M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1015.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 2
I. – Le chapitre Ier du titre Ier du livre Ier de la troisième partie du code des transports est complété par une section 3 ainsi rédigée :
« Section 3
« Services librement organisés
« Sous-section 1
« Ouverture et modification des services
« Art. L. 3111-17. – Les entreprises de transport public routier de personnes établies sur le territoire national peuvent assurer des services réguliers non urbains.
« Art. L. 3111–17–1 (nouveau). – Toute liaison entre deux points d’arrêt séparés par une distance inférieure ou égale à 200 kilomètres fait l’objet d’une déclaration auprès de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, préalablement à son ouverture ou à sa modification. L’autorité en informe sans délai les autorités organisatrices de transport concernées et publie cette information.
« Une autorité organisatrice de transport peut, après avis de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, dans les conditions définies à l’article L. 3111-18, interdire ou limiter les services mentionnés au premier alinéa du présent article lorsqu’ils sont exécutés sur une liaison assurée sans correspondance par un service régulier de transport qu’elle organise et qu’ils portent, seuls ou dans leur ensemble, une atteinte substantielle à l’équilibre économique de la ligne ou des lignes de service public de transport susceptibles d’être concurrencées ou à l’équilibre économique du contrat de service public de transport concerné.
« Art. L. 3111-18. – I. – L’autorité organisatrice de transport saisit l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières de son projet d’interdiction ou de limitation du service dans un délai de deux mois à compter de la publication de la déclaration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 3111-17-1. Sa saisine est motivée et rendue publique.
« L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières émet un avis sur le projet d’interdiction ou de limitation du service de l’autorité organisatrice de transport dans un délai de deux mois à compter de la réception de la saisine. L’autorité de régulation peut décider de prolonger d’un mois ce délai, par décision motivée. À défaut d’avis rendu dans ces délais, l’avis est réputé favorable.
« Lorsqu’elle estime qu’il est nécessaire de limiter un service, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières propose à l’autorité organisatrice de transport la mise en place à cet effet de règles objectives, transparentes et non discriminatoires.
« II. – Le cas échéant, l’autorité organisatrice de transport publie sa décision d’interdiction ou de limitation dans un délai d’une semaine à compter de la publication de l’avis de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières.
« Art. L. 3111-18–1 (nouveau). – En l’absence de saisine de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières par une autorité organisatrice de transport, un service mentionné au premier alinéa de l’article L. 3111-17-1 peut être assuré à l’issue du délai de deux mois mentionné au premier alinéa du I de l’article L. 3111-18.
« En cas de saisine de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, le service peut être assuré à l’issue du délai d’une semaine mentionné au II de l’article L. 3111-18, dans le respect de la décision d’interdiction ou de limitation de l’autorité organisatrice de transport.
« Art. L. 3111-19. – Dans la région d’Île-de-France, les services exécutés sur une distance supérieure à un seuil fixé par décret sont considérés comme des services non urbains pour l’application de la présente section.
« Les services assurés entre la région d’Île-de-France et les autres régions sont considérés comme des services non urbains pour l’application de la présente section.
« Sous-section 2
« Dispositions relatives à l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières
« Art. L. 3111-20. – L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières veille, dans le secteur des services réguliers non urbains de transport routier de personnes, à la cohérence de l’offre de services de transport collectifs, à la satisfaction des besoins, au bon fonctionnement des services institués et organisés par les autorités organisatrices de transport et au développement de l’intermodalité, notamment avec les modes de déplacement non polluants.
« Art. L. 3111-21. – L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières établit chaque année un rapport portant sur les services de transport public routier de personnes librement organisés. Ce rapport rend compte des investigations menées par l’autorité et effectue le bilan des interdictions et limitations décidées en vue d’assurer la complémentarité de ces services avec les services publics.
« Il comporte toutes recommandations utiles. Il est adressé au Gouvernement et au Parlement.
« Art. L. 3111-21-1. – L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières peut recueillir des données, procéder à des expertises et mener des études et toutes actions d’information nécessaires dans le secteur des services réguliers non urbains de transport routier et ferroviaire de personnes. Elle peut notamment, par une décision motivée, imposer la transmission régulière d’informations par les entreprises de transport public routier de personnes, par les entreprises ferroviaires et par les entreprises intervenant dans le secteur des services réguliers non urbains de transport routier de personnes.
« À cette fin, les entreprises de transport public routier de personnes, les entreprises ferroviaires et les autres entreprises intervenant dans le secteur des services réguliers non urbains de transport routier de personnes sont tenues de lui fournir les informations statistiques concernant l’utilisation, la fréquentation, les zones desservies, les services délivrés et les modalités d’accès aux services proposés.
« Art. L. 3111–33 à L. 3111–24. – (Supprimés)
« Sous-section 3
« Modalités d’application
« Art. L. 3111-25. – Les modalités d’application de la présente section sont précisées par décret en Conseil d’État. »
II (nouveau). – Le I n’est pas applicable à Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l'article.
Mme Éliane Assassi. La dérégulation des services de transport par autocar en dehors des zones urbaines a souvent été présentée comme étant l’une des grandes mesures qui permettrait de libérer l’activité économique et de faciliter les déplacements des salariés. Il faut reconnaître que cette disposition présente toutes les apparences du bon sens et de la modernité.
En effet, quoi de plus naturel que de vouloir donner aux salariés éloignés des moyens de transports collectifs la possibilité de bénéficier de la souplesse qu’offrent les déplacements en autocar ?
Pourtant, comme le diable se niche dans les détails, le bon sens et la modernité masquent parfois une réalité moins heureuse.
Il est, par exemple, proposé de dessaisir les autorités organisatrices de transport de leur pouvoir d’apprécier la légitimité de l’ouverture d’une ligne d’autocar au regard de la cohérence de l’offre et des enjeux du développement des territoires. Elles ne pourraient donc saisir l’autorité de régulation que si elles estimaient que l’ouverture de lignes d’autocar privées menacerait substantiellement l’équilibre économique du service public.
Il me semble dangereux que l’autorité de régulation se voie ainsi confier le pouvoir exorbitant de mettre en balance intérêt public et intérêt privé, dès lors que l’ouverture d’une ligne privée entrerait en concurrence avec le service public. Cela risque de fragiliser les efforts d’investissement des pouvoirs publics au détriment d’une offre de qualité et comporte un certain nombre de risques, notamment celui de concurrencer le train.
Je crains donc que cette mesure ne menace, à terme, la pérennité du transport ferroviaire, qui est déjà largement fragilisée par la concurrence de l’avion à bas coût, de l’autocar caboteur et du covoiturage. À cet égard, l’étude d’impact du projet de loi était très discrète sur le chiffrage des conséquences sur le secteur ferroviaire.
Par ailleurs, la libéralisation des autocars ne contribuerait en rien à la résolution des problématiques du financement des infrastructures et de l’amélioration de la qualité de notre réseau.
Je veux aussi insister sur d’autres risques liés à cette concurrence.
S’il n’y avait plus d’instance veillant réellement à préserver l’intérêt général et vérifiant avec objectivité que les destinations retenues pour le transport par autocar ne sont pas, ou sont peu, desservies par l’offre de transport actuelle, la porte serait grande ouverte aux intérêts privés.
Concrètement, les entreprises qui ouvriront ces nouveaux services ne choisiront évidemment que des lignes à haut potentiel financier. Elles entreront nécessairement en concurrence soit avec le ferroviaire, soit avec des lignes de bus affrétées par des collectivités territoriales, voire avec les deux.
Enfin, il me semble que la libéralisation ne réglera en rien la question du développement des transports dans les zones sous-dotées où l’ouverture d’une ligne, de toute façon, ne sera pas rentable pour une entreprise privée.
Je ne suis pas non plus persuadée que cette mesure soit si moderne en termes de progrès social.
S’agissant des coûts, il est vrai que certains trajets en autocar sont moins chers que le train. Mais ils ne sont ni plus courts ni plus confortables. Or, en termes de progrès social, l’objectif de favoriser la mobilité de nos concitoyens dans les meilleures conditions doit davantage passer par le développement du secteur ferroviaire.
Enfin, le développement du secteur des autocars n’ira certainement pas dans le sens d’une amélioration de la situation écologique dont apparemment pas grand monde ne se soucie ici ! (Exclamations sur les travées de l'UMP et du groupe socialiste. – Sourires sur les travées du groupe écologiste.) C’est un constat !
Mme Nicole Bricq. Déplacé !
Mme Éliane Assassi. Cette libéralisation du secteur ne s’inscrit aucunement dans le cadre d’une stratégie cohérente de développement des transports collectifs.
La préoccupation écologique est pourtant une dimension essentielle de toute politique de développement des transports collectifs. Celle-ci, je le rappelle, si elle passe par des infrastructures de bonne qualité et en bon état, par une accessibilité financière pour tous et par un maillage territorial le plus dense et le plus complet possible, nécessite aussi de lutter contre la pollution, donc de développer des moyens de transports écologiques. En l’état actuel des techniques, il ne me semble pas que le développement des transports par la route soit le meilleur moyen de répondre à cette ambition.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, sur l'article.
Mme Évelyne Didier. L’article 2 du projet de loi procède à la libéralisation des services de transport de personnes par autocar.
Tout d’abord, cette ouverture totale à la concurrence n’est pas la solution pour répondre à la baisse du pouvoir d’achat des personnes aux revenus modestes.
Il est vrai qu’un grand nombre de nos concitoyens n’ont plus les moyens de s’acheter des billets de train. Cependant, la libéralisation du transport de voyageurs par autocar et la baisse des prix du voyage que vous mettez en avant ne sont pas une réponse. Au contraire, cela fragilise les outils de solidarité et d’aménagement du territoire existants. Le service public n’est pas fait pour être rentable financièrement : il faudra bien l’affirmer un jour ! Il constitue l’ensemble organisé de moyens matériels et humains mis en œuvre par l’État ou par une autre collectivité publique pour satisfaire un besoin d’intérêt général.
Il conviendrait de mettre en œuvre des politiques qui assurent un meilleur partage de la richesse. Le seul et vrai problème, c’est le niveau de revenus des familles eu égard, notamment, au coût du logement, mais aussi des transports. Si les familles avaient des revenus décents, elles pourraient payer leurs factures d’eau, d’énergie, de transport, etc.
Au lieu de cela, on multiplie les aides, les fonds de solidarité en complément des aides apportées par les associations solidaires. Ça suffit ! On retire tout sens au travail et toute dignité aux individus. Je le dis ici : c’est un système complètement pervers – et nous sommes en train de nous en accommoder.
Il faut ajouter que, si le prix d’un billet d’autocar est moindre, c’est parce que le temps de trajet est fortement augmenté par rapport au train. C’est ce que dit clairement l’Autorité de la concurrence dans une enquête sectorielle sur les avantages du transport interrégional par autocar publiée en février 2014. Une étude réalisée en Allemagne – alors que la libéralisation totale a eu lieu en janvier 2013 – le montre également.
Ainsi, pour se rendre de Hambourg à Berlin, villes distantes de 300 kilomètres, il en coûte 24 euros en autocar et 77 euros en train, à condition d’accepter une durée de voyage de trois heures vingt en car contre une heure trente-huit en train. On réinvente la troisième classe pour les pauvres ! (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.) Peut-être certains d’entre vous s’en souviennent-ils.
Mme Nicole Bricq. Oui !
Mme Évelyne Didier. Pour avoir personnellement voyagé dans des voitures de troisième classe, je sais ce que cela veut dire.
Mme Nicole Bricq. Moi aussi !
Mme Évelyne Didier. De plus, si les usagers qui empruntent le train paient une partie des dépenses d’entretien des infrastructures et désormais une partie de la dette, le transport par la route nécessite également que des dépenses d’entretien des infrastructures routières soient engagées. Ce n’est pas le voyageur, mais le contribuable qui paie aujourd'hui l’entretien du réseau routier. Or la multiplication des autocars sur les routes entraînera une hausse de ces dépenses. Une fois encore, les collectivités territoriales, les contribuables seront sollicités.
Par ailleurs, dans le cadre de cette libéralisation, on sait que les compagnies vont se positionner prioritairement sur les segments de marchés les plus rentables, madame Assassi l’a dit, comme cela s’est d'ailleurs produit pour le fret ferroviaire. Cela permettra aux grands groupes de transport, y compris la SNCF, avec sa filiale iDBus, de concurrencer les trains express régionaux, les TER ou les trains d’équilibre du territoire, les TET, voire les trains à grande vitesse, les TGV. On risque d’assister à l’abandon de certaines lignes ferroviaires au mépris de l’aménagement du territoire, et surtout à l’abandon d’un patrimoine exceptionnel que tous les pays nous enviaient : notre réseau ferroviaire.
C’est ce qui se dégage de la commission Duron. Ainsi, sur les dessertes assurées par les trains d’équilibre du territoire – trains Intercités, TEOZ et trains de nuit – les lignes pourraient être réduites de trente-cinq à douze et celles restantes pourraient ne plus desservir les gares des petites et moyennes villes. Des arrêts intermédiaires seraient également supprimés : donc, on amoindrit la consistance du service. Or, vous le savez bien, la fermeture d’une ligne ferroviaire est irréversible. Et à force de ne rien faire, le réseau disparaît. En 1997, il y avait des ralentissements sur 300 kilomètres du réseau, aujourd’hui ces ralentissements concernent 3 000 kilomètres.
En d’autres termes, l’article 2 emporte des conséquences que nous ne pouvons pas prendre à la légère dans la mesure où nous allons vers une balkanisation du système ferroviaire et sa disparition sur la majeure partie du territoire national. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder les cartes que l’on nous prépare.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, sur l'article.
Mme Annie David. Avec cet article 2, nous entamons l’examen de l’une des mesures les plus médiatiques de ce projet de loi : la mise en place de services librement organisés de transport public routier par autocar.
Comme nous avons eu l’occasion de le souligner – et mes collègues Éliane Assassi et Évelyne Didier viennent de le faire à l’instant –, nous sommes tout à fait opposés à cette réforme, qui est un coup porté par le Gouvernement non seulement contre nos concitoyens et concitoyennes les plus démunis, mais également contre tout le travail qui a été effectué jusqu’alors pour porter la nécessité d’une transition écologique au cœur du débat public mais aussi conforter cette nécessité de faire évoluer les mentalités en faveur de l’environnement.
La réforme que vous nous proposez n’est pas acceptable en l’état ; alors que l’autocar représente déjà près d’un quart de l’offre de transport mise en place par les régions, vous allez créer de la concurrence au détriment des services publics.
Si quelques amendements ont été adoptés par la commission spéciale du Sénat afin de renforcer la compétence des autorités organisatrices de transports – par la suppression de l’avis conforme de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, l’ARAF, par l’extension de la notion d’atteinte à l’équilibre économique ou par l’accroissement de la distance kilométrique à 200 kilomètres en dessous de laquelle un service de transport par autocar pourra être interdit ou limité –, cela reste insuffisant.
À cet égard, nous ne comprenons pas pourquoi le seuil proposé par l’Autorité de la concurrence serait plus pertinent que le seuil de 250 kilomètres suggéré par la SNCF ou encore par le Groupement des autorités responsables de transport, le GART. De même, nous ne comprenons pas que l’Allemagne soit systématiquement prise comme modèle de référence lorsqu’il s’agit de libéraliser. Ici même, certains de nos collègues ne se sont pas gênés pour le faire. Nous pensons au contraire que c’est notre modèle de service public, qui a joué un rôle non négligeable au niveau européen, qu’il faudrait défendre et conforter.
De fait, quelles qu’en soient les modalités, nous ne pensons pas qu’un recours accru aux autocars soit une alternative pertinente au transport ferroviaire, même si elle a été évoquée à de nombreuses reprises lors des Assises du ferroviaire organisées à l’automne 2011, ou encore dans le cadre du rapport Duron.
Le manque d’ambition des pouvoirs publics se traduit encore dans la volonté d’abandonner la politique des transports au régime de la concurrence et des intérêts privés.
Comme l’a souligné notre collègue André Chassaigne à l'Assemblée nationale, la mise en place de services librement organisés de transport par autocar s’inscrit dans ce mouvement d’ensemble qui dure depuis des années. Déjà, en novembre 2009, la Cour des comptes proposait de transférer massivement sur route 7 800 kilomètres de lignes TER régionales. La direction générale du Trésor et de la politique économique estimait elle aussi, de son côté, qu’il convenait désormais de « décourager l’usage du train » sur certaines liaisons jugées trop coûteuses.
Mais c’est oublier que le transport par autocar sera moins cher, car la route a bénéficié pendant des années d’une politique publique favorable : construction d’un important réseau routier, financé par la puissance publique ; fiscalité favorable au diesel ; absence de taxe poids lourds, très faible taxation carbone. Le prix du billet de car ne paie pas le coût réel des infrastructures. Mais quel sera son coût en termes d’externalité négative ? Nous n’en savons rien !
C’est pourquoi nous sommes fermement opposés à cet article 2, à sa philosophie et à son impact réel sur nos territoires.
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par Mme Assassi, M. Bosino, Mme David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.
M. Jean-Pierre Bosino. Monsieur le ministre, vous nous dites que la libéralisation des transports par autocar profitera à la croissance puisque cela permettra aux jeunes pauvres de se déplacer et que cela créera de l’emploi.
Mme Éliane Assassi. Les jeunes pauvres sont nombreux !
M. Jean-Pierre Bosino. En effet.
Et puis, monsieur le ministre, encore mieux et plus écologique que l’autocar, il y a la diligence ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.) Vous devriez y penser…
Mais de quels types d’emplois parlons-nous ? Lorsqu’on connaît la concurrence sociale qui règne aujourd’hui dans le transport routier, pourquoi le transport par autocar y échapperait-il ? On nous parle de 10 000 à 20 000 emplois créés, mais nous n’avons, sur ce dossier, aucun chiffre précis.
Cette libéralisation ne profitera qu’à certains groupes, dont la SNCF, qui viendra concurrencer, au travers de ses propres filiales, sa mission principale de transport ferroviaire.
Au final, monsieur le ministre, nous le savons pertinemment, il faut s’attendre non pas au déploiement de nouvelles liaisons, mais plutôt à la fusion de certains services TER et TET ; dans certains cas, l’autocar viendra en complément, le tout dans le cadre des compétences des futures grandes régions.
Les régions, soumises à d’importantes contraintes budgétaires et dont un quart du budget passe dans les transports, peuvent être tentées de fermer des centaines de kilomètres de lignes ferroviaires pour leur substituer des liaisons par autocar.
Quelles seront les conséquences de ce déclin programmé du ferroviaire sur l’activité ? Quelles seront ses conséquences sur l’emploi dans le secteur et dans l’industrie ferroviaire, une filière industrielle déjà durement frappée. Près de 16 000 emplois de cheminots sont menacés à l’horizon 2020. Quant à notre industrie ferroviaire, si aucune mesure d’urgence n’est prise, le plan de charge des commandes de matériel roulant chutera de moitié d’ici à 2018.
Ce que vous nous proposez, c’est la casse du service public et de l’ingénierie publique. Pour nous, le compte n’y est pas, ni en termes d’emplois, ni en termes de préservation des savoir-faire, ni, évidemment, en termes de sécurité.
Nous le savons tous, le coût payé par l’usager de l’autocar, cela a été dit, n’est pas le coût réel d’exploitation, puisque le transport routier reporte sur la collectivité une part importante du développement et de la maintenance de l’infrastructure. Lorsqu’on veut comparer les coûts des transports par rail et par route, il faut prendre en compte la totalité des données et inclure les coûts externes, comme la pollution de l’air, le bruit, les embouteillages, les accidents éventuels.
Cette évolution s’apparente à un jeu de dupes. C’est pourquoi nous vous proposons la suppression de cet article 2.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Mon cher collègue, je partage votre volonté de protéger les services conventionnés existants. J’ai d’ailleurs fait adopter plusieurs modifications importantes en ce sens en commission spéciale. Pour autant, je ne suis pas favorable à la suppression de l’article 2 qui libéralise l’ouverture des services de transports par autocar. Il s’agit en effet d’une mesure importante pour nos concitoyens (M. Jean-Pierre Bosino hoche la tête en signe de doute.), dont la demande de transports n’est pas toujours satisfaite par les transports conventionnés.
Mme Éliane Assassi. Ah bon ! Il ne manque donc que les autocars alors !
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. La commission est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Emmanuel Macron, ministre. Je suis défavorable à cet amendement pour plusieurs raisons.
L’intelligence est toujours bienvenue et vous avez raison, monsieur le sénateur, de la convoquer, mais, jusqu’à présent, elle ne permet pas de se déplacer sur le territoire (Sourires.) ; il y a pour cela des moyens de transport, l’autocar en fait partie.
La situation dans laquelle nous vivons aujourd’hui est celle d’une interdiction a priori. Force est de constater – et il ne s’agit pas simplement de regarder la situation en Allemagne, en Angleterre, ou en Espagne, juste autour de nous – que, partout, même lorsqu’il existe une régulation relative, comme le prévoit ce texte, l’ouverture est nécessaire. Nous aurons l’occasion de revenir sur d’autres détails, car je pense que, sur ce sujet, il faut avoir un peu plus d’ambition réformatrice et d’ouverture que la commission spéciale, et le Gouvernement a plus de volontarisme à cet égard, mais, en tout cas, il faut ouvrir ce secteur.
D’abord, cela crée de l’emploi. Vous vouliez des évaluations indépendantes, vous en avez eu dans ce domaine : France Stratégie a évalué à une dizaine de milliers le nombre de ces emplois. Ce chiffre est proposé par France Stratégie, ce n’est pas celui du Gouvernement. (Mme Annie David s’exclame.)
Vous mentionnez à raison la difficulté du fret routier. Mais allez-vous expliquer, dans un secteur surcapacitaire, celui du fret routier, qu’on n’offre pas de perspectives de reconversion alors qu’elles pourraient exister dans le transport de personnes ? Pour ma part, je ne sais pas l’expliquer. C’est un secteur d’activité dans lequel, aujourd’hui, parce qu’il est surrégulé, mal régulé et qu’on ne permet pas l’ouverture de certaines lignes qui auraient une activité possible, on détruit de fait de l’emploi.
Donc, oui, en ouvrant ce secteur, on va créer de l’emploi ; c’est le premier point.
Le deuxième sujet concerne – et c’est d'ailleurs toute l’ambiguïté de plusieurs de vos propos – le caractère public ou non de ce service de transport. On ne propose pas ici de créer un service public de l’autocar. Il existe déjà au niveau régional ou au niveau départemental et est à la main des collectivités ; elles ont pu le créer. Donc, il s’agit bien d’une ouverture de secteur privé.
Or le secteur privé va s’orienter vers les lignes les plus rentables en termes de trafic et donc de transport de voyageurs. Vous avez raison de le souligner, quand un secteur public se structure, l’objectif n’est pas forcément d’être rentable : on le voit déjà avec les lignes d’autocar mises en place par un grand nombre de collectivités.
Bref, le secteur privé n’ira pas concurrencer les lignes compensées qui, par définition, ne sont pas rentables.
Mais si l’on suit votre raisonnement, cela voudrait dire en quelque sorte que, parce qu’il existe des cantines publiques, il n’y aurait pas lieu d’ouvrir des restaurants. (Oh ! sur les travées du groupe CRC.) C’est quand même une drôle d’histoire, mais c’est exactement cela !
Mme Éliane Assassi. Mais non, n’exagérez pas !
M. Emmanuel Macron, ministre. Cela voudrait également dire que, parce qu’il existe des restaurants relativement chers, il ne serait pas possible d’ouvrir des restaurants bon marché.
Mme Éliane Assassi. Comparer la cantine au restaurant, il faut le faire ! Les parents et les enfants apprécieront !
M. Emmanuel Macron, ministre. Écoutez, la réalité c’est qu’on vit très bien dans ce monde ! C’est exactement de cela qu'il s’agit.
Il existe un service public de transport par autocar. On propose d’ouvrir un service privé, ce qui constitue une opportunité en termes d’emplois et de mobilité. Cela fonctionnera très bien, et des régulations sont prévues au travers des avis de l’ARAFER et de l’autorité organisatrice de transports. Enfin, cela permettra d’offrir des modes de déplacement moins onéreux.
Mais vous avez raison, – ce sera mon dernier point – celles et ceux qui peuvent se déplacer en TGV, qui ont les moyens de se le payer, ne prendront pas le car parce que c’est beaucoup plus long. Mais un grand nombre de nos concitoyens ne peuvent pas se déplacer en TGV.