Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sur l’initiative du groupe écologiste, nous sommes aujourd’hui amenés à débattre des risques inhérents à l’exploitation de l’huître triploïde.
Il s’agit en effet d’un problème très technique qui aurait pu à mon avis bénéficier d’une saisine de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques afin d’avoir une approche mieux renseignée sur le plan épidémiologique et scientifique. Car, pour le moment, nous ne disposons pas d’expertises suffisantes pour formuler des certitudes sur les éventuelles incidences sanitaires ou environnementales de l’huître dite « des quatre saisons ». Toutefois, puisque le débat a été inscrit à l’ordre jour, le RDSE y prend part.
L’huître triploïde est issue d’une modification visant à doter sa cellule de trois jeux de chromosomes au lieu de deux. Cette modification est obtenue par deux méthodes différentes, dont la plus utilisée est la fécondation d’un ovule à trois jeux de chromosomes. L’huître a d’ailleurs de tout temps été largement utilisée en génétique expérimentale. Il n’est dans l’esprit de personne de nier les énormes progrès de la manipulation génétique dans tous les secteurs, y compris dans le domaine humain, et des espoirs liés à ces possibilités de traitement de certaines maladies rares. L’ostréiculture a elle-même bénéficié de ces progrès en créant ces fameuses huîtres triploïdes, dont la stérilité présente un double intérêt. D’une part, cela permet de ramener leur cycle de production à deux ans au lieu de trois. D’autre part, cette huître, moins laiteuse, est commercialisable en été, et donc plus intéressante pour alimenter le marché tout au long de l’année.
Pour ces raisons, l’huître triploïde connaît un certain succès puisqu’elle représenterait actuellement entre 30 % et 40 % des huîtres consommées en France.
Toutefois, depuis quelques années, le camp des « anti-triploïde » – si l’on peut dire – s’est mobilisé, avec parfois devant ou derrière lui des ONG – organisations non gouvernementales – dont la véritable cible est encore une fois les biotechnologies et la recherche scientifique. Il est essentiel de rappeler que mêler ce problème aux OGM est un abus de langage douteux. Un OGM est l’ajout d’un élément cellulaire d’un être différent. Je suppose que les auteurs de la question respectent cette distinction capitale. Cette précision étant posée, quels sont les enjeux liés au développement de cet organisme vivant modifié ou OVM ?
Il y a tout d’abord un enjeu sanitaire. On ne peut pas ignorer cette dimension. Cependant, en 2001, l’AFSSA a conclu que « le caractère polyploïde des huîtres ne paraît pas constituer en lui-même un facteur de risque sanitaire au regard de l’existence de ce phénomène, à l’état naturel, dans les règnes animal et végétal ». J’ajouterai que l’AFSSA n’a pas rapporté d’incidents liés à la consommation d’huîtres triploïdes.
Bien sûr, ce constat ne doit pas exonérer les pouvoirs publics d’exercer toute la vigilance qui s’impose.
Le second point, qui inquiète particulièrement les ostréiculteurs traditionnels, est celui du risque de dissémination, un risque dont on a déjà parlé ici s’agissant des OGM. Si l’on peut être favorable à la production des huîtres triploïdes, on doit cependant s’assurer que celle-ci n’aboutisse pas à la disparition de l’huître naturelle. Les écloseries sont censées être très sécurisées. Le sont-elles vraiment ? En théorie oui, mais l’on peut bien évidemment avoir des exigences en matière de surveillance des installations, avec les contrôles nécessaires.
Je voulais évoquer aussi le problème de la surmortalité des coquillages constatée depuis 2008.
On le sait, cette surmortalité est liée à des virus et des bactéries bien identifiés. La question est de savoir pourquoi ces infections se sont développées. Nous n’avons pas de réponse pour l’instant.
Pour les ostréiculteurs traditionalistes, la domestication de l’espèce par la manipulation génétique est en cause. Or rien n’est prouvé à ce jour, et l’histoire de l’huître rappelle que des variétés ont déjà été décimées avant 1994, date de la mise au point par IFREMER de ces manipulations génétiques.
Dans les années 1920, l’huître plate décimée a été remplacée par l’huître portugaise. À son tour, cette espèce connaît dans les années 1970 une épizootie et est remplacée par l’huître creuse japonaise. C’est pourquoi, aujourd’hui, au regard de ces exemples, on ne peut pas établir de lien entre l’huître triploïde et la surmortalité observée ces dernières années.
Enfin, la question orale de notre collègue Joël Labbé s’attarde également sur l’étiquetage. Je partage en général le principe de transparence que l’on doit avoir à l’égard des consommateurs. Mais, s’agissant de l’huître triploïde, comme vous le savez, dans la réglementation européenne en vigueur, est proposé un étiquetage sur la base du volontariat, car il ne s’agit pas d’OGM, mais d’OVM.
Mes chers collègues, pour conclure, je rappellerai que derrière ce débat, il y a la question sous-jacente du principe de précaution. Pour le RDSE, d’une façon générale, nous ne sommes pas pour une lecture extensive de ce principe, qui aurait pour effet d’entraver la recherche et l’innovation, et donc la notion même de progrès. Comme je l’ai dit, rien n’indique aujourd’hui que l’huître triploïde est un mauvais produit. Mais que cela n’empêche pas, monsieur le secrétaire d’État, les pouvoirs publics d’assumer pleinement leurs responsabilités en mettant en œuvre les outils d’expertise, de surveillance et de contrôle qui s’imposent pour informer et éventuellement protéger consommateurs et producteurs. (Mme Marie-Annick Duchêne applaudit)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le questionnement sur les risques inhérents à la production d’huîtres dites « triploïdes » a déjà fait l’objet d’un débat dans cet hémicycle, à l’occasion de l’examen d’un de vos amendements, cher collègue Joël Labbé.
Considérées par certains comme une avancée technique permettant la régulation de la production, ces huîtres sont aussi considérées par d’autres comme plus fragiles en raison d’une croissance rapide, facteur d’une mortalité croissante favorisant le risque de contamination et d’appauvrissement des huîtres.
Je voudrais me livrer à un petit rappel englobant les problématiques de l’ensemble de la filière ostréicole.
Répartie sur sept bassins du littoral, la production d’huîtres s’élève à environ 80 000 tonnes, engendrant un chiffre d’affaires de l’ordre de 345 millions d’euros.
La conchyliculture, à laquelle appartient la filière ostréicole, emploie 18 000 personnes, soit 6 000 équivalents temps plein, auxquels s’ajoutent près de 3 000 chefs d’exploitation et conjoints.
Ce secteur présente de fortes spécificités : forte saisonnalité, caractère à la fois maritime et agricole, importance du travail non salarié, territoires et bassins à fortes spécificités. Le département de la Vendée, dont je suis élue, représente près de 10 % de la production ostréicole. Il est caractérisé par la présence des écloseries les plus importantes du territoire national – quatre sur la dizaine d’écloseries que compte la France, dont le leader national.
La production ostréicole subit des phénomènes de mortalité depuis 2008 qui impactent fortement la production et les ressources des ostréiculteurs, inquiètent le consommateur et concourent de facto à la diminution de la demande.
Des études sur l’origine de ces phénomènes sont réalisées, particulièrement par IFREMER et des comités départementaux de suivi de l’ostréiculture, sous l’égide des directions départementales des territoires et de la mer, les DDTM, et en lien avec les organisations professionnelles, qui assurent également une veille.
Les causes apparaissent multifactorielles – virales, bactériennes, milieu aquatique, variation de la température des eaux – et ne sont pas nécessairement attestées. Les mêmes variations et incertitudes affectent les huîtres à tous les stades de leur développement, et ce quelle que soit leur provenance, captage naturel ou écloseries.
Malgré le florilège d’études et de rapports, la situation reste fragile et la profession est légitimement inquiète pour sa survie.
En effet, quel que soit le stade de production où intervient la mortalité, il engendre une perte de production, donc une perte de ressources.
Je poursuis avec les huîtres issues de milieu naturel ou d’écloseries. La production est quasi équivalente selon les origines et, actuellement, près de 80 % des producteurs font appel aux produits issus d’écloseries.
L’élevage des huîtres depuis la création du naissain jusqu’à la mise sur le marché se pratique de manière différente selon les bassins et les acteurs du métier. Certains procèdent au captage en milieu naturel puis assurent l’élevage dans le même milieu.
En revanche, il n’est pas rare, quelle que soit l’origine du captage, que le naissain soit envoyé en pré-grossissement dans un autre bassin, en France ou à l’étranger, revienne chez un autre éleveur pour atteindre la taille marchande et termine son périple dans un dernier bassin où, après trois mois d’immersion, les huîtres seront vendues sous l’appellation de ce dernier bassin ou de la marque que lui apposera le dernier éleveur.
Pour les huîtres diploïdes d’écloserie, les fonctions de reproduction sont assurées dans les écloseries, qui vendront ensuite les naissains. C’est en relation avec ce milieu que l’IFREMER travaille notamment au renforcement des capacités de résistance de sujets pour faire face aux difficultés que je viens d’évoquer. C’est pour cette raison que la filière dite traditionnelle exprime ses craintes quant à l’utilisation de produits antibactériens et au rejet d’effluents. La réglementation existante, les contrôles et les certifications devraient lever ces inquiétudes.
S’agissant des huîtres triploïdes d’écloserie, je tiens à rappeler que ces organismes vivants ne sont pas des OGM. Les craintes manifestées par la profession et reformulées par les initiateurs de notre débat, si elles sont légitimes au regard des risques supputés, ne trouvent pas à ce jour de confirmation dans les différents rapports d’étude. À la fin de l’année 2014, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, a confirmé l’innocuité de ces huîtres pour le consommateur et l’absence de risque pour l’environnement.
J’en viens à la question de l’étiquetage. En s’appuyant sur les dispositions de la loi n° 2014–344 du 17 mars 2014 relative à la consommation et sur la suggestion de certains ostréiculteurs, il a été demandé d’imposer un étiquetage différenciant les huîtres issues de captage et d’élevage naturel des huîtres issues d’écloseries, et surtout des huîtres triploïdes. Les débats ont cependant fait ressortir que, les huîtres triploïdes n’étant pas classées parmi les OGM, cette demande n’était pas recevable. Notons également que le Comité national de la conchyliculture, le CNC, n’est favorable ni à une labellisation ni à un étiquetage réglementé.
À ce jour, rien n’oblige les ostréiculteurs à indiquer l’origine, le bassin de production ou la marque de leurs produits, mais rien non plus ne leur interdit de le faire selon leur gré, sous quelques réserves. Outre que les appellations « diploïde » ou « triploïde » ne me paraissent pas incitatives à la consommation, elles imposeraient des contrôles très difficiles à définir et à appliquer. Aujourd’hui, rien ne peut garantir qu’un ostréiculteur dit traditionnel ne détient pas dans son cheptel des huîtres triploïdes, ne serait-ce qu’en quantité minime. De fait, la nature crée – en quantité infime, bien sûr – des huîtres triploïdes ; c’est sans doute une anomalie, mais sa réalité est incontestable. Dès lors, quel contrôle effectuer et quelle sanction appliquer en cas de manquement ?
Il me semble que la profession a toutes les capacités pour gérer ces problèmes de conditionnement en préservant l’intérêt du consommateur. Demeure cependant le problème des brevets d’exploitation. Le brevet, américain à l’origine, dont l’IFREMER détenait l’exclusivité d’exploitation pour l’Europe est tombé dans le domaine public le 15 janvier dernier. Par ailleurs, l’IFREMER a déposé en 2007 un nouveau brevet pour une nouvelle technique de production des géniteurs. Enfin, il a été porté à notre connaissance que l’IFREMER souhaitait cesser son activité de production de géniteurs, car sa vocation première est la recherche. Il serait donc disposé à vendre son brevet.
Cette hypothèse n’est pas sans poser des problèmes d’ordre déontologique à la profession. Il ne paraît pas souhaitable qu’un acquéreur puisse s’approprier un monopole dont les incidences pourraient peser fortement sur l’ensemble de la filière ostréicole. Un cahier des charges est à établir pour définir les conditions d’exploitation du brevet par l’entité chargée de détenir et de produire les géniteurs. Cela implique une étroite collaboration entre le ministère de l’agriculture et la profession. Certains acteurs suggèrent de s’appuyer, pour la partie réglementaire, sur les textes régissant les installations classées pour la protection de l’environnement, afin d’encadrer les risques.
Il y a tout de même un souci : c’est le temps. Un brevet est dans le domaine public ; l’autre est en vente. La filière ostréicole est fragilisée et inquiète à cause de tous les éléments que je viens d’évoquer. Monsieur le secrétaire d'État, j’aimerais connaître les dispositions que vos services ont prises ou vont prendre et savoir dans quels délais les problèmes inhérents à la détention et à la gestion des brevets pourraient être résolus. S’il faut s’en remettre à la profession pour réguler, il est important d’organiser le cadre réglementaire et les dispositions de contrôle par les instances adéquates pour sécuriser la production. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer.
Mme Agnès Canayer. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en Normandie, territoire largement ouvert sur la mer avec ses 600 kilomètres de côtes, on pratique la pêche depuis toujours. Cette économie ancestrale s’est enrichie depuis un demi-siècle d’une activité ostréicole en pleine expansion.
La région, qui commercialisait en 1970 un millier de tonnes d’huîtres, soit 3 % de la production nationale, est passée dès 1976 à 10 000 tonnes. Pour la campagne 2010–2011, la production normande est estimée à 16 200 tonnes, pour un total de 84 000 tonnes produites en France. La Normandie est ainsi devenue une région leader. Sur un territoire de 1 100 hectares, l’ostréiculture emploie entre 1 500 et 2 000 personnes, selon les saisons, dans près de 250 entreprises. Ces entreprises sont souvent « mixtes », c’est-à-dire qu’elles cultivent à la fois des huîtres diploïdes, dites naturelles, et des huîtres triploïdes.
Le brassage des eaux et le renouvellement permanent du plancton apportent aux huîtres des qualités gustatives fortes. Les producteurs se sont engagés dans des démarches de qualité, sanctionnées par la dénomination générale « Huîtres de Normandie » et le label « Gourmandie ». Pour bénéficier de cette signature, les producteurs doivent respecter un cahier des charges strict, fondé sur l’origine du produit, sa qualité et sa saveur. En 2011, ils ont mis en place un organisme de défense et de gestion, première étape vers l’obtention d’une indication géographique protégée, ou IGP ; le dossier est en cours d’instruction.
Moins connues que leurs homologues de Charente-Maritime ou du bassin d’Arcachon, les huîtres normandes ont su gagner leurs lettres de noblesse, preuve de la ténacité et du savoir-faire de leurs producteurs. Certaines ont même été récompensées cette année par une médaille d’or au Salon de l’agriculture.
La question qui nous est soumise aujourd’hui s’invite dans une période troublée pour les producteurs. Je me ferai le porte-voix des conchyliculteurs normands, qui viennent de débattre de l’étiquetage. En effet, depuis un an et demi, ils font face à une surmortalité des huîtres, qu’elles soient juvéniles ou adultes. Cette surmortalité, qui est due à un virus, touche l’ensemble de la chaîne de production, fragilisant ainsi les exploitations pour plusieurs années.
En outre, – je le rappelle pour mémoire – les producteurs ne bénéficient pas de soutien financier au titre des calamités agricoles, les épizooties n’entrant pas dans le champ de la prise en charge. Ils subissent donc une perte sèche. Cette année, et pour la première fois, les producteurs d’Isigny-sur-Mer se trouvent dans une situation de très grande difficulté, malgré le soutien gouvernemental, qui s’est traduit par une remise gracieuse des redevances domaniales et un soutien du Fonds d’allégement des charges. La priorité actuelle des producteurs est de sauvegarder leurs productions et leurs exploitations et d’enrayer cette crise sanitaire, avec l’aide des services de l’État.
La question permet aussi de s’interroger sur le rôle de l’IFREMER. À la fin des années 1980, il a cherché à améliorer les souches d’huîtres françaises en créant une huître plus résistante. Il a développé et commercialisé un brevet de production d’huîtres tétraploïdes, qui permettent la production d’huîtres triploïdes. Certaines associations de conchyliculteurs, notamment normandes, s’interrogent sur la double casquette de l’IFREMER, qui est à la fois juge et partie. Il souhaiterait aujourd'hui transférer son brevet à la profession ou le rendre au domaine public. Il considère que la profession doit être elle-même organisatrice.
Enfin, concernant l’opportunité de l’étiquetage, la profession est consciente du besoin légitime de connaissance et d’information des consommateurs. Elle s’interroge depuis plusieurs années sur l’impact de l’étiquetage pour les producteurs et sur les mentions qu’il faudrait apposer sur les étiquettes. Elle s’interroge aussi sur les modalités d’établissement de l’étiquetage : par qui et comment ?
Conscients du besoin de connaissance des consommateurs, certains membres du comité régional de la conchyliculture Normandie Mer du Nord n’avaient pas hésité à proposer dès 2013 une délibération pour l’instauration d’un moratoire. Ils étaient inquiets des effets de l’élevage d’huîtres triploïdes sur le milieu naturel, tout en souhaitant maintenir un marché équilibré, où demande et offre sont ajustées. Nous constatons donc un grand esprit de responsabilité parmi les éleveurs.
À la fin du mois d’avril, la profession a pris une position, sur la base d’un questionnaire adressé à l’ensemble de ses membres. Près de 60 % des ostréiculteurs normands y ont répondu, ce qui signifie que le sujet ne laisse pas indifférent. La majorité s’est prononcée contre l’étiquetage, sans doute parce qu’elle est davantage préoccupée par les difficultés actuelles. Les éleveurs favorables à l’étiquetage regrettent cette décision mais se rangent derrière la majorité. Ils rappellent toutefois que le fait d’anticiper la mesure avant qu’elle devienne obligatoire permettrait une meilleure appréhension par la profession.
Les éleveurs sont donc particulièrement avertis sur le sujet de l’étiquetage, et ils en connaissent les enjeux. Faisons-leur confiance pour prendre les mesures nécessaires au moment idoine. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Michelle Meunier et M. Daniel Laurent. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme l’a fort opportunément rappelé Odette Herviaux, la production ostréicole est l’une de nos fiertés nationales. C’est aussi, malheureusement, une filière qui connaît régulièrement de grandes difficultés, et sur laquelle nous devons veiller avec une attention toute particulière.
De 1996 à 2007, la production nationale se chiffrait entre 130 000 et 140 000 tonnes par an. En 2008, elle a chuté à 80 000 tonnes, du fait de l’apparition d’un variant de l’herpès virus de l’huître s’attaquant aux coquillages juvéniles puis d’une bactérie décimant les huîtres creuses adultes. En 2012, pour la première fois depuis cette crise, les résultats nationaux ont repassé la barre des 100 000 tonnes ; cette tendance s’est confirmée en 2013.
Pourtant, selon le Comité national de la conchyliculture, cette embellie est trompeuse car, si les ostréiculteurs se sont adaptés pour tenter de stabiliser la situation, leurs stocks sont à zéro et des risques pèsent sur leur trésorerie et leurs investissements. L’État n’a pas abandonné les ostréiculteurs, puisque l’exonération des redevances domaniales est en place depuis plusieurs années, et que le Fonds d’allégement des charges, dont la dotation a été augmentée, a vu ses missions renforcées.
L’IFREMER s’est saisi du problème. L’une de ses missions est en effet d’améliorer les souches d’huîtres françaises et de trouver des souches d’huîtres résistantes aux maladies. Il a ainsi mis au point en 1997 une huître possédant non pas deux chromosomes, comme l’huître diploïde, dont chaque chromosome est apparié avec son homologue, mais trois chromosomes. Cette huître est donc appelée triploïde. Il n’est pas inutile de rappeler, comme l’ont fait d’autres orateurs, qu’elle n’est pas un organisme génétiquement modifié.
En France, les huîtres triploïdes sont commercialisées depuis quinze ans, et elles représentent actuellement environ 30 % des huîtres vendues. Elles présentent essentiellement deux intérêts majeurs, l’un pour les consommateurs et l’autre pour les producteurs. La principale différence entre les huîtres diploïdes et les huîtres triploïdes est la stérilité des huîtres triploïdes. De ce fait, elles ne sont pas laiteuses – ni donc boudées par les consommateurs – en été, au moment de la production de gamètes. Leur second intérêt est également une conséquence de leur stérilité. Dans la mesure où elles ne dépensent pas d’énergie pour la reproduction, elles poussent donc plus vite que les autres : leur cycle de production est de deux ans au lieu de trois.
Enfin, les huîtres triploïdes seraient plus résistantes, selon les données fournies par l’IFREMER : en moyenne, la mortalité de mai à juillet se situe entre 50 % et 70 % dans les élevages d’huîtres diploïdes, alors que, dans les mêmes conditions d’élevage en milieu naturel, les huîtres triploïdes présentent une mortalité globale de l’ordre de 10 %.
Malgré ces avancées, qui semblent positives pour la profession, l’huître triploïde a des détracteurs. L’un des éléments de discorde est la modification de l’huître en laboratoire. Je tiens à rassurer les consommateurs sur ce point : dès la commercialisation de l’huître triploïde, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments a conclu, dans un avis rendu en 2001, que, concernant les risques potentiels de ce nouveau produit, « le caractère polyploïde des huîtres ne [paraissait] pas constituer en lui-même un facteur de risque sanitaire au regard de l’existence de ce phénomène à l’état naturel dans les règnes animal et végétal ». Elle ajoutait que « les huîtres triploïdes [étaient] consommées depuis de nombreuses années sans qu’aient été rapportés d’incidents liés à leur consommation ».
Pour autant, afin d’assurer l’entière information des consommateurs, je me permets d’évoquer le souhait d’un étiquetage des huîtres exprimé par de nombreux comités régionaux de la conchyliculture. Selon le Comité national de la conchyliculture, l’absence de réglementation spécifique aux huîtres triploïdes est logique, car elles ne sont pas considérées comme un « nouveau produit ». Cependant, si la Société atlantique de mariculture indique bien, sur les lots de naissains qu’elle vend, le caractère triploïde ou non des huîtres, cette information est absente des étals des commerçants. Il serait donc souhaitable de préciser aux consommateurs si les huîtres sont nées en mer ou en écloserie.
La demande d’étiquetage est formulée depuis de nombreuses années par l’association « Ostréiculteur traditionnel », qui défend l’huître née en mer. Toutefois, plutôt qu’une obligation, l’encouragement à l’étiquetage, en vue d’une généralisation, qui serait moins lourd à mettre en œuvre, peut assurer un haut niveau d’information aux consommateurs. C’est vers cette idée que je me dirigerai.
Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite par ailleurs connaître votre position face à la polémique qui agite les producteurs ostréicoles ces derniers temps, tout particulièrement depuis que cette association a saisi, en octobre dernier, le tribunal administratif de Rennes.
Ladite association accuse l’IFREMER d’avoir découvert le virus en écloserie en 1991 et de n’avoir rien fait pour en stopper la progression.
Il est donc indispensable d’y voir plus clair sur ce sujet. À cette fin, pouvez-vous nous détailler l’ensemble des missions menées par l’IFREMER, afin d’éteindre, si possible, cette polémique ?
Enfin, mes chers collègues, je tiens à insister sur l’importance du secteur ostréicole pour notre économie, en particulier pour nos territoires littoraux.
Depuis 2008, la mortalité des huîtres de moins d’un an affecte 60 % à 90 % de la production dans la plupart des sites ostréicoles français.
Des recherches ont démontré que cette hécatombe n’était pas entièrement due au variant de l’herpès virus de l’huître, que j’ai évoqué au début de mon intervention. Ces mêmes recherches indiquent que ce phénomène a pu être accentué par des facteurs environnementaux, comme la pollution et l’utilisation de produits chimiques, l’élévation de la température de l’eau de mer ou des concentrations plus fortes des jeunes huîtres dans les parcs. L’ensemble de ces facteurs ont pu concourir à affaiblir les huîtres du milieu naturel.
Nous devons rassurer la profession et garantir le maintien de la compétitivité des entreprises françaises ostréicoles, dont la production figure au premier rang européen.
Cette action doit se traduire par le soutien aux investissements productifs, la promotion de l’innovation et le renforcement de la qualité des produits.
Notre collègue Joël Labbé a posé, à très juste titre, un ensemble d’interrogations.
Monsieur le secrétaire d’État, vous devez apporter les explications qui s’imposent, rassurer et convaincre à la fois les producteurs et les consommateurs, dans un esprit avant tout rationnel et empreint d’objectivité. Je sais pouvoir compter sur vous pour le faire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Christine Prunaud et M. Michel Le Scouarnec applaudissement également.)