M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Michelle Meunier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, on ne peut que se féliciter lorsqu’une initiative issue de la Haute Assemblée est reprise par l’Assemblée nationale, encouragée par le Gouvernement et nous revient en deuxième lecture. C’est ce qui arrive avec la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, texte que j’ai déposé, voilà un peu plus d’un an, avec notre ancienne collègue Muguette Dini, que je salue.
Je rappelle que cette proposition de loi avait pour objet d’apporter les précisions et les ajustements nécessaires afin que le dispositif de la protection de l’enfance, réformé par la loi du 5 mars 2007, soit amélioré de manière concrète et puisse enfin porter pleinement ses fruits sur l’ensemble du territoire.
Depuis l’examen de ce texte en première lecture au Sénat, plusieurs événements dramatiques sont venus rappeler combien il était nécessaire d’agir pour que cette politique soit mieux pilotée et plus efficace. Il convient également de réinterroger certaines pratiques et certains principes qui guident aujourd’hui l’action des services départementaux, des juges et de l’ensemble des acteurs intervenant dans ce domaine.
Le texte transmis par l’Assemblée nationale diffère de celui que nous avons adopté à l’unanimité le 11 mars dernier. Alors que le texte issu des travaux du Sénat ne comptait que seize articles, celui dont la commission des affaires sociales s’est saisie en comptait cinquante !
Cela prouve que les députés et le Gouvernement – ce dernier est à l’origine de près de la moitié des nouveaux articles – se sont impliqués dans la réflexion que nous avions engagée et qu’ils ont cherché à l’approfondir.
En effet, madame la secrétaire d’État, parallèlement à l’examen de ce texte en première lecture par le Sénat et avant que celui-ci ne soit transmis à l’Assemblée nationale, vous avez mené une large concertation associant les professionnels, les élus et l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance, afin d’élaborer une feuille de route devant guider les actions en la matière pour la période 2015-2017.
Cette démarche, qui est complémentaire de la nôtre et qui vient légitimer et renforcer le processus de réforme de la protection de l’enfance, a été utile et fructueuse. Notre ancienne collègue Muguette Dini et moi-même avons d’ailleurs apprécié d’y être étroitement associées. Soyez-en remerciée, madame la secrétaire d’État.
Dans l’ensemble, les dispositions adoptées par le Sénat en première lecture n’ont été modifiées qu’à la marge. Les orientations qui sous-tendaient la proposition de loi ont été approfondies par plusieurs articles additionnels visant à améliorer les échanges d’informations entre les différents acteurs de la protection de l’enfance ou à sécuriser le recours à un tiers de confiance, afin de garantir un cadre stable et familier à l’enfant placé.
Le Sénat peut donc reconnaître son texte. La commission des affaires sociales a ainsi adopté, sans les modifier, dix-neuf des cinquante articles qu’elle a examinés.
Sur certains points, l’Assemblée nationale a fait des choix différents de ceux du Sénat. Je pense notamment aux dispositions relatives aux modalités de révocation de l’adoption simple ou à l’introduction de la notion d’inceste dans le code pénal. Je pense également à la création d’un Conseil national de la protection de l’enfance, chargé de conseiller le Gouvernement sur les orientations nationales de cette politique, qui constitue une proposition forte figurant dans le rapport d’information sur la protection de l’enfance que Muguette Dini et moi-même avons élaboré.
De même, à l’article 18, l’Assemblée nationale est revenue au terme de « délaissement », que le Sénat, en première lecture, avait préféré remplacer par celui d’« abandon ».
Sur ces sujets, la commission des affaires sociales – souvent en accord avec la commission des lois – a pris acte des positions de l’Assemblée nationale et vous proposera, mes chers collègues, de ne pas revenir systématiquement au texte adopté par le Sénat en première lecture.
L’Assemblée nationale a également souhaité aller plus loin en suivant des pistes d’amélioration identifiées dans le rapport d’information déjà évoqué.
La problématique des jeunes majeurs qui sortent des dispositifs de protection de l’enfance sans parvenir à s’insérer socialement et professionnellement comme celle des mineurs étrangers isolés – l’actualité montre à quel point cette question est pressante – étaient, en effet, en dehors du champ d’étude de ce rapport d’information et de la proposition de loi initiale. Plusieurs articles nouveaux visent à y apporter des réponses.
Enfin, certaines dispositions traitent de la prévention qui doit être mise en œuvre auprès des parents susceptibles de rencontrer des difficultés dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives avant même la naissance de l’enfant.
Avant de conclure, je tiens à évoquer un point sur lequel nos débats en commission ont révélé un certain malentendu. La politique de protection de l’enfance est une politique décentralisée et placée sous la responsabilité du président du conseil départemental depuis la loi du 6 janvier 1986. La loi du 5 mars 2007 a renforcé le rôle central de l’échelon départemental dans le pilotage de la protection de l’enfance. Cette proposition de loi vise à améliorer ce dispositif sans le remettre en cause. Elle n’a donc aucunement pour objet de revenir sur cette décentralisation. Il ne s’agit pas non plus d’imposer de nouvelles contraintes aux services départementaux de l’aide sociale à l’enfance.
En effet, le Sénat est – à juste titre – particulièrement attaché au rôle des départements et reste très sensible à la question des moyens dont ceux-ci disposent pour mener à bien les missions qui leur sont confiées.
Néanmoins, même une politique décentralisée doit avoir une cohérence nationale. Il revient donc au législateur de la favoriser dans le respect de la libre administration des collectivités territoriales. Cela est particulièrement vrai en matière de protection de l’enfance, car nous devons à ces enfants – à tous ces enfants – la meilleure protection possible en tout lieu du territoire.
La loi de 2007 a, par exemple, prévu l’élaboration d’un « projet pour l’enfant » pour chaque mineur bénéficiant d’une prestation de l’aide sociale à l’enfance. Le rapport d’information que j’ai déjà mentionné a montré que cette obligation était très inégalement mise en œuvre et que le contenu même de ce document était parfois très administratif et, malheureusement, insuffisamment tourné vers l’élaboration d’un réel projet répondant aux besoins de l’enfant.
Sur ce sujet notamment, la proposition de loi vise à diffuser des bonnes pratiques, à prévoir des référentiels nationaux ou encore à faire en sorte que les présidents de conseil départemental élaborent, en lien avec leurs interlocuteurs, des protocoles définissant la mise en œuvre des différents aspects de la protection de l’enfance.
Pour les départements qui sont en pointe en la matière, ces dispositions ne feront que consacrer des pratiques déjà bien ancrées. En revanche, elles aideront les autres, ceux qui n’ont pas encore pleinement mis en œuvre les orientations de la loi de 2007, à améliorer leurs dispositifs, et ce dans l’intérêt des enfants.
Vous le voyez, mes chers collègues, ce texte d’initiative sénatoriale offre l’occasion d’une réforme plus globale et de plus grande ampleur des dispositifs de protection de l’enfance. Je m’en réjouis !
Cependant, la concision qui caractérisait le texte initial a pu quelque peu en souffrir, certaines dispositions nouvelles apparaissant d’ailleurs superflues ou inutiles. La commission des affaires sociales a ainsi supprimé neuf nouveaux articles. Elle a également cherché, en lien avec le rapporteur pour avis de la commission des lois dont je salue le travail, à améliorer les dispositions issues des travaux de l’Assemblée nationale, en modifiant vingt-deux articles.
Mes chers collègues, le texte dont nous entamons l’examen est plus riche et plus complet. Je suis certaines qu’il permettra au Sénat de retrouver dans une large mesure l’esprit de consensus qui a marqué son examen en première lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du RDSE et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame le rapporteur, mes chers collègues, la loi fondatrice du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance s’articulait autour de trois grands axes : mieux prévenir, mieux signaler, mieux intervenir. C’est l’un des nôtres, Philippe Bas, qui fut à l’initiative de ce texte, lorsqu’il était ministre de la santé.
La proposition de loi de notre ancienne collègue Muguette Dini et de Michelle Meunier, aujourd’hui rapporteur de la commission des affaires sociales, s’inscrit dans l’évolution législative qu’exige la préservation de ces objectifs.
Après son examen par l’Assemblée nationale, la commission des lois du Sénat s’est une nouvelle fois saisie de ce texte pour avis, tant sur certains articles qu’elle avait déjà examinés en première lecture et qui ont fait l’objet de modifications rédactionnelles que sur des dispositions introduites par les députés.
En effet, sur la trentaine d’articles nouveaux, la moitié entre dans le champ de compétence de la commission des lois. Ces articles concernent les procédures d’assistance éducative, celles qui sont engagées devant le juge aux affaires familiales ou le tribunal de grande instance ou celles qui visent des dispositions de droit civil ou de droit pénal.
Mes chers collègues, vous avez pu constater que, au terme de son travail, l’Assemblée nationale a approuvé plusieurs modifications apportées par le Sénat à la proposition de loi initiale. Certaines dispositions ont ainsi été purement et simplement adoptées conformes, quand d’autres l’ont été sous réserve de modifications limitées.
En revanche, le rétablissement de certaines dispositions ou leur modification substantielle ont conduit la commission des lois à engager de nouveaux débats. Consciente des réflexions et des apports constructifs de l’Assemblée nationale, la commission des lois a, pour l’essentiel, proposé de laisser au juge son pouvoir d’appréciation – auquel elle est très attachée, craignant en quelque sorte la « pétrification » de certaines obligations qui, fixées dans la loi, nuiraient à l’orfèvrerie nécessaire dans ce type de problématiques – et de clarifier les responsabilités des différents acteurs. Lorsque aucun nouvel élément n’est venu s’ajouter aux raisonnements et aux conclusions formulés en première lecture – et seulement dans cette hypothèse ! –, elle a opté pour le retour à la version adoptée par le Sénat.
Enfin, la commission des lois a suggéré de lever les quelques incertitudes juridiques qui se nichaient dans la rédaction d’articles initiaux ayant été modifiés ou dans celle d’articles nouveaux dont l’introduction se trouve parfaitement fondée.
Constatons que, sur la question de l’inceste – point qui avait suscité beaucoup de réserves –, le Sénat n’avait pas fermé la discussion, mais avait, au contraire, invité à une réflexion approfondie. Les travaux des deux assemblées ont permis, me semble-t-il, de parvenir à l’introduction de cette surqualification dans notre droit pénal sans bouleversements susceptibles de provoquer une nouvelle censure du Conseil constitutionnel.
Aussi, comme je l’ai souligné lors de l’examen de ce texte en première lecture, l’objectif parfaitement résumé par Robert Badinter, consistant à construire un droit pénal « répressif » mais aussi « expressif », aura été atteint !
Il n’appartient pas à un rapporteur pour avis de prolonger inutilement la discussion. Je vous propose donc, mes chers collègues, de réserver les autres ajouts ou modifications restant en débat à l’examen des amendements que je présenterai au nom de la commission des lois, dans l’espoir renouvelé de parvenir à un vote unanime sur l’ensemble du texte ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le parcours de cette proposition de loi d’origine sénatoriale, qui a été largement complétée à l’Assemblée nationale, tant par les députés que par le Gouvernement. Je me contenterai d’indiquer que la commission des affaires sociales a consacré près de quatre heures de discussion au texte que nous allons examiner, adoptant une cinquantaine d’amendements.
C’est dire l’intérêt qui est porté aux enjeux de la protection de l’enfance dans notre pays. Il n’a en rien faibli – bien au contraire ! – entre la première et la deuxième lecture.
Nos débats, auxquels a également contribué le rapporteur pour avis de la commission des lois, ont été nourris. Ils ont témoigné de constats partagés et d’une volonté commune d’améliorer la politique de protection de l’enfance, même si des nuances se sont manifestées sur les solutions à mettre en œuvre.
Cela confirme également toute l’utilité du travail mené l’année dernière par Muguette Dini et Michelle Meunier, auxquelles je tiens à rendre hommage. Leur rapport d’information l’a montré, la politique de protection de l’enfance souffre aujourd’hui de lacunes que la loi du 5 mars 2007 n’a pas permis de résorber. Ainsi, une réflexion doit être engagée sur la place respective des différentes mesures de protection et des différents modes de prise en charge.
Les placements longs, sans perspective de retour en famille, constituent l’angle mort du dispositif de la protection de l’enfance. Sur les 150 000 enfants accueillis dans le cadre de la protection de l’enfance, la grande majorité pourra réintégrer à court ou moyen terme le domicile parental.
On estime en revanche qu’environ un tiers d’entre eux, dont les parents connaissent des difficultés structurelles lourdes, passeront leur enfance en placement. Par la voix du juge, la société place ces enfants sous sa responsabilité collective, pour leur sécurité et leur bon développement. Elle y consacre des moyens financiers substantiels, de l’ordre de 30 000 à 80 000 euros par an et par enfant. Il est nécessaire qu’elle se porte garante du parcours de ces enfants, et non uniquement des conditions de leur placement, pour assumer pleinement cette responsabilité. Cela nécessite de penser la mise en œuvre de dispositifs spécifiquement adaptés à leur situation.
Aujourd’hui, un enfant placé dix ans a vu en moyenne sa mesure d’assistance éducative renouvelée cinq fois. Il ne peut compter de façon certaine sur un accompagnement que jusqu’à dix-huit ans et son accès à un éventuel contrat jeune majeur dépend d’une multitude de conditions, sur certaines desquelles il n’a aucune prise, comme la configuration politique ou les finances départementales.
Dans ces conditions, comment se projeter dans une vie d’adulte responsable et bien intégré ? La question des placements sans perspective de retour en famille forme, je le répète, l’angle mort du dispositif actuel de protection de l’enfance. Elle doit être le prochain chantier de réflexion en la matière.
Cette réflexion doit porter à la fois sur le temps du placement et sur les conditions d’accession à l’autonomie. Il est notamment indispensable, lorsqu’un jeune a été accueilli en protection de l’enfance et que la mesure de protection a pris fin, de lui permettre de mener à terme un cursus de formation engagé pendant son accueil.
On le voit, à ce manque de cohérence dans la prise en charge des enfants placés s’ajoute une grande insuffisance dans l’accompagnement des jeunes majeurs sortant des dispositifs de l’aide sociale à l’enfance.
Il est également indispensable de trouver le bon équilibre entre la définition d’un cadre plus solide et plus à même d’éviter des défaillances parfois dramatiques et la nécessité de permettre aux départements d’assumer pleinement leurs compétences, sans les entraver par des procédures superfétatoires ou les grever de charges supplémentaires.
Fort de ce constat, partagé sur l’ensemble des travées, je suis certain que nos débats permettront d’avancer ensemble dans la voie d’une meilleure prise en charge des jeunes en danger.
Je souhaite que, au-delà des différences d’appréciation qui se manifesteront tout naturellement lors de la discussion des amendements, le Sénat retrouve son unité pour permettre à cette proposition de loi de poursuivre son cheminement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – Mme Nicole Bricq applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, la protection de l’enfance constitue un sujet de préoccupation majeur pour notre société. S’investir pour les jeunes, en particulier pour les enfants en danger ou qui risquent de l’être, représente une lourde responsabilité. Permettre à des enfants abandonnés, maltraités et parfois traumatisés de connaître un avenir d’adulte serein et confiant est une tâche difficile.
Trop souvent, l’actualité nous interpelle cruellement et des visages d’enfants marquent la conscience collective. À chaque fois, nous nous posons la même question : aurions-nous pu éviter ces drames ?
Parce qu’affronter ce sujet difficile est notre devoir collectif, parce que nous partageons la conviction que chaque enfant doit être protégé et parfois accompagné, je tiens à remercier Muguette Dini et Michelle Meunier d’avoir présenté cette proposition de loi. Je remercie également Mme la secrétaire d’État de s’y être, à son tour, beaucoup investie.
Huit ans après le vote de la loi du 5 mars 2007, un bilan était nécessaire afin d’apporter à ce texte des améliorations significatives et des corrections attendues.
Dans la foulée de cette loi, les départements, dès lors chefs de file de l’aide sociale à l’enfance, ont été animés d’une réelle volonté de faire évoluer leurs pratiques. Ils se sont toutefois rapidement heurtés à différentes difficultés : une augmentation du nombre de placements de l’ordre 10 % en moyenne depuis 2010, une augmentation de la durée moyenne des placements – les situations des enfants confiés étant souvent très complexes –, l’arrivée de jeunes étrangers isolés, qui représentent à eux seuls 10 % des jeunes accueillis, et ce dans un contexte budgétaire particulièrement dégradé.
Face à des dépenses sociales en progression continue, et menacés par une inadéquation des concours de l’État pour compenser leurs charges, les conseils départementaux sont confrontés à une véritable impasse budgétaire.
Le résultat mitigé de l’application de la loi de 2007 par les départements doit plus au manque de moyens qu’à une absence de volonté. Madame la secrétaire d’État, je ne puis imaginer que les élus départementaux ne vous aient pas fait part de leurs angoisses.
J’en viens à la proposition de loi et à la gouvernance envisagée.
Créer une nouvelle instance nationale que serait le Conseil national de la protection de l’enfance est en soi une belle idée, mais n’est-ce pas, une fois de plus, la réponse habituelle lorsque les choses ne vont pas tout à fait dans la direction que nous souhaiterions ? Combien d’instances, de conseils, de comités, d’observatoires n’avons-nous pas créés en France ces dernières décennies ? À la seule Assemblée des départements de France, on recherche actuellement des représentants pour deux cents de ces organisations... C’est folie !
Cette création est d’autant plus contestable qu’il existe un organisme national dédié à l’enfance en danger, l’Observatoire national de l’enfance en danger. En changeant sa dénomination – il deviendrait l’Observatoire national de la protection de l’enfance –, nous pourrions opportunément imaginer, dans le même temps, d’élargir son champ de compétences à la coordination, à l’échange de pratiques sur la mise en œuvre de la politique de protection de l’enfance et à son évaluation. De cette manière, nous n’inventerions pas une nouvelle structure, mais nous attribuerions de nouvelles missions et donnerions des objectifs élargis à un observatoire existant !
Par ailleurs, les départements ne seraient pas au même niveau d’excellence dans l’application de la loi. Cela peut être vrai dans certains cas. Je rappelle cependant que beaucoup d’entre eux ont mis en place les cellules de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, les observatoires départementaux, des comités de pilotage, des groupes pluridisciplinaires ou multi-partenariaux, des groupes de travail pour l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des schémas départementaux de l’enfance, de la jeunesse et de la famille, sans oublier les instances territoriales de l’action sociale de proximité qui ont été étoffées...
Que tout cela ne se fasse pas à la même vitesse est compréhensible ! Comme je l’ai souligné et ne cesserai de le rappeler, les moyens financiers, et par voie de conséquence les moyens humains, ont cruellement manqué dans une période de dégradation sociale !
La loi de 2007 s’est probablement aussi heurtée aux peurs du changement. Dans ce cas, les contrôles de l’Inspection générale des affaires sociales peuvent constituer de véritables aides à la décision et un formidable outil d’évolution.
Écrire des référentiels, élaborer des procédures, des protocoles, construire un projet pour l’enfant, conclure des conventions, mettre en place des grilles d’évaluation, tout cela relève de la méthode, et la méthode appartient à ceux qui la mettent en pratique !
Depuis la décentralisation, les départements sont responsables de la politique de l’aide sociale à l’enfance. Il leur appartient donc de choisir leur méthode, de tester sa pertinence sur le terrain, de la corriger, de l’adapter et de la confronter à celle qui est mise en œuvre dans d’autres territoires – nationaux ou internationaux –, bref d’importer et d’exporter les bonnes pratiques...
La décentralisation consiste justement à laisser l’initiative aux territoires afin qu’ils adaptent leurs politiques aux contextes locaux. La loi fixe un cadre, elle n’est pas une méthode. Permettez-moi cette image : la loi donne le rythme, aux territoires d’écrire les notes !
Par ailleurs, ce que propose ce texte ajoute de la complexité, alors qu’il faudrait plutôt mettre de l’huile dans les rouages ! Cela signifie apporter des réponses en matière de pédopsychiatrie, assurer les liens et les moyens pour une vraie coordination avec les services de la justice, de l’éducation, voire de la recherche, lever les ambiguïtés sur les responsabilités de l’État, notamment en matière d’accueil des jeunes étrangers isolés.
Pour toutes ces raisons, avec un certain nombre de mes collègues, je m’opposerai aux propositions qui dictent et complexifient, à un moment particulièrement inopportun, marqué par l’extraordinaire amplification de la vulnérabilité et la raréfaction des financements publics.
En revanche, animée par la volonté de concentrer nos efforts autour de l’enfant, je soutiendrai toute mesure visant à stabiliser le parcours de l’enfant, à construire un projet stable pour l’enfant et à nous doter d’un arsenal juridique protégeant l’enfant et le jeune.
La protection de l’enfance est une école de rigueur, de volonté et d’humilité. C’est pourquoi je salue le travail accompli par l’ensemble des personnels institutionnels et associatifs. Entre doutes et satisfactions, ils se mobilisent au quotidien pour protéger et accompagner les enfants et les jeunes en danger ou qui risquent de l’être. C’est une lourde mission. Comme les élus, ces acteurs attendent qu’on leur en facilite l’exercice.
L’envie, le courage, la méthode, ne suffisent plus. Il nous faut y consacrer des moyens ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis heureuse d’examiner cette proposition de loi relative à la protection de l’enfant en seconde lecture, enrichie par le travail de l’Assemblée nationale. Je remercie à mon tour Michelle Meunier et Muguette Dini, qui, par leur détermination, ont fait la démonstration de l’utilité des initiatives parlementaires.
Ce texte a pour objectifs principaux l’amélioration de la gouvernante nationale et locale, la sécurisation du parcours de l’enfant placé et l’adaptation de son statut sur le long terme.
Le groupe CRC soutient l’article 1er du texte, qui crée, auprès du Premier ministre, un Conseil national de la protection de l’enfance. L’instauration de cette instance de pilotage interministériel répond à la nécessité d’améliorer la coordination entre les différents acteurs ainsi qu’entre l’échelon local et l’État.
Une telle instance peut servir à donner une impulsion nationale à la protection de l’enfance et à améliorer l’évaluation des orientations ainsi définies.
S’agissant des dispositions relatives à la sécurisation du parcours des enfants placés, nous relevons plusieurs améliorations notables.
La réaffirmation du rôle essentiel du projet pour l’enfant avec, comme moteur et finalité, son intérêt, ainsi que l’encadrement plus strict des décisions de changement de famille d’accueil, visant à éviter les ruptures répétées dans la vie de l’enfant placé, constituent de solides points d’appui.
En effet, pour répondre de manière adaptée à chaque situation, il est essentiel de permettre aux parents et aux professionnels de s’accorder sur un objectif, un calendrier et des moyens, en associant l’enfant à ces choix.
Ces mesures seraient insuffisantes si elles n’étaient accompagnées du développement de la formation des professionnels du secteur de la protection infantile. L’établissement, à l’échelle départementale, d’un programme pluriannuel des besoins en formation de ces professionnels est donc le bienvenu.
De même, la désignation dans chaque département d’un médecin référent, prévue à l’article 4 de la proposition de loi, est une mesure utile pour améliorer le dépistage des enfants en danger et leur protection.
Comme nous l’avons rappelé en première lecture, la mise en place d’un médecin référent à l’échelon départemental avait été encouragée par notre groupe lors des débats sur la loi de 2007. Nous nous félicitons donc que cette mesure semble aujourd'hui faire consensus. Elle permettra d’établir des liens de travail réguliers entre les services départementaux, les médecins libéraux et hospitaliers ainsi que les médecins de santé scolaire.
Enfin, nous accueillons positivement la prise en considération des regroupements de fratrie. En effet, comme le souligne le Défenseur des droits dans son avis du 27 novembre 2014, ces regroupements constituent un facteur de stabilité dans la vie de l’enfant placé.
Si le texte contient plusieurs dispositions très positives, quelques insuffisances subsistent néanmoins à nos yeux.
Tout d’abord, comme en première lecture, nous regrettons que la question des moyens humains et financiers ne soit pas évoquée.
Alors que la loi de 2007 a opéré le transfert des compétences de la protection de l’enfance aux collectivités territoriales, le contexte budgétaire récent nous laisse craindre un accroissement des inégalités territoriales.
En effet, les collectivités voient leurs subventions tellement réduites que tout bouclage budgétaire devient une mission impossible. Dans le cadre de cette chasse aux restrictions budgétaires, des coupes claires risquent d’amputer les politiques sociales, au détriment de services vitaux rendus aux populations. Dans ce contexte, que peut-il advenir de la prévention ?
C’est pourquoi affirmer le rôle central de l’État est essentiel pour garantir l’égalité de traitement de toutes les familles et de tous les enfants sur l’ensemble du territoire, tout en assurant la cohérence du système.
Par ailleurs, nous regrettons une nouvelle fois que ce texte n’apporte aucune modification à la situation dramatique de nombreux mineurs étrangers isolés, et ce d’autant plus que, actuellement, nombreux sont ceux qui fuient leurs pays d’origine au péril de leur vie pour des raisons climatiques, économiques ou de guerre.
Nous saluons et soutenons l’adoption, par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, de l’interdiction des tests osseux pour évaluer l’âge des enfants. En revanche, madame la secrétaire d’État, nous regrettons que, dans un souci de compromis, vous ayez fait le choix, non pas de les interdire, mais de les encadrer afin de les limiter au maximum.
Nous avons donc déposé deux amendements visant à interdire les tests osseux, car nous ne pouvons continuer cette pratique, même de manière encadrée, au motif qu’il n’existerait aucune technique fiable permettant de confirmer que le jeune a atteint l’âge de la majorité. Dès lors, est-il plus grave d’accorder une protection à un jeune qui se révélerait avoir un peu plus de dix-huit ans que de laisser livrer à lui-même ce jeune parce que des tests, d’un autre âge et sans aucune fiabilité reconnue par la communauté scientifique, ont conclu qu’il était majeur ?
Comme certains de nos collègues députés – socialistes, écologistes, communistes et membres du Front de gauche – l’ont fait à l’Assemblée nationale, je défendrai cette exigence avec mon groupe, au Sénat, dans le cadre de cette seconde lecture.
Je tiens également à insister, mes chers collègues, sur le fait que ces jeunes particulièrement vulnérables ne sont pas des profiteurs potentiels, comme certains le pensent et le disent. (M. François Bonhomme s’exclame.) Ce sont des enfants et ils doivent bénéficier de la protection prévue par les dispositions nationales et internationales.
Comme le souligne le Défenseur des droits, un mineur étranger arrivant seul en France, sans représentant légal sur le territoire, sans proche pour l’accueillir, est par définition un enfant en danger et doit relever, à ce titre, du dispositif de la protection de l’enfance.
Dans cet esprit, il est indispensable, au regard des situations d’exploitation que connaissent certains mineurs, en particulier les mineurs isolés étrangers, de prévoir un accompagnement adapté et de mettre un terme au placement en centre de rétention administrative, ou CRA.
Si, en principe, les mineurs étrangers isolés ne peuvent faire l’objet de mesures d’éloignement, dès lors que leur minorité est contestée, ils peuvent être placés en centre de rétention administrative. De tels placements, en vue d’un renvoi dans leurs pays d’origine, sont de plus en plus courants avec l’afflux de réfugiés en Europe.
Nous présenterons donc un amendement visant à interdire le placement des mineurs dans ces établissements. J’espère que cette disposition sera soutenue au-delà des travées de notre groupe, car elle répond à des valeurs humanistes et, faut-il le rappeler ici, correspond à l’un des engagements du candidat Hollande ! (M. François Bonhomme s’exclame.)
Malgré ces réserves, nous considérons la proposition de loi comme allant globalement dans le bon sens. Nous espérons toutefois que nos amendements seront adoptés, afin de surmonter les points négatifs que je viens d’exposer. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)