M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour le groupe du RDSE.
M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’industrie agroalimentaire est un secteur clef de notre économie : 160,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2013, plus de 500 000 emplois et un soutien à la balance commerciale de l’ordre de 8,5 milliards d’euros.
Cette industrie, qui transforme les trois quarts de la production agricole française, est donc un important vecteur du dynamisme territorial et garantit une agriculture diversifiée. Toutefois, elle est menacée eu égard à l’internationalisation croissante des échanges. Pour preuve, la France est passée de la place de deuxième exportateur mondial de produits agroalimentaires au cinquième rang, derrière les États-Unis, les Pays-Bas, l’Allemagne et le Brésil.
L’excédent commercial français demeure cependant très fragile, dans la mesure où il repose essentiellement sur l’industrie des vins et des boissons alcooliques, secteur lui-même fortement soumis à la concurrence internationale.
Par conséquent, l’érosion des parts de marché françaises appelle une réponse forte et coordonnée de la part des pouvoirs publics et de tous les acteurs du marché.
À plusieurs reprises, le problème de la désindustrialisation de la France et du manque d’efficacité des dispositifs de soutien aux exportations a été relevé. Je pense notamment au travail mené récemment par nos collègues Martial Bourquin et Alain Chatillon sur la réindustrialisation de nos territoires, mais aussi à la mission de contrôle de la commission des finances du Sénat, qui, en 2013, faisait état de l’éparpillement des structures et de la nécessité de consolider une stratégie globale des intervenants.
Par la suite, le Gouvernement a engagé des réformes, notamment la création, au 1er janvier de cette année, de Business France, une structure issue de la fusion d’Ubifrance et de l’Agence française pour les investissements internationaux. Cette étape devrait permettre de mieux accompagner les industriels de l’agroalimentaire, entre autres, dans leur conquête des marchés à l’international.
Nous sommes tous d’accord, et vous en conviendrez, monsieur le ministre, pour affirmer qu’il est nécessaire d’encourager auprès de nos entreprises une véritable culture de l’exportation, qui pourrait passer, par exemple, par des regroupements de PME, afin de mutualiser les moyens et de favoriser l’accès aux marchés.
Par ailleurs, le rôle de l’Union européenne dans la protection des industries agroalimentaires de pays de l’Union est fondamental. Il est double.
Tout d’abord, il est nécessaire de prévenir les problèmes de compétitivité d’entreprises au sein de l’Union européenne, qui nuisent à l’économie de marché et au développement des entreprises nationales. Nous avons pu le déplorer en 2013 avec l’affaire des producteurs de volailles, qui a mis en évidence une distorsion de concurrence entre la France et l’Allemagne au sein de la filière d’abattage et de découpe.
En ce sens, il me semble opportun de procéder à une réflexion globale sur une éventuelle harmonisation des politiques sociales au sein des États membres. Pourquoi pas par l’instauration de minima sociaux à l’échelon européen ?
Ensuite, s’agissant de l’équilibre que souhaite garantir l’Europe entre la protection du marché intérieur et l’ouverture aux marchés de pays tiers à l’Union, il apparaît nécessaire que Bruxelles apporte des réponses adéquates au protectionnisme déguisé de certains de nos partenaires.
Les accords de libre-échange entre l’Europe et certains pays d’Amérique latine passés en 2013 sont symptomatiques d’une mise en danger de secteurs clefs de notre économie, plus particulièrement de l’économie antillaise. En effet, monsieur le ministre, le sucre, la banane et le rhum sont désormais concurrencés par ceux de ces pays qui les produisent à des coûts bien moindres, sans parler des conditions de travail.
Enfin, mes chers collègues, l’avenir de l’industrie agroalimentaire passe également par une meilleure transparence de la qualité des produits, ainsi que de leur traçabilité.
À ce sujet, deux points me semblent devoir être abordés, car ceux-ci posent question quant au respect des consommateurs.
Le premier a trait à la problématique des ajouts de sucre dans les produits agroalimentaires vendus dans les collectivités territoriales d’outre-mer, leur teneur en sucre étant souvent bien supérieure à celle des produits vendus en métropole, sous le seul prétexte que notre population y est plus sensible.
En 2013, M. Victorin Lurel, alors ministre des outre-mer, faisait adopter à l’unanimité une loi visant à interdire toute différence dans les taux de sucre entre les produits vendus outre-mer et en métropole. Mais alors, comment expliquer, au regard des enjeux de santé publique, que nous attendons toujours les arrêtés ministériels nécessaires à l’entrée en vigueur de ce texte ?
La seconde préoccupation, également issue de cette même loi du 3 juin 2013 visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer, porte sur les dates limites de consommation et les dates limites d’utilisation optimale des produits.
En effet, les produits sont soumis à des dates plus tardives outre-mer. Un alignement des dates de péremption entre les produits qui sont vendus dans l’Hexagone et ceux qui le sont dans les territoires d’outre-mer était légitimement demandé. Là encore, nous sommes dans l’attente des textes d’application d’une loi consensuelle.
Voilà, mes chers collègues, les quelques remarques que je voulais formuler sur l’avenir de l’industrie agroalimentaire, dont le groupe RDSE souhaite qu’elle soit fermement soutenue, afin d’être plus compétitive et mieux armée pour conquérir de nouveaux marchés, le tout dans le respect des consommateurs, où qu’ils se trouvent.
Vos actions, monsieur le ministre, sont appréciées.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Merci !
M. Guillaume Arnell. Aussi, nous comptons sur votre détermination pour aller encore plus loin dans la protection des intérêts de la filière, et ce malgré les obstacles de toute nature. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Jean Bizet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour le groupe UDI-UC.
M. Michel Canevet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que notre pays connaît une crise économique particulièrement grave, je me réjouis vivement de l’organisation de ce débat sur l’avenir de l’industrie agroalimentaire, laquelle dispose d’un potentiel de développement tout à fait considérable.
Je le rappelle, elle représente 15 % des emplois industriels dans notre pays et plus de 500 000 emplois – quatre fois plus si l’on considère les emplois induits. C’est donc un pan tout à fait significatif de l’activité industrielle de la France.
L’industrie agroalimentaire, avec un solde excédentaire de l’ordre de 8 milliards d’euros chaque année, joue un rôle particulièrement important dans la balance commerciale française, laquelle enregistre chaque année un déficit compris entre 50 milliards et 60 milliards d’euros. C’est dire le rôle prépondérant du secteur agroalimentaire pour la santé économique et financière de la France, car l’avenir de notre pays passe aussi par un rétablissement de l’équilibre de sa balance commerciale, avant que celle-ci ne redevienne excédentaire, comme celle de l’Allemagne.
Vous le savez, mes chers collègues, grâce à l’agroalimentaire, environ 70 % de la production primaire de notre pays sont valorisés, tant dans le secteur agricole que dans celui de la pêche. Il est donc important que l’activité agricole comme les activités maritimes et halieutiques se portent bien.
Cela a été dit par les précédents orateurs, l’agriculture rencontre elle aussi des difficultés. Dans le département du Finistère, que je connais bien, ce sont chaque année une centaine de jeunes qui s’installent, sur un total de 10 000 exploitations, soit un ratio de 1 à 100. Ce niveau de renouvellement est loin d’être satisfaisant si l’on veut assurer l’avenir.
L’agriculture est aussi un facteur d’aménagement du territoire extrêmement important. Avec l’agroalimentaire, elle est un facteur de maintien de la population et de la vitalité de nos villages et de nos territoires, comme à Berrien, une commune que vous connaissez bien, monsieur le ministre, mais aussi dans ceux du Finistère, de la Bretagne, voire de la France tout entière.
En septembre 2013, le Président de la République affirmait sa volonté de promouvoir une nouvelle France industrielle ; on ne pouvait que se réjouir de cette ambition affichée de relancer l’industrie. Entre autres objectifs, il avait défini un plan d’action en faveur du secteur agroalimentaire.
Aussi, monsieur le ministre, je dois vous dire que nous avons été particulièrement déçus par la disparition du ministère délégué à l’agroalimentaire lors du changement de gouvernement. L’existence d’un tel ministère était, aux yeux des professionnels du secteur, significative de la prise en compte de leurs problèmes et de la nécessité d’agir à leurs côtés. Force est de constater que, nonobstant les intentions affichées par le Président de la République, ce ministère délégué a, hélas, disparu, ce qui ne se traduira pas, je l’espère, par une moindre prise en compte par le Gouvernement de ce secteur.
Ce que les entreprises souhaitent, vous le savez bien, c’est que l’on agisse sur l’innovation, sur les emballages, sur le froid durable, sur la qualité et sur la compétitivité. S’agissant de ce dernier point, je rappelle la volonté déjà exprimée par le groupe de l’UDI-UC de voir les charges sociales baisser significativement dans notre pays. Pourquoi ? Tout simplement parce que si l’on veut que ce secteur, qui est confronté à la concurrence internationale et dont les produits sont vendus à des prix parfois extrêmement bas, continue d’être compétitif, il faut que les acteurs économiques pratiquent des prix adaptés aux marchés internationaux.
Cela passe par une maîtrise et une réduction des coûts de production. Étant donné qu’il n’est pas possible d’agir sur les prix des matières premières, qui sont déjà très extrêmement bas, il faut jouer sur les coûts de production, notamment les charges sociales, qui en constituent une part importante.
Nous souhaitons également accompagner et encourager les entreprises dans leur démarche qualitative. À cet égard, monsieur le ministre, je dois vous faire part de l’étonnement que m’a causé la lecture des résultats d’un audit mené par l’inspection des plans de maîtrise sanitaire dans les établissements de transformation de viandes, qu’a publié votre ministère.
Cet audit se concluait par ces mots : « En conséquence, les auditeurs considèrent que l’inspection officielle des plans de maîtrise sanitaire dans les établissements de fabrication de produits à base de viande, telle qu’elle a été observée dans la plupart des sites audités, ne permet pas d’évaluer avec une précision suffisante la fiabilité du dispositif mis en place par les professionnels pour prévenir les risques sanitaires. »
C’est extrêmement grave, car les pays étrangers font confiance à la qualité sanitaire de notre production, à la maîtrise dont nous faisons preuve à cet égard, et plus particulièrement à l’action de l’administration.
Si nous voulons éviter de connaître des difficultés eu égard aux exigences sanitaires que pourraient formuler un certain nombre de pays étrangers, nous devons manifester une vigilance particulière sur ce plan. Il faut, en particulier, que l’administration puisse certifier que la qualité des produits français est très grande et découle du respect d’un process indispensable à son maintien.
Sur le froid durable, il s’agit évidemment de permettre aux entreprises d’engager les démarches nécessaires au titre de la transition énergétique, là encore pour réduire les coûts.
Quant aux emballages, ils doivent être plus sûrs, plus propres, il faut que l’on puisse les valoriser encore plus, afin de créer des emplois. Il convient également de pouvoir mieux identifier l’origine des produits : c’est une demande récurrente des professionnels de l’agriculture.
S’agissant de l’innovation, il est important que nous soyons en mesure de soutenir tout ce qui y concourt, y compris les formations comme celle qui est dispensée au sein de l’Institut des métiers de la viande, à Sallertaine, en Vendée. Je pense également à cette initiative prise en Cornouaille, dans le Finistère, pour développer la Green Valley autour du projet Ialys. Je pense, enfin, à tout ce qui concourra à favoriser l’innovation par les entreprises, lesquelles n’utilisent pas encore suffisamment, à mes yeux, le crédit d’impôt recherche. Pourtant, un grand nombre d’acteurs économiques y ont recours, puisque l’on s’aperçoit qu’en 2011, par exemple, les entreprises du secteur de l’agroalimentaire ont bénéficié de ce crédit d’impôt à hauteur de 46 millions d’euros, alors qu’il représente au total plus de 4 milliards d’euros pour l’ensemble de notre pays. C’est dire le chemin qui reste à parcourir sur ce point !
Monsieur le ministre, je conclurai en évoquant la nécessité de limiter les contraintes administratives en tous genres qui entravent la production, en particulier dans le domaine porcin. En effet, on observe depuis sept ans une baisse dramatique de 6 % de la production, alors que d’autres pays voient leur production porcine augmenter. Il importe que l’administration agisse en la matière. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur certaines travées de l'UMP. – M. Guillaume Arnell applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe UMP.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quelques jours, le Président de la République a évoqué « la France qui gagne » lors d’une visite d’une jeune entreprise innovante, spécialisée dans le textile. Il aurait pu dire la même chose pour l’industrie agroalimentaire.
C’est parfait, ou plutôt imparfait tant on a l’impression que ce succès appartient au passé et, si l’on y regarde d’un peu plus près, la situation de notre industrie commence à se fragiliser et perdre des parts de marché.
Nous sommes face à une situation paradoxale : partout dans le monde, les industriels de l’agroalimentaire sont optimistes, sauf en France. Partout en Europe, nos concurrents envient notre situation et nos atouts incontestables, en termes de qualité et d’image, et l’on sait combien l’image est importante auprès des consommateurs. En outre, pour l’agroalimentaire, la France est aussi une marque. Pourtant, malgré ces atouts, nous sommes à la peine et nos concurrents progressent.
Il ne s’agit pas d’accuser tel ou tel, car – soyons très clairs et honnêtes – cette dégradation ne date pas d’aujourd’hui. Il ne s’agit pas non plus de donner des conseils aux entreprises, qui sont les mieux placées pour faire les bons choix. Toutefois, il s’agit de réfléchir à ce que, tous ensemble, élus et pouvoirs publics, nous pouvons faire pour les soutenir.
Je vais aborder deux sujets : les questions institutionnelles et juridiques, d’une part, et les questions économiques et stratégiques, d’autre part.
Sur le premier point, il est clair que les industries agroalimentaires sont handicapées par deux types de contraintes.
Il y a, d’abord, le droit lui-même, en particulier l’excès de normes, chacun d’entre nous l’a dit. Il existe certes des normes européennes, mais aussi et surtout des normes nationales. Ainsi, dans le domaine agricole, nous avons la conditionnalité qui est liée au respect des règlements européens, et les bonnes conduites agroenvironnementales, ou BCAE, qui elles, sont des règles nationales. Chaque pays a donc les siennes et la France a sans aucun doute les plus rigoureuses. Nous voulons toujours faire mieux et en voulant faire mieux, monsieur le ministre, on fait mal.
Sur le terrain, les agriculteurs sont plus handicapés par les règles françaises que par les règles européennes. Il faut dire halte à la surréglementation. Le Gouvernement doit bien prendre conscience de l’exaspération des acteurs sur le terrain, qu’ils soient producteurs ou transformateurs. Plus les normes sont nombreuses et plus elles sont difficiles à respecter.
À trop vouloir bien faire, on se met en incohérence avec tous, qu’ils soient producteurs ou transformateurs. C’est grave ! Il faudra bien un jour, enfin, que l’administration, les administrations facilitent la vie des opérateurs sur le terrain, au lieu de la leur compliquer.
À côté du droit, il y a, ensuite, l’interprétation du droit.
Je souhaite évoquer les doutes sur la pertinence de l’engagement de l’Autorité de la concurrence dans le domaine industriel. Des exemples récents me permettent d’illustrer ces craintes. Je n’en exposerai qu’un seul.
Voilà quatre ans, la coopérative Agrial a fusionné avec Elle & Vire. Figuraient, dans la corbeille de la mariée, deux petites cidreries, que l’Autorité de la concurrence a obligé de vendre compte tenu des risques de concentration et de position dominante qu’elles représentaient. Soit ! Mais que s’est-il passé depuis ? Agrial a donc vendu ses cidreries à son concurrent Val de Rance, qui a, au passage, réalisé une bonne opération, puisque Agrial était obligé de vendre et qu’il était le seul acheteur. Mieux, l’Autorité de la concurrence a obligé Agrial à garantir l’activité des cidreries. Ainsi, Agrial fournit des pommes à son concurrent pour une cidrerie qu’elle a été obligée de lui vendre. Pour finir, une des deux cidreries a fermé. Le résultat final est un vrai gâchis !
Voilà une intervention de l’Autorité de la concurrence aux effets contestables, on en conviendra. Dans son appréciation, l’Autorité se fondait sur la notion de marché pertinent. Les effets des concentrations sont analysés en fonction du marché. La situation n’est évidemment pas la même selon que l’on vend des avions ou du jus de pomme !
La règle est européenne ; son application est nationale et européenne selon les seuils. C’est une marge d’interprétation qui est en débat, et dans certains pays, la question ne se pose même pas.
Aux Pays-Bas, par exemple, toutes les concentrations sont analysées dans une perspective européenne. Il n’y a pas de marché national. En France, c’est différent, et l’analyse se fait au cas par cas, avec le risque, qui a été évoqué, d’une fermeture d’usine comme cela s’est produit. Si l’Autorité de la concurrence s’était mise dans une perspective européenne, cela ne serait assurément pas arrivé.
Il me semble que, dans le droit de la concurrence, l’analyse du marché pertinent doit privilégier l’approche européenne et ne garder une vision nationale que dans des cas exceptionnels.
Surtout, ces décisions nuisent à l’émergence de grands groupes de taille européenne.
J’ai évoqué ce sujet avec le président Juncker le 5 février dernier et en compagnie du président du Sénat.
Il est très bien de se doter d’autorités indépendantes, mais cette indépendance ne doit pas nuire à nos entreprises et les empêcher de croître.
Monsieur le ministre, la commission des affaires européennes du Sénat est très attentive à ce sujet. Nous sommes tout à fait prêts à travailler avec le concours de votre ministère pour faire évoluer la situation au niveau communautaire et encadrer davantage l’autorité nationale.
Après les questions juridiques, le deuxième point que je souhaite évoquer concerne les questions de stratégie.
Ce sont les entreprises qui mettent au point une stratégie industrielle, mais c’est à l’État d’élaborer une stratégie économique.
Je l’ai dit, l’agroalimentaire est un de nos points forts. Il faut toujours, et dans tous les domaines, valoriser ses points forts. L’État doit accompagner les entreprises, et certains pays sont beaucoup plus orientés vers le soutien de leurs entreprises que la France. Ce n’est pas pour rien que les Pays-Bas et l’Allemagne sont de grands exportateurs. Tout est fait pour que leurs entreprises exportent, sans tracasserie administrative supplémentaire ou menace d’impôt nouveau.
C’est un choix stratégique.
J’ai assisté récemment à une rencontre franco-allemande sur l’agroalimentaire. Le discours du ministre allemand était très clair et tout orienté sur un seul but, je dis bien un seul : la compétitivité. C’est la priorité absolue. Face à cela, les Français répondent aménagement du territoire, traditions, culture, emploi, paysage, ruralité, environnement. C’est bien, mais nous nous dispersons, et ce faisant nous nous fragilisons.
Or la période qui s’annonce est cruciale.
Ayant déjà dépassé le temps qui m’est imparti, je n’évoquerai que très brièvement le rapport que nos collègues Michel Raison et Claude Haut finalisent actuellement sur la filière laitière. Il faudra bien, un jour dans notre pays, prendre en considération certaines des orientations qu’il contient, pour éviter de fragiliser encore un peu plus notre tissu.
Permettez-moi juste un dernier mot sur les Abattoirs industriels de la Manche.
On risque la fermeture du seul abattoir porcin de Basse-Normandie. Soyons clairs : cette situation est la conséquence de fautes de gestion dont le ministère n’est nullement responsable. À ce propos, je tiens à saluer la capacité d’écoute de vos services, monsieur le ministre, ainsi que votre souci de trouver un repreneur. C’est parfois difficile d’y parvenir.
En revanche, cette situation illustre malheureusement le manque de vision politique depuis vingt ans sur l’organisation des filières. On ne peut pas conforter les outils de production si on laisse trop de place aux thèses environnementalistes et si on ne garantit pas les approvisionnements. Nous produisions 25 millions de porcs voilà vingt ans, nous en produisons à peine 19 millions aujourd’hui.
M. le président. Mon cher collègue, il vous faut maintenant conclure !
M. Jean Bizet. J’aurais pu poursuivre sur ce sujet, mais puisque vous me rappelez à l’ordre, monsieur le président, et c’est normal, je dirai simplement à M. le ministre que je suis très inquiet de l’évolution de la filière agroalimentaire française, en raison de choix politiques, qui datent d’hier et d’aujourd’hui, que nous n’avons pas faits. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Françoise Gatel et M Henri Tandonnet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour le groupe UMP.
Mme Sophie Primas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’intérêt de s’exprimer en dernier à la tribune, c’est que beaucoup a déjà été dit sur le sujet. Je reprendrai notamment des propos de nos collègues Guillaume Arnell et Michel Canevet.
L’industrie agroalimentaire est bien sûr l’un des piliers historiques de l’économie française, qui mobilise, plusieurs d’entre vous l’ont dit, près de 15 000 entreprises sur notre territoire, essentiellement, d’ailleurs, dans les territoires ruraux – elles y jouent aussi parfois un rôle dans l’aménagement du territoire – et emploie 500 000 personnes directement sur l’ensemble de notre pays. C’est aussi, vous l’avez rappelé, chers collègues, le principal débouché de l’agriculture française.
Vous avez également souligné l’importance de cette industrie agroalimentaire pour notre balance du commerce extérieur, où elle représente le deuxième solde excédentaire après l’aéronautique.
L’examen de cet excédent révèle néanmoins qu’il est principalement le fruit des exportations de vins et spiritueux, et nous ne pouvons que nous en réjouir, mais il montre que la France, vous l’avez dit, perd des parts de marché : deuxième exportateur mondial de produits agroalimentaires en 2000, la France se situe désormais en cinquième position.
Pourtant, ce secteur dispose d’un important potentiel de croissance au sein du marché mondial, notamment en raison de la croissance des classes moyennes dans certains pays.
Au niveau macroéconomique, nous observons que la « marque France », comme l’a dit Jean Bizet, bénéficie d’une image remarquable à l’étranger, tant pour le goût que pour la qualité des productions. Elle fait ainsi l’objet d’une demande croissante des pays émergents sur ce marché, tels que la Chine, le Brésil, le Mexique ou l’Indonésie.
Au niveau microéconomique, pour les entreprises du secteur, l’export est à la fois un tremplin vers l’innovation et, surtout, un relais de croissance significatif face à un marché national mature où la demande se contracte et la concurrence se durcit.
Aussi est-il fondamental d’orienter la stratégie de la France à l’export vers une efficience toujours renforcée en s’appuyant sur deux points principaux.
Premièrement, il faut restructurer le dispositif de soutien aux exportations agroalimentaires.
En effet, dans un rapport d’information de 2013, la commission des finances a mis en lumière la dispersion des moyens entre plusieurs ministères, quatre opérateurs et un ensemble d’acteurs publics et privés.
Cette situation n’est pas à même de garantir une gestion optimale des crédits budgétaires, qui ont tendance à faire l’objet d’un saupoudrage entre les différentes structures. De plus, cela entraîne une certaine défaillance de la gouvernance, qui souffre d’un manque de coordination.
Aussi, je prends acte de l’effort de rapprochement initié par le Gouvernement en 2012, notamment à travers la création de la filière prioritaire « Mieux se nourrir » du commerce extérieur, qui favorise la mise en œuvre d’opérations concrètes, coordonnées avec les acteurs du développement international.
À ce titre, monsieur le ministre, pourriez-vous nous dresser un bilan d’étape ou nous fournir quelques éléments de ce dispositif qui s’inscrit dans une démarche de stratégie sectorielle extrêmement importante ?
Deuxièmement, il faut renforcer la diplomatie économique.
L’action publique doit être unifiée au sein d’une diplomatie économique à même de soutenir les entreprises pour leur permettre d’accéder aux marchés étrangers.
Tout d’abord, il s’agit d’œuvrer pour lever des barrières réglementaires s’apparentant, parfois, à des alibis plus ou moins protectionnistes bloquant l’accès à certains marchés.
Ensuite, il convient de saisir les opportunités qui se font jour dans les zones de grand export : depuis quelques années, nous observons la progression des produits alimentaires transformés sur certains marchés asiatiques. En Chine, cette hausse a atteint 15 % en 2014. Imaginez, mes chers collègues, les volumes considérables qui pourraient sortir de nos usines pour répondre à cette demande !
En outre, il faut resserrer les liens entre les nombreuses entreprises de petite et moyenne taille et les grands groupes déjà internationalisés – je songe à la grande distribution, qu’il ne faut pas diaboliser –, afin de développer des stratégies de portage, de conseil et de développement de réseaux à l’échelle internationale.
Enfin, pour ce qui concerne spécifiquement les États-Unis, je songe à la révision du système de sécurité sanitaire américain. Face à cette évolution, il semble désormais important d’obtenir la reconnaissance de l’équivalent du système européen de sécurité sanitaire pour les produits dépendant de la food and drug administration.
Monsieur le ministre, ces considérations me conduisent à vous interroger quant aux objectifs et aux moyens donnés à cette diplomatie économique, particulièrement pour développer de manière significative nos exportations, notamment notre grand export.
Je ne puis achever mon intervention sans attirer votre attention sur l’impact du partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, le TTIP. Cet accord fait actuellement l’objet de discussion au niveau européen, à propos des entreprises du secteur agricole et agroalimentaire. Ce texte inspire certes des craintes, mais il représente certainement des opportunités. Aussi, pourriez-vous nous communiquer des informations quant au stade où s’en trouvent les négociations concernant ce secteur et quant à la position adoptée par la France ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)