toujours, en pratique, les binationaux, qui vivent comme une stigmatisation cette idée qu’il pourrait y avoir dans notre Constitution deux catégories de Français.
Adopter cette mesure, c’est considérer qu’une personne issue de l’immigration ayant une double nationalité peut être traitée différemment devant la loi. Pis, le présupposé d’une telle disposition est que les djihadistes radicalisés en France sont forcément issus de l’immigration. Or, nous le savons, tel n’est pas le cas, puisque, à l’exception d’un Franco-Belge, aucune autre des personnes de nationalité française identifiées comme terroristes ne disposait d’une autre nationalité. C’est bien la raison pour laquelle cette mesure n’atteint pas l’objectif qu’elle vise.
En outre, en fonction de la deuxième nationalité de la personne, la déchéance n’aura aucun effet. Prenons le cas de ce terroriste franco-belge : dans les faits, le déchoir de la nationalité française ne l’aurait pas empêché de se rendre sur le territoire national, puisque l’espace Schengen reste une zone de libre circulation.
Enfin, d’un point de vue purement juridique, la déchéance de la nationalité française pour les terroristes est déjà possible. Dans le code civil, la déchéance de nationalité française d’un individu est rendue possible « s’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ».
Aussi, pour toutes ces raisons, je ne voterai pas l’article 2 de ce texte. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, sur l'article.
M. Jean-Yves Leconte. Être français, est-ce un état qui dessine une identité ou une origine ? Non, c’est une appartenance. Il n’y a pas d’identité individuelle, mais la composition d’une identité collective, qui conjugue les apports individuels de chacun, lesquels, par addition, constituent la Nation et dessinent un projet collectif.
Aujourd’hui, face aux déchirures de notre pays, l’impératif catégorique est de renforcer le lien que chaque Français a avec la Nation. La réponse au terrorisme, c’est l’unité, la démocratie, le refus de la peur et de la xénophobie. Changer ce que nous sommes, comme nous y invite, finalement, l’article 2, reviendrait à reconnaître une victoire du terrorisme.
Si nous votions cet article 2, nous ne serions plus la France, debout, fière et républicaine. C’est la raison pour laquelle il n’est ni concevable ni raisonnable d’accepter cet article 2 ; cet article 2 qui arrive de l’Assemblée nationale sans rien dire de la procédure administrative ou judiciaire qui conduirait à déchoir une personne de sa nationalité ; cet article 2 qui laisse au législateur la liberté de choisir la voie et de définir le type de délits qui mèneraient à une déchéance de nationalité ; cet article 2 qui envisage tranquillement qu’une personne ayant commis un délit contre la vie de la Nation, et pas nécessairement un crime terroriste, devienne un animal humain, sans droits et sans nation, en violation de l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce n’est pas acceptable ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, sur l'article.
M. Philippe Bonnecarrère. Ce débat permet à chacun d’exprimer sa position. En ce qui me concerne, je voterai sans hésitation la déchéance de nationalité dans la version du texte amendée par notre commission des lois. La mesure est, certes, symbolique, j’en conviens, mais quiconque commet un crime de terrorisme s’exclut du cadre national.
La commission des lois a raison de ne pas s’engager sur la voie aventureuse et peu glorieuse de l’apatridie et de vouloir confier la déchéance de nationalité à la responsabilité de l’exécutif. Il serait paradoxal de constitutionnaliser une peine complémentaire, comme dans la version initiale du texte, alors que les peines principales ne le sont pas.
Dans un débat où beaucoup, sinon tout, a été dit, ce qui se comprend au regard de sa charge émotionnelle mêlant histoire, culture et valeurs, je soumettrai deux points à l’attention de mes collègues.
Le premier concerne l’interdiction de l’apatridie, dont les raisons ont été excellemment expliquées par M. Mercier dans son intervention sur le droit interne et la tradition juridique. J’ajoute que les dispositions de droit externe, en particulier l’article 20 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, appliqué par le fameux arrêt Rottmann, de mars 2010, interdisent également l’apatridie au titre de la préservation du statut de citoyen de l’Union européenne.
Mon second point porte sur la conventionnalité.
M. le président Debré, dans le discours qu’il a prononcé le jour où il a quitté la présidence du Conseil constitutionnel, a évoqué l’hypothèse que le Conseil constitutionnel puisse ajouter au contrôle traditionnel de constitutionnalité un contrôle de conventionnalité. Il faut faire très attention à ne pas aller sur le terrain de l’apatridie, car nous donnerions alors l’occasion au Conseil constitutionnel de s’interroger avec encore plus d’insistance sur l’élargissement de son champ d’action, ce qui poserait des problèmes, même si de nombreux auteurs sont en faveur de cette évolution institutionnelle. (Applaudissements sur quelques travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, sur l'article.
Mme Michelle Meunier. Plusieurs semaines après nos collègues députés, nous sommes réunis pour examiner l’article 2 du projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation. Réunis, mais pas rassemblés, et c’est peut-être là le premier problème posé par cette disposition, qui a fait couler beaucoup d’encre, suscitant les débats les plus vifs et déclenchant une polémique dont nous aurions pu nous passer.
La meilleure réponse à l’horreur des attentats de novembre aurait dû être le rassemblement, le rassemblement des Françaises et des Français, le rassemblement de toutes celles et de tous ceux qui aiment la France, autour d’une volonté commune – « faire société et vivre ensemble » – et de principes communs : Liberté, Égalité, Fraternité !
Force est de constater que la déchéance de nationalité ne rassemble pas. Au contraire, elle divise, notamment l’ensemble des forces politiques de notre pays, car elle porte en elle, malgré les travaux de l’Assemblée nationale, l’opposition entre différentes catégories de Françaises et de Français, qu’ils soient nationaux ou binationaux. L’amendement de notre collègue Philippe Bas, président et rapporteur de la commission des lois du Sénat, s’il est adopté, ne laissera aucun doute sur ce point : cette mesure de déchéance de la nationalité stigmatisera, catégorisera et montrera du doigt !
Alors que le contexte devrait inciter, plus que jamais, à l’inclusion des citoyens et des citoyennes, à l’échange, à la promotion des cultures et de la diversité, ce texte fait le choix inverse. Aussi, avec plusieurs de mes collègues socialistes, je voterai contre l’article 2 ainsi rédigé et soutiendrai les amendements visant à son remplacement par une peine de dégradation des droits civiques, ainsi que par l’octroi du droit de vote aux élections locales aux résidents étrangers. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l'article.
M. Pierre-Yves Collombat. Je ne voterai pas cet article. Premièrement, parce que le code civil nous donne déjà les moyens d’atteindre l’objectif du projet de loi constitutionnelle. Deuxièmement, parce que personne aujourd’hui ne peut croire que la menace de se voir déchu de sa nationalité française est un message envoyé aux terroristes potentiels, qui, au contraire, seront ravis de ce titre de gloire qu’on leur décerne.
Tout le monde le sait, le message est adressé non pas aux terroristes, mais à l’opinion publique, autant dire aux futurs électeurs de 2017. Faute d’autre bilan, on leur offrira donc une transformation de la Constitution en code pénal. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, même si, de modifications en tortures de la langue française, bien informé celui qui reconnaîtra la peine de déchéance de nationalité pour tous les Français dans la rédaction de l’article 2 issue de l’Assemblée nationale, d’autant que, dans le même temps, le Gouvernement fait savoir qu’il fera tout pour rendre opposables les engagements internationaux interdisant la création d’apatrides.
Que cette révision constitutionnelle soit purement et simplement une opération de communication serait insignifiant si elle ne risquait d’avoir des conséquences fâcheuses. Jusqu’à présent, les terroristes n’ont pas réussi à allumer la guerre civile en France par un clivage idéologique du pays sur des bases religieuses ou d’origine, ce dont on peut se féliciter et ce qui montre la solidité de notre République. Maintenant, c’est fait : la nationalité n’est plus une et indivisible, mais diverse.
Toutes les arguties juridiques, toutes les rédactions ampoulées, pas plus que l’argument selon lequel seul un nombre limité d’authentiques criminels est concerné n’y feront rien : c’est ainsi que le message sera compris ! Il y a ceux qui sont menacés d’être déchus de la nationalité française, qui sont fâcheusement souvent musulmans ou présumés tels, et les autres.
Outre qu’elle se heurte à l’impossibilité de créer des apatrides, de sinistre mémoire, la solution adoptée par l’Assemblée nationale, qui étend la mesure à tous les Français pour essayer de sortir du guêpier, ne change rien à l’affaire. Dans les esprits, on aura créé deux catégories de Français, et je ne pense pas que le moment soit particulièrement bien choisi pour le faire, si tant est qu’il existe un bon moment.
Cette proposition est symbolique, nous dit-on, et il n’y a rien de scandaleux à retirer à quelqu’un une nationalité qu’il refuse. Certes, sauf que la moindre des choses, pour une grande nation, c’est de ne pas se laver les mains de ses criminels, sauf que nous risquons de moins apprécier si d’autres pays se mettent à nous renvoyer les binationaux qu’ils auront déchu de leur nationalité.
Mme Françoise Laborde. C’est vrai !
Mme Éliane Assassi. Tout à fait !
M. Pierre-Yves Collombat. Il s’agit d’un symbole, certes, mais au lieu de contribuer à souder la République, il la fracturera un peu plus. En somme, c’est un symbole de la victoire symbolique du terrorisme ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, sur l'article.
M. Jacques Mézard. Cela ne vous surprendra point que je ne vote pas cet article 2. Je n’ai d’ailleurs pas voté l’article 1er.
Je maintiens avec conviction que ce texte, tel qu’il est rédigé, n’est pas un texte de rassemblement. Je maintiens que la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité, comme de l’état d’urgence, n’est pas utile. On nous a longuement expliqué hier, et encore aujourd’hui, qu’il s’agissait d’un symbole. En ce qui me concerne, je suis toujours inquiet quand on parle plus de symbole que de droit.
Certes, il est important d’adapter le droit aux évolutions de la société – la loi n’est pas immuable, non plus que la Constitution –, mais utiliser un projet de loi constitutionnelle pour des objectifs qui me paraissent malheureusement peu conformes avec l’idée de rassemblement, ce n’est pas bien. Nous ne devons pas choisir cette voie pour rassembler les Français dans la lutte contre le terrorisme.
Nous sommes tous ici convaincus qu’il est nécessaire de tout faire pour lutter contre les terroristes, du point de vue tant matériel et humain que législatif. Il y a d’ailleurs eu des modifications législatives importantes lorsque la loi relative à l’état d’urgence est venue en discussion. Tout a été très bien fait à cet égard. Maintenant, arrêtons ! L’urgence, mes chers collègues, c’est que ce projet de loi constitutionnelle tombe en déchéance. Il n’est pas sain de poursuivre longuement ce débat. Nos concitoyens attendent autre chose.
Pour conclure, monsieur le garde des sceaux, je vous dirai que la pratique du « Sénat bashing » n’est pas non plus un bon moyen de rassembler les Français. N’essayez pas de faire de notre assemblée le bouc émissaire de l’échec du projet de révision constitutionnelle ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain)
M. Antoine Lefèvre. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, sur l'article.
M. Jean-Marc Gabouty. Avant d’aborder la discussion sur l’inscription ou l’évocation de la déchéance de nationalité dans la Constitution et la possibilité de supprimer l’article 2, il faut revenir aux origines de cette initiative.
Le 16 novembre, à Versailles, trois jours seulement après les attentats terroristes, nous avons écouté le Président de la République. Dans un souci d’unité nationale que les circonstances imposaient et dans un climat de communion émotionnelle, nous l’avons applaudi – je l’ai fait. Était-ce pour autant une approbation sans réserve de tous les mots qu’il avait prononcés ? Certainement pas ! La déchéance de nationalité a bien été évoquée, mais il n’y avait ni pacte ni serment, comme certains l’ont évoqué hier dans une interprétation un peu lyrique de ce moment.
On ne doit pas décider de modifier la Constitution sous le coup de l’émotion.
On parle beaucoup de déchéance et un peu moins de nationalité. Quelle est la définition de la nationalité ? Selon le Larousse, c’est l’appartenance juridique d’une personne à la population constitutive d’un État – définition assez vague, j’en conviens. Mais la nationalité, ce n’est pas une situation évolutive ou altérable. Ce n’est pas non plus l’affirmation d’une volonté, affirmation renouvelée, donc aléatoire dans le temps, d’adhésion à un socle de valeurs. Pour ceux qui sont nés français par le sang ou par le sol, la nationalité, c’est un état.
Dans une République forte, nous devons assumer la responsabilité de tous les Français, même de ceux qui commettent les crimes les plus horribles, en les sanctionnant le plus lourdement possible et en s’assurant de leur contrôle, nécessité d'ailleurs reconnue par notre président de la commission des lois dans une interview récente.
La déchéance pour tous ou la déchéance réservée aux binationaux auront les mêmes effets : principalement, dans les faits, une fragilisation du droit du sol, ce dont pourront se réjouir certains mouvements qui prospèrent de manière malsaine dans notre pays.
Je suis donc opposé à la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité, et je proposerai, avec plusieurs membres du groupe UDI-UC, la suppression de l’article 2. (Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Marie-Noëlle Lienemann et Michelle Meunier applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, sur l'article.
M. Michel Mercier. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt tous nos collègues qui nous ont expliqué les raisons pour lesquelles ils ne pouvaient pas voter l’article 2, que ce soit sous la forme retenue à l’Assemblée nationale ou sous la forme proposée par la commission des lois. Leur position est parfaitement respectable.
La déchéance de nationalité marque bien la complexité de la notion même de nationalité. C’est non seulement un attribut essentiel de la personne – je crois que nous pouvons tous être d’accord sur ce point –, mais aussi un attribut essentiel de l’État, qui définit lui-même depuis 1803 les conditions dans lesquelles il accorde sa nationalité.
M. Pierre Laurent. Toujours appréciées de façon positive…
M. Michel Mercier. Pas un seul régime n’est revenu sur ce point. (M. Pierre Laurent s’exclame.)
Permettez-moi de terminer mon raisonnement, monsieur Laurent. Vous ne pouvez pas savoir ce que je vais dire. Moi, dans mon parti, je ne le sais qu’à la fin, je ne le sais jamais avant ! (Rires.) C’est toute la différence entre nous.
M. Pierre-Yves Collombat. Ne l’énervez pas ! (Sourires.)
M. Michel Mercier. Il faut accepter d’aller jusqu’au bout de la discussion, sinon, cela ne marche pas ! (Mme Jacqueline Gourault applaudit.) Je regrette surtout que mes réponses à ces interruptions s’imputent sur mon temps de parole, mais je m’exprimerai à nouveau, ne vous en faites pas. (Nouveaux sourires.)
Depuis deux siècles, la nationalité est dans notre droit. Aujourd’hui, la limite, c’est l’apatridie.
En écoutant les différentes interventions, j’avais l’impression qu’on allait faire des brouettes de déchéances de nationalité. Le projet de loi constitutionnelle ne vise que les terroristes qui ont commis des crimes graves contre la Nation, ce qui est quand même extrêmement restreint. Il s’agit en effet de viser des individus qui ne sont plus loyaux vis-à-vis de l’État qui les protège et vont même jusqu’à commettre des crimes contre lui.
Je ne crois pas que l’on puisse dire que les Français ne comprennent pas cette position. Nous, nous soutenons qu’il peut y avoir une déchéance de nationalité quand un crime grave a été commis contre la vie de la Nation, à la seule condition qu’on ne crée pas d’apatrides. L’intérêt d’inscrire cette mesure dans la Constitution, c’est d’éviter tout dérapage législatif futur en fixant strictement le cadre dans lequel le législateur pourra intervenir.
M. Philippe Bas, rapporteur. Exactement !
M. Michel Mercier. C’est donc un vrai progrès. C'est la raison pour laquelle je voterai l’amendement que présentera Philippe Bas tout à l’heure.
M. Gérard Larcher. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Giraud, sur l'article.
Mme Éliane Giraud. Le droit évolue et doit évoluer pour renforcer ce qui fait société et respect des règles communes. Le débat esquissé au sujet de l’article 16 ce matin montre bien cette évolution : entre 1958 et maintenant, des pratiques ont été installées par les différents Présidents de la République, par les différentes majorités. Et ces pratiques ont renforcé un esprit, l’esprit commun de la loi !
Ainsi, pour ma part, j’ai été très satisfaite de la rapidité et de la netteté de la vision du Président de la République, qui, en réunissant le Congrès à Versailles trois jours après les événements, a démontré qu’il s’inscrivait totalement dans cette continuité d’esprit républicain, celle d’un Président agissant en toute responsabilité, mais agissant aussi en impliquant la représentation nationale dans toute sa responsabilité propre. Depuis, la vie a repris, et c’est heureux, même si le risque d’attentats est encore très fort.
Le débat approfondi, sérieux, pour améliorer le cadre juridique que la République partage, a abouti à une rédaction de l’article 2 par une majorité de trois cinquièmes des députés. Le Sénat n’a pas à s’aligner sur l’Assemblée nationale, a dit M. Mercier hier. Certes ! Mais il n’a pas non plus à oublier le débat de l’Assemblée nationale.
Mme Jacqueline Gourault. On ne l’a pas oublié !
Mme Éliane Giraud. Or, en réintroduisant la déchéance de nationalité comme le fait l’amendement de la commission des lois, vous refusez simplement d’admettre le compromis intervenu entre la droite et la gauche de l’Assemblée nationale. Vous voulez en fait vous poser comme des redresseurs d’histoire, mais vous ne faites que ralentir l’histoire en compromettant la réforme constitutionnelle.
M. Philippe Dallier. Drôle de discours…
Mme Éliane Giraud Le projet de loi constitutionnelle, tel qu’il a été adopté à l’Assemblée nationale, est la réponse adéquate, parce qu’il est le fruit d’un compromis indispensable. C'est la raison pour laquelle je voterai contre l’amendement de la commission des lois.
Mme Stéphanie Riocreux. Très bien !
M. le président. Je suis saisi de sept amendements identiques.
L'amendement n° 18 est présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 30 rectifié est présenté par MM. Malhuret, Grand, Bignon et Portelli, Mme Garriaud-Maylam, MM. Barbier et Pinton et Mme Goy-Chavent.
L'amendement n° 36 est présenté par M. Kaltenbach.
L'amendement n° 37 est présenté par MM. Gabouty, Cadic, Canevet et Guerriau et Mmes Loisier et Joissains.
L'amendement n° 43 rectifié quater est présenté par Mme Khiari, MM. Leconte et Yung, Mmes Ghali et Lepage, MM. Assouline, Anziani et Sueur, Mme Lienemann, M. Gorce, Mme Conway-Mouret, M. Daudigny, Mme Meunier, M. Vaugrenard, Mme Guillemot, M. Néri, Mme Yonnet, M. Roger, Mme Bonnefoy, MM. Godefroy et Masseret, Mme Claireaux, MM. Durain, Mazuir, Labazée, Cabanel, Duran, Madrelle, Raynal, Patient et Patriat et Mmes S. Robert et Blondin.
L'amendement n° 56 rectifié est présenté par Mmes Benbassa, Aïchi, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé et Poher.
L'amendement n° 71 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collombat, Amiel, Arnell, Collin, Fortassin et Guérini, Mme Jouve, M. Hue et Mme Laborde.
Ces sept amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Pierre Laurent, pour présenter l'amendement n° 18.
M. Pierre Laurent. Dans la droite ligne de beaucoup d’interventions que nous venons d’entendre, nous proposons sans hésitation de supprimer cet article, qui vise à inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité. C’est en effet de cela dont nous parlons et non de l’existence de la déchéance.
La diversité politique de nos collègues qui viennent de s’exprimer en ce sens devrait logiquement conduire à l’adoption de notre amendement. En effet, ce n’est pas un sujet sur lequel on peut se permettre de passer en force quand une telle diversité politique s’exprime pour s’opposer à une telle décision.
Accepter que la question de la nationalité soit introduite dans la Constitution par le biais de la déchéance nous paraît fondamentalement contraire non seulement aux idéaux de gauche, mais aussi, tout simplement, aux idéaux républicains. Inscrire la déchéance de nationalité dans la Constitution, c’est introduire un facteur de division dans un texte censé rassembler.
La Constitution est fondamentalement – depuis deux siècles – un texte de droit positif. On définit dans la Constitution le droit à la liberté. C’est dans le code pénal, et non dans la Constitution, que l’on définit les conditions de privation de cette liberté. La Constitution est faite pour énoncer ce qu’est la nationalité française et non pour énoncer les conditions dans lesquelles on peut la perdre ! Ce serait la première fois depuis la IèreRépublique que nous introduirions un élément de restriction des droits dans la Constitution.
Insérer dans le cadre constitutionnel un tel concept suscite un tout autre débat que la présence ou non de la déchéance de nationalité dans le code civil. C’est confondre la Constitution et la loi. Que cela ait été volontaire ou non de la part des initiateurs de ce texte, cela tend à conférer – contrairement à ce que je viens d’entendre – un caractère collectif à la déchéance, qui pèserait en quelque sorte comme une menace sur l’ensemble de nos concitoyens, alors que cette déchéance doit rester une mesure individuelle qui intervient dans le cadre d’une procédure de justice à l’issue de laquelle elle doit être prononcée et mise en œuvre par un juge.
Lorsqu’il a été décidé d’utiliser la Constitution comme vecteur de la déchéance de nationalité, le Président de la République a commis une lourde erreur. Je veux ajouter que nous proposons évidemment la suppression de la constitutionnalisation, que la déchéance concerne les binationaux ou tous. C’est en effet le même sujet pour tous les Français. Faire une différence reviendrait à faire le lit d’idéologies et de conceptions de la nationalité désastreuses portées par l’extrême droite ou des forces de droite qui se rallient à de telles thèses.
Nous entendons d’excellents arguments sur les travées de la droite contre l’apatridie, des arguments que nous partageons. Le refus de l’apatridie ne peut toutefois pas être un alibi pour justifier la déchéance de nationalité des binationaux, laquelle porterait atteinte de manière grave aux droits fondamentaux de la personne et de la nationalité. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
Manifestement, comme cela a été dit par Éliane Assassi, le Président de la République a changé de position sur le sujet au cours des derniers mois, pour des raisons politiciennes. Je pense qu’il est temps d’arrêter cette manœuvre qui, de surcroît, est en train d’échouer lamentablement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour présenter l'amendement n° 30 rectifié.
M. Claude Malhuret. La France, pays des droits de l’homme, voix internationale porteuse d’un message universel – du moins le croyait-on –, va prononcer des mesures de déchéance qui rendront des personnes apatrides.
La France, pays des droits de l’homme, voix internationale porteuse d’un message universel, va voter une loi en contradiction directe avec l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, aux termes de laquelle « tout individu a droit à une nationalité ».
Le Premier ministre de la France, pays des droits de l’homme, constatant que tout le monde a compris que la déchéance ne servait à rien, raconte désormais à qui veut l’entendre que c’est un symbole. Mais le symbole de quoi ? Au début, c’était tout simplement le symbole de la division des Français en deux catégories : d’un côté, les Français de souche – car il faut bien appeler les arrière-pensées par leur nom – et, de l’autre, les binationaux, c'est-à-dire à 80 % des descendants d’immigrés musulmans. Les premiers ne pouvaient être déchus, les autres, oui ! Beau symbole de la part d’un Président qui n’avait cessé de marteler au Congrès du 16 novembre : « Unité, unité de la Nation, unité des Français ». Un mois plus tard, il propose un texte de division !