Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le présent débat porte sur la mise en place du second pilier de l’Union bancaire, le premier étant la surveillance.
Deux piliers, c’est mieux qu’un seul et c’est plus stable ! Nous avançons donc. Peut-être, plus tard, discuterons-nous du troisième pilier. Nous serons alors parfaitement certains de la stabilité de l’Union bancaire.
Il s’agit donc de mettre en place le mécanisme de résolution unique, ainsi que le Fonds de résolution unique, qui le garantit financièrement.
La commission des finances, lorsqu’elle avait débattu de la loi DDADUE, avait posé la condition suivante à la ratification de l’accord intergouvernemental : la connaissance des modalités de calcul de ce fonds, et surtout les modalités de répartition entre les pays. Nous ne souhaitions pas, en effet, – mais peut-être ne devrions-nous pas le dire ? – que les banques françaises paient plus que les banques allemandes, et que l’Allemagne, compte tenu de son poids économique et financier, contribue moins que la France ; ce n’est pas manifester d’hostilité à l’égard de ce pays que de dire cela. Il s’agissait aussi, pour nous, de protéger nos intérêts.
Ces préoccupations formulées par le Sénat ont été largement prises en considération. Je m’en félicite, car il n’est pas si fréquent que les vœux du Parlement soient pris en compte dans des accords internationaux de ce genre.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Il est bon de le rappeler !
M. Richard Yung. Nous nous en réjouissons, et espérons que nous poursuivrons dans cette voie. Nous parvenons, ainsi, à l’établissement d’un équilibre entre ces deux grands pays que sont l’Allemagne et la France.
Autre motif de satisfaction, les banques contribueront au Fonds, en appliquant la méthode de calcul valable pour l’Union bancaire et celle qui est valable pour l’Union européenne, selon le mécanisme en ciseaux déjà évoqué, la partie nationale diminuant progressivement au profit de la partie mutualisée. Ce mécanisme permet d’éviter que, dans certains pays, notamment le nôtre, les secteurs bancaires ne paient des contributions anormalement élevées. C’est donc un processus sage.
Le rapporteur général a parlé du financement intragroupe : il évitera aux banques mutualistes françaises de payer deux fois.
Quant à la comptabilisation des dérivés selon un traitement prudentiel, cette mesure va également dans le bon sens.
Par ailleurs, et cela a été dit à deux reprises, il faut se réjouir que les États membres, en dépit des réticences allemandes, aient accepté l’idée que le Conseil de résolution unique octroie aux banques la possibilité de fournir des engagements de paiement au lieu d’argent frais, ou « cash ».
Si chaque pays peut négocier son propre pourcentage, nous souhaitons vivement que le pourcentage d’engagements hors bilan pour les banques françaises soit le plus proche possible des 30 %. Nous souhaitons que le gouvernement français demande aux autorités communautaires la fixation d’un tel pourcentage. Monsieur le secrétaire d'État, vous nous apporterez certainement des précisions sur ce sujet.
Nous le savons, l’Allemagne a obtenu que les petites banques puissent bénéficier d’un traitement préférentiel pendant la montée en puissance du FRU. Certes, quand il est question de l’Allemagne, la notion de « petites banques » est assez relative ! Certaines Sparkassern réalisent des bilans de plusieurs centaines de milliards d’euros. Concrètement, les établissements dont le total des actifs est inférieur à 3 milliards d’euros s’acquitteront d’une contribution forfaitaire de 50 000 euros pour la première tranche de leur bilan. Il faudra veiller à ce que cette exception n’alimente pas la fragmentation financière au sein de l’Union économique et monétaire.
Hormis ce dernier point, je note que les ajustements qui ont été apportés aux règles de calcul des contributions au FRU satisfont en grande partie les demandes de la France. Ils s’ajoutent aux avancées que le Gouvernement et le Parlement européen avaient obtenues lors de la préparation du règlement créant le MRU ; il s’agit là de la partie institutionnelle, notamment avec la création du Conseil de résolution unique. Je pense en particulier à l’accélération du rythme de mutualisation des compartiments nationaux du FRU.
Pour mémoire, la proposition initiale prévoyait une mutualisation totale à l’issue d’une période de dix ans, l’Allemagne refusant de payer pour les erreurs commises par les banques des autres États membres ; pour elle, le plus tard aurait été le mieux. Le Sénat a proposé de réduire ce délai de moitié, en le ramenant à cinq ans, ce qui revient à accélérer la mise en place du compartiment mutuel. En effet, c’est une démarche plus européenne : l’accord intergouvernemental disparaît lorsque l’ensemble des compartiments sont mutualisés.
À l’issue des négociations, la période de mutualisation a été fixée à huit ans. C’est un bon compromis, qui permet une bonne fédéralisation du MRU.
Je me réjouis que la solution retenue pour le calcul des contributions au FRU permette d’aligner la part des contributions de l’Allemagne et de la France sur leur poids respectif dans les actifs bancaires de la zone euro. Le montant des contributions françaises s’élèvera à 14,9 milliards d’euros, soit 27 %, contre 15,2 milliards d’euros pour les contributions allemandes, à savoir 28 %. Je soupçonne d’ailleurs les négociateurs d’être partis du résultat final et d’avoir procédé à rebours pour aboutir à une méthode donnant satisfaction. Après tout, c’est un bon procédé, puisque tout le monde s’y retrouve.
Monsieur le secrétaire d’État, il reste une question non négligeable : comment et selon quels critères les 14,9 milliards d'euros seront-ils répartis entre les banques françaises, puisqu’il s’agit d’un montant global ?
Toutes les conditions sont donc désormais réunies pour permettre la ratification de l’accord.
Je formulerai néanmoins trois remarques.
Tout d’abord, on peut regretter que certains aspects du FRU aient été fixés en partie dans un cadre intergouvernemental. À l’instar du Parlement européen, je proposerai que le contenu de l’accord soit réintégré dans le droit de l’Union européenne dans les plus brefs délais, c’est-à-dire avant même le délai butoir de dix ans prévu à l’article 16 de l’accord intergouvernemental. Ce serait l’occasion de procéder à une révision globale des traités et d’obtenir l’accord de l’Allemagne qui souhaite une révision des traités, en particulier pour la BCE et pour la création de l’Autorité de surveillance des banques.
Ensuite, chacun sait que le filet de sécurité dont le montant s’élève à 55 milliards d’euros ne suffira pas en cas de crise bancaire. Si la crise est grave, aucun fonds ne permettra d’y faire face et, même si elle est moyenne, il faudra davantage de moyens. C’est un sujet important, car il s’agit de garantir la crédibilité du MRU.
L’article 5 de l’accord intergouvernemental prévoit la possibilité pour le CRU de contracter des emprunts pour le FRU, si le Fonds est insuffisant. Cependant, tout cela est encore assez flou, l’Allemagne étant réticente à s’engager, elle qui pense toujours qu’elle devra payer pour les frasques des pays latins qui, au bord de la Méditerranée, jouent de la mandoline le soir. À mon sens, le Mécanisme européen de stabilité, le MES, devrait pouvoir jouer ce rôle : il a d’ailleurs été créé voilà quelques années pour la gestion des crises financières. Par l’intermédiaire de ce mécanisme, 700 milliards d’euros sont mobilisables, ce qui permet de faire face à une crise. Il faut donc essayer de convaincre l’Allemagne de s’engager dans cette voie. Lorsque le MES a été créé, l’Allemagne, forte des craintes que je viens d’évoquer, avait aussi posé un grand nombre de conditions pour qu’il soit quasiment impossible de l’utiliser.
Enfin, j’en viens à la mise en œuvre de la procédure de renflouement interne prévue par la directive dite « BRR ». Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite appeler votre attention sur le fait que cette procédure, qui n’a pour l’instant pas été mise en œuvre, le sera peut-être à l’occasion d’une crise bancaire qui se déroule en Autriche, dans le Land de Carinthie, dont Jörg Haider a été le responsable et qui touche une banque se trouvant dans une situation assez difficile. J’ai cru comprendre que le gouvernement fédéral autrichien, avec beaucoup de bon sens, avait affirmé ne pas être près de combler le trou, qui est actuellement compris entre 3 milliards d’euros et 6 milliards d’euros. Par conséquent, nous aurons peut-être l’occasion d’assister à un intéressant exercice pratique...
Les résultats des tests bancaires des établissements français nous rassurent, mais la situation peut évoluer. C’est pourquoi je soutiens la demande du rapporteur de faire en sorte que la France bénéficie de la dérogation prévue par la directive relative aux systèmes de garantie des dépôts permettant de limiter à 0,5 %, contre 0,8 %, des dépôts couverts le niveau cible du fonds de garantie des dépôts et de résolution. C’est aussi une demande que les banques ont dû formuler auprès de vous, monsieur le secrétaire d'État.
Chose assez rare pour être soulignée, la commission des finances a introduit dans le projet de loi un article additionnel obligeant le Gouvernement à informer annuellement le Parlement de la mise en œuvre du MRU, du FRU et de la directive relative aux systèmes de garantie des dépôts, ce qui nous permettra de suivre la mise en place, les pourcentages et les sommes versées.
Plus tard, il nous faudra parachever l’Union bancaire. Nous devons finaliser la transposition de la directive BRR. La semaine dernière, la Commission européenne a déploré que seuls quatre États membres – l’Allemagne, l’Autriche, la Slovaquie et le Royaume-Uni – lui aient notifié leurs mesures de transposition de cette directive. La France est donc en retard. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer l’état d’avancement de l’élaboration des ordonnances relatives à la résolution bancaire ?
Se pose également la question, un peu plus lointaine, du système de garantie des dépôts. Je sais que le Gouvernement soutient cette position, contrairement au gouvernement allemand qui ne veut pas de la création d’un fonds de garantie des dépôts bancaires mutualisés. Toutefois, il faudrait en toute logique achever le système bancaire européen, qui – il faut le dire en cette période où l’Europe sert souvent de drapeau rouge pour l’opinion publique – est une grande conquête pour l’Europe. C’est pourquoi nous devons avancer sur ce point.
Je conclurai en évoquant la question de la fiscalité, même si elle n’a pas de lien direct avec le texte que nous examinons. Voilà quelques mois, trois membres du Conseil d’analyse économique ont publié une note intéressante dans laquelle ils affirment que « l’Union bancaire ne sera pas complète sans une harmonisation des régimes fiscaux des banques ». Je partage totalement ce point de vue. Il faut parvenir à une unification des taxes et contributions spécifiques à l’activité bancaire, hors impôt sur les sociétés ; celles-ci devraient être « fusionnées en une unique taxe sur l’activité financière et transférées au niveau de l’Union bancaire ». Nous aurions là achevé le marché unique et commun bancaire.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, telles sont les principales observations que je souhaitais formuler. Vous l’aurez compris, le groupe socialiste soutiendra et votera bien évidemment le projet de loi autorisant la ratification de l’accord intergouvernemental, dans le texte de la commission. (Applaudissements au banc des commissions. – MM. André Gattolin et Jean-Claude Requier applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, on le sait, par son ampleur systémique, la crise de 2008 a rapidement migré des banques vers les États, lesquels ont été contraints d’intervenir rapidement afin d’éviter que la contagion des faillites ne mette à bas l’ensemble du secteur.
Ces sauvetages ont très lourdement pesé sur les finances publiques, prenant la forme de recapitalisations ou encore de garanties, parfois explicites comme pour Dexia, parfois implicites comme pour les grandes banques universelles françaises. Le risque pesant sur ces dernières a contribué à la dégradation de la note de la France en 2012 et a donc renchéri le financement de notre dette souveraine.
Plus généralement, le coût de la crise économique qui a succédé à la crise financière a été – et est encore – largement supporté par les États.
Il suffit pour s’en convaincre d’observer l’évolution de l’endettement public de la zone euro. Jusqu’à présent stable, autour de 70 % du PIB, il a brutalement crû à partir de 2008 pour atteindre plus de 90 % du PIB.
Bien loin du discours à visée auto-persuasive et propagandiste des banques, qui prétendent « avoir tout remboursé », le coût de la crise financière pour les finances publiques a donc été faramineux.
C’est fort de cette triste expérience que les dirigeants européens se sont engagés dans le chantier de l’Union bancaire : non seulement pour mieux prévenir les potentiels errements, par l’instauration de la supervision des banques, mais également pour réduire leur aléa moral, en mettant en place un mécanisme de résolution.
Cette démarche européenne constitue sans conteste une avancée sur la voie de la régulation financière.
Pourtant, nous nous sommes arrêtés au milieu du gué et, monsieur le secrétaire d’État, la France n’y est pas totalement étrangère.
Le fonds auquel est adossé le mécanisme de résolution, et sur lequel nous nous prononçons aujourd’hui, s’élèvera à terme à 55 milliards d’euros. Serait-il suffisant en cas de défaut de l’un de nos grands établissements bancaires ? Rappelons que parmi les vingt plus grandes banques mondiales figurent neuf banques européennes, dont quatre sont françaises. BNP Paribas a, par exemple, un bilan d’environ 1 800 milliards d’euros !
Comme le souligne Albéric de Montgolfier dans son rapport, eu égard à leur taille, la probabilité que les établissements français puissent faire utilement appel au fonds est « très faible ».
En ce qui concerne la France, l’aléa moral et l’exposition du contribuable ne se trouvent donc que très peu réduits par l’instauration de l’Union bancaire.
Or ce choix revient au Gouvernement qui, dans la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, a préféré défendre les spécificités de l’industrie financière française, dans une logique économique et concurrentielle, plutôt que de s’engager dans une démarche résolument régulatrice. Dans cet esprit, on ne s’étonnera pas que la proposition de Michel Barnier de filialiser les activités de marché, actuellement en discussion à l’échelon européen, ne recueille pas davantage l’assentiment de la France.
Les stress tests, qui ont été réalisés en octobre dernier et qui sont présentés comme une garantie infaillible, ne sont pourtant pas de nature à rassurer. Une bonne part des risques considérés sont évalués par les banques elles-mêmes. De plus, les difficultés liées à la liquidité interbancaire, cruciale notamment pour les activités de dérivés, sont très mal prises en compte.
Confortant le modèle français, le Gouvernement a même obtenu, lors de la définition des contributions au fonds de résolution, que les banques françaises ne payent que a minima leur exposition massive aux produits dérivés. Il s’est également battu pour que les contributions au Fonds puissent prendre partiellement la forme de simples engagements de paiement, au lieu de se traduire par des décaissements effectifs.
Enfin, à l’échelon national, l’introduction de la non-déductibilité fiscale de ces contributions, que nous saluons au passage, a été partiellement compensée par l’extinction prématurée de la taxe de risque systémique.
Les écologistes, monsieur le secrétaire d’État, s’étonnent de voir que les intérêts de notre industrie financière nationale priment à ce point sur les enjeux européens de régulation et de maîtrise du risque, d’autant que notre secteur bancaire ne rend pas vraiment la politesse. Il est en effet encore trop souvent le bras armé d’une part importante de l’évasion fiscale, laquelle coûte tant à l’État ; il finance trop peu l’économie du pays et verse d’abondants dividendes.
M. Joël Guerriau. Caricature !
M. André Gattolin. Une étude de Henderson Global Investors, publiée en août dernier, décrivait le secteur bancaire et assurantiel comme le plus généreux du pays pour les actionnaires, la France étant elle-même le premier pays européen payeur de dividendes. Dans le même temps, les PME et les TPE se plaignent de ne plus avoir accès au crédit...
Au-delà de la question du risque, repenser le modèle bancaire français, dont la concentration est ancienne, aurait pu permettre de s’interroger sur la pertinence économique de nos grands conglomérats nationaux.
Je pense en particulier au Crédit agricole et aux Caisses d’épargne, qu’il aurait sans doute été plus judicieux de fusionner pour créer de puissantes banques régionales, à l’image du réseau allemand, lequel n’est peut-être pas pour rien dans le rayonnement du fameux Mittelstand, si souvent loué en France !
En conclusion, cet accord témoigne malgré tout d’une dynamique européenne positive, même si tout risque d’appel au contribuable n’est pas écarté, tant s’en faut. Les écologistes voteront donc en sa faveur.
Nous regrettons toutefois, comme ce fut déjà le cas concernant la taxe sur les transactions financières, que le soutien du gouvernement français ne soit pas totalement acquis à l’intérêt général européen.
Pour le prochain combat, celui de la régulation de la finance parallèle, dont le volume d’actifs est en passe d’égaler celui du secteur réglementé, il est véritablement indispensable que nous soyons tous au rendez-vous. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors qu’il se présente sous les apparences d’un simple texte de ratification d’un accord international, le projet de loi dont nous débattons à cette heure inhabituelle est important.
À bien des égards, beaucoup considéreront ici que l’adoption du présent projet de loi marque la fin de la crise bancaire débutée à l’été 2008 et que nous disposerions, au moins pour l’Europe, des outils permettant de nous épargner les désordres dramatiques de futures crises de même nature.
Nous savons tous ici que le coût de la crise de 2008 fut élevé et que les habitants des différents pays de l’Union européenne ont payé la facture du désordre financier majeur qu’elle a alors provoqué.
Certes, nous n’avons pas connu, comme la Grèce, une chute de notre PIB de 25 % en six ans ni un taux de chômage de 25 % de la population active, comme l’Espagne, mais nous avons tout de même eu droit à la loi relative à la sécurisation de l’emploi, laquelle a légalisé le fameux accord national interprofessionnel, dont le bilan est édifiant : 74 000 emplois détruits en 2014 !
Et ne parlons pas des coupes claires dans les dépenses publiques, qu’il s’agisse de celles de l’État ou de celles de la sécurité sociale, ou encore de l’amputation des dotations budgétaires des collectivités locales.
Tout cela n’a eu pour but que de permettre aux banques françaises et étrangères de reprendre l’habitude de se faire confiance lorsqu’elles échangent entre elles les chèques et les virements émis par leur clientèle.
Notons d’ailleurs que la solution consistant à séparer les activités bancaires, que l’on présente comme l’une des solutions durables pour prévenir les crises financières à venir, semble avoir abouti, en France, au vote d’un texte n’ayant pas modifié grand-chose.
Récemment, lors de l’audition de professionnels et d’observateurs par la commission des finances, il a été indiqué que, parmi douze établissements financiers français de caractère systémique, deux seulement avaient procédé à une filialisation d’une partie de leurs activités de marché, deux ans pratiquement après la promulgation du texte. Et encore, elle s’inscrit dans des limites convenables puisque, selon les termes d’Alain Papiasse, directeur général adjoint du groupe BNP Paribas : « Ces activités représentent environ 100 millions d’euros de revenus, qui peuvent être assez erratiques compte tenu de la volatilité des marchés sous-jacents, soit un peu moins de 2 % des activités de la banque de financement et d’investissement de BNP Paribas. Ces chiffres sont proches de ceux que vous avait donnés Didier Valet, directeur de la BFI de la Société générale, lors de son audition en 2013. »
Sachant, en outre, que nous sommes dans une économie où l’on incite au financement de l’activité par le recours aux marchés de capitaux et aux financements parallèles, nous ne sommes pas au bout de nos surprises, mes chers collègues, lesquelles ne peuvent être que mauvaises.
L’accord que nous sommes appelés à ratifier ce soir prévoit que, d’ici à 2024, les banques européennes devront mettre en commun 55 milliards d’euros afin de faire face collectivement aux difficultés qui pourraient frapper l’une d’entre elles. Certains se pincent le nez à l’idée de la mise en place de cette sorte de caisse mutuelle, dont la constitution est lente.
Si l’économie française a bien des défauts, elle compte de grandes banques de caractère universel, toutes privatisées aujourd’hui mais dont la force tient sans doute au fait qu’elles ont été, pendant plus ou moins cinquante ans, propriété publique.
Nos banques ont donc fait grise mine quand il a fallu déterminer la part de chacun dans le fonds mutuel. Le rapport rappelle combien il a fallu de gesticulations et de génuflexions pour en arriver à n’exiger que 15 milliards d’euros des établissements français.
Le rapport indique aussi les limites de l’affaire, à savoir le niveau réel de l’actif net des établissements concernés.
Les banques françaises présentent un total de bilan atteignant, pour mémoire, 8 155 milliards d’euros, quasiment quatre fois le PIB de notre pays lui-même, dont 1 147 milliards d’euros de dépôts couverts en garantie, tandis que les banques allemandes géraient 7 750 milliards d’euros, dont 1 639 milliards d’euros en dépôts couverts en garantie.
En clair, on demande à nos banques d’affecter l’équivalent d’un point de leurs dépôts couverts ou de moins de deux millièmes de point de leur bilan au fonds mutuel. Autrement dit, les 55 milliards d’euros du Fonds, même placés intelligemment en attente d’utilisation, risquent d’être un peu justes en cas de crise systémique majeure !
Pour bien mesurer les choses, je rappelle que le sinistre de la Banque portugaise BPN a coûté 5 milliards d’euros au gouvernement portugais – sous l’amicale recommandation de la troïka Union européenne, BCE et FMI –, alors même que la mise en œuvre du mécanisme de résolution unique exige 900 millions d’euros des établissements financiers lusitaniens !
Que les contribuables de la zone euro se rassurent. Si les marchés financiers venaient à connaître une secousse majeure, avant ou après 2024, le mécanisme de résolution unique ne suffirait pas et les banquiers reviendraient alors faire la quête à la sortie des Conseils européens.
Un autre problème subsiste : les États ne faisant pas partie de la zone euro ne participent pas à ce mécanisme, à commencer par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, principale place financière du Vieux Continent.
Les trois principales banques du Royaume cumulent aujourd’hui un bilan représentant le double du PIB britannique, HSBC figurant en excellente position avec un total de 1 913 milliards d’euros à la fin de 2014 et un résultat net, part de groupe, de 10 milliards d’euros environ.
Nul doute qu’il existe un dispositif de « solidarité de place » du côté de la City, mais le fait est que la contribution de la France aurait été plus supportable pour les ratios de rentabilité de nos banques si les établissements britanniques avaient participé.
Bref, le Fonds de résolution unique n’est pas, malgré les déclarations entendues ici et là, et encore ici ce soir, la panacée face à de futures crises financières, d’autant plus qu’il sera si complexe à mettre en œuvre le moment venu qu’il sera alors plus efficace de faire appel à la charité publique pour venir en aide aux banquiers ayant failli qu’au soutien du secteur financier lui-même. Rappelons en effet que le Fonds n’interviendrait que si un établissement se trouvait confronté à un « dégonflement de bilan » supérieur à 8 %.
À l’heure du vote, nous sommes donc partagés entre une abstention critique et un rejet pur et simple du projet de loi, compte tenu de l’insuffisance des ressources mutualisées.
Deux dernières questions se posent : que devient la taxe systémique perçue en France, dont les objectifs sont assez proches ? Nul doute que la montée en charge du fonds européen entraînera sous peu une offensive des établissements afin de réduire la taxe systémique applicable en France. Que fait-on des 55 milliards d’euros en attente d’emploi ? Que se passera-t-il si les ressources du Fonds ne sont pas affectées ?
Rien n’étant prévu en l’espèce, nous ne pouvons que refuser de voter un projet de loi ne prévoyant qu’un instrument insuffisant pour parer les crises financières à venir. Nous ne prendrons donc pas part au vote.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, monsieur le vice-président de la commission, mes chers collègues, comme chacun le sait, nous traversons aujourd’hui une crise économique profonde, qui est le résultat de la crise financière sans précédent de 2008, laquelle avait alors mis en évidence les difficultés et les défaillances de la plupart des établissements financiers de la planète, et particulièrement du Vieux Continent. Les États européens ont alors été contraints d’apporter un soutien public massif, sous la forme de garanties ou de recapitalisations, à leurs établissements bancaires et financiers.
C’est donc dans ces conditions et dans ce contexte de crise et d’urgence que l’Union européenne a entamé un chantier de régulation bancaire, avec la mise en place d’un système dit « de résolution », c’est-à-dire de gestion des défaillances bancaires, dans le cadre de ce qu’il est désormais convenu d’appeler « l’Union bancaire ».
Bien évidemment, et nous l’avons dit à plusieurs reprises à cette tribune, les sénateurs du groupe RDSE soutiennent cette démarche visant à réduire au maximum le risque d’un appel au contribuable national en cas de défaillance bancaire. Il est dommage, comme trop souvent, de réagir après coup et de ne pas avoir su anticiper, mais il est désormais crucial de tirer les enseignements de la crise et d’agir en responsabilité.
C’est précisément ce qui nous est proposé dans le présent projet de loi en adossant au mécanisme de résolution unique – MRU – un Fonds de résolution unique – FRU – européenne de 55 milliards d’euros, lequel permettra le transfert des contributions bancaires depuis les États membres vers le Fonds et la mutualisation progressive sur une période transitoire de huit ans de ces mêmes contributions.
Le texte élaboré par la Commission européenne en concertation avec les États concernés, après de longues et âpres négociations, prévoit des règles de calcul des contributions des banques aux fonds de résolution nationaux, ainsi qu’une contribution des banques de l’Union bancaire au Fonds de résolution unique.
Sans entrer dans le détail, ces contributions seront proportionnelles à la taille et au profil de risque des banques grâce à une série d’indicateurs, ce qui devrait épargner davantage les « petites banques » puisqu’elles ne représentent que 1 % de l’ensemble des actifs bancaires de l’Union.
Les banques françaises, comme les banques allemandes, contribueront à plus de la moitié des 55 milliards d’euros du fonds de résolution, exactement à hauteur de 15 milliards d’euros des deux côtés du Rhin, c’est-à-dire 2 milliards de moins que ce qui avait été initialement envisagé pour notre pays par la Commission européenne.
On se souvient que la commission des finances du Sénat avait fait connaître en octobre dernier son opposition au projet initial, qui prévoyait que les banques françaises contribuent davantage que les banques allemandes – 30 % du total du Fonds ici, contre 20 % à 25 % outre-Rhin. Depuis, les discussions ont permis d’avancer dans le bon sens et de rééquilibrer les choses en redéfinissant un certain nombre de critères qui étaient défavorables aux grandes banques et plus favorables aux établissements plus modestes, beaucoup plus nombreux en Allemagne ; pour autant, cela n’empêche pas notre voisin de peser plus lourd en termes d’actifs bancaires au sein de la zone euro.
Comme cela a été rappelé avant moi, le projet a été revu dans le sens que nous souhaitions. Nous ne doutons pas du rôle joué par le ministre de l’économie et par Bercy dans ces discussions.
Mes chers collègues, une réforme précise et ambitieuse financée par le secteur bancaire constitue une étape essentielle. Il est donc temps de la mettre en œuvre ; il est surtout temps que les banques paient pour leurs erreurs éventuelles, et non plus les contribuables. Je pense que cette analyse est, du reste, partagée par beaucoup ici.
C’est pourquoi les membres du groupe RDSE, dans leur grande majorité, apporteront leur soutien au projet de loi permettant l’instauration du Fonds de résolution unique, à travers l’accord international, et l’amendement de la commission des finances. (MM. Richard Yung et André Gattolin applaudissent.)