Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, le présent projet de loi organique n’est pas seulement un texte technique ayant pour objet de clarifier les règles électorales qui régiront la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. Il s’agit en réalité d’un texte de la plus grande importance visant à permettre aux Calédoniens d’appréhender l’avenir institutionnel de leur territoire de manière sereine, afin de faire un pas supplémentaire vers le « destin commun ».
C’est sous l’actuelle mandature du congrès de Nouvelle-Calédonie que se conclura, au plus tard en novembre 2018, le long processus entamé en 1988 avec les accords de Matignon-Oudinot, signés sous l’égide du Premier ministre Michel Rocard, et poursuivi par l’accord de Nouméa de 1998, conclu sous l’impulsion du gouvernement de Lionel Jospin. Ce processus, dans son intégralité, tend à construire une solution pacifiée pour l’avenir de ce grand territoire si singulier qu’est la Nouvelle-Calédonie.
Lors du déplacement d’une délégation de la commission des lois, l’été dernier, avec mes collègues Sophie Joissains et Jean-Pierre Sueur, j’ai pu mesurer le chemin parcouru. Cette délégation a permis d’évaluer l’avancée institutionnelle de ce territoire, de constater l’état des transferts de compétences et des services publics locaux et d’apprécier l’effectivité du rééquilibrage en cours. Le Parlement, en particulier notre Haute Assemblée, représentante des collectivités territoriales, se doit de porter une attention toute particulière au dossier calédonien, qui intéresse la Nation tout entière.
C’est ce que nous faisons aujourd’hui avec ce projet de loi organique qui pose les bases concrètes propres à assurer que la consultation qui sera organisée en 2018 sera incontestable.
Cette consultation est d’autant plus importante que la question à poser sera des plus claires : les Calédoniens auront à se prononcer pour l’accès à la pleine souveraineté, c’est-à-dire pour l’indépendance, ou contre, c’est-à-dire pour le maintien dans la République.
L’importance de ce moment, qui fera date dans l’histoire, rend indispensable le fait que la volonté des Calédoniens soit absolument inattaquable. Le monde entier aura les yeux rivés sur la France et nous nous devrons d’être exemplaires.
Conscients de ces enjeux et face à l’urgence de la situation – le congrès pouvant à tout moment décider de procéder à l’organisation du premier référendum d’autodétermination –, les partenaires calédoniens ont pris la mesure des questions à régler lors du douzième comité des signataires du 3 octobre 2014, afin que la liste électorale spéciale pour la consultation puisse être établie dans les meilleures conditions et le plus rapidement possible, notamment dans la perspective de l’inscription de 150 000 à 160 000 personnes, d’après les estimations.
Les signataires ont alors rappelé « leur attachement à ce que les citoyens calédoniens ne soient pas contraints d’entreprendre de démarches pour être inscrits sur les listes électorales spéciales pour la consultation de sortie de l’accord de Nouméa ». À la suite de cette réunion du comité, et après avoir pris en compte l’avis du Conseil d’État, le Gouvernement a préparé un projet de loi organique qui a été transmis au congrès de Nouvelle-Calédonie, lequel a formulé un avis négatif le 26 mars dernier, après de longs débats.
Face à ce constat, le Gouvernement a décidé de réunir un comité des signataires extraordinaire le 5 juin 2015, pour résoudre les questions cruciales, de manière à retrouver l’apaisement et permettre un fonctionnement normal des institutions calédoniennes.
Je tiens à saluer l’initiative de Pierre Frogier qui, le premier, a suggéré la tenue de cette réunion extraordinaire. Il faut aussi saluer le pragmatisme du Premier ministre, Manuel Valls, qui s’est impliqué personnellement dans le dossier, et de vous-même, madame la ministre, pour permettre de renouer les fils du dialogue et de redonner tout son sens à l’esprit de collégialité qui a présidé à la signature de l’accord de Nouméa. L’État a su ainsi faire preuve de son sens des responsabilités, en jouant le rôle qui est le sien de facilitateur et de partenaire impartial.
Je tiens surtout à saluer le travail de fond qui a été mené par les partenaires calédoniens lors de ce comité, notamment l’implication de Paul Néaoutyine, président de la province Nord, de Gaël Yanno, président du congrès de Nouvelle-Calédonie, de l’ancien président du congrès Roch Wamytan ou encore du député Philippe Gomès, que notre rapporteur a tous entendus. Contre toute attente, compte tenu de la sensibilité du sujet, l’accord qui s’est dégagé au terme de douze heures de négociations témoigne de l’extraordinaire volonté de conciliation dont ont fait preuve les signataires.
« L’esprit des accords de Matignon et de Nouméa souffle toujours », comme l’a si bien affirmé le Premier ministre. Ainsi se dessine une issue non point dictée d’en haut, mais vraiment portée par l’ensemble des acteurs calédoniens, évitant l’écueil d’une négligence des réalités politiques.
Concrètement, l’article 218 de la loi organique du 19 mars 1999 définit les électeurs admis à participer à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. Le projet de loi organique traite de la question centrale des possibilités de dispense de formalités pour l’inscription sur la liste électorale spéciale pour la consultation, préoccupation exprimée par le douzième comité des signataires.
Le texte initial prévoyait l’inscription d’office de deux catégories d’électeurs seulement : ceux qui avaient été admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998 et ceux qui relèvent du statut civil coutumier.
Eu égard à l’avis motivé du Congrès de Nouvelle-Calédonie demandant une clarification de la condition de détention en Nouvelle-Calédonie du centre des intérêts matériels et moraux – condition nécessaire pour l’inscription des électeurs nés en Nouvelle-Calédonie ou dont l’un des parents est né en Nouvelle-Calédonie – et une dispense de formalités administratives pour ces électeurs, le Gouvernement a présenté un amendement proposant d’ajouter deux nouvelles catégories d’électeurs susceptibles d’être proposés à une inscription d’office par les commissions administratives spéciales, amendement qui a fait l’objet d’un accord lors du treizième comité des signataires du 5 juin 2015. Le texte adopté par la commission des lois intègre cet amendement.
La première catégorie repose sur le principe d’une présomption de détention en Nouvelle-Calédonie du centre des intérêts matériels et moraux de certains électeurs dès lors que sont établies à la fois la condition de naissance en Nouvelle-Calédonie et l’inscription sur les listes électorales pour les élections au congrès et aux assemblées de province, qui définit la citoyenneté calédonienne.
La seconde catégorie comprend les électeurs nés à compter du 1er janvier 1989 et dont un des parents satisfaisait aux conditions pour participer à la consultation du 8 novembre 1998 ; cependant, en vertu de considérations matérielles, ne seront inscrits d’office que les électeurs dont un des parents a été effectivement inscrit sur la liste électorale spéciale de 1998.
Le texte de la commission permet d’acter diverses modifications du texte initial souhaitées par le treizième comité des signataires : la suppression de la possibilité pour le président des commissions administratives spéciales de rejeter les demandes manifestement infondées ; la substitution d’une personnalité qualifiée indépendante, sans voix délibérative, au second magistrat qui devait venir compléter la formation actuelle ; une redéfinition du rôle et de la composition de la commission consultative d’experts : ses attributions seront cantonnées aux questions relatives au critère tiré de la détention du centre des intérêts matériels et moraux et elle sera « également constituée de représentants désignés par le haut-commissaire sur proposition des groupes politiques constitués au congrès de la Nouvelle-Calédonie, après avis du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ».
Sur ce dernier point, le comité des signataires a exprimé le souhait que la participation ou l’association des forces politiques indépendantistes et non indépendantistes à la commission consultative s’effectuent de manière paritaire. Cette condition n’est pas reprise expressément dans le projet de loi organique. Il faudra donc que le décret en Conseil d’État fixant les règles de désignation, d’organisation et de fonctionnement de la commission d’experts assure la réalisation effective de cette condition. Le Sénat veillera à ce que la volonté des partenaires calédoniens, telle qu’elle est inscrite dans le texte de notre commission des lois, soit respectée à l’issue du processus législatif. Le groupe socialiste et républicain y sera très attentif.
Pour le maintien de cet équilibre si précieux, il est souhaitable que le présent projet de loi organique se limite à la question de la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, et uniquement à cette question, comme l’a si bien rappelé Philippe Bas. Nous partageons ce point de vue.
J’ai néanmoins souhaité déposer un amendement, au nom du groupe socialiste et républicain, mais aussi en tant que rapporteur du projet de loi organique portant actualisation de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, afin de garantir l’application effective de la disposition emblématique que contenait ce texte, à savoir la possibilité pour la Nouvelle-Calédonie de créer des autorités administratives indépendantes. Il s’agit de permettre la création d’une autorité de la concurrence pour donner à la Nouvelle-Calédonie les moyens de lutter contre la « vie chère ». En 2013, l’attente était forte : la création d’une telle autorité était jugée urgente. Cependant, cette création – réclamée et votée unanimement – n’a toujours pas eu lieu. Je présenterai en détail, dans la suite du débat, mon amendement visant à remédier à la situation de blocage actuelle.
Mes chers collègues, le chemin à parcourir est encore long. Il reste beaucoup de questions à résoudre dans les années à venir, à commencer par celle des listes provinciales, à laquelle le prochain comité des signataires devra tenter de répondre dans l’esprit d’ouverture réciproque et de dialogue politique qui a caractérisé sa réunion du 5 juin dernier. S’il est du devoir de chacun de respecter le droit, sur un tel sujet, il est plus que nécessaire de permettre un dialogue, afin de trouver une solution politique pacifiée, s’inspirant de l’esprit des accords.
Aujourd’hui, notre Haute Assemblée a l’honneur et la responsabilité d’accompagner la Nouvelle-Calédonie dans son cheminement vers le « destin commun » en donnant aux Calédoniens les bases nécessaires pour pouvoir choisir en toute sérénité l’avenir qui sera le leur. Comme l’a si bien dit le Président de la République le 17 novembre 2014 devant les Calédoniens : « La solution, personne ne la connaît encore. C’est vous qui allez la formuler [...]. [La] France sera à vos côtés [...] autant que la Nouvelle-Calédonie le voudra [...]. »
Le groupe socialiste et républicain votera ce projet de loi organique avec conviction et tout l’espoir qu’inspire la volonté des acteurs calédoniens de trouver ensemble la voie juste pour leur avenir. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord saluer à mon tour les personnalités présentes aujourd'hui dans les tribunes : M. Gaël Yanno, président du congrès de la Nouvelle-Calédonie, et M. Roch Wamytan, grand chef coutumier.
En juillet 2013, dans ce même hémicycle, je regrettais « le retard pris par les gouvernements précédents sur l’application de l’accord de Nouméa » et réclamais que soit préparée « la consultation d’autodétermination concernant le futur statut et le type de souveraineté dont disposera ce territoire ». Je faisais également savoir que le groupe écologiste du Sénat serait attentif à ce que l’esprit des accords de Matignon de 1988, l’esprit de leurs pères fondateurs, Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, soit respecté, et à ce que le processus enclenché par ces accords, puis prolongé par l’accord de Nouméa de 1998, se poursuive dans le consensus et garde le bon rythme. C’est donc avec soulagement que je vous retrouve aujourd’hui pour examiner le présent projet de loi organique, qui tient ces engagements.
Madame la ministre, vous avez su réaliser un long travail de concertation afin que les signataires des accords puissent se saisir du texte et travailler au consensus. J’imagine que cela n’a pas toujours été facile. Je salue à mon tour le fait que les signataires aient pris leurs responsabilités en trouvant des solutions de compromis.
Ce consensus s’est traduit par l’adoption de quatre amendements en commission, mercredi dernier. Comme l’a rappelé le rapporteur, ces quatre amendements visaient respectivement à ce que, dans les commissions administratives spéciales chargées d’élaborer la liste électorale spéciale pour le référendum d’autodétermination, le magistrat soit remplacé par « une personnalité qualifiée indépendante, sans voix délibérative, dont le profil, le rôle et les modalités de désignation sont fixés par décret, pris après avis du gouvernement et du congrès de la Nouvelle-Calédonie » ; à ce que la possibilité pour le président des commissions administratives spéciales de rejeter les demandes manifestement infondées soit supprimée ; à ce que le projet de décret en conseil d’État fixant la composition et l’organisation de la commission consultative d’experts soit soumis à l’avis non seulement du gouvernement, mais aussi du congrès de la Nouvelle-Calédonie ; à ce que deux nouvelles catégories d’électeurs susceptibles d’être proposés à une inscription d’office par les commissions administratives spéciales soient ajoutées.
Tous les groupes politiques locaux, indépendantistes et non indépendantistes, ont été consultés sur ces quatre amendements, toujours dans le souci de rechercher le consensus. Nous espérons que la mise en œuvre de ces mesures, et notamment la rédaction du décret fixant le profil, le rôle et les modalités de désignation des personnalités qualifiées indépendantes qui siégeront désormais dans les commissions administratives spéciales, se fera dans un esprit d’apaisement.
Il me semble également important que la représentation nationale réfléchisse dès à présent, de façon prospective – au sein des délégations à l’outre-mer des deux assemblées, mais pas uniquement –, aux différentes issues possibles du ou des référendums qui seront organisés – le premier aura lieu en 2018 – et au type de développement souhaitable pour la Nouvelle-Calédonie, afin d’éviter la précipitation et l’injustice.
Vous l’aurez compris, le groupe écologiste du Sénat est très soucieux de la mise en œuvre de l’accord de Nouméa, car il sait à quel prix ils ont été obtenus. Au-delà de l’examen du présent texte, nous serons attentifs à ce que les choses se déroulent de manière apaisée. Pour l’heure, nous voterons ce projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi organique que nous examinons cet après-midi, en présence d’éminentes personnalités de Nouvelle-Calédonie, constitue, comme l’a souligné Mme la ministre, une étape très importante dans le processus d’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie. Ce n’est pas un texte technique ; il porte sur la délicate question de l’établissement d’une liste électorale spéciale pour le référendum de 2018, et notamment sur la définition des critères qui présideront à cette opération.
Le présent projet de loi organique est l’aboutissement d’un long, très long cheminement, cela a été rappelé. Pour en comprendre la signification, il faut remonter à son origine, c'est-à-dire aux accords de Matignon. En 1988, ces accords ont esquissé un cadre institutionnel et politique qui a permis de mettre fin à une situation quasi insurrectionnelle. Dix ans plus tard, l’accord de Nouméa, conclu par les partis politiques locaux, indépendantistes ou non, et l’État, a précisé ce cadre et établi les modalités et le calendrier du processus.
Par la suite, un comité des signataires de l’accord de Nouméa a été constitué. Il s’est réuni à maintes reprises pour suivre la mise en œuvre de cet accord. Lors de sa réunion d’octobre 2013, le douzième comité s’est prononcé pour une réforme des modalités de la consultation prévue. Comme l’a rappelé le rapporteur, cette réforme avait deux objectifs : faciliter les inscriptions sur la liste électorale spéciale en vue de la consultation et améliorer le fonctionnement des commissions administratives spéciales chargées d’établir les différentes listes électorales. C’est ce texte que nous examinons aujourd’hui sous la forme d’un projet de loi organique.
J’ai voulu évoquer, comme les intervenants précédents, ces différentes étapes qui s’étalent sur près d’une trentaine d’années, afin d’illustrer les difficultés et la complexité de la situation que vivent nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie.
La rédaction du projet de loi organique adoptée par le conseil des ministres a rapidement suscité, pour des raisons opposées, le mécontentement, voire la colère des différents partis. Leur profond désaccord portait sur la question essentielle, et très sensible, de la composition du corps électoral qui sera amené à se prononcer sur l’avenir du territoire. J’oserai dire que c’était prévisible puisque le texte prévoyait l’inscription automatique sur la liste spéciale des seules personnes de statut civil coutumier. Ces personnes étant essentiellement représentées par des mouvements et partis indépendantistes, la réaction des partis adverses n’a pas tardé. Ils ont demandé que tous les natifs de Nouvelle-Calédonie, sous réserve d’une présence durable dans l’île, soient inscrits automatiquement.
Tous les ingrédients d’une nouvelle crise étaient donc réunis, d’autant que la situation politique du territoire était instable, tendue et confuse. Il faut en effet se rappeler que le gouvernement collégial calédonien venait de connaître trois mois de paralysie totale, et que, au terme de ces trois mois, l’exécutif n’avait pu être constitué qu’avec l’appui d’une partie des indépendantistes.
On le comprend aisément, derrière la question de la composition du corps électoral, il y a une question identitaire fondamentale à régler : celle d’une conception de la citoyenneté française qui n’est pas partagée par toute la population. Dans une telle situation, révélatrice des tensions et des oppositions difficilement conciliables de la société calédonienne, il était impératif de redéfinir un cadre : non que la solution aux problèmes identitaires du territoire soit juridique ; mais, au moins, dans le cadre d’un État de droit comme le nôtre, la fixation et le respect d’un certain nombre de règles garantissent la liberté des expressions diverses et la possibilité d’aboutir à un règlement politique des problèmes.
C’est pourquoi je voudrais saluer ici la méthode utilisée face à une situation de blocage qui aurait pu déboucher sur un retour aux violents affrontements du passé. Cette méthode, ce fut celle d’une large concertation sous l’égide de l’État, qui a pris la forme d’une réunion exceptionnelle du comité des signataires de l’accord de Nouméa. Le 5 juin dernier, grâce aux concessions des différentes parties, un consensus s’est dégagé pour, je n’hésite pas à le dire, préserver une paix civile gravement menacée.
L’accord prévoit d'abord l’élargissement à de nouvelles populations calédoniennes de l’inscription automatique sur la liste électorale du référendum. En outre, les commissions administratives chargées du contrôle des listes électorales seront modifiées pour accueillir une personnalité qualifiée supplémentaire, et le magistrat qui préside ces commissions sera doté de pouvoirs d’investigation.
Il faut bien mesurer que cet accord résulte de la volonté de chaque protagoniste de ce conflit latent de dialoguer à nouveau. Il constitue donc le bien commun de l’UC-FLNKS, du Palika, du Front pour l’unité, de Calédonie Ensemble et de tous leurs élus, qui représentent la population calédonienne dans sa diversité.
Nous discutons cet après-midi de la traduction de cet accord sous forme législative.
Il est évidemment nécessaire que sa mise en œuvre se fasse dans un climat de confiance et dans une situation politique apaisée. Même si l’on peut avoir, ici où là, quelques réserves, il faut donner aux Calédoniens, à tous les Calédoniens, cette chance de pouvoir se prononcer en toute connaissance de cause sur l’avenir de leur territoire.
C’est la raison essentielle pour laquelle le groupe communiste républicain et citoyen votera, sans hésitation, cette solution de compromis formalisée dans le texte adopté par notre commission. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, à mon tour, je tiens à saluer les deux personnalités de Nouvelle-Calédonie venues assister à nos débats, le président du congrès et le grand chef coutumier.
Voilà déjà près de deux décennies, le 5 mai 1998, selon l’accord de Nouméa, « le moment [était] venu de reconnaître les ombres de la période coloniale, même si elle [n’a pas été] dépourvue de lumière ».
Au terme d’événements qui ont marqué l’histoire du territoire calédonien, cet accord, faisant suite à l’improbable poignée de main entre un indépendantiste et un non-indépendantiste, ouvrait la voie à un compromis et à une pacification durables pour la Nouvelle-Calédonie.
Il rappelait les « ombres » de la colonisation française et les traumatismes subis par la population kanake, tout en rendant hommage aux différentes communautés qui ont participé à la mise en valeur de la Nouvelle-Calédonie. À la différence des logiques qui ont présidé aux indépendances successives, l’accord de Nouméa s’efforçait de réconcilier et de construire une société civile avant qu’il ne soit question de fonder un État-nation.
Prévoyant un référendum d’autodétermination à l’horizon de 2018, ce texte rappelait que « la décolonisation est le moyen de refonder un lien social durable entre les communautés qui vivent aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie, en permettant au peuple kanak d’établir avec la France des relations nouvelles correspondant aux réalités de notre temps ».
La perspective de ce référendum tant attendu, d’une importance cardinale, mais dont la simplicité peut être trompeuse, est désormais proche. La France a reconnu le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et c’est précisément dans ce cadre que s’inscrit aujourd’hui la consultation du corps électoral calédonien. Il est de notre responsabilité, à la lueur des processus de décolonisation plus ou moins réussis qui ont émaillé l’histoire mondiale, que cet événement se passe dans le plus grand respect de tous, dans la continuité de ces vingt-sept dernières années marquées par l’apaisement.
Nous le savons, rien n’est acquis et les équilibres trouvés restent précaires. Le rôle de l’État français est donc d’accompagner le processus, sans ingérence, en donnant à la population calédonienne les moyens de s’exprimer, dans le respect de la lettre et de l’esprit de l’accord de Nouméa. Comme l’a souligné la présidente du Gouvernement de Nouvelle-Calédonie, Cynthia Ligeard, devant l’Assemblée des Nations-Unies, le 8 octobre dernier, l’avenir de ce territoire ne se fera « ni les uns sans les autres, ni les uns contre les autres ».
Le présent projet de loi s’inscrit dans cette démarche, qui doit conduire, selon les termes de l’accord de Nouméa, le corps électoral calédonien à voter pour ou contre le « transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité ».
Nous saluons la démarche loyale et respectueuse engagée par le Gouvernement, qui doit permettre aux différents protagonistes de cette marche de l’histoire de rendre compte de leurs points de vue et d’arriver finalement à un accord.
Le projet de loi organique a fait l’objet d’un avis du Conseil d’État, dont il reprend les préconisations, et a rencontré l’adhésion du comité des signataires de l’accord de Nouméa. En commission, le Gouvernement a accepté de voir son texte amendé pour faire droit aux remarques résultant de la réunion du 5 juin dernier de ce comité. Il s’agit d’un préalable important en vue de sécuriser, en la légitimant, la future consultation.
Deux points, essentiels en ce qu’ils cristallisent de nombreuses tensions, sont abordés.
Premier point : la question de la constitution même du corps électoral qui participera au référendum d’autodétermination, laquelle fait depuis longtemps débat. Comme vous avez eu l’occasion de le rappeler lors de votre audition, madame la ministre, il y a, « parmi les forces politiques en présence, un réel souhait commun que la consultation se déroule dans les meilleures conditions et avec des listes établies de la façon la plus transparente ».
La solution choisie, qui consiste à faciliter les inscriptions d’office sur la liste électorale spéciale pour deux nouvelles catégories d’électeurs, à savoir les électeurs admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998 et les électeurs relevant du statut civil coutumier, semble répondre à ces exigences de transparence démocratique sans lesquelles cette consultation ne serait qu’un trompe-l’œil.
Nous nous félicitons qu’un accord sur ce sujet ait été trouvé.
Second point : l’amélioration de la composition et du fonctionnement des commissions administratives spéciales, avec la présence d’une personnalité qualifiée indépendante, sans voix délibérative, et l’octroi de nouveaux pouvoirs au président participent également de cette transparence. Là encore, la volonté des partenaires calédoniens a été respectée puisque le Gouvernement a accepté de remplacer le second magistrat, ce qui était son premier choix, par un observateur indépendant.
Quant aux missions de la commission d’experts indépendants, elles ont été précisées, conformément aux vœux du comité calédonien.
La Nouvelle-Calédonie se prépare à entrer dans une phase politique difficile, durant laquelle se manifesteront des revendications et des divisions parfois inattendues. Toutefois, après vingt-sept années de paix, il importe que cette consultation n’ouvre pas un nouveau cycle de violences et qu’elle se déroule dans le climat le plus apaisé possible.
Lors de sa visite de novembre dernier, le chef de l’État a évoqué ainsi l’avenir de la Nouvelle-Calédonie : « les Néo-Calédoniens auront le dernier mot ! ». C’est ce que nous souhaitons collectivement ici, car il s’agit bien d’une condition sine qua non de la réussite de la construction d’un destin commun.
Les membres du RDSE, conscients des responsabilités qui leur incombent, approuveront ce texte d’équilibre, en songeant, en premier lieu, à l’intérêt de nos compatriotes néo-calédoniens. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, permettez-moi de saluer également la présence de M. le président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, M. Gaël Yanno, et de M. Roch Wamytan. Ia Orana !
Ce projet de loi organique relatif à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté s’inscrit dans la continuité des conclusions du comité des signataires de l’accord de Nouméa du 5 juin dernier.
Les objectifs de ce projet de loi organique sont de la plus grande importance dans le contexte actuel calédonien, d’autant que la date de la consultation approche. La récente réunion du comité des signataires a permis d’apaiser les tensions et de répondre aux préoccupations des partenaires calédoniens. Je tiens, moi aussi, à saluer le travail et l’implication de notre collègue Pierre Frogier, qui a permis cette réunion.
Il fallait avant tout clarifier le processus d’établissement des listes électorales spéciales pour la consultation, notamment en ce qui concerne les critères d’inscription d’office. Il était également urgent d’améliorer le fonctionnement des commissions administratives spéciales. Enfin, la notion ambiguë de « centre des intérêts matériels et moraux » de l’article 218 de la loi organique de 1999 devait être clarifiée.
Je note que, à la suite de cette réunion, les contentieux entre élus calédoniens et représentants de l’État et du ministère des outre-mer se sont estompés, chaque délégation ayant fait des concessions. Désormais deux autres catégories d’électeurs seront susceptibles d’être proposées à une inscription d’office par les commissions administratives spéciales.
La première catégorie concerne les personnes ayant en Nouvelle-Calédonie le centre de leurs intérêts matériels et moraux. Prévue dans le texte de la commission sur proposition du Gouvernement, une commission consultative d’experts permettra de clarifier cette notion en donnant un éclairage juridique sur les cas présentés devant les commissions administratives spéciales.
La seconde catégorie d’électeurs concernés par la procédure d’inscription d’office sur les listes électorales spéciales comprend les citoyens nés à compter du 1er janvier 1989 dont l’un des parents répondait aux conditions pour participer à la consultation du 8 novembre 1998.
Nous approuvons le fait qu’un plus grand nombre de Calédoniens puissent être dispensés de formalités d’inscription sur la liste électorale référendaire, mais nous sommes conscients que la question des critères d’inscription d’office sur cette liste électorale spéciale risque de resurgir à mesure que nous nous rapprocherons de l’échéance de 2018.
Le consensus trouvé par les partenaires calédoniens lors de la réunion du 5 juin est positif, car il permet d’apaiser les tensions qui parcouraient la vie politique calédonienne depuis plusieurs mois. À cet égard, il convient de saluer la participation de l’Union calédonienne, parti indépendantiste, au comité des signataires, alors qu’elle était absente du douzième comité, le 3 octobre 2014.
Par ailleurs, nous considérons comme une évolution positive le fait de substituer au second magistrat une personnalité qualifiée indépendante. Cette mesure répond aux attentes de nombreux élus calédoniens, qui critiquaient fortement cet ajout. En effet, la présence d’un observateur indépendant permettra de garantir la légitimité du travail des commissions qui élaborent les listes électorales spéciales.
L’Union des démocrates et indépendants est, par essence, partisane d’une démocratie plus inclusive de tous les citoyens. Aussi, nous sommes satisfaits que le Gouvernement ait décidé de supprimer la possibilité pour le président des commissions administratives spéciales de rejeter des demandes.
Selon nous, toute demande doit être étudiée, quel que soit le risque, maintes fois mis en avant, de l’encombrement possible du travail des commissions. Il ne serait pas justifié que ces commissions, dont la mission essentielle est de garantir l’impartialité de la consultation, puissent voir leurs compétences restreintes.
Enfin, nous souhaitons une participation des forces politiques calédoniennes, représentées de façon paritaire au sein de la commission consultative d’experts, pour permettre d’associer toutes les opinions et toutes les communautés.
Il semble que le présent projet de loi organique réponde aux questions soulevées par les élus calédoniens de toute tendance. En effet, l’adoption en commission des amendements du Gouvernement a permis de prendre en compte les diverses positions. Ce texte encadre donc mieux l’organisation de la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté et en garantit le caractère incontestable.
Le groupe UDI-UC, qui votera pour ce projet de loi organique, veillera à ce que son caractère consensuel soit conservé lors de sa mise en œuvre en Nouvelle-Calédonie.
M. le président. La parole est à M. Pierre Frogier.