Mme Sylvie Robert. Merci, madame la ministre !
Mme Fleur Pellerin, ministre. Sur ce point, il me semble que tout est réuni pour que nous puissions bâtir un compromis transpartisan.
Sur d’autres points en revanche, votre commission et la majorité sénatoriale n’ont pas fait preuve de la même clairvoyance, et nos désaccords demeurent. Je pense en particulier à l’archéologie préventive. Notre politique en la matière est aujourd’hui déséquilibrée, l’excellent rapport de la députée Martine Faure l’a bien montré.
En renforçant les hauts standards scientifiques de notre archéologie préventive, le projet issu des débats de l’Assemblée nationale visait précisément à rétablir l’équilibre. Il y parvenait en confortant dans leur rôle chacun des acteurs, tout en clarifiant leurs périmètres d’intervention respectifs, et assurait cet équilibre en garantissant le caractère scientifique des fouilles qu’ils conduisent.
Je rappelle notamment que le texte initial du projet de loi reconnaissait la participation des services archéologiques des collectivités territoriales au service public de l’archéologie préventive et confortait leur action par une habilitation pérenne, au lieu d’un simple agrément, sans remettre en cause le rôle des sociétés privées qui ont toute leur place, je veux le dire ici, dans l’archéologie préventive. J’espère donc bien vous convaincre de revenir à la rédaction initiale.
Un mot encore, pour en finir avec cette évocation du patrimoine. Si nous nous attachons autant à le mettre en valeur, c’est parce qu’il participe à l’attractivité et à la vie culturelle de nos territoires, je l’ai évoqué, mais c’est aussi parce qu’il fait figure de point de repère, de permanence, dans un monde en perpétuel mouvement.
Pour autant, si nous regardons avec autant d’intérêt les vestiges du passé, ce n’est pas pour y retourner. Si nous accordons autant de place au passé, ce n’est pas pour le ressusciter, dans une version mythifiée et figée à jamais, comme certains, aujourd’hui, cherchent à le faire.
Si nous sauvegardons le patrimoine, c’est parce qu’il nous rappelle que des hommes sont passés avant nous et que d’autres viendront après nous. Si nous préservons l’héritage, c’est parce qu’il nous rappelle que nous sommes mortels et qu’il nous faut lutter contre ceux qui prétendent édifier – ou relever, c’est selon – une France éternelle qui n’a jamais existé que dans leurs fantasmes les plus fous et les plus dangereux.
Ne faisons donc pas de la protection du patrimoine un prétexte pour cadenasser l’avenir. Ne laissons pas le patrimoine à ceux qui s’en servent pour mieux fustiger la création contemporaine. Préservons l’héritage, tout en demeurant plus que jamais ouverts à l’invention et à la créativité. Qui contesterait aujourd’hui que le Louvre fut rehaussé dans sa splendeur par la pyramide de Pei ?
Être attentif au passé, être ouvert à l’avenir : telle est l’ambition du Gouvernement, et c’est pourquoi celui-ci a souhaité rassembler création et patrimoine en un même texte ; tel est le combat qu’il mène, et c’est pourquoi il a souhaité que l’article 1er de ce projet de loi élève la liberté de création au rang de liberté fondamentale.
Je ne puis donc que me réjouir du vote conforme de votre commission. On a parfois reproché à cet article, y compris dans cet hémicycle, de ne pas être normatif ; on lui a parfois reproché sa sobriété. Pourtant, la puissance d’une loi, vous le savez mieux que moi, ne se mesure pas à la jurisprudence qu’elle va créer. Une loi n’est pas toujours là pour contraindre ; elle est aussi là pour rendre possible.
Cette loi confortera donc la France comme un pays où l’art et la création ont une place singulière. Cette loi consacrera la France comme un pays où le politique ne dicte pas sa loi à l’artistique et ne laisse aucune prise à ceux qui auraient l’intention de le faire. Cette liberté nouvelle n’a d’intérêt, bien sûr, que s’il existe un espace pour l’exercer.
Puisque nous avons longuement évoqué le bâti et sa préservation, vous m’autoriserez à y revenir, pour évoquer le bâti et son innovation. Je veux parler, bien sûr, de l’architecture. Sur ce point encore, je ne peux que déplorer le sort que votre commission a réservé à la plus grande liberté que nous avions offerte aux architectes.
Vous revendiquez votre attachement à une création artistique libre, mais vous refusez d’accorder aux architectes la liberté d’expérimenter dans des conditions pourtant encadrées. Vous vous inquiétez de ce que les périphéries et les entrées de villes finissent par se confondre, tant elles sont uniformes, et vous refusez que les architectes interviennent davantage dans les constructions individuelles pour les petites surfaces…
Malraux lui-même, en présentant la loi de 1962, récusait tous ceux qui se vantaient d’être des défenseurs du patrimoine en construisant du neuf à l’ancienne. Il invitait, déjà, lorsqu’il s’agissait de bâti nouveau, à choisir la modernité, car, disait-il, « quand l’ancien entre en jeu, la reconstruction aboutit inévitablement à l’ersatz ». Nous aurons un débat dans cet hémicycle et j’espère que, dans ce débat, c’est à Malraux, dont vous vous revendiquez souvent, que vous resterez fidèles.
Comme les architectes, les artistes ont besoin de conditions propices et durables pour oser créer en toute liberté. Or, c’est un fait avéré, le numérique et la mondialisation les transforment. Ces grandes mutations modifient notamment en profondeur les relations entre les acteurs – artistes, producteurs, diffuseurs ou distributeurs.
Dès lors, posons la question : quelles dispositions doivent être modernisées pour garantir aux artistes des conditions pérennes, favorables à la création ? Quelles dispositions faut-il, au contraire, réaffirmer et compléter ?
En la matière, je revendique une méthode : encourager des négociations entre les acteurs, car ils sont les mieux à même de déterminer ce qui leur est collectivement le plus profitable. On aura donc recours à la loi uniquement lorsque la nécessité l’impose : soit pour entériner des accords, soit pour endosser une responsabilité que les parties prenantes n’auront pas voulu assumer, comme je l’ai fait sur le livre.
C’est en ayant l’ensemble de ce processus à l’esprit, y compris les combats que je mène au sein des instances communautaires en faveur du droit d’auteur, y compris ceux que je poursuis contre l’offre illégale, que je vous invite par conséquent à examiner ce texte et à juger des amendements qui vous sont proposés par votre rapporteur.
Ainsi, pour rééquilibrer les relations entre les artistes et les producteurs de cinéma à l’ère du numérique, nous avons adapté nos dispositions pour que ces relations soient plus transparentes. À ce titre, je ne peux que me réjouir que, sur l’initiative de David Assouline et du groupe socialiste, vous ayez transposé à l’audiovisuel ce que les députés ont adopté pour le cinéma, car c’est un réel progrès.
En revanche, pour ce qui relève des relations entre les producteurs et les diffuseurs, des négociations sont en cours, après qu’un premier accord, attendu depuis longtemps, a été conclu entre France Télévisions et les producteurs. Tout ce qui viendrait déséquilibrer ces négociations ou prendre les acteurs au dépourvu doit donc être évité. C’est pourquoi je ne puis qu’être en désaccord avec les amendements adoptés par la commission à ce sujet, sur l’initiative de votre rapporteur.
De même, c’est la transparence que nous avons privilégiée pour rééquilibrer les relations entre artistes-interprètes et producteurs de musique, d’une part, et entre producteurs et plateformes de musique en ligne, d’autre part.
Ainsi, le développement équitable de la musique en ligne a fait l’objet d’un accord signé par de très nombreuses organisations de la filière musicale, sous la houlette de Marc Schwartz. Là aussi, d’autres négociations sont en cours et elles sont d’ailleurs suivies de près à l’étranger, car cet accord n’a pas de précédent. Il importe donc, là encore, de ne rien faire qui pourrait déséquilibrer ces négociations.
Je regrette, en revanche, que vous refusiez d’étendre la licence légale au webcasting linéaire qui ne présente aucune difficulté, dans la mesure où nous ne faisons qu’appliquer le principe de la neutralité technologique. J’espère vous convaincre de revenir sur votre décision.
Les dispositions qui régissent le cinéma, l’audiovisuel et la musique ont donc besoin d’être modernisées, parce qu’elles sont exposées au premier chef aux mutations numériques et à la globalisation. D’autres, au contraire, ont besoin d’être affirmées ou complétées.
Il s’agit tout d’abord la liberté de programmation et la liberté de diffusion. Elles sont le fondement de notre histoire, elles font notre fierté et, sans elles, aucune vie culturelle ne serait possible ; plus que jamais, il importe de les préserver. Je suis donc extrêmement attentive à ce que ces libertés soient garanties.
Toutes les dispositions qui offrent un cadre pérenne à l’intervention publique en matière culturelle ont aussi besoin d’être affirmées.
Ce sont les labels, auxquels il est nécessaire de donner une base juridique indiscutable.
Ce sont les droits sociaux, qu’il s’agit d’ouvrir aux professions du cirque et de la marionnette, après que le régime de l’intermittence a été sanctuarisé dans la loi relative au dialogue social et à l’emploi.
C’est la formation des artistes en devenir, dans nos établissements d’enseignement supérieur culturel, dans les classes préparatoires publiques aux écoles d’art, qui seront désormais reconnues par agrément, et dans les classes préparatoires à l’enseignement supérieur du spectacle vivant, qui remplacent les cycles d’enseignement professionnel initial, les CEPI.
C’est le caractère inaliénable des collections publiques, que nous vous proposons de conférer à celles des Fonds régionaux d’art contemporain.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez donc compris : mon souci est de donner aux artistes la possibilité de créer librement dans cet environnement nouveau, en prenant les dispositions et en confortant les moyens qui s’imposent. Il est de permettre aux acteurs culturels, qui travaillent avec eux, d’exercer leur métier dans un environnement sécurisé. Il est de soutenir l’emploi dans ce secteur et de donner de meilleures garanties aux artistes professionnels. Il est de renforcer la protection du patrimoine, au bénéfice de tous.
Parce que tout doit être fait pour qu’une vie culturelle riche et diversifiée soit offerte aux Français, parce que mon objectif ultime reste la participation de tous nos concitoyens à la vie culturelle, j’assume que cet objectif imprègne ce texte dans sa globalité et que beaucoup de dispositions concourent à faciliter sa réalisation dans ce contexte nouveau.
Je pense à la réforme de l’exception au droit d’auteur pour faciliter l’accès à la lecture des personnes en situation de handicap, dont je me réjouis qu’elle fasse consensus. Je pense aussi à l’affirmation de l’éducation artistique et culturelle comme axe majeur de nos politiques culturelles.
Cependant, j’espère que, sur deux dispositions particulières, nos points de vue convergeront au cours du débat. Je veux parler de la réforme des conservatoires et de la reconnaissance des pratiques amateurs, parce qu’il s’agit du quotidien culturel des Français.
C’est grâce à un réseau très important de conservatoires, unique en Europe, que nos enfants ont accès à une formation et à une pratique artistique exigeantes. Nous l’avons d’ailleurs très souvent évoqué avec Catherine Morin-Desailly. Celle-ci sait combien, dès mon arrivée rue de Valois, je m’en suis particulièrement préoccupée.
Mon ambition est de faire de l’enseignement artistique spécialisé, de la pratique artistique collective, de la formation des amateurs dans les conservatoires, un moyen de renforcer la participation de tous les jeunes à la culture et de leur offrir une éducation artistique et culturelle de qualité.
J’ai souhaité conforter les grands principes de la loi de 2004 et confirmer la répartition des missions entre les collectivités territoriales et l’État. J’ai souhaité réengager l’État dans le financement des conservatoires, pour que les actions de ces derniers puissent aller encore plus loin, pour tous les enfants, dans tous les territoires, vers une plus grande diversité.
Toutefois, c’est aussi en amateurs que les Français pratiquent les arts et la culture : quelque douze millions d’entre eux le font de manière régulière. Comment ne pas vouloir les accompagner ? Comment ne pas vouloir lever le flou juridique auquel se heurtent chaque jour des spectacles amateurs ou professionnels ? Là encore, il s’agit de nous adapter à ces conditions nouvelles dans lesquelles les Français participent à la vie culturelle, tout en préservant et en renforçant l’emploi professionnel, qui reste notre priorité.
Je sais le Sénat très soucieux de défendre ces avancées et, en particulier, Maryvonne Blondin et Sylvie Robert très attachées, comme moi, à promouvoir une culture de la participation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est rien de moins que l’avenir de la vie culturelle de la France qui est entre vos mains aujourd’hui ; l’avenir de son patrimoine, que vous pouvez choisir de protéger mieux ; l’avenir de ses territoires, que vous pouvez choisir de mettre davantage en valeur ; l’avenir de ses artistes et de ses architectes, auxquels vous pouvez choisir d’accorder de nouvelles libertés ; l’avenir de ses professionnels de la culture, auxquels vous pouvez apporter le soutien dont ils ont besoin pour accompagner les créateurs dans leur travail ; l’avenir des Français, enfin, qui ne cessent de chercher dans la vie culturelle ces liens qui nous unissent, qui nous rassemblent, qui nous élèvent et qui font aussi de nous des citoyens.
Dans cette époque de grandes mutations, où numérique et mondialisation se conjuguent, le terrain sur lequel nous avons bâti nos politiques culturelles est en train de changer. Ce texte nous donne les moyens de nous y adapter.
Ce texte conforte la place que notre pays accorde aux artistes, il témoigne de la confiance qui leur est faite pour raconter le monde d’aujourd’hui et imaginer celui de demain. Prenons-en toute la mesure ! Permettons aux générations qui viennent de prendre part à une vie culturelle toujours aussi diverse, toujours aussi intense, toujours aussi propice à nourrir leur curiosité ! Car, en elle, ils trouveront de quoi faire face aux turbulences du monde. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, enfin ! Enfin, ce texte tant attendu, annoncé depuis le début du quinquennat, arrive devant notre assemblée.
On nous avait annoncé, successivement, une grande loi sur le spectacle vivant, une autre loi pour remplacer la loi HADOPI, une grande loi sur le patrimoine, une grande loi sur la création, et nous voilà avec un « projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine », un texte fusionné, protéiforme et, convenons-en, terriblement touffu.
En termes de méthode, notre commission de la culture a pu regretter la multiplication des amendements du Gouvernement introduisant des dispositifs totalement nouveaux, la quantité de demandes d’habilitation à légiférer par ordonnances,…
M. Charles Revet. Encore ! On ne fait plus que cela !
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. … ainsi que la prolifération des articles demandant des rapports au Gouvernement.
Texte touffu, disais-je, avec, comme étendard, son article 1er, qui vous tient très à cœur, madame la ministre : « La création artistique est libre ». Tout est dit !
À cet article 1er, sublime de dépouillement, succède une longue et foisonnante litanie d’articles sur des sujets aussi divers que le cinéma, les écoles d’art, la musique, la copie privée, les conservatoires, etc. Je me concentrerai sur les principaux apports de la commission de la culture, dont je remercie la présidente de la parfaite organisation des travaux. Intelligibilité, clarification, équilibre sont autant de principes qui ont guidé notre travail. Cependant, vous ne nous en voudrez pas, madame la ministre, d’avoir fait preuve aussi d’une certaine créativité.
Dans le domaine de l’audiovisuel, nous avons proposé, d’une part, de faire passer à 60 % au minimum la part de production indépendante, et, d’autre part, de définir le critère de l’indépendance à l’aune de la seule détention capitalistique.
Sur le sujet de la copie privée, nous avons adopté diverses mesures en faveur d’une plus grande transparence et d’une meilleure gouvernance de la Commission pour la rémunération de la copie privée.
S’agissant des web radios, nous proposons la suppression du dispositif, compte tenu des trop grandes incertitudes qui demeurent quant aux incidences d’une telle réforme.
Concernant les conservatoires, nous inspirant largement des travaux de notre présidente, Catherine Morin-Desailly, en particulier de la récente proposition de loi de cette dernière, nous avons clarifié la répartition des compétences entre collectivités, afin que la région assume un véritable rôle de chef de file.
Par ailleurs, au sujet du droit de suite, nous avons ouvert la possibilité à un auteur d’œuvres d’art graphiques et plastiques, en l’absence de tout héritier réservataire, de léguer son droit de suite à un musée ou à une association ou fondation culturelle.
Enfin, dans le domaine du soutien à la création, nous proposons un dispositif innovant en faveur du mécénat territorial.
Je n’ai abordé là que quelques-uns des apports les plus marquants de notre commission. Je n’irai pas plus loin, le temps qui m’est imparti étant réduit. J’aurai l’occasion, au cours du débat qui va s’engager entre nous, de développer plus avant toute la richesse de nos propositions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – Mme Maryvonne Blondin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Françoise Férat, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lorsqu’elle a examiné le titre II du projet de loi, qui comporte les dispositions relatives au patrimoine culturel et à la promotion de l’architecture, notre commission a travaillé dans un esprit de compromis, constructif et pragmatique. Nous avons œuvré pour apporter des améliorations de bon sens, en recherchant toujours la concision et la simplification.
Il en va ainsi de la réforme des espaces protégés au titre du patrimoine. Nous ne l’avons pas rejetée en bloc, mais nous l’avons profondément modifiée, en gardant à l’esprit deux exigences.
D’une part, nous avons souhaité assurer la lisibilité des dispositifs sans mettre en cause la protection du patrimoine. Ainsi, notre commission a changé l’appellation « cité historique » en « site patrimonial protégé ». Nous avons également préféré abandonner le recours au PLU au profit d’un document plus stable et plus complet. Nos amendements visent à renforcer le rôle de la commission nationale, garante de l’intérêt public et de l’unité de la protection du patrimoine sur notre territoire.
D’autre part, nous avons voulu préserver les intérêts des collectivités territoriales. Celles-ci ont exprimé le souhait de disposer d’un cadre juridique stable et lisible, mais également d’être accompagnées et de ne pas se voir imposer des contraintes excessives. Nous les avons entendues, et c’est à cette fin que nous avons renforcé le rôle de l’État et rétabli des dispositions que le projet de loi entendait remettre en cause, comme l’élaboration conjointe des PSMV, les plans de sauvegarde et de mise en valeur.
C’est dans cet esprit que nous avons abordé la partie consacrée à l’architecture. Nous avons maintenu les dispositions originelles du projet de loi, notamment celles qui visent les CAUE, les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement, ou qui ont trait au fonctionnement interne de l’ordre, et modifié celles qui sont relatives à la lutte contre les signatures de complaisance ou à l’amélioration de la qualité architecturale des lotissements.
Toutefois, nous avons supprimé les articles qui allaient à l’encontre des exigences de simplification ou qui avaient pour effet de pénaliser nos concitoyens, à l’instar de l’article concernant l’abaissement du seuil d’intervention de l’architecte.
En ce qui concerne l’archéologie préventive, nous approuvons l’instauration d’une présomption de propriété publique sur les biens archéologiques mobiliers qui présentent un intérêt scientifique. En revanche, nous sommes opposés aux dispositions adoptées par l’Assemblée nationale, qui, sous prétexte d’améliorer la qualité scientifique de l’archéologie préventive, renforcent le contrôle de l’État sur les opérateurs de droit public ou privé soumis à agrément et sur le déroulement des opérations de fouilles, avec l’objectif affiché de restreindre l’ouverture à la concurrence du secteur de l’archéologie préventive au seul bénéfice de l’INRAP, l’Institut national de recherches archéologiques préventives.
M. Charles Revet. Incroyable !
Mme Françoise Férat, rapporteur. Qui serait assez naïf pour croire que la notation du volet scientifique de toutes les offres n’a pas pour but d’imposer un choix à l’aménageur, d’autant que, in fine, il lui faut obtenir une autorisation de fouilles ?
M. Éric Doligé. Évidemment !
Mme Françoise Férat, rapporteur. Ce soupçon se confirme encore un peu plus lorsque l’on sait que le Gouvernement prévoit de renforcer les services chargés de contrôler les offres et de noter les projets scientifiques par des agents de l’INRAP.
Néanmoins, au-delà de notre opposition sur l’archéologie préventive, vous l’aurez compris, madame la ministre, mes chers collègues, notre commission a apporté des améliorations notables à ce texte, pour assurer sa pérennité. C’est dans le même esprit de compromis et d’ouverture que nous examinerons les nombreux amendements extérieurs. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, grand millésime ou petite année ? À l’évidence, ni l’un ni l’autre !
Comme l’ont souligné plusieurs membres de notre commission lors de l’examen du texte, il s’agit plutôt d’une bouteille à moitié vide, ou à moitié pleine. Tel apparaît en effet le projet de loi qui nous est aujourd’hui soumis, un projet de loi maintes fois annoncé, qui, à force d’être différé, est devenu un peu un texte à tiroirs et dont on a peine à voir le fil conducteur.
À titre personnel, et j’ai eu l’occasion de le dire dans mon rapport pour avis sur la loi NOTRe, j’aurais aimé que celle-ci soit une vraie loi de décentralisation, qui, dans le domaine qui nous concerne, précise de nouveau les missions de l’État et celles des collectivités territoriales, puis qu’elle soit suivie de lois-cadres définies sur la création, d’une part, et sur le patrimoine et l’architecture, d’autre part. Je pense que nous y aurions gagné en lisibilité et en cohérence.
C’est peu dire que ce projet de loi suscite un sentiment mitigé, entre mesures bienvenues ou nécessaires, traduisant souvent des accords interprofessionnels – je pense notamment aux dispositions relatives à la musique – et modifications plus contestables – par exemple la réforme en profondeur de l’archéologie préventive – ou notoirement insuffisantes.
Je n’oublie pas l’ouverture par l’Assemblée nationale de nombreux nouveaux chantiers, ce dont je remercie nos collègues députés, au moins pour certains d’entre eux, en particulier celui sur les enseignements artistiques spécialisés. Cet oubli dans le texte initial était d’autant plus regrettable que les établissements concernés vivent depuis 2004 une crise institutionnelle, doublée ces dernières années d’une crise financière, qui est loin, hélas, d’être terminée.
Depuis la loi de 1977, le Parlement n’avait pas eu à examiner les questions relatives à l’architecture. Près de quarante ans plus tard, il était donc utile de réfléchir au rôle de l’architecte dans la cité. Certains ajouts dus à l’Assemblée nationale, notamment à son rapporteur, et relatifs à l’architecture font l’unanimité, tandis que d’autres, qui font davantage débat, seront sans doute très discutés dans les jours à venir.
Il est difficile, dans ces conditions, de porter un jugement sur ce texte. Beaucoup d’acteurs s’en sont perçus comme les grands oubliés, parfois injustement, dans la mesure où tout ne passe pas par la loi.
C’est pourquoi, sans esprit polémique, madame la ministre, notre commission, sur l’initiative de nos deux rapporteurs, François Férat et Jean-Pierre Leleux, dont je tiens à saluer le travail très approfondi, mais également de ses autres membres, s’est efforcée de clarifier le texte. Elle a adopté 34 articles sans modification et plusieurs autres ont été modifiés pour de simples questions de coordination ou des corrections mineures.
Pour une fois, nous ne sommes pas exposés à la brutalité de la procédure accélérée, ce dont nous nous réjouissons, car cela devrait nous permettre de rapprocher les points de vue, notamment en matière de protection du patrimoine, où nous avons réussi à bâtir, je crois pouvoir le dire ici, un système équilibré entre liberté des collectivités territoriales et protection efficace et simplifiée. Nous avons ainsi levé les légitimes inquiétudes qui s’étaient exprimées, et pas seulement celles des associations de défense du patrimoine.
Notre commission a également estimé utile d’enrichir le texte, afin, en particulier, de soutenir la création. Le nombre des amendements déposés montre combien notre rapporteur a eu raison de proposer que le droit de suite puisse être dévolu aux musées et fondations.
Les dispositions que nous avons adoptées afin de clarifier les relations entre producteurs et distributeurs sont plus controversées et pourraient évoluer au fil de la navette parlementaire. Elles ont le mérite de lancer un débat plus que nécessaire : le monde bouge et la mutation numérique entraîne des recompositions ; il faut y réfléchir.
M. Michel Savin. Tout à fait !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Nos apports montrent en tout cas que le Sénat est aujourd’hui au rendez-vous pour prendre toute sa part dans l’élaboration d’un texte qui, sans être une grande loi, nous en sommes tous conscients, constitue une chance à saisir pour que vive, dans un monde en profonde mutation, l’exception culturelle à laquelle nous sommes tous très attachés.
Au-delà des divergences d’appréciation, une chose est sûre : dans ces temps troublés, où le fanatisme et l’obscurantisme frappent de manière effroyablement barbare salles de concert, rédactions de presse, sites archéologiques ou musées, et surtout ceux qui y travaillent ou qui les fréquentent, notre objectif doit être de réaffirmer le bien-fondé de la culture comme partie prenante de notre démocratie.
Comme le soulignait Didier Hallépée, écrivain français, auteur récemment décédé d’ouvrages plutôt techniques : « Notre culture […] s’inscrit dans deux besoins intrinsèques de l’être humain : la soif d’apprendre, la soif de transmettre. […] Besoins sans lesquels l’espèce humaine n’aurait pas parcouru le long chemin qui l’a menée de la Préhistoire jusqu’à nos civilisations modernes. »
Plus que jamais, mes chers collègues, nous devons répondre à ces besoins, car la culture n’existe pas pour elle-même : la culture est, avant tout, du développement humain. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du groupe écologiste.)