M. Yves Détraigne. Tout à fait !
M. Simon Sutour. Mettre en place cet outil à l’échelle de l’Europe pour combattre le terrorisme est la meilleure garantie d’un niveau élevé de protection des données et du respect de la vie privée.
De plus, il est assez surprenant de constater que les discussions sur la lutte contre le terrorisme au niveau européen se cristallisent sur cette question. En effet, dans une précédente résolution et sous la pression de certains États membres et de leurs parlements nationaux – notamment de notre Sénat –, la directive de la Commission a largement été remaniée pour une meilleure prise en compte des questions relatives aux données personnelles.
Par ailleurs, en vue d’encourager l’adoption de PNR, l’Europe finance, à hauteur de 50 millions d’euros, via le programme « Prévenir et combattre la criminalité », la création de systèmes PNR nationaux dans dix-neuf États membres, dont la France.
Je voudrais rappeler que le Sénat a bien joué son rôle. Je me souviens que nous avions évoqué la réserve parlementaire – qui n’a rien à voir avec celle dont on parle le plus souvent – au début de mon mandat de président de la commission des affaires européennes en demandant au gouvernement précédent de prendre une certaine position au sein du Conseil européen. Cela nous a permis de disposer d’un texte plus protecteur des libertés, assez abouti, mais souffrant de blocages – je n’aime pas ce mot – au niveau du Parlement européen.
Pour l’heure, le PNR est tenu par les compagnies aériennes, qui collectent les données utiles telles que le nom, la date du voyage, l’itinéraire, les moyens de paiement, la nature des bagages à chaque réservation faite par un passager. Il n’existe malheureusement pas de fichier central consultable par les autorités de police de chaque pays.
La mise en place d’un PNR européen permettrait notamment de lutter contre le phénomène des combattants étrangers. Dans les faits, il y a déjà des PNR aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans de nombreux autres pays européens ; le Premier ministre a annoncé que le PNR français devrait être opérationnel à l’automne 2015.
Des accords bilatéraux avec les États-Unis et l’Australie existent : les compagnies aériennes sont tenues de transmettre des données pour avoir la possibilité de faire atterrir leurs avions sur ces territoires. D’autres États, tels le Mexique, la Russie ou l’Arabie saoudite exigent désormais des compagnies aériennes la communication de leurs données PNR. Le Japon, la Corée du Sud, le Brésil, les Émirats arabes unis, le Qatar, de même que la Nouvelle-Zélande envisagent de le faire.
L’encadrement juridique est essentiel tant pour les voyageurs que pour les transporteurs aériens européens. L’existence d’un accord doit assurer aux voyageurs un niveau de protection des données satisfaisant. Quant aux compagnies aériennes, il est essentiel de leur garantir un cadre juridique sûr : en l’absence d’accord, elles seront exposées soit à se mettre en contradiction avec le droit de l’Union si elles transmettent des données, soit à des mesures de restriction de vols de la part des autorités des États tiers.
Le débat oppose, d’un côté, la Commission européenne et la majorité des États membres, qui souhaitent l’adoption rapide d’un PNR européen, et, de l’autre, un Parlement européen réticent, craignant pour les droits fondamentaux et ayant déjà rejeté, en avril 2013, la proposition de directive. Ce débat est utile, mais il ne doit pas tout bloquer. Or le « blocage » en question est lié au fait que cette proposition de création d’un PNR européen soit examinée selon la procédure de codécision qui met sur un pied d’égalité Parlement européen et Conseil.
L’entretien que nous avons pu avoir – Jean Bizet y a fait allusion – à Bruxelles le 24 mars dernier avec M. Claude Moraes, président de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen et Mme Sophie In’t Veld, eurodéputée néerlandaise et vice-présidente du groupe libéral, a été très constructif. Ils se sont tous deux montrés très réceptifs à notre souhait de voir ce dossier se débloquer rapidement et nous ont affirmé que les discussions avançaient de manière positive, si bien qu’un accord pourrait être trouvé au Parlement européen d’ici à la fin de l’année. Un compromis semble enfin se dessiner. Cela serait d’autant plus souhaitable qu’en cas d’accord sur le PNR européen, sa mise en œuvre effective ne pourra se faire avant dix-huit mois. Or il faut agir rapidement, car l’internationalisation de la menace terroriste constitue aujourd’hui l’une des principales menaces auxquelles l’Europe doit faire face.
Concernant Europol et Eurojust, le concept de « guerre contre le terrorisme » n’est pas adapté et peut même être contre-productif. L’outil militaire peut s’avérer parfois nécessaire pour surveiller des routes maritimes internationales et détruire des bases utilisées par les réseaux terroristes dans des zones de non droit. Pour autant, les réseaux terroristes prennent de moins en moins la forme d’organisations structurées et centralisées, ce qui rend primordial le développement de moyens non militaires antiterroristes que sont les services de renseignement, de police et de justice.
Au niveau européen, les missions dévolues à Europol apparaissent fondamentales. Or – je reprends ici les termes mêmes de la proposition de résolution – nous avons le sentiment que le potentiel des agences Europol et Eurojust pourrait être développé.
Je formulerai une proposition concernant les équipes communes d’enquête. Créées par une décision-cadre du Conseil de 2002, elles associent pour des opérations limitées dans le temps des personnels d’un ou plusieurs États membres, auxquels peuvent se joindre des représentants d’Europol, d’Eurojust ou même d’Interpol.
Nous estimons que ces structures pourraient être efficaces dans la lutte contre le terrorisme et proposons de mettre en place des dispositifs facilitant le recours, par les États membres, à ces équipes communes d’enquête. J’ajoute que l’idée de missions « mixtes » associant Europol et agences nationales pourrait participer de cette construction d’une culture commune du renseignement qui nous fait encore malheureusement défaut.
Enfin, je souhaiterais évoquer la question du financement du terrorisme, qui constitue un volet important de la coopération juridique. Il convient de faciliter la traçabilité des flux financiers européens en relançant l’idée d’un programme de traque. À cet effet, nous souhaitons favoriser l’adoption rapide de la proposition de quatrième directive du Parlement européen et du Conseil relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.
Le développement des accords bilatéraux de l’Union européenne avec les États tiers par lesquels transitent les transactions financières criminelles constitue une priorité. Le gel et la saisie des avoirs du crime organisé doivent être facilités au niveau européen, mais également au niveau national, ce qui suppose une transposition en droit interne.
J’aurais pu développer de nombreux autres aspects sur lesquels l’Europe doit avancer. Je suis néanmoins optimiste quant à la réaction des Européens.
Aujourd’hui, il est temps pour l’Europe de donner des réponses claires à ses citoyens qui la voient trop souvent comme une somme de contraintes. L’Europe est là pour assurer non seulement leur sécurité, mais aussi et surtout un haut niveau de garantie de leurs droits fondamentaux. Ne pas réagir, c’est donner des arguments aux eurosceptiques et aux populistes.
Vous l’aurez compris, c’est avec enthousiasme que le groupe socialiste votera la proposition de résolution européenne relative à la lutte contre le terrorisme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, du RDSE et de l’UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, avant d’en venir au texte que nous examinons et pour lequel j’ai été corapporteur avec ma collègue Colette Mélot au sujet de la lutte contre le terrorisme sur internet, je souhaite saluer le rôle proactif de notre assemblée ces derniers mois sur ce sujet. Cela a permis au Sénat d’être un acteur moteur dans un important travail de coopération européenne entre parlements nationaux, reflétant ainsi leur implication institutionnelle croissante, pleinement consacrée depuis le traité de Lisbonne.
Face à une menace si grave, les citoyens – français comme européens – ont légitimement le droit de réclamer que leur sécurité soit garantie. Nous ne pouvons passer sous silence cette attente de tous. Nous avons le devoir, dans le respect de nos valeurs démocratiques et de notre attachement aux libertés fondamentales, d’honorer cette requête.
Le groupe écologiste votera donc en faveur de cette proposition de résolution européenne, malgré des réserves parfois sérieuses sur certains de ses éléments. Nous la voterons, car elle a le grand mérite de mettre l’accent sur deux maîtres mots de la stratégie antiterroriste – la coopération et la prévention –, notamment à travers d’importantes actions de sensibilisation et de pédagogie dans la lutte contre la radicalisation au sein de nos sociétés.
Ce texte incite également à combattre efficacement les sources de financement du terrorisme et le trafic d’armes à feu et exhorte à l’instauration rapide d’un parquet européen, collégial et décentralisé.
Il soulève aussi l’enjeu capital de la sécurité informatique dans des sociétés où la numérisation fulgurante et automatique des données rend fragiles tous les secteurs d’activité face à des cyberattaques d’envergure.
Enfin, l’évaluation systématique des instruments existants, ainsi que de ceux préconisés, est fondamentale, car elle permet d’expérimenter et de réajuster ces outils sans sombrer dans le dogmatisme des solutions toutes faites sur un sujet complexe et en perpétuelle transformation.
Nous voterons également en faveur des deux amendements présentés par notre collègue Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois. Nous adhérons en effet à sa position sur le point 50 relatif aux déchéances de nationalité, en affirmant qu’il s’agit là d’une question strictement nationale soumise à des procédures purement nationales et qui n’a donc pas sa place dans ce texte.
Lors du débat préalable au Conseil européen informel du 12 février dernier, largement consacré à la lutte antiterroriste, j’ai eu l’occasion de m’exprimer sur l’importance d’une coopération européenne renforcée et d’une mise à disposition de moyens adéquats, à la hauteur de la gravité de la menace. Je ne crois pas me tromper en affirmant que nous sommes tous convaincus de ce besoin. Toutefois, il ne suffit pas d’être convaincu : les moyens alloués, comme l’a rappelé notre collègue Bonnecarrère, doivent être à la hauteur des exigences. Coordonner une opération entre corps de police d’un même État est déjà un défi en soi ; imaginez donc l’ampleur de celui qui consiste à vouloir coordonner les différents corps de police de vingt-huit États membres, ne parlant pas forcément la même langue, n’ayant pas la même expérience de la menace terroriste ni, évidemment, les mêmes cadres légaux... Comprenez donc que sans volonté et effort de coopération des acteurs opérationnels, toute incantation politique restera vaine !
En ce qui concerne la question sensible du PNR européen, les principaux points d’achoppement sont, comme j’ai déjà pu l’exprimer au sein de cet hémicycle, la durée de rétention des données et la surveillance et le ciblage de masse. Une telle surveillance est en effet lourde et potentiellement très coûteuse, alors que la coopération policière et judiciaire manque déjà de moyens. Elle est aussi moins efficace qu’une surveillance ciblée, car elle rallonge la durée d’analyse des informations reçues.
Le Parlement européen s’est finalement prononcé le 11 février dernier pour la création d’un PNR européen d’ici à la fin de 2015 tout en garantissant le respect des libertés individuelles, comme l’exige la Cour de justice de l’Union européenne. Le texte que nous étudions adopte une position similaire en prenant le soin d’assurer la protection des données personnelles. Nous sommes conscients que l’alternative à cet outil serait vraisemblablement la juxtaposition de vingt-huit PNR nationaux en dehors de tout cadre de coopération, ce qui ne serait évidemment pas une meilleure solution.
Par ailleurs, je ne suis pas pleinement convaincu de l’utilité de réviser le code frontières Schengen, car, comme nous avons pu le constater, ces actes terroristes tendent à être de plus en plus endogènes et perpétrés par ce qu’on appelle des « loups solitaires » qui ne sortent pas du territoire national.
Pour combattre le terrorisme à l’échelle transnationale, l’Union européenne doit s’inscrire aussi dans une stratégie globale. En effet, il apparaît crucial que son action ne soit pas sectorisée à l’extrême, comme c’est trop souvent le cas, et encore moins focalisée sur la seule et stricte coopération policière et judiciaire.
Ainsi, l’Union européenne a enfin exprimé la volonté de dynamiser son industrie numérique, qui accuse un très net retard sur celle de nos principaux concurrents. C’est évidemment une bonne chose. Mais si cette volonté n’est sous-tendue que par un intérêt strictement économique, sans intégrer pleinement la question de la sécurité informatique, nous courrons, je vous le prédis, au désastre.
Si j’évoque cette question, c’est que plusieurs directives sont actuellement en discussion, et ce depuis plusieurs années déjà, notamment celle relative à la sécurité des réseaux et de l’information, dite « directive SRI », ou encore celle sur les données personnelles. Il est donc temps que cette directive SRI aboutisse et intègre pleinement les défis de sécurité informatique auxquels nous sommes confrontés. Sans cette cohérence, l’Union ne pourra intervenir qu’en réaction, alors que c’est en amont et dans une logique de prévention que nous devons d’abord agir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE et de l’UDI-UC.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre pays a pris progressivement conscience, à partir de l’année 2013, d’un phénomène quasiment inconnu jusque-là : le départ de centaines de nos jeunes compatriotes vers les zones de combat syro-irakiennes pour y rejoindre des groupes terroristes et y accomplir ce qu’ils appellent le « djihad ». On évoque ainsi quelque 1 400 ressortissants français impliqués dans ces réseaux, dont un grand nombre sont encore présents sur place et participent activement aux combats, mais également aux exactions graves que l’on sait. D’autres sont déjà de retour et constituent une menace sérieuse pour la sécurité de notre population. Les événements tragiques de janvier 2015 sont présents dans tous les esprits, et ils exigent une réaction à la hauteur de ces dangers.
Diverses mesures ont déjà été prises au niveau national et d’autres le seront encore très prochainement, mais il est clair que, même si la France semble avoir le triste privilège d’alimenter le contingent de djihadistes le plus nombreux, la lutte contre cette forme de terrorisme ne peut pas simplement et seulement être menée à l’échelle du pays : elle exige une action concertée au niveau international et d’abord, bien entendu, au plan européen. C’est pourquoi je voudrais remercier M. le président de la commission des affaires européennes, notre collègue Jean Bizet, d’avoir pris l’initiative d’une vraie réflexion sur ce sujet et de m’y avoir associé, tout particulièrement pour ce qui concerne les aspects relatifs au code frontières Schengen. Le résultat de nos travaux est cette proposition de résolution européenne, dont je m’empresse de dire qu’elle est non seulement opportune, mais particulièrement adaptée et équilibrée.
Je souhaite insister sur certains points et soulever quelques observations.
En premier lieu, je voudrais exprimer mon accord le plus total sur la demande formulée dans la proposition de résolution d’une législation antiterroriste commune qui soit rapidement adoptée par l’Union européenne sous la forme d’un « Acte pour la sécurité intérieure ». En effet, pour lutter à titre préventif contre le terrorisme, plutôt que de veiller au coup par coup à améliorer tel ou tel outil dont elle dispose déjà, il est primordial que l’Union européenne se dote d’une stratégie globale.
Certes, l’Union doit respecter les fonctions essentielles des États membres, notamment celles qui ont pour objet de maintenir l’ordre public et de sauvegarder leur sécurité nationale, mais elle doit également veiller à proposer des instruments permettant d’établir la meilleure coopération possible entre ces États. Elle doit ainsi pouvoir apporter un appui substantiel, notamment à ceux d’entre eux qui en éprouvent le besoin. Il en est ainsi, par exemple, de FRONTEX, qui devrait assurément disposer de moyens humains et financiers renforcés, en particulier ce corps de gardes-frontières européens dont le Sénat a déjà vainement demandé la création par le passé.
À cet égard, il importe d’être tout à fait intransigeant à l’avenir sur une application rigoureuse, par tous les pays concernés, de ce code frontières Schengen. Il n’est pas acceptable, comme c’est le cas actuellement, que certains États prennent des libertés avec les contrôles dont ils sont normalement responsables à leurs frontières extérieures. Sur ce point, je souscris pleinement au souhait et à la demande exprimés dans la proposition de résolution : d’une part, des contrôles approfondis et quasi systématiques des ressortissants des pays membres de l’espace Schengen doivent être effectués sur le fondement d’indicateurs de risques appliqués uniformément par les États membres lorsque ces personnes entrent et sortent de cet espace ; d’autre part, une révision ciblée du code frontières doit être engagée pour autoriser, sur le même fondement d’indicateurs de risques, des contrôles approfondis systématiques de manière permanente.
Je précise que, par « contrôle », il faut entendre non seulement le contrôle de l’authenticité des papiers d’identité, mais également celui des personnes en lien avec les dispositifs d’identification du système d’information Schengen II. Celui-ci doit d’ailleurs lui-même être perfectionné par la prise en compte de relevés ADN dans les données biométriques et singulièrement enrichi par la fourniture des informations adéquates par les États membres. Il convient en effet d’insister sur la nécessité d’une véritable coopération de tous les États au bon fonctionnement des instruments mis en place au niveau européen en matière policière et judiciaire. Sans la fourniture par chacun des États des informations nécessaires, l’efficacité de la lutte est évidemment compromise.
En deuxième lieu, je ne m’étendrai pas sur la nécessité d’une adoption urgente par le Parlement européen de la proposition de directive PNR. En qualité de sénateur alsacien – l’Alsace dispose d’un aéroport international permettant d’entrer en France ou en Suisse –, je peux témoigner aisément de la relativité, pour ne pas dire davantage, d’un PNR exclusivement français. Je voudrais plutôt conclure en apportant trois observations personnelles au débat.
Tout d’abord, l’Union européenne devrait jouer un rôle accru pour juguler au mieux l’influence des sites internet dans le phénomène de radicalisation des jeunes. Plutôt que de laisser aux différents États membres la charge de la surveillance de la toile chez eux, une véritable mutualisation au niveau européen de cette tâche apporterait une plus-value évidente en la matière.
Ensuite, les discussions avec les grands opérateurs mondiaux d’internet gagneraient à être menées à l’échelon européen afin de parvenir à une régulation commune visant à éliminer ou du moins à réduire la promotion du djihadisme sur internet.
Enfin, parce que les zones de combat, on l’a dit, se trouvent aux portes de l’Europe, il me semble indispensable que l’Union européenne développe une nouvelle forme de collaboration avec les pays du voisinage, tout particulièrement en matière de lutte contre le terrorisme. Cette collaboration pourrait naturellement porter sur un plus grand partage des informations, même si on connaît les difficultés que cela implique, mais également, j’ose le dire, sur l’attribution de moyens financiers spécifiques à cette lutte. Je pense par exemple à la Turquie, aux pays du Maghreb, bien sûr, mais aussi – pourquoi pas ? – à l’Égypte, tous pays qui, comme vous le savez, sont à la recherche de moyens accrus – c’est le cas tout particulièrement de la Turquie – pour nous aider dans cette tâche ardue.
Telles sont les observations que je souhaitais formuler sur cette proposition de résolution européenne, dont je répète qu’elle me semble bien dimensionnée eu égard à l’importance du problème, et que, bien entendu, je voterai avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme beaucoup de points ont été abordés, je n’utiliserai peut-être pas tout mon temps de parole – c’est ce qu’on dit en général au début d’une intervention… (Sourires.)
Je voterai avec détermination la proposition de résolution. S’il faut voter ce texte, c’est parce que, en réalité, on n’est pas très sûr de l’attitude du Parlement européen. En général, lorsque des parlements nationaux prennent l’initiative d’adopter une proposition de résolution européenne, c’est parce qu’ils ne sont pas très sûrs que le Parlement européen va agir. Ils veulent en quelque sorte mettre un peu de pression, faire du lobbying.
Mme Nathalie Goulet. C’est assez bien vu !
M. Roger Karoutchi. À une époque ancienne, même si elle ne remonte pas à Mathusalem, j’ai été député européen. Je suis donc toujours avec grand intérêt les travaux du Parlement européen. Or on sait bien que les politiques des États membres diffèrent en matière de sécurité et de terrorisme. Si, pour notre part, nous nous sentons directement concernés, et pas seulement du fait des attentats du mois de janvier, et si des pays comme la Belgique, l’Allemagne ou le Royaume-Uni sont très sensibles à ce risque,…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. N’oubliez pas l’Espagne !
M. Roger Karoutchi. … il est très clair que certains pays d’Europe de l’Est, voire des pays d’Europe du Nord sont nettement moins allants que nous sur ces questions. Ils ont d’ailleurs beau jeu d’invoquer le respect des libertés ou le respect des droits de l’homme – principes auxquels nous ne sommes pas moins attachés qu’eux – pour refuser toute mesure sécuritaire supplémentaire.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Exact !
M. Roger Karoutchi. Nous sommes donc dans une situation où les pays directement menacés disent aux pays moins menacés : « Merci de nous aider, merci de comprendre que la lutte est européenne. »
Cela étant, et je m’adresse à certains de mes collègues, sur un certain nombre de sujets, comme sur la radicalisation via internet, s’il peut y avoir une concertation et une coordination au niveau européen, je souhaite vivement que ce soit les autorités françaises qui soient en pointe. N’oublions pas que nous disposons du système PHAROS – plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements –, qui permet de signaler les comportements illicites sur internet. Le nombre de signalements pour apologie du terrorisme sur la toile est d’ailleurs passé de 600 en 2013 à 1 600 en 2014, pour atteindre quelque 30 000 entre janvier et mars 2015 !
On est donc confronté, c’est certain, à un véritable problème : le terrorisme, la propagande terroriste et l’apologie du terrorisme ne sont pas seulement le fait des réseaux qui doivent être sous la surveillance de nos services, mais aussi, désormais, de sites internet, et on a beau les fermer, ils s’en créent d’autres. On est donc face à un véritable défi : comment faire en sorte que les autorités nationales et européennes puissent lutter contre ce phénomène ?
Je suis d’accord sur tout ce qui a été dit et proposé : Europol, renforcement de la coopération, etc. Pour autant, en l’absence d’un corps de gardes-frontières efficace, on aura beau faire toutes les déclarations que l’on veut, on aura un problème. Il en ira de même si des gouvernants ne sont pas persuadés de la nécessité de protéger les frontières de l’Union. Je rappelle tout de même qu’un ministre grec a récemment déclaré que non seulement il allait laisser le plus de personnes possible traverser la frontière de son pays, mais en plus que, s’il y avait des djihadistes dans le lot, ce serait tant mieux ! Si les responsables allemands ont réagi, car ces propos étaient dirigés contre eux, ce n’est pas vraiment le cas des responsables communautaires : en pleine négociation sur la dette grecque, vous comprenez, il ne fallait pas faire trop de vagues…
Je trouve qu’il est parfaitement anormal qu’un ministre grec puisse tenir de tels propos. Ce pays reste tranquillement dans l’Union européenne alors qu’il menace quasiment tout le reste de l’Europe en refusant de surveiller ses frontières extérieures.
M. André Reichardt. C’est scandaleux !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. C’est de la provocation…
M. Roger Karoutchi. Oui, c’est de la provocation, mais nous sommes tous comptables du fait que certains ne jouent pas le jeu.
M. André Reichardt. Absolument !
M. Roger Karoutchi. Oui, l’Europe doit renforcer ses instruments de lutte contre le terrorisme ! Oui, la France prend les bonnes mesures ! Dans ce domaine, je suis pour l’unité nationale – je suis plus réservé quand on nous demande de réaliser l’unité nationale sur le projet de loi Macron… Il faut soutenir le Gouvernement dans ses efforts en matière de renseignement, de renforcement de la sécurité et plus généralement de lutte contre le terrorisme. L’unité nationale doit être pour le gouvernement français une force supplémentaire sur laquelle s’appuyer pour dire à nos partenaires européens que, certes, nous faisons confiance à l’Europe, mais qu’elle ne doit pas nous décevoir, sinon son image risque de continuer à se détériorer dans l’esprit de nos compatriotes.
Faites en sorte, monsieur le secrétaire d’État, que l’Europe soit à la hauteur des attentes de nos concitoyens, qu’elle réponde à leurs craintes, faute de quoi la crise de confiance entre elle et les citoyens français ne pourra que s’aggraver. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard.
M. Pascal Allizard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avant toutes choses, je voudrais remercier la commission des affaires européennes et la commission des lois de leur travail sur ce sujet difficile. Je tiens également à saluer la récente initiative internationale prise par Gérard Larcher sur le dossier du terrorisme.
Les attentats de Paris ont fait resurgir le spectre de l’islamisme radical et du terrorisme. Pour la plupart des Français, ces derniers ne constituaient, me semble-t-il, ni une menace immédiate ni une priorité nationale.
Pourtant, le phénomène n’est pas nouveau, puisque le terrorisme islamiste a été particulièrement meurtrier en France, notamment au milieu des années quatre-vingt-dix. Permettez-moi de rappeler également, mes chers collègues, que le plan Vigipirate existe depuis 1995 et que les politiques de sécurité ont été renforcées après le 11 septembre 2001 ou l’affaire Merah, notamment.
Même si des évolutions sont impératives, et même si une meilleure application des lois existantes est peut-être souhaitable, la France est sans doute l’un des pays européens les mieux préparés. Elle doit le rester, car elle demeure une cible prioritaire.
Contrairement à leur discours, les terroristes ne portent pas un projet pour l’humanité ; ils sont plutôt, au contraire, la négation de l’humanité, au point de vouloir effacer toute trace de son passé. Cette négation culturelle s’attaque à la mémoire, aux témoignages de l’histoire et des civilisations. Je pense aux destructions des bouddhas en Afghanistan, à l’incendie de bibliothèques et mausolées au Mali. Que dire, encore, de l’acharnement à fracasser les statues préislamiques de Mossoul ou à raser la cité assyrienne de Nimrud ? À Bruxelles et Tunis, des musées ont été volontairement visés. Il nous faut réagir, et cela à la bonne proportion, car les faits criminels s’enchaînent.
Compte tenu des aspects protéiformes de la menace, la lutte contre le terrorisme n’appelle pas une réponse univoque. Elle réside dans la complémentarité entre différentes actions : des mesures défensives et offensives ; des mesures nationales, européennes – c’est le sens de notre débat – et internationales ; des mesures à court, moyen et long terme ; mais aussi, cela a été dit, des mesures sectorielles, dans les domaines du renseignement, de la défense, de la police, de la justice, de l’éducation, lesquelles devront être assorties de moyens.
Cette réponse impose aussi une prise de conscience des citoyens de la réalité de la menace et des efforts que les sociétés démocratiques devront consentir, notamment en matière de finances ou de libertés publiques.
Pour indispensable qu’elle soit, l’option strictement militaire a montré ses limites. Al-Qaïda dans la péninsule arabique, AQPA, vient encore de démontrer sa capacité de nuisance au Yémen ; Daech poursuit son expansion au Moyen-Orient et au Maghreb ; la Libye est livrée au chaos ; la Tunisie est menacée de déstabilisation.
Voilà peu, Jean-Claude Juncker appelait à la création d’une armée européenne. Ce concept daté n’a jamais vraiment pris corps et, malgré des moyens militaires en berne, la France a dû prendre, souvent seule, ses responsabilités dans le combat contre le terrorisme. Nos soldats et leurs matériels sont mis à rude épreuve dans les opérations extérieures, les OPEX, ou en soutien au plan Vigipirate. Ce point sera, je l’espère, l’objet d’un autre débat.
Le seul bienfait, si j’ose dire, de ce contexte tragique est de placer désormais les Européens au pied du mur et de ne plus laisser la place aux atermoiements.
Nous pourrions envisager une révision ciblée du code Schengen et mieux préserver nos frontières extérieures. L’agence FRONTEX doit monter en puissance et disposer des moyens adéquats.
Par ailleurs, la coopération judiciaire et policière devrait connaître une nouvelle ambition, soutenue par Europol et Eurojust.
De même, l’utilisation des données de voyage des passagers devrait être facilitée, et la lutte contre le cybercrime relancée.
Il faudra aussi lutter contre le trafic d’armes de poing et de fusils d’assaut qui fleurit en Europe, compte tenu des porosités entre le milieu du banditisme et celui du terrorisme.
Si, au final, nous réussissions à renforcer la coopération européenne en matière de sécurité et de renseignement, la lutte devra impérativement se prolonger sur le terrain des idées et des valeurs : la République de la raison contre l’obscurantisme !
L’école doit ainsi reprendre toute sa place dans la promotion de la laïcité, des valeurs de la démocratie et l’apprentissage de la citoyenneté.