Mme Évelyne Didier. Très bien !
M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable. Bien entendu, monsieur le ministre, le projet de loi sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques que vous défendrez bientôt aborde cette question.
De notre point de vue, sur ce sujet, le texte initial était très insuffisant. Il a été, fort heureusement, amélioré par l’Assemblée nationale dans le sens que nous souhaitions : les compétences et les pouvoirs de l’ARAFER ont été renforcés, des avancées ont été obtenues en matière de transparence.
Toutefois, le projet de loi que nous aurons à examiner ne résout pas entièrement les difficultés soulevées, d’une part, parce que les dispositions relatives au contrôle ne valent que pour l’avenir, et, d’autre part, parce que le nouveau périmètre et les nouvelles compétences de l’ARAFER ne seront mis en place que six mois après la promulgation de la loi.
En fait, une grande partie des enjeux échappe aujourd’hui au législateur, dans la mesure où ils sont traités de façon bilatérale, entre l’État et les sociétés d’autoroutes, par la voie de la négociation contractuelle. Le Parlement en est donc exclu. C’est la raison pour laquelle l’Assemblée nationale et le Sénat ont exprimé la volonté d’une association plus grande du Parlement à ces négociations.
Depuis lors, le Gouvernement a mis en place un groupe de travail réunissant des parlementaires des deux assemblées. Je me réjouis que Patrick Chaize, Ronan Dantec, Évelyne Didier, Jean-Jacques Filleul, Alain Bertrand et Louis-Jean de Nicolaÿ en fassent partie.
Nous attendons de connaître les conclusions de ce groupe de travail, qui se réunit chaque semaine. Nous sommes d’autant plus impatients que la presse évoque régulièrement la signature imminente d’un accord avec les sociétés d’autoroutes. Peut-être pourriez-vous nous en dire plus, monsieur le ministre, sur la réalité de cet accord, qui devrait être signé très prochainement ?
En tout cas, nous sommes déterminés à ce que la situation évolue dans un sens nettement plus favorable à l’État et à l’usager.
Mme Évelyne Didier. Très bien !
M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable. Nous sommes persuadés que l’équilibre actuel doit être modifié. Monsieur le ministre, le Sénat sera aux côtés du Gouvernement pour qu’il en soit réellement ainsi. Encore faut-il que ce dernier en manifeste très clairement la volonté. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour la commission du développement durable.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le président de la commission du développement durable, Hervé Maurey, vient de présenter le contexte dans lequel a travaillé le groupe de travail de la commission. Pour ma part, avant de vous présenter les recommandations de ce dernier, j’évoquerai quelques éléments de diagnostic.
En premier lieu, tous les membres du groupe de travail ont insisté sur la qualité de notre réseau autoroutier et de son entretien par les concessionnaires. C’est un point positif, qui mérite d’être fortement souligné.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, au nom de la commission du développement durable. Nous avons ensuite observé que les chiffres de l’Autorité de la concurrence n’ont à aucun moment été contestés. C’est davantage leur interprétation qui a fait débat.
Pour faire court, alors que l’Autorité de la concurrence annonce des taux de rentabilité nette des sociétés concessionnaires d’autoroutes allant de 20 % à 24 %, ces dernières opposent un autre indicateur, le taux de rentabilité interne, ou TRI, qui prend en compte la dette d’acquisition. Cette formule est d’ailleurs acceptée par Bruxelles.
En réalité, l’avis de l’Autorité de la concurrence doit être replacé dans son contexte. Cette dernière a répondu à une demande de la commission des finances de l’Assemblée nationale, qui lui a posé des questions sur l’adéquation des tarifs des péages aux coûts du réseau autoroutier, sur la régulation du système par l’État et sur le jeu de la concurrence, en particulier pour la passation des marchés de travaux.
Ainsi, l’Autorité de la concurrence ne s’est pas intéressée au prix de la cession des participations de l’État réalisée en 2006 et n’a pas cherché à savoir si les sociétés avaient alors fait une bonne affaire, ou non.
M. Michel Bouvard. Bien sûr qu’elles ont fait une bonne affaire !
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, au nom de la commission du développement durable. Tel n’est d’ailleurs pas son rôle. Après avoir examiné l’activité d’exploitation autoroutière en tant que telle, elle a constaté que la formule d’indexation des péages sur l’inflation, qui est déconnectée des charges supportées par les sociétés d’autoroutes, n’était pas pertinente, car elle peut être interprétée comme une rente préjudiciable à l’usager.
Mme Évelyne Didier. Eh oui !
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, au nom de la commission du développement durable. Or cette rente n’est pas justifiée par le niveau du risque supporté par les sociétés concessionnaires autoroutières, les SCA, compte tenu de leur situation, que certains qualifient de « monopole ».
Mme Évelyne Didier. Très bien !
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, au nom de la commission du développement durable. La question est donc de savoir s’il est possible de revenir sur cette rente injustifiée, qui pénalise en premier lieu l’usager, et si oui de quelle manière.
Le problème principal est que l’État n’a pas modifié le cadre juridique applicable aux concessions lorsqu’il les a privatisées. Il ne s’est aucunement préparé à mener des négociations avec de grands groupes privés, qui savent naturellement défendre leurs intérêts tout en restant dans le cadre légal. Cela s’est vu, en particulier, avec la pratique des contrats de plan, qui organise la réalisation, par les sociétés d’autoroutes, de travaux non prévus dans les contrats de concession, mais qui sont demandés, il faut le savoir, par l’État et les collectivités territoriales.
L’État souffre, dans ce cadre, d’une asymétrie d’information qui l’empêche de payer le juste prix. C’est un véritable problème. Les contrats de plan accentuent en outre la déconnexion entre les tarifs des péages et la réalité du coût des autoroutes, en autorisant des dérogations à la formule d’indexation tarifaire fixée par décret.
Un défaut de régulation a aussi été constaté au sujet de la passation des marchés de travaux des sociétés d’autoroutes, la Commission nationale des marchés des sociétés concessionnaires d’autoroutes ou d’ouvrages d’art n’ayant pas, selon ses dires, les moyens de ses missions. En résumé, vous l’avez compris, mes chers collègues, le groupe de travail a considéré que cette situation ne pouvait perdurer. Quelles sont ses préconisations ?
Il considère tout d’abord qu’il est essentiel de mettre fin à une situation qui apparaît, ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, comme une rente pénalisant l’usager. Il ne faut toutefois pas se tromper de débat. L’objectif n’est pas de récupérer auprès des sociétés d’autoroutes les recettes que l’on n’a pas réussi à obtenir avec l’écotaxe.
Il préconise ensuite une situation transparente. Il faut que l’État sache ce qu’il finance et l’usager ce qu’il paie. Il y a aujourd’hui de trop nombreuses zones d’ombres, ce qui peut créer un doute et une méfiance sur le principe de la concession.
Le contexte est toutefois contraint. Les contrats de concession ont été, si j’ose dire, « bétonnés » dans les règles de l’art. Nous sommes de plus sensibles à la nécessité de préserver un climat de confiance pour les investisseurs. Nous sommes conscients de l’impossibilité de remettre en cause la signature de l’État sans compensation, même si certains pensent que l’État a été un mauvais négociateur pendant toutes ces années.
M. Alain Richard. Surtout au début !
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, au nom de la commission du développement durable. Nos propositions, qui datent, je le rappelle, du mois de décembre dernier, s’articulent autour de trois axes.
Le premier axe vise à renforcer la transparence et la régulation du secteur. Il faut mettre fin à l’opacité en obligeant les sociétés d’autoroutes à communiquer chaque année au Parlement, à l’administration et aux autorités de contrôle compétentes toutes les données nécessaires à la transparence en matière économique et financière.
Nous soutenons par ailleurs le projet d’extension des compétences de l’ARAF au contrôle du secteur autoroutier, tel qu’il est prévu dans le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, à condition toutefois que cette autorité soit en capacité de jouer son rôle. En parallèle, il est impératif que les questions financières soient mieux prises en compte par l’administration elle-même.
Par ailleurs, nous sommes favorables, en ce qui concerne le contrôle des marchés de travaux des sociétés d’autoroutes, à l’instauration d’une autorité de contrôle, comme le prévoit également votre projet de loi, monsieur le ministre. Nous pensons néanmoins que le seuil de mise en concurrence doit être abaissé à 500 000 euros.
J’en viens au deuxième axe : changer de modèle pour les contrats de plan. Puisqu’il est très difficile de toucher à l’équilibre des contrats de concession, la question posée, à très court terme, est de savoir si, oui ou non, nous devons signer de nouveaux contrats de plan. Deux options sont possibles.
La première est de mettre un terme à la pratique des contrats de plan et d’attendre la fin des concessions, prévue pour les années 2030. Cette mesure aurait pour effet mécanique de réduire la progression des péages, laquelle, je le rappelle, est dans ce cas limitée à 0,70 % du taux de l’inflation.
La pression devrait en parallèle être maintenue sur les sociétés d’autoroutes, afin qu’elles continuent à remplir leurs engagements contractuels de droit commun. Quant aux travaux prévus dans le plan de relance, soit leur champ devrait être réduit, soit ils devraient être financés par d’autres moyens, par exemple de nouvelles mises en concurrence. C’est une solution qui doit être prise en considération.
La seconde option possible, si le Gouvernement persiste dans la volonté de lancer un plan de relance autoroutier, serait de le remanier profondément, afin de rééquilibrer les relations entre l’État et les sociétés d’autoroutes.
Il faudrait ajuster la loi tarifaire des concessions, car l’usager ne comprendrait pas que la situation n’évolue pas, compte tenu des rapports de l’Autorité de la concurrence et de la Cour des comptes. Il est impensable que les hausses des péages soient supérieures à l’inflation. Il faudrait également prévoir des obligations de réinvestissement des bénéfices et des clauses de partage des bénéfices.
Quelle que soit la solution retenue, le Parlement devra être consulté avant toute décision du Gouvernement dans ce domaine.
J’aborde enfin la question, sensible, du rachat des concessions autoroutières. La grande majorité des membres du groupe de travail est assez sceptique sur la perspective d’un rachat généralisé des concessions existantes, lequel coûterait probablement entre 40 milliards d’euros et 50 milliards d’euros, solution défendue par le président de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale, M. Jean-Paul Chanteguet. Il ne faut pas négliger qu’une telle mesure risquerait de créer un contentieux très lourd, dont les conséquences financières, voire sociales, seraient importantes.
Cela étant, rien n’oblige l’État à procéder de la même façon pour toutes les concessions. C’est la raison pour laquelle le groupe de travail a proposé qu’il s’engage, si les circonstances le justifient, dans le rachat d’une concession, afin de faire le bilan des avantages et des inconvénients de ce type d’opération. L’État pourrait ainsi affiner son expertise dans ce domaine, avant de passer, éventuellement, à une étape plus radicale de rachat généralisé.
M. Charles Revet. C’est une bonne suggestion !
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, au nom de la commission du développement durable. Telles sont les conclusions auxquelles est arrivé le groupe de travail mis en place par la commission du développement durable.
Comme l’a indiqué notre président, nous serons extrêmement vigilants sur les décisions que prendra le Gouvernement dans les prochains jours. Nous espérons d’ailleurs que les travaux du groupe de travail mis en place à Matignon seront plus éclairants et qu’ils permettront rapidement d’aboutir à des propositions constructives, équilibrées et favorables à l’intérêt général, ainsi qu’au développement économique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat s’inscrit dans le cadre d’une réflexion très large : deux missions parlementaires ont été mises en place à la suite de la suspension de la taxe sur les poids lourds ; un groupe de travail a été constitué au sein de la commission du développement durable du Sénat ; un autre a été instauré par le Premier ministre ; enfin, la Cour des comptes et l’Autorité de la concurrence ont publié des rapports.
Nous saluons l’ensemble de ces travaux. En effet, toute la lumière doit être faite sur les profits des sociétés d’autoroutes et sur l’état des relations contractuelles entre l’État et ces sociétés. Cette transparence est nécessaire compte tenu des enjeux budgétaires et écologiques.
Le débat est donc toujours ouvert. De multiples propositions ont été faites et nous attendons la remise des conclusions du groupe de travail mis en place par le Premier ministre au début de l’année sur les concessions d’autoroutes. Dans cette attente, je ne disserterai pas sur les chiffres. Le groupe écologiste considère toutefois d’ores et déjà qu’il ne faut exclure aucune hypothèse : reprise des concessions, renégociation des contrats, contribution fiscale supplémentaire, etc.
J’évoquerai aujourd'hui deux éléments : d’une part, le plan de relance autoroutier, et, d’autre part, la prise en compte de la dimension environnementale et l’application du principe pollueur-payeur.
Le groupe écologiste s’oppose clairement au plan de relance autoroutier, qui prévoit de prolonger de trois ans, et cela sans appel d’offres, les concessions attribuées à trois sociétés en échange de 3,5 milliards d’euros d’investissements par les sociétés d’autoroutes pour une vingtaine d’opérations.
Ce montage financier, qui est en passe d’être scellé, est d’ores et déjà validé par Bruxelles. Or il est selon nous injustifié, d’une part, parce qu’il privera l’État de ressources pérennes très élevées liées à l’exploitation des autoroutes pendant trois années supplémentaires, et, d’autre part, parce qu’il vise très concrètement à réaliser des extensions du réseau autoroutier.
La privatisation des sociétés d’autoroutes par le gouvernement de droite en 2005 a été un véritable scandale. L’exploitation des sociétés d’autoroutes aurait en effet pu rapporter à l’État plus de 37 milliards d’euros de dividendes d’ici à 2032, date d’échéance médiane des contrats de concession, à comparer aux 14,8 milliards d’euros obtenus du fait de la privatisation. Prolonger les concessions revient selon nous à persévérer dans cette lourde erreur.
La reprise en main par l’État de ses relations contractuelles avec les sociétés d’autoroutes est en tout cas une absolue nécessité. Les difficultés de contrôle par l’État de l’activité des concessionnaires ont été pointées par la Cour des comptes. Nous devons donc trouver un moyen de rééquilibrer les contrats entre l’État et les sociétés d’autoroutes, car c’est de notre patrimoine routier national qu’il s’agit, lequel est un bien commun, relevant du domaine public. C’est un comble que la puissance publique se trouve en situation de faiblesse face à des sociétés d’autoroutes surpuissantes !
Le groupe écologiste demande a minima et en priorité la prise en compte par les sociétés d’autoroutes de l’impact du trafic routier sur l’environnement.
Le transport est, en France, le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre. Il représente 27,8 % des émissions nationales. Les dommages en matière de santé publique sont également lourds : en France, la pollution de l’air par les particules fines d’origine anthropique serait la cause d’environ 42 000 décès prématurés chaque année, soit une perte moyenne d’espérance de vie de l’ordre de huit mois.
Le groupe écologiste appelle à la modulation environnementale des tarifs des péages. Il s’agit de contraindre les concessions autoroutières à instaurer des variations de péage en fonction des normes Euro de pollution des poids lourds. La directive Eurovignette nous le permet.
Or, jusqu’à présent, le Gouvernement a choisi une transposition minimaliste de cette directive, en utilisant tous les moyens possibles pour y déroger et repousser ses modulations environnementales, qui ne sont pourtant que des applications du principe constitutionnel pollueur-payeur.
Compte tenu de l’impact environnemental et sanitaire du transport routier et en application du principe pollueur-payeur, il est en effet logique que le transport routier soit mis à contribution et que l’argent des routes finance les solutions de substitution au « tout routier », qu’il s’agisse du ferroviaire, du fluvial ou du maritime, le développement de ces solutions de substitution étant le seul moyen de diminuer les dommages environnementaux et sanitaires dus aux transports.
Je terminerai par une question, monsieur le ministre : après le renoncement à la taxe sur les poids lourds, qui avait pourtant fait consensus lors du Grenelle de l’environnement, le Gouvernement saura-t-il être « sans concessions » avec les sociétés d’autoroutes ? (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
Mme Évelyne Didier. Très bien !
M. Hervé Maurey, président de la commission du développement durable. Beau jeu de mots !
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’exploitation actuelle des autoroutes répond à une situation, celle de l’État. Ce dernier ne se donne plus les moyens d’investir en raison des règles budgétaires imposées par l’Europe, qui limite l’endettement des pays à 3 % du PIB et qui a imposé le passage par le marché pour le financement des budgets publics.
Ce mode de gestion repose sur la conviction qu’un opérateur privé est plus efficace qu’un acteur public, tant dans le domaine technique que dans le domaine financier.
Pourtant, rappelons-nous, dans les années 1980, le système autoroutier, qui avait été ouvert à des acteurs privés, a dû être restructuré. Il a fallu que l’État reprenne les sociétés privées déficitaires et crée l’établissement public Autoroutes de France. En fait, à l’époque, ces sociétés se sont montrées incapables d’assurer conjointement les investissements nécessaires et l’exploitation.
Pourtant, en 1992, certaines sociétés publiques avaient remboursé la totalité des avances consenties par l’État, l’évolution des recettes de péage leur ayant permis de dégager des résultats de trésorerie excédentaires. On peut donc tout à fait équilibrer le système dans un cadre public !
Dans les faits, dès 2001, en réponse aux directives européennes dont l’objectif était de renforcer la concurrence pour l’attribution des nouvelles concessions autoroutières, deux ensembles de mesures étaient pris.
Le premier, afin de permettre l’entrée de nouveaux opérateurs, met fin au système de l’adossement, ainsi qu’à l’attribution de gré à gré des travaux de construction d’autoroutes par l’instauration d’appels d’offres pour chaque nouvelle section à construire.
Le second ensemble porte, quant à lui, sur la modernisation du système comptable des sociétés d'économie mixte concessionnaires d’autoroutes, les SEMCA. Ces dernières adoptent désormais une comptabilité identique à celle des sociétés privées et appliquent la TVA, qui était à l’époque de 19,6 %, sur les tarifs des péages.
C’est dans ce cadre qu’ont eu lieu, comme vous le savez, mes chers collègues, les privatisations totales de notre système autoroutier par la vente des actions que détenait encore l’État dans les sociétés concessionnaires d’autoroutes, et ce à la fin de 2005.
Pourtant, dès 2005, le Conseil de la concurrence avait alerté les pouvoirs publics sur « les difficultés d’une bonne régulation future des monopoles privés autoroutiers » – j’ai bien lu « monopoles ». L’État n’étant plus actionnaire, il aurait plus de mal à contrôler les coûts des concessionnaires. Cette « asymétrie d’information » mettrait en cause « l’efficacité de la régulation tarifaire ». Le conseil estimait donc alors que les risques d’atteinte à la concurrence sur le secteur connexe des travaux autoroutiers étaient réels.
C’est exactement la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui, d’autant que l’État, par la RGPP, a fait fondre progressivement ses capacités d’intervention et de contrôle. Nous l’avons dit, le financement doit désormais passer par le marché et par l’augmentation des tarifs. Or il repose sur le principe du risque.
Eh oui, madame Des Esgaulx, la loi tarifaire est la même aujourd’hui qu’hier, et c’est là tout le problème ! Plus les financements demandés sont importants et prévus sur une longue durée, ce qui est le cas pour les autoroutes, et plus le taux de rendement exigé est élevé. C’est ainsi qu’il nous a été dit à plusieurs reprises que la règle financière mondiale exige un rendement compris entre 8 % et 10 % pour des placements financiers de ce type.
Dès lors, les gouvernements successifs se sont laissé convaincre par le libéralisme ambiant, transformant l’État en actionnaire ordinaire. Le patrimoine est devenu simplement un actif et l’intérêt général un simple service au public : aujourd’hui, l’État ne veut plus gérer son patrimoine et il s’en sépare.
Quand il est actionnaire, l’État perçoit des dividendes, ainsi que les taxes et impôts sans avoir à entretenir son patrimoine. C’est bien plus simple, et c’est ainsi que disparaissent des notions comme l’intérêt général, le service public ou le bien commun, au profit de notions plus « fun », si je puis dire, comme le service au public, la productivité, la compétitivité ou les parts de marché. Voilà pour le contexte.
Nous sommes dans une forme de partenariat appelée « concession », un partenariat public-privé qui repose sur un monopole de fait, qui est d'ailleurs géographique. La concession est censée prendre fin un jour. En réalité, elle est devenue perpétuelle.
Les tarifs augmentent chaque année, et les profits aussi. Aujourd’hui, l’État actionnaire a vendu ses parts ; il n’est donc plus que le concédant. Il redeviendra peut-être un jour propriétaire, mais quand ? Il le faudra bien, pourtant, si nous voulons sortir de ces contrats très avantageux pour les concessionnaires et pouvoir procéder à la remise à plat que nous appelons de nos vœux.
Il est impératif que la politique se réinvite dans ce dossier, dans lequel la règle libérale a tout simplement oublié les mots « humain », « emploi », « démocratie » et même « concurrence ». Dès aujourd’hui, grâce à ce débat, les groupes politiques feront connaître leur position et leur approche du sujet. Nul doute que, en dehors de notre groupe, personne ne défendra l’idée d’un retour au service public. Pourtant, si la volonté politique est claire et si les moyens sont donnés, nous pouvons rendre au réseau autoroutier son statut de bien public.
Somme toute, dans ce dossier, alors que les parlementaires sont persuadés de débattre d’aménagement du territoire, d’intérêt général et de routes, il s’agit en réalité de cash flow, de productivité et de résultats financiers. Le système de la concession, devenue aujourd’hui perpétuelle, fait le choix d’accorder une part des bénéfices aux actionnaires, au lieu de les consacrer entièrement à l’emploi et l’investissement, et cela, bien sûr, au détriment des usagers qui, finalement, sont ceux qui paient.
Ajoutons que, non contentes de cette situation de monopole, les sociétés réclament des allégements de charges pour, disent-elles, créer de l’activité et de l’emploi, alors qu’elles en ont supprimé par ailleurs... Ce serait comique si ce n’était pas si grave.
Il faut préciser que si les sociétés défendent la concession et parlent maintenant du « métier de la concession », c’est parce que le TRI, le taux de rendement interne, moyen est de 7,8 % aujourd’hui. Il a augmenté progressivement et continuera d’augmenter mécaniquement, atteignant des retours annuels proches de 20 %. Il suffit d’être patient, de tenir bon et d’éviter, à tout prix, toute remise en cause du contrat. C’est la raison pour laquelle je vous prédis mes chers collègues, que nous n’arriverons pas à trouver des aménagements avec les sociétés.
Contrairement à ce qui a été affirmé, un TRI à 8 % est déraisonnable lorsque la concession a atteint la maturité financière : l’autoroute est construite, son trafic installé, les bénéfices futurs assurés. Il n’y a plus de risque ! Nous confirmons donc les propos de l’Autorité de la concurrence : il y a bien aujourd’hui une rente autoroutière.
Mes chers collègues, je fais ici un pari avec vous : lorsqu’il n’y aura plus de marges de progression – entendez « des gains de productivité » –, que la masse salariale ne pourra plus être réduite parce que ce sera fait, que les bilans feront apparaître des pertes, on demandera à l’État de racheter, comme en 1983.
Aussi, je vous suggère d’acheter tout de suite, tant qu’il y a encore quelque chose à sauver pour le bien des usagers, des contribuables et des citoyens, au nom de l’intérêt général. Cela peut se faire de manière progressive, cela peut prendre différentes formes. À l’État de trouver la bonne solution. À cet égard, c’est à lui de nous éclairer, et pas le contraire ! Les usagers exaspérés, les citoyens scandalisés attendent de l’État qu’il redevienne ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : le garant de l’intérêt général.
La semaine prochaine, le groupe de travail parlementaire qui doit éclairer le Gouvernement, dit-on, devra rendre ses conclusions. Parions, comme l’a déjà fait Le Canard enchaîné, sans doute informé par de bonnes sources, que tout sera fait pour calmer le jeu et dire que cette campagne médiatique n’avait pas lieu d’être. Ce serait vraiment une regrettable erreur et une occasion manquée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bertrand.