M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi constitutionnelle.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 119 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 139 |
Contre | 202 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Discussion générale (suite)
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, Claude Belot, qui présidait voilà quelques années la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, avait donné comme titre à un rapport publié en 2011 : La maladie de la norme. Il inaugurait ainsi une démarche que nous avons intensifiée depuis qu’en novembre 2014 le bureau du Sénat nous a confié, sous les auspices du président Larcher, la mission de simplifier les normes applicables aux collectivités territoriales.
On a cité le rapport d’Éric Doligé, celui d’Alain Lambert – premier président de la délégation à sa création – et de Jean-Claude Boulard sur l’inflation normative. Ce rappel illustre la portée profonde de la proposition de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd’hui : il s’agit bien de soigner une maladie, une maladie affectant de longue date notre ordonnancement juridique, une maladie profondément inscrite dans les gènes de tout ce que la France compte de créateur de droit, à commencer par nous, le Parlement, qui sommes, avec l’exécutif, monsieur le secrétaire d'État, la source à partir de laquelle s’enclenche le processus cumulatif responsable de cet empilement normatif.
M. Jean-Marie Bockel. Certaines médications ont été identifiées ; je pense en particulier au rôle du Conseil national d’évaluation des normes, que préside Alain Lambert. Nous avons poussé ses prérogatives aussi loin que possible en adoptant la loi du 17 octobre 2013, sur la proposition de nos collègues Jacqueline Gourault, alors présidente de la délégation, et Jean-Pierre Sueur, alors président de la commission des lois.
C’était nécessaire, mais cela reste insuffisant : pour traiter en profondeur la maladie de la norme, il faut aborder la Constitution, il faut instiller dans l’élaboration de la loi des règles curatives du mal que nous avons à combattre. Quand on compare avec les pays qui nous entourent – je pense en particulier à l’Allemagne, limitrophe du département dont je suis l’élu –, on voit qu’il faut un moment donné renverser la table et prendre des mesures fortes. À défaut, les vieilles habitudes et la maladie reprennent le dessus.
Bien entendu, il faut de l’expérience, et même du tact, pour modifier la Constitution – sujet d’actualité – ; nous en sommes parfaitement conscients. C’est pourquoi nous sommes heureux du travail accompli par la commission des lois sur le texte que nous lui avons proposé, et nous nous félicitons de l’échange fructueux qui a eu lieu avec son rapporteur, Jean-Pierre Vial, qui est aussi membre de notre délégation, pour élaborer le meilleur texte possible. Cette collaboration succède à celle que je viens de rappeler entre Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur. On voit que, pour dresser le cadre institutionnel et juridique de la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales, il est bon que s’associent, chacune dans son rôle, la commission des lois et la délégation aux collectivités territoriales.
Cette association nous a permis de progresser sur plusieurs axes.
La maladie de la norme se manifeste sous des formes très diverses appelant chacune son propre traitement. Dans le rapport qu’il a consacré l’année dernière à la problématique de la transition énergétique, Rémy Pointereau, premier vice-président de notre délégation chargé de la simplification des normes, s’est attaché à esquisser un début de typologie très utile à cet égard, distinguant six catégories de dispositions qui créaient une aggravation des charges et contraintes applicables aux collectivités territoriales.
Cette typologie permet de constater que la simplicité normative se heurte à trois tendances principales bien connues : la tentation de donner à l’idéal politique une traduction juridique aussi ambitieuse et détaillée que possible ; l’indifférence aux conditions financières de mise en œuvre des règles que l’on institue – je caricature un peu – ; la propension à négliger ce que la surcharge rédactionnelle ou procédurale peut représenter du point de vue de l’efficacité.
La modification constitutionnelle à laquelle nous souhaitons aboutir à l’issue de nos échanges avec la commission des lois tend à instaurer des principes modérateurs dans ces trois directions.
Le premier principe est celui de la sobriété normative : il doit dissuader de surcharger les mesures de transposition des textes européens avec des dispositions superfétatoires au regard de nos obligations européennes – d’autres pays européens, cela a été dit, ont une vision et une pratique beaucoup plus sobres en la matière – ; il doit aussi permettre la compensation des normes nouvellement créées par la suppression de normes équivalentes. C’est cette philosophie que chacun doit avoir à l’esprit. Tout à l’heure, René Vandierendonck, même si je n’étais pas d’accord avec ses conclusions, et le secrétaire d’État ont dit des choses assez justes des différents leviers sur lesquels il convient d’agir. Nous n’avons pas le sentiment que cette modification de la Constitution que nous proposons est l’alpha et l’oméga, mais elle doit être un tournant et concrétiser cet engagement.
Le deuxième principe est celui de la responsabilité normative, en vertu duquel le prescripteur, en l’occurrence l’État, doit aussi être le payeur des charges découlant des normes qu’il crée. Des dispositions en ce sens existent déjà à l’article 72–2 de la Constitution ; nous souhaitons les compléter en fonction de l’expérience acquise.
Le troisième principe est celui de la simplicité et de la clarté normative, dont la consécration dans la Constitution encouragera le Conseil constitutionnel à développer sa jurisprudence dans ces domaines. Là aussi, le terrain est déjà relativement défriché, il s’agit de confirmer et d’approfondir.
L’adoption par le Sénat de la proposition de loi constitutionnelle, qui décline ces trois orientations, montrera aux élus locaux, pour qui la simplification normative reste une priorité – ils nous le rappellent chaque semaine avec force –, que nous continuons de progresser.
J’ignore bien sûr quel sera le sort de cette proposition de loi constitutionnelle si, comme je le souhaite, elle est adoptée par le Sénat. J’espère qu’elle prospérera. En tout état de cause, son adoption sera d’ores et déjà un signal très fort, marquera la détermination du Sénat et montrera que la priorité évoquée par le président Larcher et à laquelle nous nous rangeons tous chacun à notre manière n’est pas un vain mot. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, outre ces tragiques événements du point de vue de la sécurité intérieure, la France a connu cet automne une campagne électorale pour les élections régionales au cours de laquelle, manifestement et fort heureusement, quelques candidats et candidates ont dû entendre l’inquiétude et les préoccupations des élus locaux.
Cette inquiétude est d’ailleurs parfaitement légitime puisque, au même moment, la majorité du Sénat, malgré l’attitude de nombre de ses membres éminents dès lors qu’ils sont en situation, a concédé au Gouvernement qu’il n’était pas anormal que les collectivités locales participent, par la baisse de leurs dotations, à la réduction des déficits publics par mise en déclin de la dépense publique. Ce qui, de fait, laisse apparaître le caractère d’affichage – hors la très grande approximation du texte original de la proposition de loi, pour ne pas dire plus – du texte qui nous est présenté ce jour.
Car, mes chers collègues, de qui se moque-t-on ? Les difficultés des collectivités locales n’auraient que des raisons exogènes, qui seraient, d’une part, les charges transférées sans compensation réelle et, d’autre part, les normes techniques, juridiques, réglementaires, sanitaires et j’en passe sûrement qui découlent de la transposition de directives européennes protéiformes et proliférantes ?
Question : qui vote ces transferts de charges, sinon, dans la plupart des cas, des majorités qualifiées constituées d’éminents parlementaires ?
M. Rémy Pointereau. Eh oui !
Mme Cécile Cukierman. Et qui permet la transposition de directives communautaires, sinon le vote, par les mêmes éminents parlementaires, de textes composés en grande partie de dispositions de pure transposition ?
Je ne parle même pas, mes chers collègues, du fait que, parfois, les normes et les directives se trouvent transposées par le truchement d’articles d’habilitation à légiférer par ordonnance présentés, depuis bien des années, au fil des projets de loi dont nous débattons et que, régulièrement, des majorités adoptent.
M. Charles Revet. Eh oui !
Mme Cécile Cukierman. On peut se demander s’il y a lieu de modifier une fois encore un texte constitutionnel déjà passablement martyrisé par la pratique d’un peu plus de cinquante ans et dont la mise en œuvre a tout de même abouti à créer un rapport de force politique dont le premier parti est, le plus souvent, celui de la cohorte des abstentionnistes et le second, celui du « vote contre, faute de mieux ».
Le texte qui nous est présenté part donc d’un constat relativement juste mais apporte des solutions inadaptées. Plutôt que de corseter l’action publique dans une évaluation le plus souvent strictement comptable, il conviendrait que nous nous interrogions sur ses objectifs, ses finalités, son contenu.
Quelques-uns de ceux qui ont signé le texte mis en discussion ont pourtant voté le transfert du RMI aux départements, sans d’ailleurs se demander si la compensation suivrait ; je crois qu’il serait fastidieux, mes chers collègues, de rappeler ici les votes que vous avez exprimés, notamment entre 2002 et 2012, sur les dotations aux collectivités locales, alors même que vous affirmiez votre attachement à la décentralisation et à l’autonomie financière des collectivités locales. La remarque vaudrait aussi, soit dit en passant, pour ceux qui furent vent debout contre la réforme Sarkozy des collectivités locales et qui ont fini par proposer, en échange, la loi NOTRe et le développement des communes nouvelles comme pis-aller à la réduction des concours budgétaires… Et je ne parle pas d’une réforme de la dotation globale de fonctionnement dont on sent, confusément, qu’elle tend à faire « table rase du passé », notamment le passé industriel de nombre de villes petites et moyennes de notre pays qui n’ont plus, aujourd’hui, que les sans-emploi laissés sur le carreau par les plans sociaux et les stratégies d’entreprises et de groupes.
La démagogie a ceci de déplaisant, mes chers collègues, qu’elle empêche d’appréhender les voies et moyens conduisant au redressement de situations compromises.
Oui, nous devons revisiter et revivifier l’action publique dans ce pays !
Nous sommes partisans, de longue date, d’une dépense publique adéquate, qu’elle soit menée par les collectivités locales comme par l’État ou la sécurité sociale, tout simplement parce que, par principe, la dépense publique, c’est le salaire de celui qui n’en a pas ou pas beaucoup et c’est l’application la plus évidente du principe d’égalité, élément pivot du pacte républicain. La dépense publique, c’est l’essence et peut-être même la quintessence de notre République. La réduire, c’est affaiblir – je l’ai dit précédemment – le lien entre le citoyen et nos valeurs de fond, et cela conduit parfois à ce que nous constatons depuis plusieurs mois.
Le bien-fondé de notre travail de parlementaire n’est donc pas de nous livrer au petit jeu des équivalences entre dépenses à prendre en charge et dépenses à redonner à d’autres, ni de devenir des comptables au petit pied et à la vue étroite, mais bien plutôt de rendre plus efficace l’allocation de la ressource tirée de l’impôt, c’est-à-dire de répondre aux besoins et aux attentes de nos compatriotes pour ce qui concerne l’éducation, le logement, l’action sociale, la réalisation d’infrastructures, la santé, les transports publics, le sport ou la culture.
À ce stade de la discussion, je ne peux évidemment manquer de rappeler – nous l’avons encore vu cet après-midi – à quel point ceux-là mêmes qui s’affichent contempteurs de la dépense publique deviennent souvent négligents quand il s’agit de s’interroger sur la dépense fiscale et d’en interpeller l’efficacité !
Avant de conclure, je ne peux également oublier de parler quelques instants de la question des normes et directives européennes.
Il n’y a pas de « surtransposition » des directives européennes. Un acte communautaire, fruit de la procédure en vigueur au niveau européen, n’a pas vocation à constituer une sorte de « plafond » législatif ou réglementaire pour chaque droit positif national. Il constitue en réalité un socle commun à l’ensemble des pays membres de l’Union, et il se peut fort bien, dans un domaine donné, que le droit national d’un pays membre propose, sous certains aspects, des garanties supérieures du point de vue des usagers ou des citoyens.
Transposer une directive européenne ne signifie donc pas nous plier à une règle forcément supérieure. En revanche, qu’un certain nombre d’élus soient préoccupés par les « normes » continue de nous interpeller. Le titre de cette proposition de loi surfe sur le ras-le-bol des normes de nombreux élus locaux, que nous entendons fortement dans cette période de vœux.
La norme peut être contraignante, mais la norme peut aussi – elle le doit de fait – signifier la sécurité pour l’usager, la règle commune, appliquant des principes aussi importants que ceux de prévention, précaution, préservation des individus et de notre environnement par exemple. Il faut donc, non pas balayer d’un revers de manche cette question, mais éviter tout amalgame. Certaines normes, nous le savons, sont le fruit de lobbies privés et n’ont nullement pour mission de répondre à l’intérêt général. Certaines nécessitent un accompagnement, des moyens financiers pour les rendre efficaces.
Or, et j’en terminerai par ce hasard de calendrier, cette colère anti-normes s’accroît au moment où les conséquences de la RGPP se font sentir avec le départ de nombreux fonctionnaires des services déconcentrés de l’État au plus près de nos communes, poussant les élus locaux vers des cabinets coûteux d’assistance, de conseil, d’accompagnement. Enfin, cette colère s’accroît au moment où le gel, puis la baisse de la dotation plongent les élus locaux dans l’incapacité à investir pour répondre aux besoins de femmes et des hommes qui vivent et travaillent sur leurs territoires.
Nous ne voterons évidemment pas cette proposition de loi, qui est, selon nous, un pur affichage politique sans plus-value pour l’intérêt général, objet naturel de la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, outre les éléments développés par notre collègue René Vandierendonck, qui ont conduit notre groupe à déposer la motion tendant à opposer la question préalable qu’il a défendue, cette proposition de loi, si elle présente le mérite d’avoir pour objet de combattre l’aggravation, par diverses lois, des charges pesant sur les collectivités territoriales, s’en tient au coût des normes – qui n’est pas minime et contre lequel le Gouvernement vient d’engager un certain nombre de mesures – et n’aborde pas – elle ne propose donc aucune réponse – l’une des questions les plus prégnantes en termes de transferts de coûts de l’État vers les collectivités, la plus emblématique par les montants concernés, à savoir la question des trois allocations de solidarité que sont l’allocation personnalisée d’autonomie, la prestation de compensation du handicap et surtout le revenu de solidarité active.
En effet, le transfert aux départements de l’APA en 2001, de la PCH en 2005 et, cerise sur le gâteau, du RMI en 2004, devenu RSA en 2009, a petit à petit conduit les conseils généraux hier, départementaux aujourd’hui – le problème reste le même –, dans une impasse budgétaire quasiment inextricable tant ils n’ont pas été accompagnés d’une compensation financière juste et pérenne.
Entre 2007 et 2012, les dépenses liées à ces trois prestations ont progressé de 11 milliards d’euros à 15 milliards d’euros – 4 milliards d’euros de plus en cinq ans ! – et, dans le même temps, la situation financière des départements s’est ainsi dégradée de façon spectaculaire avec une épargne nette passant de 7 milliards d’euros en 2007 à 4 milliards d’euros en 2013, des délais de désendettement augmentant de 2,4 à 4,6 années et l’obligation de solliciter de plus en plus le levier fiscal local avec une hausse de 8 % du taux de la taxe d’habitation et de 18 % du taux du foncier bâti, chiffres constatés sur une moyenne nationale.
Ce faisant, c’est la capacité d’action, d’innovation de ces collectivités au service de nos concitoyens, leur capacité d’investissement propre et de soutien aux investissements des communes et des intercommunalités dont elles sont les partenaires privilégiées qui ont été remises en cause, faisant planer de lourdes hypothèques sur tout un tissu économique, associatif, social.
Jusqu’en 2013, les gouvernements successifs sont, hélas ! restés impassibles face aux nombreuses alertes lancées par les exécutifs départementaux de tous bords. La seule avancée, même si elle n’est pas à la hauteur du défi du financement global de la solidarité dans notre pays, a été en 2013 la reconnaissance par le Président François Hollande et son Premier ministre d’alors, Jean-Marc Ayrault, d’une compensation insuffisante de ces trois allocations, et ce à la suite d’un travail partenarial entre l’État et les départements, sous le contrôle d’un conseiller-maître à la Cour de comptes, gage d’objectivité, travail qui a abouti au diagnostic partagé d’un manque avéré de moyens transférés et d’une situation de plus en plus intenable pour les assemblées départementales.
S’ensuivirent les accords de juillet 2013 signés à Matignon, auxquels plusieurs d’entre nous, alors présidents de conseil général, participaient dans leur diversité politique, des accords qui actèrent deux mesures relatives au RSA, problème le plus prégnant et première des urgences. Ces mesures visaient à mieux couvrir les dépenses engagées par les départements en lieu et place de l’État, pour une prestation dont ils n’ont aucun pouvoir de maîtriser les coûts, pas plus que les critères d’attribution. Aussi le gouvernement Ayrault décida-t-il de transférer aux collectivités départementales le produit des frais de gestion de la taxe foncière sur les propriétés bâties et leur donna la possibilité d’augmenter le taux de droit commun des droits de mutation à titre onéreux, possibilité dont la plupart se sont saisis ; parallèlement, un fonds de solidarité entre départements fut créé et le principe d’une clause de revoyure également posé, ce qui est essentiel.
Ces dispositions ont permis de stabiliser une situation qui ne cessait de se dégrader avec le refus des gouvernements précédents de reconnaître une « dette » de l’État envers les conseils généraux et donc d’entrer dans des discussions visant à dégager des solutions. Pour autant, stabilisation ne signifie pas amélioration, et, à la suite du renouvellement des assemblées départementales au printemps dernier, une nouvelle négociation est, semble-t-il, engagée avec le gouvernement de Manuel Valls ; on ne peut que s’en féliciter.
Si j’ai développé cet exemple du revenu de solidarité active, ce n’est pas pour dévier du sujet ; c’est parce qu’il est particulièrement emblématique d’une « aggravation par la loi de charges pesant sur une collectivité territoriale » sans qu’elle ait la moindre marge de manœuvre pour influer sur le montant de ces charges.
Mauvaise évaluation dès le départ du coût du transfert, volontairement ou non – je ne fais pas de procès d’intention –, refus des gouvernements pendant plusieurs années de reconnaître l’engrenage mortifère du reste à charge pesant sur les budgets locaux, conjugués à une hausse significative du nombre d’allocataires dans un contexte de crise économique aiguë depuis 2008 et à une augmentation de la prestation pour les allocataires, augmentation légitimement décidée par le Gouvernement mais instaurant une charge supplémentaire pour les finances départementales, sont autant d’éléments qui ont conduit à la situation budgétaire actuelle particulièrement inquiétante.
Cette situation incite aujourd’hui nombre de départements à demander une renationalisation de cette allocation du RSA, proposition qui signe l’échec de ce transfert dans les conditions où il a été réalisé. Au demeurant, cette proposition n’est pas dénuée de sens, tant il n’y a aucune plus-value à ce que le paiement de cette prestation transite par les conseils généraux hier, départementaux aujourd’hui, qui jouent là un simple rôle de guichet, contrairement à l’allocation personnalisée d’autonomie ou à la prestation de compensation du handicap, dont la gestion en proximité permet du cousu main et apporte une véritable plus-value aux allocataires.
Dans ce contexte, mes chers collègues, la proposition de loi débattue ce jour est absolument inopérante. La vraie problématique qui devrait animer nos débats est de savoir comment trouver le moyen d’assurer une vision évolutive lors de tout transfert, intégrant les besoins en ressources humaines pour le gérer, les évolutions du point d’indice, des régimes indemnitaires, etc. On pourrait à cet égard citer le cas des personnels techniciens, ouvriers et de service de l’éducation nationale pour lesquels, par exemple, n’existait pas ou peu de médecine préventive, alors même qu’ils sont au contact permanent d’adolescents, que nombre d’entre eux travaillent à la restauration scolaire où la rigueur sanitaire est de mise, ce qui a obligé départements et régions à recruter des médecins du travail sur fonds propres bien au-delà des tiers ou quart temps transférés.
Dans un autre domaine, la Cour des comptes, dans un rapport de février 2012 sur le transfert des routes nationales aux départements, a estimé à 46 millions d’euros les frais supplémentaires de personnel générés par l’alignement des régimes indemnitaires des anciens agents de l’État sur celui des collectivités territoriales. Parallèlement, ces mêmes collectivités ont dû faire face à de nouvelles dépenses pour remettre à niveau les infrastructures transférées quelque peu laissées à l’abandon jusque-là. Là encore, la Cour des comptes estime à 30 % le surplus de dépenses consacrées depuis 2005 à la remise en état et à l’entretien du réseau routier et des ouvrages d’art transférés.
À l’évidence, le constat honnête du coût d’un transfert ne peut être fait qu’une fois celui-ci effectif, avec un recul d’appréciation qui nécessite d’acter dans la loi des clauses de revoyure obligatoires. Cette culture de la négociation – elle n’est malheureusement pas la coutume en France –, qui semble se dessiner depuis 2013 sur le RSA, devrait devenir la norme dans une République décentralisée assumée.
Dans le même temps, il est impératif que les collectivités aient une réelle visibilité sur les vrais leviers fiscaux à leur disposition et sur les dotations qui leur sont attribuées, y compris lorsque le contexte économique rend inévitable une diminution de celles-ci.
Cette proposition de loi, outre son instabilité juridique et constitutionnelle, n’aborde aucun de ces sujets, pourtant prégnants ; elle serait inopérante et ne servirait qu’à alourdir un arsenal législatif dont l’encombrement nuit souvent à l’efficacité. C’est la raison pour laquelle, en dépit de la bonne volonté de ses auteurs, notre groupe ne la soutiendra pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vais commencer par me montrer un peu taquin. Nous sommes en effet appelés à débattre de l’inflation normative, de l’inflation des textes ; or je me demande si l’inflation des propositions de loi constitutionnelle entre elle-même dans le champ du présent texte… En effet, il me semble que cette proposition de loi constitutionnelle crée un cadre normatif assez complexe à gérer, et il est certain qu’il constitue une charge supplémentaire, au moins pour l’agenda du Sénat.
La présentation qu’a faite M. Pointereau en ouvrant cette discussion m’a laissé assez sceptique. Finalement, elle revient à mélanger dans la même discussion la question des normes, celle des charges et donc celle des compétences des collectivités. Or ces sujets sont assez différents les uns des autres. À mon sens, les réunir dans un même débat ne permet pas de gagner en clarté. En contrepartie, la réponse apportée par M. le secrétaire d’État s’est révélée assez précise. Chacun l’a compris, les normes constituent un véritable sujet. Aujourd’hui, le CNEN est à l’œuvre, il faut tout simplement qu’il puisse travailler et tirer les conséquences, les enseignements de ses réflexions sans se précipiter.
J’ajoute qu’avec cette proposition de loi constitutionnelle, nous en restons à un propos assez général. Or la question n’est pas celle de la norme en tant que telle. Lorsqu’on discute avec les élus locaux, on constate que le débat se focalise toujours sur un certain nombre de normes précises, que l’on connaît.
Premièrement, j’évoquerai les normes liées à l’accessibilité. Cet exemple peut sembler dérangeant, mais, à mon sens, il a toute sa pertinence. Sur ce front, la France était extrêmement en retard par rapport à d’autres grands pays, notamment les États-Unis. Certes, les normes adoptées constituent des contraintes réelles pour les communes et les aménageurs, mais, sans elles, nous serions encore dans une situation scandaleuse.
Bien sûr, dans un certain nombre de cas, telle ou telle dérogation, telle ou telle souplesse semblent nécessaires. Néanmoins, les associations ne sont absolument pas enclines à étudier les modalités de telles dérogations. Quand de si grands retards ont été accumulés, il est difficile d’adopter des mécanismes dérogatoires. Ces derniers exigent un consensus, de la confiance entre acteurs. Ainsi, derrière la norme, ce sont finalement les blocages de notre pays qui apparaissent en filigrane.
Deuxièmement, je mentionnerai la question environnementale. Cet exemple est évident. Pour certains, peu nombreux dans cet hémicycle, l’environnement et les normes environnementales, ça suffit… Mais, très clairement, sans les normes, notre pays, qui n’est pas en pointe en la matière, continuerait de dégrader son environnement, déjà gravement atteint.
De surcroît, ceux qui sont les premiers à se battre pour la simplification peuvent parfois se retrouver du côté de la norme, lorsque la législation ne leur paraît pas aller dans le bon sens.
Ainsi, j’ai défendu ici même, et à plusieurs reprises, des amendements tendant à simplifier et à réduire les normes en vigueur, notamment pour le développement de l’éolien. J’ai été surpris de la créativité dont a fait preuve la Haute Assemblée pour créer encore des normes supplémentaires !
Troisièmement et enfin, je citerai brièvement le code des marchés publics. Les normes qu’il contient ralentissent quelque peu l’action publique locale. Elles n’en étaient pas moins nécessaires. En la matière, on a connu trop de difficultés au cours des périodes précédentes pour ne pas adopter des dispositions extrêmement précises permettant d’éviter les suspicions, en particulier de conflits d’intérêts.
Si j’ai pris ces trois exemples, c’est parce que, loin d’être théorique, ce débat est lié à des sujets politiques. Au total, mettre toutes les normes dans le même panier, cela n’aurait guère de sens.
Voilà pourquoi, au commencement de cette discussion, j’étais quelque peu sceptique. Toutefois, je vous l’avoue, c’est avec plaisir que j’ai entendu l’ouverture énoncée par Jean-Pierre Vial et confirmée par M. le secrétaire d’État : derrière ce débat, figure l’enjeu de l’organisation et de la culture administratives françaises. C’est clairement le cas !
Jean-Pierre Vial l’a bien expliqué : si, aujourd’hui, l’Allemagne est à même d’avancer dans ce domaine, c’est parce qu’elle dispose d’un système beaucoup plus décentralisé, laissant aux territoires une bien plus grande capacité d’adaptation en fonction de leurs spécificités. À cet égard, M. le secrétaire d’État a évoqué une « gestion différenciée ». Je me suis demandé s’il irait jusqu’à parler de « décentralisation différenciée » ou de « régionalisation différenciée ». En tout cas, on l’observe clairement, il existe un lien entre ces enjeux.
On ne peut pas, d’une part, rester dans le cadre idéologique de l’ancienne culture jacobine et, de l’autre, déplorer l’inflation des normes. Dans une société de plus en plus complexe, les deux phénomènes se conjuguent ! C’est donc bien par la souplesse, en reconnaissant les spécificités des territoires, que l’on pourra réduire la part des normes, en améliorant leur adaptation.
Si ce débat nous permet d’émettre cette critique quant à ce jacobinisme, qui, je le précise, n’a jamais été ma culture de cœur, nous aurons effectivement fait œuvre utile ce soir. Je ne sais si telle était la volonté initiale des auteurs de cette proposition de loi… En tout cas, pour éviter l’inflation normative, il faut renforcer la capacité des territoires à adapter au mieux les normes à leur spécificité. À ce titre, ce débat est plutôt positif, même s’il n’est pas pour autant nécessaire d’adopter cette proposition de loi. En tout cas, les membres du groupe écologiste ne la voteront pas.