M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, 2015 aura marqué un tournant dans la vie démocratique de la France. Ciblée à de nombreuses reprises, attaquée dans sa chair, elle a vu ressurgir les affres du terrorisme.
Innocent, le peuple a été touché, dans sa pleine diversité. La barbarie s’est abattue avec fracas sans faire cas de l’âge, du genre, des convictions de chacun, et la France a tristement redécouvert son visage. L’objectif était bel et bien de défier lâchement et cruellement ce que nous sommes intrinsèquement, culturellement, ce que nous représentons en tant que société plurielle et ouverte.
Nous avons tous vacillé, incrédules devant des scènes dont nous n’avons nulle habitude, abasourdis par une violence sans limites, traumatisés par une terreur qui nous était inconnue. Cependant, nous nous sommes collectivement relevés, et nous continuons à agir, à réagir comme en témoigne la vitalité des débats autour de la recherche de l’équilibre subtil entre protection de la nation et sauvegarde de nos libertés publiques.
Nous n’avons pas dérivé vers le silence craintif de ceux qui n’osent plus s’exprimer ; nous ne nous sommes pas résignés à courber l’échine devant cet obscurantisme.
D’ailleurs, l’Europe fait aussi face à ses propres obscurantismes. La menace d’un repli identitaire, mâtinée de populisme, assombrit l’horizon. (Mme Dominique Estrosi Sassone s’exclame.)
Dans certains pays d’Europe centrale, des journalistes accusés de « manquer d’objectivité et d’impartialité » sont constamment mis sous pression, quand ils ne sont pas débarqués. La liberté des médias, qui a été conquise de haute lutte, se trouve ainsi remise en cause. D’autres entraves à la liberté sont en passe d’être concédées. Est-ce fidèle à la communauté de valeurs sur laquelle s’est construite l’Europe ? Est-ce fidèle à l’idéal et à l’espoir de nos pères fondateurs ?
Aujourd’hui, l’édifice inspiré par la philosophie des Lumières et l’ambition pacifiste de l’après-guerre vacillent. Sur l’ensemble du continent européen, le sens de la valeur liberté, déclinée sous tous ses jours, se perd. Et quelle liberté, peut-être la plus impérieuse, subit les assauts répétés d’idéologies qui souhaiteraient enfermer les consciences ? La liberté d’expression, qui sert de point de ralliement à tous les contempteurs d’un modèle de société tolérant, fondé sur la dialectique et la raison.
Alors, oui, la liberté ne peut être absolue. Mais il est malheureux de constater que des raisons spécieuses et pernicieuses sont invoquées quotidiennement pour restreindre son effectivité. On ne peut pas aujourd’hui ne pas penser à tout ce qui fonde cette réalité qui nous entoure.
Dans ce cadre, l’examen du projet de loi relatif à la liberté de création a bien sûr une résonance toute particulière. Il ne s’agit plus uniquement d’un texte comportant diverses dispositions qui ont trait aux secteurs culturels, à la protection du patrimoine et de l’architecture. C’est aussi la question d’un engagement pour la démocratie, à l’image de la formulation de l’article 1er qui proclame solennellement que « la création artistique est libre ».
Eu égard au climat général décrit précédemment, aux dégradations répétées d’œuvres subversives, aux atteintes à la personne à l’encontre d’artistes, dont le seul crime serait de nous pousser à nous interroger, de nous déconcerter jusqu’à nous choquer, il se révèle plus que nécessaire d’ériger en préambule ce principe universel. Je tiens ardemment à vous saluer, madame la ministre, pour cette initiative.
Sur ce point, je proposerai d’ailleurs un amendement afin de conférer une portée véritablement normative à ce principe. En effet, si je crois en la force des valeurs, je crois également en la légitimité de sanctions proportionnées. C’est pourquoi je soumettrai à votre sagesse l’idée d’une sanction pénale en cas d’entrave aux libertés de création et de diffusion artistiques, peine qui serait analogue à celle qui est prévue en cas d’entrave à l’exercice de la liberté d’expression, d’association ou de réunion.
Ce parallélisme des formes, loin d’être anodin, aurait un impact concret. Il permettrait notamment de sortir de l’impunité dont jouissent certains, en particulier des groupuscules extrémistes, qui se sont spécialisés dans l’interruption de spectacles ou de pièces de théâtre sans être pour autant inquiétés par la justice. La liberté de création mérite d’être un droit effectif et non seulement déclaratif.
Face aux dérives précitées, les artistes ont donc besoin d’un soutien politique affirmé et sans ambiguïté. Souvenons-nous du temps où ils ont risqué leur vie au titre de cette liberté de création, au titre de la possibilité d’évoquer le monde comme ils l’entendaient, en jetant leurs sentiments et leur vision dans l’acte créateur. L’artiste a toujours revendiqué son droit de déranger, et ce droit lui est inaliénable. Pourtant, l’actualité récente souligne avec quelle acuité ce droit, aujourd’hui, lui est contesté…
Dans un contexte économique moins favorable et marqué par une nouvelle phase de décentralisation, à la suite de l’adoption de la loi portant nouvelle organisation de la République, dite « loi NOTRe », qui consacre la culture comme « compétence partagée », il est essentiel de rassurer les artistes et de les prémunir, autant que faire se peut, d’un désengagement qui entraînerait l’annulation de projets.
C’est l’un des aspects d’une politique culturelle publique moderne. Si les commandes publiques existent toujours, il est surtout attendu des pouvoirs publics qu’ils mettent tout en œuvre pour créer les conditions, notamment financières, d’exercice propices à l’épanouissement et à l’activité des artistes. Cela implique de réfléchir à l’ensemble des enjeux qui concernent l’artiste, de sa formation à son insertion professionnelle, de sa participation à la vie de la cité à la valorisation de ses œuvres. À cet égard, l’article 2 énumère un nombre important de ces finalités ; c’est une avancée notable. Notre groupe a souhaité le réécrire pour en organiser un peu plus clairement les grandes missions.
Dans cette même optique, tout un titre était enfin dédié à la création et à la qualité architecturales. Même si les dispositifs prévus étaient imparfaits d’un point de vue législatif, ils pouvaient être améliorés. Or la quasi-totalité des articles portant sur l’architecture a été supprimée en commission – on en oublierait presque que l’intitulé du projet de loi comprend tout de même le terme « architecture » !
Sans surprise, vous l’imaginez, le groupe socialiste et républicain déposera donc une série d’amendements qui a pour objet de replacer la problématique architecturale au cœur de ce projet de loi. Elle est nécessaire, et plus que jamais aujourd’hui, quand les villes se reconstruisent sur elle-même, quand l’économie du foncier induit une maîtrise des formes urbaines, quand les paysages habités dessinent de plus en plus notre environnement. Nous devons susciter l’envie d’architecture, tout en ayant la lucidité nécessaire à son recours lorsqu’elle est opportune.
Par ailleurs, j’aimerais verser un sujet au débat, sur lequel certains de nos collègues, notamment Jean-Pierre Sueur, ont beaucoup travaillé : celui des entrées de ville et des zones d’activité commerciale. Il devient littéralement terrifiant de mesurer l’absence d’esthétisme et d’intégration de ces zones dans le paysage urbain. D’ici à la deuxième lecture, peut-être pourrions-nous trouver ensemble un mécanisme législatif, expérimental par exemple, qui serait de nature à remédier à ce qui constitue quand même une défiguration de la ville et de notre environnement.
Enfin, une politique culturelle de service public n’a que peu de sens si elle ne se soucie pas des personnes. Créer est unique, diffuser est impératif ; mais permettre le partage, la rencontre avec le plus grand nombre est une nécessité. L’intérêt d’une création, indépendamment de sa valeur en soi, est nul si elle demeure cachée aux yeux du plus grand nombre ; ce qui en fait son ultime richesse, c’est son appropriation par tous.
Il me semble qu’en termes de politique publique nous sommes entrés dans une nouvelle ère. Il n’est plus pertinent de raisonner seulement en termes d’offre et de démocratisation culturelles. Sans négliger ni renier l’apport constant d’une telle politique, qui reste fondamentale, il est tout aussi indispensable de mieux reconnaître l’identité et la diversité culturelles des individus, ce que recouvre justement le concept de droits culturels que je souhaite vivement voir figurer à l’article 2 de ce projet de loi. C’est affaire de démocratie culturelle, c’est affaire de partage, de rencontre et de participation.
Tout un nouveau champ d’investigation s’ouvre ainsi pour les politiques publiques culturelles, dicté par l’évolution sociétale globale et de plus en plus horizontale. (M. René Danesi frappe sur son pupitre en signe d’impatience.) À ce titre, c’est précisément une politique publique de la culture forte et porteuse de sens qui peut permettre de lutter contre les funestes phénomènes auxquels la République et l’Europe sont confrontées.
Bien évidemment, l’action publique en matière d’éducation et de culture ne sera jamais tonitruante. Loin des éclats d’un jour, elle agit sur le long terme, imperceptiblement, et les fruits récoltés ne sont mûrs qu’après une période certaine. Mais, oui, la culture est source d’émancipation individuelle et collective, source de liberté une fois encore.
C’est pourquoi, madame la ministre, mes chers collègues, nous devons prendre la mesure de notre responsabilité collective de faire progresser ce texte, même si l’on sait que les grandes mutations sociétales actuelles questionnent en permanence les enjeux.
Mais, comme le disait René Char, « L’inaccompli bourdonne d’essentiel ». (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Corinne Bouchoux, Marie-Christine Blandin et Françoise Laborde applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, ce texte, cela a été dit tout à l’heure, répond à une forte attente et ressemble, d’une certaine façon, à un patchwork. Apporte-t-il les bonnes réponses aux attentes des artistes, des créateurs, des interprètes ? Quid de la place du public, des usagers, des amateurs, de ceux qui pratiquent toutes ces activités artistiques dont nous allons parler au cours de ces prochains jours. Nous veillerons, durant toute la discussion, à ce qu’un équilibre entre les acteurs soit pleinement trouvé.
Selon l’étude d’impact, ce texte offre un cadre rassurant aux professionnels de la photographie et aux autres arts visuels. Un oubli nous semble avoir été réparé en commission. Un mécanisme assure désormais la rémunération de ces auteurs pour les images que les moteurs de recherche et de référencement s’approprient sans autorisation, les spoliant ainsi de leur travail.
Si d’autres conséquences sur la précarité de leur situation persistent par ailleurs, cette réponse, reprenant l’article 2 d’une proposition de loi naguère repoussée, nous semble satisfaisante.
Même si la question relève, de fait, du domaine réglementaire, nous souhaitons relayer une inquiétude, qui peut sembler anecdotique, mais qui ne l’est pas.
Madame la ministre, comment comptez-vous résoudre à l’avenir les difficultés auxquelles se heurtent les auteurs d’œuvres plastiques, graphiques et photographiques pour accéder gratuitement aux musées de France ? Pour eux, il s’agit là d’une nécessité professionnelle, d’un moyen d’aider et de stimuler leur création. Or la gratuité ne leur est pas concédée de manière uniforme. Pourquoi ne pas l’accorder aux plasticiens, photographes et graphistes assujettis au régime de sécurité sociale des artistes auteurs ? Je dis bien « assujettis », et non « affiliés ».
La reconnaissance de la notion de patrimoine immatériel, déjà retenue par l’UNESCO, va dans le bon sens.
Nous saluons également, dans le présent texte, la consécration législative de la protection des biens inscrits au patrimoine mondial. Mais qu’en est-il des réserves de biosphère classées au titre du programme MAB, Man And Biosphere ?
À nos yeux, ces biens et zones naturelles méritent l’application du même régime juridique de protection que celui qui concerne les biens de la liste mondiale. Nous comptons attirer l’attention sur ce niveau de protection, fondée sur une collaboration constructive entre l’État et les collectivités territoriales. Ce point nous tient particulièrement à cœur.
Des réactions locales et des oppositions fortes ont guidé l’adoption d’une disposition en commission, quant au conflit d’usage entre les moulins à eau et la restauration de la continuité écologique des cours d’eau. À cet égard, il nous semble prématuré de modifier la législation avant d’avoir mis à plat les véritables enjeux en présence.
Mes chers collègues, pour ce qui concerne les archives, nous approuvons les dispositions relatives aux dépôts. La mutualisation et la conservation entre les différents services publics d’archives constituent, elles aussi, une réelle et belle avancée.
Mme Maryvonne Blondin. Oui !
Mme Corinne Bouchoux. Les archivistes attendaient ces mesures.
En la matière, un autre progrès est à signaler. À l’heure de l’open data, modifier la définition des archives en précisant qu’elles englobent l’ensemble des documents et données permet de mieux prendre en compte les évolutions à l’œuvre. Grâce à cette clarification, on sensibilisera davantage les acteurs publics à la nécessité de sauvegarder également le patrimoine immatériel.
Enfin, la meilleure définition de ce qu’est un service public d’archives renvoie à un débat que nous devrons mener. Soyons cohérents : nous sommes sur le point d’améliorer l’accessibilité et l’ouverture des données publiques. Il faudra également évoquer les enjeux de formation et de professionnalisation ainsi que le renforcement des moyens humains, matériels et financiers, qui ne doivent pas être oubliés et sont nécessaires pour aider les archivistes.
Mme Maryvonne Blondin. Tout à fait d’accord !
Mme Corinne Bouchoux. Parallèlement, pour ce qui concerne l’archéologie préventive, nous demeurons aussi dans une forme d’ambiguïté : ce constat a été rappelé à plusieurs reprises.
D’une part, les collectivités territoriales souhaitent avoir davantage la main sur les opérations de fouilles, tout en devant faire face à des problèmes de financements. De l’autre, on le perçoit nettement, l’État entend à la fois réduire le montant de ses crédits et accroître son contrôle.
Dans un contexte où opérateurs publics et privés se partagent un marché de plus en plus réduit et compliqué, le présent texte ne tranche pas suffisamment ces questions politiques, sur lesquelles nous pouvons avoir des désaccords.
Mme Françoise Férat, rapporteur. Ah bon ?
Mme Corinne Bouchoux. Veillons cependant à ne pas fragiliser ces services, qui travaillent avec beaucoup d’application.
Mme Françoise Férat, rapporteur. Tout de même, il est bon de le souligner !
Mme Corinne Bouchoux. Madame la ministre, nous avons le sentiment qu’avec ce projet de loi on a quelque peu tendance à mettre en concurrence les professions entre elles. Architectes, géomètres, aménageurs, maîtres d’œuvre, paysagistes : nous avons besoin de tous. À nos yeux, l’enjeu n’est pas de les opposer mais de les faire coopérer, pour mieux articuler leur action. Tous ces acteurs doivent travailler main dans la main au service de la culture, du patrimoine et de nos paysages.
Au total, nous veillerons à ce que l’intérêt collectif et l’intérêt général sortent gagnants de ce travail législatif, à ce que la biodiversité de notre patrimoine soit préservée et à ce que l’on assure un équilibre entre la conservation de l’existant et les nécessaires évolutions ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, après ma collègue Françoise Laborde, je tiens à m’exprimer sur les dispositions du présent texte relatives à l’archéologie préventive, au patrimoine culturel et à la promotion de l’architecture.
C’est un grand et vaste projet qui est soumis à notre examen aujourd’hui : un texte croisant l’amélioration de la protection du patrimoine et l’incitation à valoriser l’architecture.
Ces dispositions, dans les deux cas, étaient attendues de longue date. Au reste, c’est pourquoi plusieurs des mesures contenues dans le présent texte modifient en profondeur les règles actuellement en vigueur. Je pense notamment à la réforme des espaces protégés ou à celle des abords des monuments historiques, qui n’ont pas fini de susciter des débats. De même, les dispositions encourageant le recours à l’architecte constituent une évolution majeure à l’égard d’une profession dont le statut n’a pas été modifié depuis la loi du 3 janvier 1977.
On a pu le constater depuis l’examen du texte à l’Assemblée nationale : quelques-unes de ces mesures ont provoqué de fortes réticences de certains professionnels, mais aussi des interrogations, non moins inquiètes, émanant des collectivités territoriales, qui craignent d’être laissées en première ligne par l’État.
« Il faut que l’État reste garant des mesures de protection du bien général », avaient d’ailleurs déclaré en décembre dans une lettre commune adressée au Président de la République et au Premier ministre les deux cents maires des villes d’art et d’histoire, soutenus par l’Association des maires de France, l’AMF.
Madame la ministre, vous semblez avoir entendu cet appel, et vous êtes parue visiblement disposée à des inflexions sur la question du regroupement des dispositifs de protection et de sauvegarde dans les plans locaux d’urbanisme, les PLU. Sur ce sujet, la commission a avancé, nous semble-t-il, dans le bon sens, c’est-à-dire dans l’intérêt des collectivités territoriales. Le PLU, sujet par sa nature même à des changements fréquents, ne paraît effectivement pas le meilleur rempart pour une protection durable du patrimoine.
D’autres mesures, attendues elles aussi, ont connu une destinée plus consensuelle, comme le renforcement de la protection juridique du patrimoine de l’État, en particulier les mesures visant à la protection des biens français inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, ou concernant la sauvegarde spécifique des domaines nationaux.
En revanche, un point suscite notre mobilisation : c’est celui de l’archéologie préventive. La commission est revenue sur la plupart des mesures prises par l’Assemblée nationale, lesquelles visaient pourtant à renforcer le contrôle de l’État sur les opérateurs privés soumis à l’agrément, dans le but d’améliorer la qualité des fouilles. Au prétexte de lutter contre une « reconcentration » entre les mains de l’Institut national de recherches archéologiques préventives, l’INRAP, notre commission a réduit les vérifications auxquelles sont soumis les opérateurs agréés, jusqu’à leur permettre de disposer du crédit d’impôt recherche, le CIR. Or, à mon sens, cette faveur ne répond ni à la logique du dispositif ni à une concurrence saine.
Mme Françoise Férat, rapporteur. Non !
Mme Mireille Jouve. Soucieux de préserver l’intérêt général, nous proposerons des amendements tendant à réintroduire un contrôle rigoureux des opérateurs privés subordonnés à l’agrément. Ces derniers ont toute leur place au cours des opérations de fouilles, mais doivent procéder dans le respect de certaines règles. Or les pratiques de dumping économique et social visant à faire baisser les prix du marché de l’archéologie préventive sont principalement l’œuvre de ces opérateurs. Il faut pouvoir contrôler le respect de certaines exigences des opérateurs en matière sociale et faire en sorte que le renouvellement régulier de l’agrément en dépende.
Dans un marché de plus en plus concurrentiel, le choix du moins-disant financier conduit trop souvent à faire passer les critères économiques avant la qualité scientifique des projets.
Dès lors, il existe un risque réel de négligence des fouilles et des opérations post-fouilles, en contradiction avec la mission d’intérêt général que doit remplir l’archéologie préventive, d’autant que, lorsqu’une fouille est exécutée, il est impossible de la recommencer.
Notre pays dispose d’un service public de recherches archéologiques préventives particulièrement compétent. Il faut le soutenir, comme il faut reconnaître le rôle spécifique des collectivités territoriales en la matière et encourager le recours à leurs services archéologiques, ainsi que doit le permettre la procédure d’habilitation. Tel est le sens des amendements que nous avons déposés.
Au sujet du patrimoine, je salue à la fois les avancées assurées via le présent texte et les corrections apportées par la commission. La liberté donnée aux collectivités territoriales dans le choix entre le périmètre automatique de 500 mètres et le périmètre délimité laisse une ouverture opportune aux maires.
Dans le cadre de la réforme des espaces protégés, nous souscrivons également au renoncement du recours au plan local d’urbanisme au profit d’un document plus constant et de nature à échapper aux modifications intempestives. L’unité de la protection du patrimoine passe par cette stabilité.
Les collectivités territoriales seront davantage accompagnées par l’État dans l’élaboration des plans de sauvegarde et de mise en valeur. Cette demande était formulée par nombre d’entre elles. Quant au nouveau label, son appellation fait couler beaucoup d’encre. Les « cités historiques » sont devenues en commission des « sites patrimoniaux protégés ». Mes chers collègues, nous soumettrons à votre vote une appellation quelque peu différente, qui nous semble à la fois plus lisible et plus attractive : ne perdons pas de vue que, derrière cette désignation, demeurent des enjeux touristiques.
Le volet architecture a, quant à lui, été très largement complété par l’Assemblée nationale, s’inspirant des propositions formulées par la mission parlementaire sur la création architecturale et sur la stratégie nationale pour l’architecture.
Néanmoins, adoptées en première lecture par l’Assemblée nationale dans un consensus suffisamment rare pour être souligné, ces mesures se sont révélées assez clivantes au Sénat, eu égard aux sollicitations envoyées par les différents professionnels du secteur. Pour ma part, je suis attachée à la promotion de la qualité architecturale du bâti, qui, comme l’a dit Mme la rapporteur, constitue notre patrimoine de demain.
Je ne serai pas la première à dresser le constat d’une France périurbaine assez peu mise en valeur par les zones commerciales et les lotissements au kilomètre.
Mme Mireille Jouve. En favorisant le recours à l’architecte, nous nous donnons les moyens de renouer avec la qualité architecturale des constructions individuelles et collectives tout en veillant à leur insertion harmonieuse dans leur environnement. La diversité culturelle passe également par l’architecture, qui se donne à voir à tous de manière gratuite.
Dans son ensemble, nous accueillons donc favorablement plusieurs avancées de ce texte, aussi bien en matière de patrimoine que d’architecture, mais nous resterons vigilants quant au sort réservé à l’archéologie préventive. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Christine Blandin. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, « la création artistique est libre » : l’article 1er du projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine pourrait très bien être un sujet de philosophie pour les prochaines épreuves du baccalauréat.
Mme Françoise Férat, rapporteur. Pourquoi pas ?
M. Jacques Grosperrin. Il s’agirait de définir notamment le sens de la liberté de création artistique dans la société française, de réfléchir à notre exception culturelle dans la mondialisation ou à la notion de politiques culturelles.
Toutefois, ces grandes réformes annoncées par François Hollande accouchent, dans leur premier volet consacré à la création, d’une série de mesures fourre-tout plus ou moins floues. Nous attendions pourtant un grand texte, doté d’une âme, d’un souffle, d’une ambition pour la France.
M. Claude Haut. Ah !
M. Jacques Grosperrin. Il est loin le temps où le mot « culture » avait du sens pour la gauche. (M. Alain Dufaut s’esclaffe.)
M. David Assouline. Quel aveu ! Pour la droite, il n’en a jamais eu ! Nous, au moins, nous avons un passé !
M. Jacques Grosperrin. Ce texte devait être un marqueur du quinquennat : le marqueur restera la baisse historique des crédits du ministère de la culture opérée depuis 2012, exception faite de la sacralisation en 2015.
On reconnaît, dans le présent texte, tantôt telle ou telle revendication corporatiste, tantôt de grandes déclarations d’intention s’inscrivant dans une forme de droit mou, pour reprendre une formule figurant dans l’avis du Conseil économique, social et environnemental, le CESE. Qui trop embrasse mal étreint…
Mme Françoise Férat, rapporteur. Exact !
M. Jacques Grosperrin. « La création artistique est libre »… Vérité et paradoxe dans un pays jacobin où l’État ne semble pas avoir l’intention de partager les compétences culturelles avec les collectivités territoriales, sauf, bien sûr, lorsqu’il s’agit du financement. L’article 3, relatif à la politique de labellisation de l’État dans le domaine du spectacle vivant et des arts plastiques, en est la preuve irréfutable.
Ce serait au pouvoir législatif de labelliser les structures culturelles à soutenir et, ainsi, d’endosser ces décisions arbitraires. Ce dispositif est inacceptable, car la France incarne la liberté d’expression dans le monde. Notre pays est assimilé à la culture universelle d’une République empreinte de laïcité, de culture et d’humanisme, et non d’une culture d’État.
Cette culture étatique, centralisée, jugée parfois élitiste, remplit-elle son rôle auprès de nos concitoyens ? Où le lien avec le public est-il abordé dans ce projet de loi ? Comment y inclut-on les pratiques artistiques amateurs, qui concernent, à ce jour, 12 millions de nos concitoyens, autrement que par un nouveau cadre juridique liberticide ? S’il traite de questions juridiques nécessaires pour l’artiste amateur, l’article 11 A n’ouvre aucune perspective à ces pratiques, n’assure aucun cadre d’accompagnement, n’exprime aucune volonté de redéfinir une dynamique positive dans la relation entre artistes amateurs et professionnels.
Puisqu’il faut bien aborder le volet du financement, je pose cette question : comment incite-t-on les entreprises, les fondations et les mécènes à participer davantage à la vie culturelle ? En la matière, rien n’est fait, ou si peu, malgré le travail des rapporteurs, Françoise Férat et Jean-Pierre Leleux, que je tiens à saluer particulièrement.
Et que dire du deuxième volet de ce projet de loi, relatif au patrimoine, qui n’annonce aucun nouveau souffle pour les 1 200 musées, 500 000 entités archéologiques recensées, 44 000 immeubles protégés au titre des monuments historiques et 41 biens inscrits au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO ?
Encore une série de mesures, comme la dénomination « cité historique », qui remplace les secteurs sauvegardés par la loi Malraux de 1962, les zones de protection du patrimoine architectural urbain et paysager issues de la loi Lang, en 1983, et les aires de valorisation de l’architecture et du patrimoine mises en place en 2010 par Mitterrand – Frédéric !
S’agit-il d’un tour de passe-passe pour désengager l’État du financement ?
Pourquoi ne pas redonner vie et jeunesse à notre patrimoine exceptionnel en regroupant le patrimoine et le tourisme au sein d’un même ministère ?
La France est le pays le plus visité de la planète pour son patrimoine architectural, son offre culturelle et son savoir-vivre. Elle a accueilli 80 millions de touristes en 2014. Aux États-Unis, 70 millions de touristes engendrent quatre fois plus de revenus : 200 milliards de dollars, contre 50 milliards d’euros en France. Nos pays vivent, certes, des réalités différentes, mais des revenus importants pourraient être engendrés par une association dynamique entre le tourisme et le patrimoine. Des milliers de projets à soutenir, un vivier d’artisans à préserver, des points de PIB à gagner et des milliards d’euros de recettes supplémentaires à collecter pour le tourisme : voilà un grand chantier, madame la ministre !
Au lieu de l’engager, vous entendez légiférer sur l’abaissement de l’obligation de recours à un architecte pour les travaux de construction ou d’aménagement supérieurs à 150 mètres carrés, au lieu de 170 mètres carrés actuellement. Selon vous, cette mesure favorisera-t-elle l’accession à la propriété du plus grand nombre, simplifiera-t-elle les normes d’urbanisme, transformera-t-elle nos lotissements en « cités historiques » ?
On reconnaît ici la signature d’un gouvernement qui oscille sans cesse entre des déclarations fortes au sujet de réformes et des lois qui n’ont pas d’ambition.
Ce projet de loi est un texte sans ambition pour une politique sans vision. Je le regrette sincèrement et je souhaite que la liberté, l’égalité et la fraternité qualifient toujours la création artistique en France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)