M. Charles Revet. C’est vrai !
M. Albéric de Montgolfier. Le risque est qu’il n’y ait plus aucun investissement routier et autoroutier en France. À cet égard, on peut regretter l’abandon de l’adossement, qui a permis par le passé le financement de projets non rentables par des projets rentables.
Il existe cependant d’autres pistes, comme un plan de relance autoroutier reposant sur l’allongement de la durée des concessions. Cette piste avait été explorée dans le cadre du plan de relance ; elle mériterait de l’être à nouveau, avec des ambitions plus importantes. Un véritable plan de relance autoroutier pourrait apporter une solution à un problème insoluble : l’état du réseau autoroutier non concédé en région parisienne.
Monsieur le ministre, nos autoroutes sont en relativement bon état – tous les intervenants l’ont souligné –, mais notre réseau est sous-calibré et mal entretenu. Examinez l’état du réseau à la sortie de l’A10 ou de l’A11 vers la nationale 118, ou le goulot d’étranglement à Massy-Palaiseau. Observez le débouché de l’A3 ou de l’A1 en Île-de-France. Nos autoroutes ne sont pas dignes de notre pays. En particulier, la desserte des aéroports parisiens est indigne.
Le problème est insoluble en termes budgétaires. Chaque année, ce sont des millions d’heures de travail qui sont perdues dans les embouteillages, ce sont des millions de tonnes de CO2 qui sont rejetées inutilement. La seule solution réside sans doute dans un véritable plan de relance autoroutier, qui pourrait porter sur des parties non concernées par l’allongement de la durée des concessions.
C’est un peu l’invitation que nous lance le plan Juncker, dont on discute beaucoup en ce moment. Nous nous sommes, la présidente de la commission des finances et moi-même, rendus à Berlin hier et à Bruxelles la semaine dernière. On nous a expliqué que le plan Juncker reposait non pas sur des investissements des États, ni sur le budget de la Commission européenne, mais, au mieux, sur un mécanisme de garantie et de participation de la Banque européenne d’investissement, et, surtout, sur des investissements privés, au travers du fameux coefficient multiplicateur de 15.
Je vois là une invitation à travailler à nouveau sur les concessions autoroutières. En France, l’association du public et du privé pour réaliser des investissements dans les infrastructures porte un nom : la concession. Il faut, dans le cadre du plan Juncker ou, du moins, d’un plan de relance des concessions, redonner toute leur place aux concessions autoroutières, afin d’achever, enfin, un certain nombre de programmes dont notre pays a besoin, car ils amélioreraient sa compétitivité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle.
M. Pierre Médevielle. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la suite du rapport publié par sa commission en décembre 2012, le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale a saisi l’Autorité de la concurrence, en lui demandant de rédiger un rapport visant à apprécier si les augmentations tarifaires des péages autoroutiers étaient justifiées au regard de l’activité et de la rentabilité constatées.
L’Autorité de la concurrence a présenté son rapport le 17 septembre 2014. M. Lasserre, qui s’était déjà exprimé de manière assez virulente sur le sujet en 2013 – avant les auditions, je le précise –, a produit sans surprise un rapport manifestement à charge, comme le prouve l’emploi accusateur du mot « rente ».
Mme Évelyne Didier. C’est faux !
M. Pierre Médevielle. La présentation de ce rapport a provoqué une vive réaction à l’Assemblée nationale et au Sénat. Les médias se sont livrés à une opération de bashing sans précédent à l’encontre des sociétés concessionnaires d’autoroutes.
De grâce, gardons-nous des indignations faciles ! Après le temps des accusations vient celui de la réflexion et de la vérification.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Absolument !
M. Pierre Médevielle. À la suite de la publication de ce rapport, Gérard Larcher et Hervé Maurey ont proposé la constitution d’un groupe de travail composé de six sénateurs. Nous avons procédé sensiblement aux mêmes auditions que l’Autorité de la concurrence : les concessionnaires, les autorités de régulation et les associations d’usagers. Nous avons récolté les mêmes éléments et les mêmes chiffres. Cependant, une importante différence d’interprétation est immédiatement apparue.
Dans son rapport, M. Lasserre sonne clairement la charge, en annonçant des marges exceptionnelles de 20 % à 24 %, obtenues grâce à l’utilisation d’un mode de calcul pour le moins singulier et totalement inadapté à l’estimation de la rentabilité d’un modèle de concession sur longue durée. En effet, le calcul de l’Autorité de la concurrence est fait à un instant T et ne prend aucunement en compte les coûts d’acquisition, la reprise de la dette et les engagements de travaux, soit à peu près 40 milliards d’euros – des broutilles, me direz-vous…
Mme Sylvie Goy-Chavent. Une paille !
M. Pierre Médevielle. De plus, à l’expiration de la concession, qui est signée pour vingt-cinq ans, les concessionnaires remettent gratuitement à l’État le réseau d’autoroutes.
La rentabilité de la concession évolue selon un modèle de courbe en J, avec un fort déficit au départ, un retour à l’équilibre en 2017 et une période de bénéfice jusqu’au terme de la concession. D’après le taux de rentabilité interne, les marges réelles se situent dans une fourchette de 6 % à 8 %, voire 3 % ou 4 % pour certaines petites concessions, ce qui n’a rien d’anormal dans le secteur.
Quand on leur a demandé pourquoi ils avaient choisi un mode de calcul de la rentabilité aussi peu réaliste et adapté, en occultant les dettes, les reprises d’emprunts et les investissements, les collaborateurs de M. Lasserre, M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint, et Mme Audrey Sabourin, rapporteur et économiste, ont répondu sans autre commentaire qu’ils avaient fait ce qu’on leur avait demandé de faire. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Éric Doligé. Eh bien, bravo !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Voilà qui est curieux !...
Mme Évelyne Didier. Ils ont répondu à la question qu’on leur posait. Pourquoi voulez-vous jeter le discrédit sur l’Autorité de la concurrence ?
M. Pierre Médevielle. Second oubli très important, l’Autorité de la concurrence ne cite pas le principal rentier dans cette affaire, à savoir l’État, qui n’est pas aussi naïf qu’on essaie de le faire croire. En effet, il perçoit une rente annuelle – le mot « rente » est ici justifié, puisque l’État ne fait rien en contrepartie –, qui représente 40 % du chiffre d’affaires des concessionnaires, soit à peu près 3,5 milliards d’euros.
Pourquoi un tel oubli ? Nous avons tout loisir, bien sûr, de philosopher sur la privatisation de 2005-2006. Je laisse à chacun le soin de se forger une opinion, mais, comme nous allons le voir, les conditions de cette opération n’ont pas du tout été défavorables à l’État.
En effet, cette acquisition s’est faite pendant une période d’embellie boursière, en période de croissance économique, avec des hypothèses de croissance sur le long terme très optimistes et favorables, mais qui n’ont pas survécu à la crise de 2008. Le montant total versé par les nouveaux actionnaires pour recueillir la totalité du capital des sociétés a été de 22,5 milliards d’euros. S’y sont ajoutés une reprise de dettes de 19 milliards d’euros et un engagement d’investissement de 4,4 milliards d’euros.
L’État a donc vendu pour 22 milliards d’euros une dette accompagnée d’un engagement de 23 milliards d’euros, dégageant ainsi une trésorerie de 15 milliards d’euros, en s’assurant une rente de 3,5 milliards d’euros annuelle.
Mme Catherine Troendlé. Pas mal !
M. Pierre Médevielle. Il est nécessaire de le rappeler également, sans la privatisation, qui a entraîné une forte optimisation de la gestion, les recettes n’auraient pas atteint un tel niveau et n’auraient certainement pas été affectées intégralement à l’entretien des autoroutes, étant donné les difficultés budgétaires que nous rencontrons.
Nous avons aujourd’hui, et cela a été souligné par mes prédécesseurs, l’un des meilleurs réseaux d’Europe. D'ailleurs, l’Allemagne et d’autres pays s’apprêtent à adopter aussi le modèle de la concession. En ce qui me concerne, je préférais nettement le système Raffarin, avec l’agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, qui semblait beaucoup plus sûr pour l’avenir.
Tous ces éléments ne sont pas neutres dans le calcul de rentabilité interne et auraient dû être pris en compte, afin de présenter un rapport beaucoup plus réaliste. N’est-il pas étonnant et inhabituel de voir que même Le Canard enchaîné vole au secours des concessionnaires, avec un article au titre évocateur : « Accident de calcul sur les autoroutes » ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est sûr !
M. Pierre Médevielle. Quant aux augmentations tarifaires, elles obéissent à des règles qui ont été fixées par l’État et qui sont demeurées absolument les mêmes avant et après la privatisation.
Mise en cause aussi, la hausse tarifaire moyenne sur l’ensemble des sociétés a été en réalité plus limitée depuis la privatisation. Elle devait être de 70 % de l’inflation, à condition de ne pas réaliser de travaux supplémentaires.
Le rapport Lasserre met en cause les contrats de plan qui ont un impact sur les tarifs d’autoroutes. Il faut signaler aussi que l’augmentation tarifaire a été supérieure à la prévision, puisque ces contrats, qui étaient prévus à cinq milliards d’euros, ont dû être revus à la hausse. Ce sont quinze milliards d’euros de travaux et d’investissements que le concessionnaire fait à la place de l’État.
Il est étonnant que dans le même temps les très fortes hausses des tarifs du TGV soient passées totalement inaperçues – comme une lettre à la poste…
Mme Sylvie Goy-Chavent. Sauf pour les usagers !
M. Pierre Médevielle. Nous devons au vu de tous ces éléments reconsidérer nos positions. D’ailleurs – prémonition ou non –, M. Lasserre lui-même, lors de son audition par la commission des finances de l’Assemblée nationale, le 17 septembre 2014, disait : « Et nous serions évidemment prêts à revoir les chiffres ou les données si des erreurs méthodologiques avaient été commises ».
L’Autorité de la concurrence trouve que les rentabilités sont disproportionnées par rapport à « un risque zéro sauf déneigement ». Or un rapport récent de la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, la DGITM, fait clairement apparaître que les prévisions de trafic sont nettement en baisse, ce qui représente tout de même un risque non négligeable.
La publication de ce rapport – est-ce un hasard ? – s’est télescopée avec les affaires écotaxe et Ecomouv’, qui ont mis le Gouvernement dans l’embarras face à un besoin urgent de liquidités, ce qui l’a conduit à « taper » sur les sociétés concessionnaires d’autoroutes.
Au même moment – autre hasard, certainement –, la société Microeconomix présente une étude de reprise ou de renationalisation par l’État des concessions autoroutières pour la somme de trente milliards d’euros, suivie d’une remise en concession dans la foulée pour un montant de quarante milliards d’euros : la bonne affaire que voilà !
Comme le dit avec beaucoup de sagesse et d’humour le professeur Yves Crozet, du laboratoire d’économie et de transport de l’Institut d’études politiques de Lyon, la gratuité des transports n’est plus à l’ordre du jour et la renationalisation des sociétés d’autoroutes coûterait une fortune à l’État.
M. Ladislas Poniatowski. Bien sûr !
M. Pierre Médevielle. Il conclut même son article de façon humoristique par les derniers vers de la fable de La Fontaine « Perette et le pot au lait », qui en disent long....
Ce qui est grave dans cette affaire, c’est que l’on a fait croire aux usagers des autoroutes qu’il était possible d’abaisser le prix des péages d’un coup de baguette magique et que les sociétés concessionnaires représentaient une véritable poule aux œufs d’or. Celle-ci est certes dodue, mais je ne suis pas sûr qu’elle puisse pondre des œufs en or ! (Sourires sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme Évelyne Didier. Pour être dodue, elle est dodue !
M. Pierre Médevielle. Des actions collectives citoyennes ont d’ailleurs déjà été engagées contre les sociétés, avec des usagers qui réclament les remboursements des paiements, résultat des opérations médiatiques. Les élus et les citoyens ont été roulés dans la farine.
Mme Catherine Troendlé. Ce n’est pas la première fois !
M. Pierre Médevielle. Le modèle de l’utilisateur-payeur choisi pour les autoroutes laisse peu d’espoir en ces périodes de crise quant à d’éventuelles baisses significatives de tarifs.
Dans cette affaire, l’État, par l’intermédiaire de la DGITM, qui s’occupe du contrôle des activités autoroutières, a été largement décrédibilisé, puisqu’il est clairement accusé de ne pas avoir fait son travail. Je ne suis pas persuadé que l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, l’ARAF, qui ne semblait pas très enthousiaste à l’idée d’exécuter cette mission, fasse beaucoup mieux.
Bien sûr, nous serons toujours pour plus de transparence ; mais encore faut-il prouver les anomalies dans les attributions de marchés.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’est pas gagné !
M. Pierre Médevielle. Enfin, et c’est grave, ce sont la parole et la signature de l’État qui seraient bafouées en cas de rupture des contrats, ce qui serait un signal très négatif envoyé aux futurs investisseurs potentiels.
Nous avons rencontré, avec le groupe de travail, des concessionnaires prêts à discuter, dès qu’un climat de sérénité et de confiance, ou tout au moins de respect, aura été rétabli. Les pistes les plus crédibles, puisque nous sommes à la recherche de solutions, semblent être un lissage des tarifs sur tout le territoire, avec par exemple des partages de bénéfices lors d’une augmentation de trafic, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Ne négligeons pas non plus l’autre piste, qui me semble la plus intéressante, à savoir l’augmentation de la durée de concession moyennant des contrats de plan, qui sont aussi créateurs de nombreux emplois, ce qui est très important par les temps qui courent, me semble-t-il.
Personne ne sort grandi de ce genre de couac, avec un rapport qui ne justifie jamais ce qu’il dit et une énième marche arrière du Gouvernement. Cet épisode aura prouvé une nouvelle fois, si besoin était, la nécessité du bicamérisme et du Sénat pour l’équilibre de nos débats républicains.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Exactement !
M. Pierre Médevielle. Au moment où les citoyens se détournent de plus en plus des élus et des formations politiques, évitons ce genre de spectacle et faisons preuve de plus de réalisme, ou nous irons vers de bien mauvaises surprises et désillusions.
Quant à l’Autorité de la concurrence, monsieur le ministre, après un couac pareil, je ne sais pas s’il est opportun de lui confier les professions réglementées, notamment le contrôle des installations ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Doligé.
M. Éric Doligé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne voudrais pas remuer le couteau dans la plaie. Toutefois, je constate que nos collègues du groupe CRC et du groupe socialiste, qui ont sans doute bien écouté le discours de notre collègue Rachline, n’auraient aucun mot à y retirer : celui-ci a exactement la même position qu’eux ! (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme Évelyne Didier. Quel argument extraordinaire !
M. Éric Bocquet. Quelles conclusions en tirez-vous ?
M. Éric Doligé. Vous en tirerez vous-même les conclusions, cher collègue ! Du reste, vous m’avez bien compris. (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.)
M. Jean-Jacques Filleul. Cela ne veut rien dire !
M. Éric Doligé. Sur le sujet des concessions autoroutières, qui font l’actualité, efforçons-nous de sortir du débat politicien dans lequel nous sommes engagés depuis des mois et qui a trouvé son origine avec le dossier de l’écotaxe et d’Ecomouv’. Soyons enfin pragmatiques.
L’affaire de l’écotaxe a été très dommageable pour beaucoup. Je pense aux contribuables, qui devront finalement compenser les 820 millions d’euros de la rupture du contrat avec Ecomouv’, mais aussi le milliard net d’euros de recettes attendus chaque année. Je pense également aux collectivités, qui attendaient des recettes. Dans le cas de mon département, il s’agit de neuf millions d’euros perdus par an, sans même prendre en compte l’usure importante des routes due aux poids lourds et l’impact sur la pollution.
Je n’oublie pas l’image qui a été portée à la qualité de la parole de l’État. Finalement, la fin de l’écotaxe est due à un 49-3 ! Après de multiples contrôles, réalisés entre autres par le Parlement, il n’a été relevé aucune anomalie dans le partenariat public-privé. Pourtant, celui-ci a été remis en cause.
Néanmoins, j’en reviens au débat d’aujourd’hui, qui est très lié au sujet que je viens d’évoquer. Le problème qui se pose à nous est le suivant : choisissons-nous comme priorité la politique politicienne consistant à remettre en cause les concessions ou encore à polémiquer à la suite de récentes annonces sur la fin de ces dernières ? Allons-nous polémiquer sur la renationalisation des autoroutes et suivre ces propositions qui fleurissent et qui sont fondées sur des éléments financiers pour le moins irréalistes ? J’aborderai ce sujet financier dans quelques instants.
Il semblerait que la reprise par l’État des concessions coûterait près de quarante milliards d’euros. M. Bertrand a évoqué la question, mais je pense que notre collègue Montgolfier y a largement répondu. En effet, qui payera ? Est-ce que cela conduirait à la gratuité ou à une augmentation des tarifs ? N’oublions pas que les sociétés d’autoroutes exercent leur activité dans un système totalement administré par le biais de la concession et du contrat.
Une autre solution serait de faire le choix d’une analyse économique. Pouvons-nous cesser de perdre notre temps à poser de faux problèmes qui bloquent l’économie dans une période où le chômage explose ?
Monsieur le ministre, il nous faut impérativement mener à terme, c’est-à-dire dans les dix jours, soit avant les élections départementales, les négociations du protocole d’accord en cours avec les sociétés d’autoroutes. Au-delà de ce délai, nous sommes repartis pour des mois de négociations et risquons d’aller à un échec.
Mme Évelyne Didier. Pourquoi ?
M. Éric Doligé. Vous le verrez, chère collègue ! Je pense très sincèrement que la seconde formule, purement économique, est de loin la plus favorable à notre économie et à l’emploi.
Dès le début, sur ce dossier, les annonces ont fusé, en partant d’un chiffre qui a mis le feu aux poudres, à savoir celui qui a été donné par l’autorité de la concurrence dans son avis publié le 17 septembre 2014. Souvenez-vous, mes chers collègues, il était annoncé des niveaux de rentabilité se situant aux alentours de 24 %. Cela pouvait provoquer des réactions, notamment pour les personnes mal informées et sans relation avec la réalité de l’économie.
La réalité de la vraie vie est toute autre. Je citerai l’exemple de l’autoroute A19, la première qui a été réalisée sans adossement et qui relie Artenay à Courtenay dans le Loiret, pour laquelle nous venons de faire le bilan obligatoire après cinq ans de mise en œuvre.
Pour réaliser l’autoroute, le concessionnaire a emprunté des sommes considérables devant être remboursées avec un certain niveau de taux d’intérêt. La rentabilité se mesure en fonction du trafic, qui ne peut être qu’estimé et peut être perturbé par des facteurs externes. Actuellement, il baisse et les tarifs sont fixés par l’État dans le contrat.
Que constatons-nous après cinq ans ? Le bilan financier est toujours négatif et il mettra plusieurs années encore avant d’arriver à un premier résultat légèrement positif. La rentabilité progressera au fil du temps pour atteindre en fin de concession des niveaux qui pourraient être de l’ordre de 20 % à 24 %. C’est ce chiffre qui a choqué. Malheureusement, il a été mal exploité et nous en payons les conséquences.
La rentabilité doit être calculée en fonction de la durée de la concession, des sommes investies et des emprunts à rembourser, ce qui nous ramène à un résultat moyen variable pouvant être de l’ordre de 6 % à 7 %.
Ne l’oublions pas, à la différence d’un investisseur classique dans l’immobilier, la société d’autoroutes ne récupère pas la propriété du bien à la fin de la concession. Elle remet ce dernier à l’État, qui en tire tout le bénéfice sans aucun investissement et en outre après avoir soumis les sociétés d’autoroutes à divers impôts. Cela a été dit, sur 100 euros de péage, 39 euros vont à l’État : sans investir, ce dernier récupère ainsi près de 40 % de la somme versée.
Aussi, pourquoi faut-il aller très vite à la conclusion d’un protocole d’accord ? Notre économie va mal, l’emploi est dans une situation catastrophique et cela cache des millions de drames individuels. Or, pendant ce temps, l’on disserte sur la gratuité ou la renationalisation.
Vous le savez, mes chers collègues, depuis des mois nous attendons que le ministère accorde enfin le lancement de 3,2 milliards d’euros de travaux sur nos autoroutes grâce à l’allongement des concessions, et cela avec l’accord de Bruxelles. Les dossiers sont prêts, les travaux peuvent commencer rapidement, mais il semblerait que l’on se satisfasse d’un secteur des travaux publics en dépression et en préparation de licenciements.
Chaque jour compte : à la clef, il y a plus de 10 000 emplois à créer ou à maintenir. Et il faut compter aussi tous les emplois indirects liés aux travaux. Dans un pays où l’on atteint des sommets en matière de chômage, cela mérite attention !
Je vous donnerai un autre exemple local. Depuis environ dix ans, nous nous battons pour obtenir une sortie d’autoroute à Gidy en matière de sécurité, d’environnement, et de développement. Il s’agit là d’une occasion exceptionnelle et le dossier est enfin prêt.
J’ajoute un autre point qui devrait retenir votre attention, mes chers collègues : une entreprise étrangère située à proximité attend la bonne nouvelle pour créer plus de 1 150 nouveaux emplois. Il suffit simplement que je lui confirme l’ouverture de cette sortie d’autoroute ! Si je ne peux le faire, elle se développera à l’étranger. N’est-ce pas là un vrai sujet, d’autant que d’autres exemples similaires existent sans doute en France ?
Merci, monsieur le ministre, de nous entendre et de faire taire tous ceux qui sont contre l’économie et qui utilisent tous les mauvais prétextes. Merci d’écouter le Président de la République et de nous aider à inverser durablement la courbe du chômage ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Aubey.
M. François Aubey. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France compte aujourd’hui près de 12 000 km d’autoroutes, dont 9 000 sont exploitées sous le régime de la concession par dix-neuf sociétés concessionnaires d’autoroutes, les SCA. Parmi celles-ci, les sept SCA « historiques » représentent à elles seules 92 % du chiffre d’affaires du secteur.
Après la suspension de l’écotaxe et du péage de transit routier, et face aux besoins de financement des infrastructures de transport, les profits réalisés par les sociétés autoroutières attirent tous les regards. Dans un rapport rendu public en 2013, la Cour des comptes s’est penchée sur les relations entre les SCA et l’État. Elle a pointé toute une série de déséquilibres et de dysfonctionnements.
S’agissant, par exemple, des tarifs de péage, la Cour fait état de hausses de tarifs injustifiées et largement supérieures à l’inflation. Certes, la pratique du « foisonnement » a pris fin. Cependant, elle a permis aux SCA de faire d’énormes profits, qui n’ont été que très partiellement récupérés par l’État.
Concernant les contrats de plan, la Cour regrette que, depuis les privatisations de 2006, l’encadrement insuffisant des négociations « place le ministère chargé des transports dans un rapport qui ne lui est pas favorable, faute de pouvoir se référer à des instructions précises et d’obtenir un aval politique formel en cas d’inflexion dans la mise en œuvre de ces dernières ».
Tout aussi grave, concernant le suivi des opérations d’investissements et de la politique patrimoniale, la Cour déplore le manque d’information de la part des SCA. En effet, les données transmises ne permettent pas à l’État d’assurer un suivi financier dans de bonnes conditions.
L’État n’a pas non plus connaissance du budget consacré à l’entretien du patrimoine. Je rappelle que des audits ont démontré le mauvais état d’ouvrages d’art situés sur les concessions de la SAPN, c'est-à-dire de la Société des autoroutes Paris-Normandie, et, surtout, des ASF, les Autoroutes du Sud de la France, ainsi que la faiblesse du budget consacré à l’entretien.
Mme Évelyne Didier. C’est exact !
M. François Aubey. Saisie par la commission des finances de l’Assemblée nationale, l’Autorité de la concurrence, dans un avis publié en septembre dernier, critique, elle aussi, les sociétés d’autoroutes historiques. Elle remet notamment en cause le mode de fixation des tarifs de péage, indexés sur l’inflation dans le cadre des contrats de plan.
Par ailleurs, elle réfute les arguments le plus souvent avancés par les sociétés autoroutières pour justifier le régime très favorable qui leur est appliqué : le risque de baisse de trafic et la dette supportée. L’Autorité considère que les prévisions de trafic s’établissent en hausse de 0,7 % par an jusqu’en 2030. Quant à la dette pesant sur les SCA, l’autorité ne la juge pas risquée, surtout au vu des profits réalisés par ces sociétés.
Mme Évelyne Didier. Très juste !
M. François Aubey. D’un point de vue concurrentiel, l’autorité observe qu’une grande part des marchés de travaux des sociétés autoroutières est attribuée à des sociétés appartenant à leur propre filiale de BTP, relevant même des pratiques contestables de certaines SCA dans ces attributions.
Rappelons, enfin, que l’Autorité de la concurrence a émis un avis réservé sur le plan de relance autoroutier, validé depuis lors par la Commission européenne. Elle s’inquiète des effets de l’allongement des concessions et recommande de saisir l’occasion que constitue ce plan pour renégocier les contrats, les renégociations pouvant porter sur une nouvelle formule d’indexation des péages ou sur des clauses de réinvestissement et de partage des bénéfices.
Mes chers collègues, comme vous pouvez le constater, les rapports, avis et débats se succèdent, et les constats sont, à juste titre, toujours plus sévères. Preuve est faite désormais que la rentabilité exceptionnelle des sociétés concessionnaires n’est absolument pas justifiée, donc que la régulation a été jusqu’ici défaillante.