M. Jean-Pierre Grand. L’esprit qui sous-tend ce sous-amendement est un peu différent. Dans le secteur privé, tous les salariés ne restent pas sans rémunération pendant les jours de carence, puisque des conventions collectives, des accords de branche ou d’entreprise ou le contrat de travail peuvent prévoir le maintien du salaire par l’employeur pendant l’arrêt de travail pour maladie. En Alsace-Moselle, tous les employeurs sont tenus de maintenir intégralement le salaire pendant le délai de carence.
Mon sous-amendement vise donc à limiter à une seule journée le délai de carence dans la fonction publique hospitalière, territoriale et d’État.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Deroche, corapporteur. Comme vient de le dire Jean-Pierre Grand, dans le privé, l’effet du jour de carence peut être annulé par un accord collectif. Ce n’est toutefois pas une règle absolue.
Par conséquent, la commission spéciale émet un avis défavorable sur le sous-amendement n° 1673. En revanche, elle est favorable à l’amendement n° 751, puisque le Sénat avait adopté cette mesure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015. (Bravo ! sur les travées de l'UMP.)
Adopter un régime identique au moins en théorie entre les secteurs public et privé doit être une règle de base. Cette mesure nous semble importante. Ensuite, comme l’ont dit MM. Karoutchi et Jean-Pierre Grand, on pourrait admettre certaines divergences.
Sans jeter l’anathème sur qui que ce soit, je tiens à vous signaler que, du point de vue de l’absentéisme, les effets de la suppression par le gouvernement actuel du jour de carence qui avait été institué par le gouvernement précédent sont incontestables, puisque les chiffres parlent d’eux-mêmes.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ? (Ah ! sur les travées de l'UMP.)
M. Michel Savin. La justice !
M. Emmanuel Macron, ministre. Je soulignerai deux points.
Tout d’abord, si l’on examine de près la situation des salariés du privé, on s’aperçoit que les deux tiers d’entre eux sont couverts par des conventions collectives qui prennent en charge les jours de carence. Donc, « en vrai », comme disent les enfants, la situation n’est pas aussi injuste que celle que vous décrivez.
Mme Annie David. Exactement !
M. Roger Karoutchi. Et l’autre tiers ?
M. Emmanuel Macron, ministre. Vous vous occupez du tiers, moi je m’occupe des deux tiers. (Sourires.)
Certes, les chiffres de l’absentéisme ne sont pas bons, et nous devons régler ce problème sans nous voiler la face. Toutefois, ce n’est pas la bonne mesure. De plus, l’argument selon lequel on crée une injustice au détriment du secteur privé n’est pas tout à fait pertinent, en raison des couvertures résultant des conventions collectives dont bénéficient les deux tiers des salariés du privé. C’est pourquoi je ne vous suivrai pas dans cette direction.
Cela étant, un vrai travail de réflexion doit être engagé sur ce sujet de l’absentéisme et du bon fonctionnement de la fonction publique de manière très concrète, peut-être plus en détail.
Je prends votre amendement comme un amendement d’appel.
M. Roger Karoutchi. Non !
M. Emmanuel Macron, ministre. À cet égard, des initiatives sont conduites en ce moment par des dirigeants publics courageux, notamment à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, ou AP-HP, pour faire face à des problèmes très concrets.
À mes yeux, c’est plutôt par ce biais que l’on peut traiter des inégalités perçues ou réelles qui peuvent exister entre le secteur public et le secteur privé, plutôt que par des mesures transversales. J’encourage les dirigeants publics à prendre leurs responsabilités, comme le fait Martin Hirsch, afin d’être soutenus par les pouvoirs publics ; pour ma part, je soutiens pleinement ce dernier.
Néanmoins, je ne vous suivrai pas dans cette voie, monsieur Karoutchi, compte tenu de la réalité que j’évoquais voilà un instant. Par conséquent, j’émettrai un avis défavorable sur le sous-amendement n° 1673 et sur l'amendement n° 751.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Grand. Vous m’avez offert mon intervention sur un plateau, monsieur le ministre, car je ne voulais pas donner le sentiment d’utiliser un droit de tirage.
J’ai lu récemment beaucoup de choses négatives à ce sujet. Des gens importants qui se présentent à toutes les élections ont parlé de la fonction publique avec peu d’égard. (M. Roger Karoutchi rit.) Du fait de notre expérience en la matière, nous avons quant à nous beaucoup d’égards pour la fonction publique territoriale.
Je souhaitais que nous mettions un peu d’ordre dans ce domaine, mais il va falloir approfondir la réflexion, et je rejoins en cela les propos de Mme la corapporteur, ainsi que l’exposé brillant, comme toujours, de M. Karoutchi.
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Il ne faut pas trop le lui dire ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Grand. Le problème est posé, mais je retire mon sous-amendement, monsieur le président.
M. le président. Le sous-amendement n° 1673 est retiré.
Qu’en est-il de votre amendement, monsieur Karoutchi ?
M. Roger Karoutchi. Je ne sais pas si c’est un amendement d’appel, mais il faut reconnaître que vous êtes brillant, monsieur le ministre. C’est une qualité que l’on ne peut pas vous enlever. Vous dites rarement « oui » et, plus souvent, vous dites « non » en recevant l’appel (Rires et applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. le ministre rit également.), autrement dit vous demandez le retrait de l’amendement, sous prétexte que son auteur devrait déjà être satisfait que son amendement soit considéré comme un amendement d’appel… (Sourires.)
De temps en temps, il serait bon que quelques amendements de la droite soient adoptés. Je dis cela au hasard, mais vous n’êtes pas obligé de considérer que c’est vrai ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Annie David. Ils sont tous adoptés ; j’aimerais bien qu’il en soit ainsi pour les miens !
M. Roger Karoutchi. Je sais bien, monsieur le ministre, que ce texte fera l’objet de la commission mixte paritaire, puis sera rattrapé par la réalité politique. Mais tout de même : quand vous dites que les deux tiers des salariés du privé sont couverts par des conventions, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Si j’en crois les statistiques publiées par les ministères visés, cette proportion serait plutôt de 55 % ou 56 %, ce qui veut dire qu’entre 30 % et 40 % des salariés n’ont aucune couverture et subissent le délai de carence.
Ces chiffres ne vous paraissent-ils pas un peu élevés ? Je suis d’ailleurs très étonné que quelqu’un comme vous, un homme de justice et d’équilibre, en vienne à admettre que ce n’est pas si injuste.
Comme vous ne nous proposez pas, parce que vous n’êtes pas suffisamment riche pour le faire, la suppression du délai de carence dans le privé, je vous propose d’assurer l’équilibre pour tous les salariés, avant de prendre éventuellement en considération, pour le secteur public, des éléments de convention collective. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 86.
L'amendement n° 714 rectifié, présenté par MM. Karoutchi, Calvet, Morisset, Magras, Pierre, Cambon, Sido, Kennel et Doligé, Mmes Deseyne et Mélot, M. Lefèvre, Mme Kammermann et MM. Cantegrit, del Picchia et Duvernois, est ainsi libellé :
Après l’article 86
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard au 31 juillet 2015, un rapport sur la protection sociale des Français établis hors de France. Ce rapport peut notamment aborder :
1° L’activité de la Caisse des Français de l’étranger ;
2° La réglementation relative à la délivrance des certificats de vie pour les retraités ;
3° La mise en œuvre de la procédure du dossier « pli collecte » qui permet l’attribution de la carte vitale aux Français retraités établis hors de France ;
4° L’extension du bénéfice de la carte vitale aux retraités des autres régimes de retraites que le régime général ;
5° Les modalités de rattachement ou d’affiliation en qualité d’ayants droit au régime général des expatriés revenant de manière définitive sur le territoire national ;
6° Les modalités de rattachement ou d’affiliation en qualité d’ayants droit au régime général, pour la durée de leur séjour sur le territoire national, des expatriés revenant de manière temporaire et prolongée sur le territoire national ;
7° Les modalités de coordination entre la protection sociale assurée par la Caisse des Français de l’étranger et les régimes de protection sociale des pays d’accueil.
La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Mesdames, messieurs les corapporteurs, je connais la consigne : « Pas de rapports ! » (Sourires.)
Toutefois, je vais tout de même en demander un, comme un certain nombre de mes collègues, car il s’agit ici d’un sujet bien précis, à savoir la protection sociale des Français établis à l’étranger.
Tous les ans, sont soumis des sujets aussi variés que le versement des retraites, l’attribution de certificats, les conséquences juridiques de certains décès ou encore l’assurance maladie de l’ensemble des Français expatriés. Or l’ensemble de ces questions est traité au fur et à mesure, pour ne pas dire au coup par coup, sans aucun suivi réel.
Monsieur le ministre, nous ne vous demandons pas de tout régler d’un coup, comme vous le souhaiteriez sans doute, mais nous appelons de nos vœux que vous fassiez preuve de bonne foi. Ce sujet clef qu’est la protection sociale des Français établis hors de France mériterait un rapport comprenant une mise à plat de l’ensemble du système et des propositions concrètes pour trouver des solutions, quitte à établir un calendrier.
Voilà vingt ans que les problèmes s’accumulent : mauvais fonctionnement de l’assurance maladie, retards dans le paiement des retraites, non-respect des délais d’un mois, certificats qui n’arrivent jamais. À un moment, il faut s’interroger sur l’utilité, pour le Gouvernement, d’établir un rapport contenant des solutions globales et d’autres plus ciblées.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Deroche, corapporteur. Au risque de déplaire à notre collègue Roger Karoutchi, ce qui me ferait la plus grande peine (Sourires.), je ne peux pas accepter de créer une exception pour lui concernant ce rapport.
La commission spéciale demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Emmanuel Macron, ministre. Avec Marisol Touraine, j’ai diligenté une mission, confiée à l’Inspection générale des finances et à l’Inspection générale des affaires sociales, qui rendra ses résultats avant l’été en vue de trouver des réponses.
Monsieur Karoutchi, vous voyez comme je suis sensible à vos argumentations. Ce rapport sera prêt à l’été et sera remis à qui de droit.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis de sagesse sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, j’apprécie beaucoup votre réponse sur ce rapport remis à « qui de droit ». Mais qui est « M. qui de droit » ? (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. Quand je vous demande que ce rapport soit remis au Parlement, vous me dites qu’il le sera à qui de droit ! Je suis très attaché à la démocratie, et j’aime beaucoup le Parlement. Remettez votre rapport au Parlement ou prévoyez que les conclusions de l’IGAS lui soient transmises. Je n’en ferai pas un drame. Toutefois, s’il s’agit d’un rapport remis « à qui de droit » et dont on n’a jamais connaissance, sauf par des fuites dans la presse, c’est non !
Par conséquent, j’accepterai de retirer mon amendement si vous me dites qui est « qui de droit ». (Nouveaux sourires.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Emmanuel Macron, ministre. « Qui de droit », ce sont les ministres qui l’ont commandité, c’est-à-dire le ministre des affaires sociales, le ministre de l’économie et le ministre des finances. Simplement, l’ayant à disposition, ils ne verront sans doute aucune objection à ce qu’il soit remis au Parlement.
Telle est la raison pour laquelle j’ai émis un avis de sagesse sur cet amendement.
M. le président. Monsieur Karoutchi, l'amendement n° 714 rectifié est-il maintenu ?
M. Roger Karoutchi. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 714 rectifié est retiré.
L'amendement n° 965 rectifié bis, présenté par Mme Deromedi, M. Frassa, Mme Garriaud-Maylam, MM. Charon, Commeinhes, Magras et Milon, Mme Kammermann, MM. Duvernois, Cadic, Vasselle et Calvet et Mme Mélot, est ainsi libellé :
Après l'article 86
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le II de l'article 155 B du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« ...) Produit des plans d'épargne retraites par capitalisation souscrit à l'étranger lors de l'exercice d'une activité salariée dont le paiement est effectué par une personne établie hors de France dans un État ou un territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale qui contient une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. François Commeinhes.
M. François Commeinhes. Dans le cadre de leurs activités professionnelles salariées à l’étranger, et eu égard au faible montant des retraites par répartition dans leur pays d’accueil, de nombreux Français expatriés souscrivent des plans de retraite par capitalisation pour constituer une épargne en vue de leur retraite.
Je songe, par exemple, au plan de retraite 401 (k), en vigueur aux États-Unis. Ce plan d’épargne retraite est financé par des cotisations des employés et à l’aide de contributions de contrepartie versées par l’employeur. En droit fiscal américain, les produits de ce type ont deux atouts majeurs : ils sont tirés de salaires avant impôt et les fonds de croissance bénéficient d’une franchise d’impôt jusqu’à leur retrait.
Le présent amendement tend à inclure les sommes perçues au titre de ces plans au sein du régime de l’impatriation, fixé par l’article 115 B du code général des impôts.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Deroche, corapporteur. Monsieur Commeinhes, ce dispositif ne résoudra pas le problème que vous soulevez dans l’exposé des motifs. En effet, vous suggérez de modifier le régime des impatriés, alors que vous cherchez à lever un obstacle auquel se heurtent les expatriés.
Au bénéfice de ces observations et des engagements pris par le Gouvernement – peut-être M. le ministre va-t-il les renouveler devant la Haute Assemblée –, notre collègue député Frédéric Lefebvre a retiré un amendement identique. Aussi, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Commeinhes, l’amendement n° 965 rectifié bis est-il maintenu ?
M. François Commeinhes. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 965 rectifié bis est retiré.
L'amendement n° 1800, présenté par Mme Estrosi Sassone, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'article 86
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 1019 du code général des impôts est ainsi modifié :
1° À la première phrase du premier alinéa, les mots : « de 5 %, » sont supprimés ;
2° Après le deuxième alinéa, sont insérés quatre alinéas ainsi rédigés :
« Le taux de la taxe est fixé à :
« - 20 % si l’agrément intervient dans les cinq premières années suivant la délivrance de la première autorisation ;
« - 10 % si l’agrément intervient entre la cinquième et la dixième année suivant la délivrance de la première autorisation ;
« - 5 % si l’agrément intervient après la dixième année suivant la délivrance de la première autorisation. »
La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur.
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur de la commission spéciale. Mes chers collègues, j’ai déposé cet amendement aujourd’hui même au nom de la commission spéciale, qui l’a examiné au début de l’après-midi.
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, attribue gratuitement l’usage de fréquences à des éditeurs de radiodiffusion ou de télévision. Cette attribution est soumise au respect de certaines obligations, notamment en termes d’investissement dans la création et de quotas de diffusion.
La loi de finances rectificative pour 2013 a instauré une taxe sur la revente des fréquences hertziennes destinée à prévenir la spéculation dans ce domaine.
Malheureusement, cette imposition ne semble pas avoir eu l’effet dissuasif escompté : au moins un projet de cession de chaîne de la télévision numérique terrestre, la TNT, est sur le point d’aboutir, deux ans et demi à peine après la création de celle-ci, soit au terme de la durée minimale de détention.
En conséquence, cet amendement tend à quadrupler le taux de la taxe spécifique sur la revente de fréquences, pour le porter de 5 % à 20 %. Afin de ne pas pénaliser des cessions s’inscrivant dans une véritable logique industrielle, ce taux serait réduit de moitié cinq ans après la date de délivrance de la première autorisation par le CSA. Il serait de nouveau divisé par deux au bout de dix ans.
M. Michel Savin. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Emmanuel Macron, ministre. Madame la rapporteur, à travers cet amendement, dont je note qu’il a été tardivement déposé,…
Mme Nicole Bricq. En effet !
M. Emmanuel Macron, ministre. … vous soulevez un problème éminemment complexe.
Cet amendement vise à augmenter la taxe sur la revente des fréquences de la TNT. Il s’agit, plus précisément, de porter son taux de 5 % à 20 %, tout en assurant son caractère dégressif.
Cette mesure appelle, de ma part, deux remarques liminaires.
Tout d’abord, – je parle sous votre contrôle, madame la rapporteur – votre majorité était hostile à une taxe de ce type quand d’autres acteurs de cette industrie ont procédé à des ventes comparables.
On l’a bien compris, cette disposition fait écho à un cas récent, qui a pu contrarier certains acteurs de poids. Toutefois, je le répète, par le passé, d’autres entreprises d’importance ont pu procéder à des ventes similaires et il me semble bien que vous vous étiez alors opposés à leur taxation.
Ensuite, le véritable débat est me semble le suivant : faut-il octroyer gratuitement ces fréquences, tout en permettant leur revente ?
Les pouvoirs publics n’ont pas soudainement accordé leur autorisation au début de l’année 2012 pour voir ces fréquences revendues après si peu de temps.
À travers ce dispositif, vous cherchez une fois encore à corriger, par la fiscalité, une situation qui, à mon avis, contrarie certains acteurs de l’écosystème audiovisuel et que vous avez vous-mêmes créée lorsque vous étiez aux affaires, en autorisant la création de ces chaînes sur la TNT. Pardonnez-moi de le souligner, mais cette question est quelque peu « shadokienne »… (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Ce n’est pas le gouvernement de l’époque qui a autorisé la création de ces nouvelles chaînes,…
M. Bruno Retailleau. C’est le CSA !
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Une autorité indépendante…
M. Emmanuel Macron, ministre. C’est en effet le CSA, qui, comme vous le savez, monsieur le président Retailleau, a agi à la demande de l’exécutif.
M. Bruno Retailleau. C’est le CSA qui a assigné les fréquences !
M. Emmanuel Macron, ministre. Certes, mais à la suite d’une décision politique, prise par la précédente majorité.
Je suis tout à fait prêt à débattre de cette question pour l’avenir. Il est possible d’imposer, dans les futurs contrats, une clause de non-revente ou de non-plus-value. Voilà une véritable perspective ! Mais mieux vaut procéder en amont qu’en aval, via la fiscalité… Je pense que l’instrument fiscal n’est pas le meilleur instrument.
C’est un débat que nous avons eu il y a quelques jours : on octroie la possibilité d’exploiter des fréquences, mais on n’accepte pas que des opérateurs puissent faire, à travers elles, de larges plus-values en un très court laps de temps.
Dans ce domaine, le jeu des acteurs est très compliqué.
Mme Nicole Bricq. Oh là là !
M. Emmanuel Macron, ministre. Je n’entrerai pas dans le détail de ce système à cette heure tardive. Sans doute certains professionnels du secteur sont-ils plus sensibles que d’autres à telle ou telle cession…
Sur le fond, j’approuve totalement cette position de principe : on ne peut pas laisser dégager, dans de très brefs délais, d’importantes plus-values grâce à l’exploitation des fréquences. Je souscris à cette philosophie. Toutefois, je le répète, la bonne méthode reviendrait à « cadenasser » l’octroi de ces fréquences. J’aurais cru que la commission attaquerait plutôt sur ce front. À mes yeux, c’est dans ce sens que nous devons travailler.
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. L’un n’empêche pas l’autre !
M. Emmanuel Macron, ministre. Madame Estrosi-Sassone, ces deux remarques liminaires vous expliquent la gêne que j’éprouve face à cet amendement.
Au reste, les dispositions proposées se heurtent à deux difficultés techniques.
En effet, une telle réforme de la taxe spécifique sur la revente des fréquences s’expose à un risque d’inconstitutionnalité. L’assiette de cette taxe porte non sur la plus-value, mais sur le prix de cession. En théorie, le prélèvement pourrait donc excéder la plus-value. Or, si, à l’origine, une chaîne a été attribuée à titre gratuit – c’est bien le cas en l’espèce –, l’on risque manifestement de porter atteinte à un principe constitutionnel. Telle est en tout cas l’analyse développée par mes services.
S’y ajoute une seconde faiblesse juridique, à savoir un risque conventionnel élevé. Je songe, plus précisément, à la Convention européenne des droits de l’homme : le présent amendement tend à modifier une règle fiscale applicable à une opération annoncée ou en cours. Une telle décision porte atteinte à l’espérance légitime de l’investisseur, telle que définie conventionnellement.
Ces deux réserves techniques m’invitent à demander le retrait de cet amendement.
Je suis sensible à la volonté exprimée par la commission : à l’évidence, l’exploitation de certaines fréquences donne lieu à un enrichissement illégitime. (Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur, acquiesce.) Néanmoins, compte tenu des risques juridiques que je viens de mentionner, la méthode ici proposée ne me semble pas la bonne.
Mieux vaut explorer une autre voie. Si cette possibilité nous est encore offerte, nous pourrions par exemple envisager d’interdire, concernant les fréquences octroyées, les plus-values au cours d’une période donnée, pour les chaînes attribuées à titre gratuit. Ce système serait, ce me semble, plus solide qu’une dégressivité fiscale. Mes services sont bien sûr à votre disposition pour étudier cette piste. Je le répète, je souhaite, comme vous, réguler l’enrichissement dégagé dans de telles conditions.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur.
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Monsieur le ministre, je serai très brève, dans la mesure où plusieurs de mes collègues attendent sans doute de pouvoir s’exprimer sur ce sujet.
Si j’ai déposé cet amendement, c’est bel et bien parce qu’il y a urgence. Gardons-le à l’esprit ! Le Parlement doit légiférer rapidement, avant que la cession de la chaîne, actuellement en cours, soit définitive.
En outre, le présent amendement ne tend en aucun cas à modifier l’assiette de la taxe spécifique sur la revente de fréquences. Il s’agit simplement de rehausser le taux voté au titre de la loi de finances rectificative pour 2013.
M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet, pour explication de vote.
M. Alain Joyandet. Mes chers collègues, je ne mets nullement en doute le travail accompli par la commission. Néanmoins, une fois n’est pas coutume, je souscris globalement aux propos de M. le ministre.
Je connais assez bien ce domaine, et je peux vous assurer que les différents acteurs qui s’y côtoient ne sont absolument pas tous sur la même ligne. Dans le secteur de l’audiovisuel, c’est en quelque sorte un sport de se faire attribuer des fréquences à titre gratuit, pour y opérer des investissements : si l’entreprise a fait les bons choix, elle continue d’exploiter les fréquences qui lui sont confiées. Dans le cas contraire, la revente devient vite nécessaire.
Si nous votons cet amendement, que nous venons de découvrir en séance, je crains que nous n’engagions un processus faisant, au total, autant de satisfaits que de mécontents : selon leur situation, les différents acteurs souhaitent, ou non, que les choses bougent.
Monsieur le ministre, le précédent gouvernement a bel et bien accepté d’ouvrir diverses fréquences. Encore faut-il préciser qu’il a agi sous de fortes pressions exercées par la profession ! Ceux qui disposaient déjà de fréquences ne voulaient pas que l’on en accroisse le nombre ; quant à ceux qui n’en bénéficiaient pas, ils voulaient bien entendu en recevoir… Le jeu des acteurs est donc particulièrement délicat.
Madame Estrosi-Sassone, je vous le dis en toute sincérité et en toute amitié, je ne suis pas tout à fait serein à l’idée de voter cet amendement. Je crains que nous ne nous heurtions à l’incompréhension et au mécontentement d’un grand nombre de professionnels. La réalité n’est pas toujours telle qu’on se la représente. Certaines entreprises peuvent être contraintes de vendre des fréquences pour avoir commis des erreurs au titre des études de marché. Les exemples de ce type sont nombreux, notamment dans le domaine radiophonique.
De surcroît, M. le ministre le souligne avec raison, si la taxe porte sur le prix de cession, elle pourra bel et bien se révéler plus élevée que la plus-value.
Bien sûr, je suivrai, en bon soldat, l’avis de la commission. (M. Yannick Vaugrenard sourit.)
M. Daniel Raoul. Oh !
M. Alain Joyandet. Je ne tenais pas moins à émettre ces réserves. En votant une disposition de cette nature, dans une certaine précipitation, nous risquons de recevoir, tel un boomerang, la réaction d’une partie de la profession. Sans doute devrions-nous, pour agir efficacement, attendre de disposer d’une vision plus claire, plus détaillée.
Je me suis permis d’apporter cet éclairage, dans la mesure où ce secteur d’activité ne m’est pas étranger.