M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que la loi de 2005 sur le handicap avait consacré l’obligation de rendre accessibles tous les lieux recevant du public avant le 1er janvier 2015, seulement 40 % de ceux-ci le sont aujourd’hui, d’où une première déception des personnes en situation de handicap, de leurs familles et de l’ensemble des actrices et des acteurs présents à leur côté au quotidien.
En effet, dans plus de la moitié des cas, une personne en situation de handicap voulant se rendre dans un lieu public pour y faire des courses, déposer un dossier administratif, se faire soigner, se trouvera dans l’incapacité d’y accéder : bloquée au pied des marches, incomprise d’un interlocuteur qui ne sait pas communiquer en prenant en compte son handicap, par exemple auditif, perdue devant des explications auxquelles elle n’a pas accès, du fait de son handicap mental. Dans plus de la moitié des cas, elle se trouve entravée dans la réalisation d’actes quotidiens par un défaut d’accessibilité, donc par la non-reconnaissance de ses droits fondamentaux, inscrits pourtant dans une loi.
Devant une telle situation, qui fait que la France est à la traîne parmi les pays ayant ratifié la convention de l’Organisation des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, le Gouvernement a fait le choix de reculer.
Pourtant, trente ans avaient déjà séparé les deux lois de 1975 et de 2005 portant sur les droits des personnes en situation de handicap. Puis, un délai supplémentaire de dix ans a été accordé pour la mise en accessibilité progressive des ERP, et, à l’échéance de 2015, on voudrait que ces personnes patientent encore pour que des mesures auxquelles elles ont droit soient enfin appliquées… C’est bien l’addition de ces reculs qui est cause de la colère des personnes en situation de handicap !
Les gouvernements successifs, par manque de volonté politique, n’ont cessé de repousser la mise en œuvre de l’accessibilité universelle, tout en se défaussant de leurs responsabilités sur les collectivités territoriales. Or nous connaissons les difficultés budgétaires de ces dernières, liées à la diminution de 28 milliards d’euros des dotations de l’État. Ainsi, sans transfert de moyens, atteindre l’objectif de l’accessibilité universelle reste illusoire.
Mais, au-delà des moyens, la mise en accessibilité est aussi une question de volonté politique et de sens des responsabilités. Il suffit souvent qu’un ou une élu soit un peu plus concerné que les autres par cette question pour que des mesures soient prises et des budgets alloués.
En attendant ce sursaut politique, les décisions votées par le Parlement, par les représentants du peuple – certains d’entre nous étaient déjà là en 2005 – ne sont pas appliquées : nous ne pouvons l’accepter. Vous venez de le dire, madame la secrétaire d’État, il est de notre rôle de faire appliquer la loi.
Les personnes en situation de handicap et leurs associations manifestent, avec raison, leur opposition à cette ordonnance et nous demandent de ne pas la ratifier. J’ai été à leur côté et j’entends leur exaspération, leur déception, leur colère. Elles ont attendu trop longtemps la mise en place concrète de droits qui leur sont dus ! Du Conseil national consultatif des personnes handicapées au Collectif pour une France accessible, qui regroupe la très grande majorité des associations de personnes en situation de handicap, tous dénoncent cette ordonnance. Le Gouvernement s’obstine donc à défendre un texte qui ne fait que des mécontents parmi les personnes en situation de handicap et leurs familles, ainsi que parmi les acteurs du monde associatif qui les accompagnent dans leur vie quotidienne.
En effet, comment ne pas être déçu, voire en colère, lorsque l’on sait que les dérogations techniques instaurées conduiront à une exonération de mise en accessibilité pour la plupart des établissements recevant du public ?
Aux dérogations existantes, tenant à une impossibilité technique, à la conservation du patrimoine architectural et à la disproportion économique, s’ajoutera désormais une dérogation pour les ERP dont la mise en accessibilité serait jugée trop complexe. Mais qui en jugera, et de quelle complexité parle-t-on ?
Jusqu’à trois ans de délai supplémentaire seront accordés en cas de « difficultés techniques ou financières particulières ». Des prorogations plus longues, pouvant aller jusqu’à six, voire neuf ans, sont prévues pour les établissements de plus grande capacité, les patrimoines comprenant plusieurs établissements et ceux « en difficulté financière avérée». Même l’obligation de dépôt des agendas d’accessibilité programmée, qui étaient pourtant le fer de lance de la loi d’habilitation, a été assouplie. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous nous étions abstenus en première lecture sur ce texte.
Concernant les transports, les délais maximaux seront de trois ans pour les transports urbains, de six ans pour les transports interurbains et de neuf ans pour le transport ferroviaire.
Nous refusons de soutenir un tel dispositif, un tel recul. Ces mesures sont injustes socialement. Elles ne sont pas dignes du modèle de société que nous préconisons, fondé sur la liberté, d’aller et venir en l’occurrence, l’égalité – ici l’égalité d’accès – et la fraternité, celle qui lie les citoyens, quels que soient leur sexe, leur origine ou leur handicap.
Pour ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen votera contre ce projet de loi de ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous arrivons enfin au terme de l’examen de ce projet de loi, qui permettra de donner un nouveau souffle au dispositif de la loi de 2005 et de répondre à toutes les attentes suscitées par celui-ci.
Si le vote de cette loi a été un formidable signe d’espoir pour les personnes handicapées et leurs familles, force est de constater, dix ans après, que les délais imposés étaient particulièrement ambitieux et, malheureusement, assez peu réalistes.
Cela explique que, l’année dernière encore, à peine plus de la moitié des écoles et seulement 42 % des réseaux de bus étaient accessibles aux personnes handicapées. De même, trouver des cabinets médicaux ou paramédicaux et des commerces de proximité accessibles relève souvent d’un véritable parcours du combattant. Aujourd’hui encore, les personnes en situation de handicap rencontrent quotidiennement de grandes difficultés pour mener une vie sociale comme tout un chacun.
Le constat, implacable, imposait un changement de méthode. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement mène depuis quelques années une politique volontariste pour qu’enfin notre société puisse accueillir les différences et permette à toute personne handicapée d’être un acteur de la vie sociale, culturelle, professionnelle et sportive.
Je tiens à saluer tout particulièrement le travail, reconnu de longue date, de notre collègue Claire-Lise Campion, ainsi que celui de Philippe Mouiller, rapporteur de la commission mixte paritaire.
Certes, plusieurs associations de personnes handicapées, qui attendent depuis des décennies un effort concret en faveur de l’accessibilité, déplorent les nouveaux délais et condamnent un texte qui revient sur les acquis de quarante années de réglementation en matière d’accessibilité. Bien sûr, nous comprenons leur désarroi.
Pour autant, nous tenons à rappeler que ce projet de loi ne remet pas en cause l’objectif de mise en accessibilité fixé par la loi du 11 février 2005. Cette réforme est nécessaire au maintien de cet objectif. Elle permettra d’accélérer les aménagements dans les prochains mois et d’engager un processus irréversible de réalisation de l’accessibilité universelle.
La mise en place des agendas d’accessibilité programmée et l’adaptation des dispositions techniques et réglementaires garantissent, en effet, que les objectifs de mise en accessibilité pourront être tenus et offrent aux gestionnaires d’ERP et de services de transport une solution adaptée et réaliste.
J’ajouterai que l’Association pour adultes et jeunes handicapés a estimé qu’« au vu des retards accumulés, [les Ad’Ap] apparaissent comme la solution la plus réaliste pour avancer de façon pragmatique, dans des délais resserrés » vers l’accessibilité pour tous.
Dans cette perspective, je me félicite des améliorations que chacune des assemblées a pu apporter au texte. Comme l’a souligné en première lecture notre collègue Hermeline Malherbe, « il s’agissait de trouver un juste équilibre entre les demandes légitimes d’équité citoyenne des personnes porteuses d’un handicap et les possibilités des collectivités et des établissements recevant du public de mettre en œuvre l’accessibilité ».
Mes chers collègues, je pense que le texte, tel qu’il résulte des travaux de la commission mixte paritaire, va dans le bon sens et conserve ce juste équilibre.
Nous avons davantage encadré les conditions de prorogation des délais de dépôt et de mise en œuvre des agendas d’accessibilité programmée ; nous avons abondé le fonds national d’accompagnement de l’accessibilité universelle par la totalité du produit des sanctions financières prévues par l’ordonnance ; nous avons renforcé la formation des professionnels à l’accueil et à l’accompagnement des personnes handicapées ; enfin, nous avons ouvert le service civique aux personnes handicapées jusqu’à l’âge de 30 ans.
La recherche d’un compromis entre les deux assemblées a conduit à la suppression de l’article 9, qui prévoyait une incitation financière pour les établissements recevant du public n’ayant pas encore procédé à la mise en accessibilité. C’est une très bonne chose, car, comme l’a très justement rappelé Mme la secrétaire d’État, ce dispositif revenait à accorder une prime à ceux qui ont traîné les pieds jusqu’à présent.
S’agissant de l’article 3, relatif à l’assouplissement des conditions de mise en accessibilité du parc locatif social et à la prorogation des délais de dépôt et de la durée des agendas d’accessibilité programmée, je me félicite de l’accord qui a été trouvé en CMP.
La mise en accessibilité de la cité est une attente forte et légitime des personnes en situation de handicap. C’est dans un esprit constructif que le groupe du RDSE apportera son soutien au texte élaboré par la CMP. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti.
M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe UDI-UC du Sénat a voté en faveur de l’adoption de ce projet de loi en première lecture, tout comme nos collègues de l’Assemblée nationale ; je m’en félicite !
Certes, le texte comporte des manques, mais nous devons continuer à œuvrer pour faire évoluer les mentalités sur l’accessibilité, grâce à une véritable dynamique mobilisant l’ensemble de la société.
Cette ratification réaffirme le principe de l’accessibilité pour tous, tout en redéfinissant certains critères. On constate que certains objectifs trop ambitieux ne peuvent être atteints, car ils sont irréalistes pour bon nombre de petites communes.
Les problématiques de la faisabilité technique, humaine et financière de la mise en accessibilité ont été prises en compte tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale.
En commission mixte paritaire, les débats ont principalement porté sur les articles 3, 4, 6 et 9 du texte, pour finalement aboutir à un compromis que nous jugeons satisfaisant.
En ce qui concerne l’article 3, le Sénat a davantage encadré les procédures de prorogation des délais de dépôt des agendas d’accessibilité programmée, ainsi que le refus opposé par une assemblée générale de copropriétaires à la réalisation des travaux de mise en accessibilité d’un ERP.
La CMP a également précisé que « le coût pour les personnes handicapées des transports à la demande mis en place par une autorité organisatrice de transport ne peut être supérieur à celui applicable aux autres usagers dans un même périmètre de transport urbain ».
L’article 4, inséré dans le texte par le Sénat, prévoit que le refus de réaliser des travaux de mise en accessibilité d’un ERP prononcé par une assemblée générale de copropriétaires doit faire l’objet d’une décision motivée.
La CMP a entériné la rédaction de cet article issue des travaux de l’Assemblée nationale, en vertu de laquelle « lorsque le propriétaire ou l’exploitant de l’établissement recevant du public prend à sa charge l’intégralité du coût des travaux de mise en accessibilité, le refus ne peut être prononcé par les copropriétaires de l’immeuble que sur justification d’un ou de plusieurs des motifs énumérés par le code de la construction et de l’habitation ». Il peut s’agir d’une impossibilité technique ou de l’existence d’une disproportion manifeste entre les améliorations apportées par la mise en œuvre des prescriptions techniques d’accessibilité et leur coût, ainsi que leurs effets sur l’usage du bâtiment et de ses abords ou la viabilité de l’exploitation de l’établissement.
La CMP a aussi entériné la disposition introduite au Sénat en vertu de laquelle les commissions intercommunales d’accessibilité devront systématiquement tenir à jour la liste des ERP accessibles ou ayant déposé un Ad’AP.
En France, près de 90 % des communes ont mis en place une commission communale d’accessibilité. Notre but était de ne pas bouleverser l’équilibre d’un texte que les collectivités et les acteurs du monde économique ont déjà commencé à appliquer !
Lors de ma première intervention en discussion générale, j’avais évoqué le problème du transport scolaire : en effet, seuls les enfants en situation de handicap scolarisés à temps plein en bénéficient. L’Assemblée nationale a réintégré dans le champ du dispositif les enfants scolarisés à temps partiel ; je me réjouis que la CMP ait entériné cette mesure.
La question de l’accessibilité dépasse le simple cadre du handicap. Dans une société vieillissante, il est de notre devoir de faire en sorte que toute personne puisse évoluer dans un environnement favorable.
L’article 6 mérite également d’être mis en exergue : le Sénat avait fait passer de 500 à 1 000 habitants le seuil à partir duquel les communes doivent élaborer un plan de mise en accessibilité de la voirie et des espaces publics. L’Assemblée nationale a voté cet article conforme.
Enfin, le Sénat avait introduit l’article 9 afin de créer un système de déduction d’impôt au profit des entreprises mettant leurs locaux en accessibilité.
En vertu de cet article, les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés pouvaient déduire jusqu’à 40 % de la valeur des biens nécessaires à la mise en œuvre d’un Ad’AP. Malheureusement, l’Assemblée nationale l’a supprimé et la CMP a confirmé cette suppression.
Ce point, non négligeable, me conduit à renouveler ma critique relative à l’absence d’un réel volet financier. La mise en accessibilité suppose un effort financier important, et les collectivités font face depuis plusieurs années à une forte baisse de leur dotation globale de fonctionnement.
Je suis convaincu que la réussite tient à l’obligation de s’engager dans un processus daté, encadré et contrôlé, certes, mais surtout à la prise en compte des réalités propres à chaque situation, en particulier pour les structures et les acteurs le plus en difficulté.
Le Conseil économique, social et environnemental a lui-même souligné qu’aucune mesure concrète d’accompagnement des acteurs de cette mise en accessibilité n’avait été prévue. Il préconise également la création d’une journée nationale de l’accessibilité mise en œuvre par l’ensemble des collectivités.
À ce jour, l’association Jaccede organise un événement d’envergure nationale qui a pour objectif de sensibiliser et de mobiliser le grand public autour des questions du handicap et, plus généralement, de la mobilité dans les villes. Nous devons aller plus loin !
Nous avons entendu les critiques et les inquiétudes des familles et des associations. Nous représentons ici, mes chers collègues, les collectivités : nos ERP et nos plans de mise en accessibilité des espaces publics doivent être mis en conformité, pour le bien de tous.
L’engagement politique doit permettre de construire une place à part entière aux personnes vulnérables dans la société. Il sera difficile, pour la communauté, de participer à l’effort d’accueil et d’accompagnement si les collectivités locales ne sont pas mobilisées et responsabilisées.
Nous devons dès à présent répondre favorablement aux demandes des familles et des associations, qui portent principalement sur l’adaptation du cadre de vie. Cela passe par l’accessibilité des équipements municipaux et, surtout, par la mise en place d’une politique locale et nationale volontariste.
Dans ce contexte, il est attendu de l’État qu’il agisse non plus en tant qu’initiateur, mais en tant que facilitateur et promoteur de ces actions. L’État se doit de soutenir avec les moyens appropriés le mouvement associatif, mutualiste et coopératif, ainsi que les initiatives individuelles.
Dans cette perspective, nous devons donc travailler en étroite collaboration avec l’ensemble des acteurs. Il s’agit maintenant de tenir les objectifs de la loi de 2005 et, surtout, de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour les atteindre.
Pour toutes ces raisons, le groupe UDI-UC émettra un vote favorable sur les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes tous d’accord sur le constat : l’objectif d’accessibilité universelle au 1er janvier 2015, fixé par la loi de 2005, est encore loin d’être atteint, et il n’a évidemment pas été possible de rattraper le retard pris en neuf ans durant les quelques mois précédant l’échéance. Selon un sondage de l’IFOP datant du début de cette année, près d’une personne handicapée sur deux estime que son quotidien ne s’est pas amélioré depuis dix ans ; près d’un quart des personnes handicapées jugent même que la situation s’est dégradée !
Devant la gravité du problème, nous avions accepté, l’année dernière, de faire confiance au Gouvernement en lui accordant la possibilité, pour accélérer les choses, de recourir à des ordonnances. Même si ce mode de fonctionnement est très loin d’être satisfaisant, car il conduit à court-circuiter le travail parlementaire, la mise en place des agendas programmés était, sur le papier, un bon moyen d’inciter à la réalisation effective des travaux de mise en accessibilité universelle, tout en tenant compte de la réalité de leur coût.
Les ordonnances ont paru en septembre et, même si cela ne minimise pas nos grandes réserves, sur lesquelles je reviendrai, nous nous réjouissons qu’ait été retenu un amendement présenté par les écologistes et adopté en séance publique l’année dernière, visant à la publication de la liste des établissements recevant du public pour lesquels ont été effectués les travaux de mise en accessibilité ou faisant l’objet d’un agenda d’accessibilité programmée. Ainsi, toute personne en situation de handicap s’interrogeant sur la possibilité pour elle d’accéder à une infrastructure pourra obtenir une réponse immédiate.
Nous nous réjouissons également que l’amendement facilitant l’accès des jeunes en situation de handicap au service civique, déposé par Claire-Lise Campion, ait été retenu, de même que celui, issu de l’Assemblée nationale, tendant à améliorer les possibilités d’accès au transport scolaire pour les élèves en situation de handicap.
Toutefois, globalement, ces ordonnances nous posent problème. Elles ne nous paraissent pas cohérentes avec nos discussions de l’année dernière et il n’est pas remédié aux trois problèmes que nous avons soulevés le mois dernier.
En premier lieu, l’introduction d’une quatrième possibilité de dérogation, sans véritable justification, pour les copropriétés qui ne souhaitent pas faire les travaux de mise en accessibilité ne nous paraît pas juste, même si les débats menés par les commissions ont débouché sur l’introduction de l’exigence d’une motivation. Cela reste bien vague et il faut anticiper le fait que les dérogations seront très nombreuses.
Je tiens à rappeler encore une fois que la mise en accessibilité ne doit pas être vue comme une contrainte, même si elle requiert bien entendu des investissements souvent importants et des arbitrages. C’est le principe même des agendas de planifier les dépenses dans le temps, de la même façon que sont planifiés tous les autres investissements jugés indispensables. Par ailleurs, pour les petites communes ou les petites structures qui ont des budgets limités et peuvent être amenées à demander des dérogations, les arguments financiers doivent également être maniés avec précaution : lorsque l’étalement des dépenses ne suffit pas, des prêts avantageux existent, par exemple ceux de la Caisse des dépôts et consignations. De surcroît, la mise en accessibilité peut être un atout économique pour les services et les commerces, en particulier dans le secteur de l’hôtellerie : cela a été rappelé en commission des affaires sociales le mois dernier.
En deuxième lieu, la question fondamentale de l’accessibilité des établissements scolaires ne nous paraît pas avoir été suffisamment mise en exergue dans les ordonnances. Selon une étude récente de l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement, un quart des écoles construites après 2008 ne sont pas accessibles : comment cela est-il possible ? Les ordonnances ne répondent pas à ce problème très sérieux, aux répercussions nombreuses.
En troisième lieu, comment penser l’accessibilité sans aborder le sujet des transports ? Il est inconcevable que les autorités organisatrices de transports publics soient dispensées de planifier la mise en accessibilité de ceux-ci, laquelle doit concerner – c’est le point le plus problématique – tous les arrêts desservis et tous les moyens de transport. La possibilité de se mouvoir dans l’espace, quelle que soit la nature du handicap, doit être assurée à tous, même si cela prend du temps et doit être fait progressivement. Le principe de l’obligation de mettre en accessibilité ou de prévoir des services de substitution pour tous les points d’arrêt, prioritaires ou non, devait être inscrit dans la loi, conformément à l’engagement pris en 2005 et lors des débats de l’année dernière.
On se cache trop souvent derrière des arguments techniques, financiers, économiques pour ne pas agir, malgré la gravité de la situation et le retard de la France en matière d’accessibilité. Le fait est que l’accessibilité universelle n’est toujours pas réalisée dans notre pays, quarante ans après l’adoption de la première loi d’orientation en faveur des personnes handicapées, en 1975, dix ans après le vote de la loi de février 2005, neuf ans après la convention de l’Organisation des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, inscrivant l’accessibilité au cœur des priorités des États. Cela témoigne de l’ampleur des difficultés et des blocages auxquels nous faisons face !
Mes chers collègues, le groupe écologiste avait voté en faveur de l’adoption de la loi d’habilitation, l’année dernière ; nous sommes désagréablement surpris de la façon dont elle a été mise en œuvre. L’accessibilité universelle relève des droits de la personne, elle est liée à la vision de l’autre que nous voulons promouvoir, au regard que nous portons sur l’autre, au principe républicain d’égalité. Le texte élaboré par la CMP contient certes des avancées, mais nos réserves sont telles que nous nous abstiendrons.
M. le président. La parole est à Mme Colette Giudicelli.
Mme Colette Giudicelli. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la semaine dernière, la réunion de la commission mixte paritaire, que j’ai présidée, a montré une volonté commune d’adopter un texte équilibré, qui permette de répondre aux attentes des personnes en situation de handicap.
La loi du 11 février 2005, élaborée par la majorité précédente, était particulièrement ambitieuse. Il fallait sans doute cette ambition pour enclencher la dynamique qui s’est incontestablement mise en place par la suite. Aujourd’hui, on peut parler de succès, car on n’appréhende plus le handicap de la même façon et le principe de l’accessibilité pour tous est enfin intégré par notre société.
Néanmoins, s’engager sur des délais pour la mise en accessibilité de l’ensemble des ERP et des transports relevait de la gageure, tant les situations peuvent s’avérer compliquées sur le terrain. Durant toutes ces années, en tant que législateurs, nous avons veillé au respect de la stricte application de la loi de 2005, tout en prenant en considération les contraintes des élus locaux, que nous représentons. En effet, si le principe d’accessibilité doit être absolu, des problèmes de faisabilité rendaient indispensables un certain nombre d’assouplissements ou de dérogations.
Ce difficile équilibre nous semble atteint au travers du présent projet de loi. Les agendas d’accessibilité programmée, pour les ERP, et les schémas directeurs d’accessibilité, pour les réseaux de transport public, s’inscrivent dans la logique de la loi de 2005, grâce à un dispositif précis d’engagements et de sanctions.
La Haute Assemblée avait recommandé l’adoption d’une telle démarche dès 2012 ; à l’issue de leurs travaux, Claire-Lise Campion et Isabelle Debré avaient constaté l’impossibilité de respecter la date butoir de 2015 et affirmé la nécessité absolue de ne pas décevoir les attentes des publics concernés.
J’assombrirai un instant nos débats en regrettant que la présente réforme n’ait pas été engagée plus tôt par le Gouvernement. Cela lui aurait évité d’invoquer l’urgence par la suite et de recourir à la procédure de l’ordonnance, peu compatible avec le respect dû à la fonction de contrôle du Parlement.
La Haute Assemblée a seulement pu légiférer sur le projet de loi de ratification de l’ordonnance, ce qui a cependant permis d’ajuster et d’enrichir de façon importante le texte sur de nombreux points.
Ainsi, poursuivant la logique vertueuse qui a présidé à la création des Ad’Ap, la commission a adopté un amendement de ses rapporteurs relatif à la prorogation des délais de dépôt des agendas, tenant compte de la nature des difficultés rencontrées. L’obligation pour l’autorité administrative de motiver sa décision est également bienvenue.
Concernant nos collectivités, nous avons relevé de 500 à 1 000 habitants le seuil de population au-dessous duquel les communes ne seront pas soumises à l’obligation d’établir un plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics. Il nous appartenait en effet d’avoir une approche pragmatique des capacités de certaines petites communes.
Nos rapporteurs ont également renforcé le financement du dispositif, en prévoyant que le produit de l’ensemble des sanctions financières sera reversé au fonds national d’accompagnement de l’accessibilité universelle, destiné à soutenir les responsables d’ERP qui, en raison de la fragilité de leur situation financière, ne parviennent pas à mettre en œuvre des mesures de mise en accessibilité. Le Sénat a en outre prévu l’information annuelle du Parlement par le Gouvernement sur l’utilisation du produit des sanctions pécuniaires, toujours dans l’idée de rationaliser les ressources nécessaires à la mise en accessibilité.
D’autres dispositions visent à accompagner les personnes en situation de handicap dans leur quotidien. Je citerai l’amélioration de la formation des personnels des ERP en matière de handicap, avec le développement de la formation continue, car il y a encore de grands progrès à faire dans l’accueil et la prise en charge des personnes handicapées.
Nous avons également voulu faciliter l’accès au service civique pour les jeunes en situation de handicap. La Cour des comptes constatait, dans son rapport public de 2014, que leur part était particulièrement faible dans l’effectif du service civique : environ 0,6 %, alors qu’un objectif de 6 % avait été fixé par l’État. Nous avons donc proposé de porter de 25 à 30 ans l’âge limite d’accès au service civique pour ces jeunes. Bien que son effet quantitatif ne soit pas évident à apprécier, cette mesure va dans le bon sens et constituera un signal positif.
Le Sénat a aussi pensé aux difficultés rencontrées au quotidien par les parents d’enfants handicapés. En effet, si la scolarisation ordinaire, plébiscitée par de nombreuses études, est heureusement devenue courante, beaucoup de parents se trouvent démunis dans l’organisation de leurs démarches. Ils pourront désormais bénéficier de l’appui d’une équipe pluridisciplinaire de la maison départementale des personnes handicapées.
La commission mixte paritaire a maintenu l’ensemble de ces avancées votées par le Sénat. Elle a également conservé les dispositions adoptées par l’Assemblée nationale venues utilement compléter le texte. Je pense notamment, sur ce même sujet des enfants scolarisés, à l’égalité de traitement entre les enfants scolarisés à temps plein et ceux qui le sont à temps partiel pour la mise en accessibilité des points d’arrêt de transports en commun, ou à la possibilité ouverte aux propriétaires d’ERP de prendre à leur charge les travaux de mise en accessibilité, sans avoir besoin de l’accord de la copropriété.
Enfin, je tiens à souligner le souci d’égalité qui a permis l’adoption en commission mixte paritaire d’une rédaction de compromis sur les « transports à la demande ». Le texte prévoit ainsi que le coût du transport à la demande sera identique à celui qui s’applique aux autres usagers.
Au terme de nos débats, nous pouvons féliciter Claire-Lise Campion et Philippe Mouiller pour le travail qu’ils ont mené en commun, leur gentillesse et leur efficacité. Ils ont su défendre avec humanité la cause des personnes handicapées et améliorer un dispositif qui doit, cette fois-ci, ouvrir à nos concitoyens victimes d’un handicap l’accès à une vie normale et garantir l’accessibilité pour tous. Le groupe Les Républicains votera bien évidemment ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)