Mme Ségolène Royal, ministre. Je voudrais me féliciter de la qualité de nos débats : on s’écoute, on essaie d’avancer, de construire, de coconstruire… J’ai bien entendu l’ensemble des arguments, notamment ceux qui viennent d’être exposés par le sénateur Didier Guillaume. Au nom du Gouvernement, je m’en remets à la sagesse du Sénat sur le sous-amendement n° 963 et j’émets un avis favorable sur l’amendement n° 719 rectifié.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Il règne une certaine confusion ! La commission des affaires économiques a tenu compte des arguments avancés par Valérie Létard. Elle a proposé « si le calcul économique le permet », car c’est l’une des préoccupations qui ont été évoquées.
Nous avons entendu une autre préoccupation, la nécessité de mettre en œuvre des outils de financement, notamment de la part du Gouvernement.
Je voudrais faire observer à Didier Guillaume que « si le calcul économique le permet », c’est précisément la condition qui a été votée il y a une heure, à propos de la performance de 150 kilowattheures par mètre carré avec l’amendement n° 588 rectifié.
M. Didier Guillaume. Oui !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Nous avons repris les termes exacts qui ont été votés par l’ensemble du Sénat !
M. Charles Revet. Tout à fait !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce n’est pas la même chose !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Je rappelle donc qu’il y a deux éléments à prendre en considération : d’abord, la situation économique des ménages, notamment des personnes âgées, et le calcul qui en découle ; ensuite, les outils à mettre en place pour favoriser le financement.
Les rédactions combinées de l’amendement n° 719 rectifié et du sous-amendement n° 963 permettent de couvrir l’ensemble des préoccupations qui ont été exprimées.
M. Gérard Longuet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote, étant rappelé que nous sommes toujours sur le sous-amendement n° 963.
M. Jean Desessard. Certes, mais on prépare 2030, madame la présidente ! (Sourires.)
Je ne sais pas comment notre groupe va traduire l’avis de sagesse de Mme la ministre (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.), mais en tout cas nous nous reconnaissons dans les déclarations du collègue Didier Guillaume selon lequel le sous-amendement de la commission dénature quelque peu l’objectif poursuivi.
Je ressens un léger décalage par rapport à la perception de cet amendement.
M. Charles Revet. C’est le moins que l’on puisse dire !
M. Jean Desessard. L’année 2030, ce n’est pas le début d’un cycle, c’est la fin d’un cycle ! Après tout ce qui a été dit sur les appartements passoires, sur la situation des personnes, sur la précarité énergétique, on ne va pas commencer la rénovation thermique en 2030 ! En 2030, on dira qu’il faut en finir ! C’est maintenant qu’il faut commencer, en mettant en place des mécanismes financiers pour aider les propriétaires et voir, le cas échéant, comment répartir les choses sur la durée entre le propriétaire et le locataire.
L’ensemble de ces mécanismes, c’est maintenant qu’il faut les mettre en application, c’est dès à présent qu’il faut lutter contre la précarité énergétique ! Donc, la rénovation thermique doit se mettre en place dès 2016, voire dès 2015 si l’on peut, mais on ne va pas attendre 2030 ! En effet, 2030, tout doit être terminé !
C'est la raison pour laquelle une mesure radicale sera prise pour obliger à agir celles et ceux qui n’auront rien fait avant 2030. Et nous choisissons de respecter les libertés plutôt que d’imposer les mêmes règles à tout le monde. Au lieu d’écrire qu’en 2030 tous les appartements et toutes les maisons devront être économes en énergie, nous proposons que la rénovation énergétique ait lieu « à l’occasion d’une mutation ».
C’est maintenant qu’il faut lutter : il ne faut pas attendre 2030, car il sera trop tard ! Si on attend 2030, c’est idiot, cela ne servira à rien et tout le bienfait de la rénovation thermique sera réduit à néant ! La date de 2030 doit concerner uniquement celles et ceux qui n’auront pas joué le jeu, celles et ceux qui n’auront manifesté aucune volonté d'agir !
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Jean Desessard. D’ici à 2030, les gens ont le temps d’envisager la vente de leur maison ou de leur appartement, ils ont le temps de s’organiser sans devoir attendre la vente de leur bien pour engager la rénovation thermique.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Le sous-amendement du rapporteur est contradictoire avec le message politique très fort que nous sommes en train de faire passer.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Exactement !
M. Ronan Dantec. En effet, il autorise le propriétaire, même après 2030, à faire lui-même son propre calcul – on ne dit même pas comment il le fera ! – pour justifier qu’il ne fait pas la rénovation énergétique. Ce que Mme Létard et moi-même proposons, c’est de mettre l’État devant ses responsabilités, précisément pour le forcer à mettre les moyens financiers à disposition des personnes concernées.
La proposition de la commission des affaires économiques est contradictoire avec la nôtre et elle complexifie énormément les choses. On ne sait plus ce qui emporte la décision – est-ce le décret, est-ce le calcul du propriétaire ? Si le sous-amendement de la commission est maintenu, nous ne pourrons que voter contre !
Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 963.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe écologiste.
Je rappelle que le Gouvernement s’en est remis à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 98 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Pour l’adoption | 156 |
Contre | 181 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je vais mettre aux voix l’amendement n° 719 rectifié.
La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. Madame la présidente, je veux réagir à l’intervention de M. Desessard et attirer l’attention sur le fait que le Sénat a voté l’article 3 B.
J’en rappelle les termes : « Avant 2030, tous les bâtiments privés résidentiels dont la consommation en énergie primaire est supérieure à 330 kilowattheures d’énergie primaire par mètre carré et par an doivent avoir fait l’objet d’une rénovation énergétique. »
Cela veut dire que tout le patrimoine privé doit avoir fait l’objet de cette rénovation énergétique avant 2030. Donc, cet amendement portant article additionnel et qui vise à préciser qu’à partir de 2030 les bâtiments privés résidentiels devront faire l’objet d’une rénovation énergétique n’a pas de sens, puisque tout aura dû être fait avant 2030.
M. Jean Desessard. Je confirme !
M. Alain Vasselle. Il n’est ni en cohérence ni en concordance avec l’article 3 B.
Aussi, j’invite notre assemblée à rejeter l’amendement n° 719 rectifié, qui est en contradiction avec l’amendement précédent et redondant avec l’article 3 B. Le groupe écologiste, s’il est cohérent avec lui-même, devrait retirer son amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 719 rectifié.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe écologiste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que l’avis du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 99 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Pour l’adoption | 181 |
Contre | 156 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 3 B.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à midi, est reprise à douze heures quinze.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Article 3
Après l’article L. 123–5–1 du code de l’urbanisme, il est inséré un article L. 123–5–2 ainsi rédigé :
« Art. L. 123–5–2. – L’autorité compétente pour délivrer le permis de construire, le permis d’aménager et prendre la décision sur une déclaration préalable peut, par décision motivée, déroger aux règles des plans locaux d’urbanisme, des plans d’occupation des sols et des plans d’aménagement de zone, dans les conditions et selon les modalités définies au présent article.
« Il peut ainsi être dérogé, dans des limites fixées par un décret en Conseil d’État, aux règles relatives à l’emprise au sol, à la hauteur, à l’implantation et à l’aspect extérieur des constructions afin d’autoriser :
« 1° La mise en œuvre d’une isolation en saillie des façades des constructions existantes ;
« 2° La mise en œuvre d’une isolation par surélévation des toitures des constructions existantes ;
« 3° La mise en œuvre de dispositifs de protection contre le rayonnement solaire en saillie des façades.
« La décision motivée peut comporter des prescriptions destinées à assurer la bonne intégration du projet dans le milieu environnant. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, sur l'article.
Mme Marie-Pierre Monier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la question de l’isolation thermique des bâtiments couvre à elle seule l’ensemble des domaines visés par la transition énergétique : la sobriété, l’efficacité énergétique, la réduction du recours aux énergies fossiles et la croissance économique induite.
Pour cela, les dispositions législatives du titre II prévoient des actions pour accélérer le grand chantier de la rénovation et réduire la consommation énergétique des bâtiments, en priorité les logements construits entre 1948 et 1988, ceux dont les déperditions énergétiques sont les plus élevées.
La commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’est saisie pour avis sur le titre II du texte. En effet, la généralisation de la rénovation énergétique des bâtiments et les contraintes qui s’y attachent posent des questions en matière de protection du patrimoine. Nous devons veiller à ce que les règles que nous allons adopter concernant la rénovation thermique des bâtiments ne soient pas un obstacle à la conservation et à la valorisation de notre patrimoine. Les professionnels de la protection du patrimoine ont d’ailleurs fait part à la plupart d’entre nous de leurs grandes inquiétudes à ce sujet.
Votre texte initial, madame la ministre, et les modifications que nos collègues députés y ont apportées n’avaient pas ignoré ces questions. Cependant, il nous a paru nécessaire d’aller un peu plus loin pour mieux affirmer que la protection du patrimoine qui fait l’objet d’une reconnaissance soit assurée.
Je voudrais également insister sur un point : certains d’entre vous connaissent déjà ma sensibilité pour les sujets qui concernent la ruralité. Ils ne seront donc pas surpris si je souligne que le patrimoine, hors des monuments, sites et zones reconnues, c’est aussi, tout simplement, le paysage ou l’architecture et l’organisation du bâti de nos villages. Les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, les ZPPAUP, et les aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine, les AVAP, intègrent d’ailleurs cette notion de patrimoine naturel et d’ensemble rural. C’est la raison pour laquelle il me semble indispensable que des dispositions soient prises pour éviter que les contraintes de la rénovation thermique des bâtiments ne se traduisent par des catastrophes esthétiques et patrimoniales.
M. Gérard Longuet. Très bien !
Mme Marie-Pierre Monier. Bien sûr, on peut faire confiance aux maires et aux propriétaires, dont la grande majorité sera attentive à ne pas défigurer leur village ou dévaloriser leurs biens. Pour autant, il ne faudrait pas que, sous les contraintes de la loi et des exigences financières, certains se trouvent obligés de renoncer à l’esthétique et à l’harmonie du patrimoine local. (M. Gérard Longuet opine.)
Voilà pourquoi, mes collègues du groupe socialiste et moi-même vous proposerons plusieurs amendements permettant, d’une part, de mieux assurer la protection du patrimoine protégé et, d’autre part, de prendre en considération le patrimoine local et rural, source majeure d’attractivité résidentielle et touristique.
Concernant le patrimoine protégé, pour l’examen du texte en commission, j’avais déposé un amendement à l’article 3 qui visait à assurer une protection architecturale de l’ensemble des bâtiments protégés, y compris dans les ZPPAUP ou les futures AVAP, les parcs nationaux et les parcs naturels régionaux, ainsi que des bâtiments dont la construction est antérieure au 1er janvier 1948. La réécriture de l’ensemble de l’article 3 a fait « tomber » cet amendement.
Nous vous proposerons un nouvel amendement, reprenant les mêmes préoccupations, mais tenant compte de la nouvelle logique de l’article 3 qui repose maintenant sur des dérogations à la main de l’autorité compétente. Nous estimons qu’un certain nombre de secteurs doivent être d’office protégés, sans possibilité de dérogation.
Par ailleurs, comme je l’ai évoqué précédemment, nous proposerons plusieurs nouveaux amendements à l’article 5 et aux articles suivants permettant de protéger le patrimoine « ordinaire ».
L’isolation par l’extérieur d’un bâtiment ancien revient à gommer la spécificité de son architecture, en détruisant tout élément en relief des façades, et peut ainsi profondément transformer la perception de l’histoire et des diversités urbaines et régionales qui se sont exprimées par l’usage de styles différents.
Ainsi, il est primordial que les monuments historiques et autres bâtiments devant être protégés, mais aussi les bâtiments anciens ayant un caractère de patrimoine rural, ne soient pas contraints à une isolation énergétique par l’extérieur. Ils doivent faire l’objet de prescriptions dérogatoires ou, au cas par cas, de travaux d’isolation interne.
La réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’isolation thermique, la maîtrise énergétique constituent les grands défis du XXIe siècle, j’en suis consciente. Conduire une politique ambitieuse dans ce sens ne saurait cependant, en aucun cas, nous dédouaner de l’obligation de préservation de notre patrimoine commun. Les monuments, les sites naturels ou bâtis exceptionnels et les ensembles architecturaux anciens sont nombreux en France et constituent un héritage irremplaçable, témoin des différentes cultures et identités de notre pays. Ne les détériorons pas de manière irrémédiable, même dans un objectif louable d’économie d’énergie. J’espère que, dans sa grande sagesse, le Sénat prévoira pour ce type de patrimoine des aménagements et dérogations légales, comme le prévoient nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, sur l’article.
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons avec cet article 3, et nous y reviendrons avec l’article 5, la compatibilité entre les principes fixés en matière de transition énergétique et les nécessités du patrimoine.
Notre collègue vient de s’exprimer sur ce point et nous écouterons M. Leleux qui ira dans le même sens dans un instant. Pour ma part, je soulignerai simplement, mais avec une certaine solennité, madame la ministre, combien le patrimoine est un atout pour notre pays et combien il importe de le préserver ou, tout au moins, de trouver une conciliation préservant ce patrimoine dans le cadre des logiques défendues au titre de la transition énergétique.
Je limiterai mon propos à deux points. Le premier va dans le sens d’une recherche de cohérence, le second vise à souligner la confiance qu’il convient d’accorder à l’ensemble des élus et aux outils juridiques qui ont été constitués au fil du temps pour la préservation du patrimoine.
Premier élément donc : la cohérence.
Nous aurons en effet, madame la ministre, à gérer une sorte de compatibilité pour la période la plus proche entre trois textes : le projet de loi que vous défendez depuis quelques jours devant notre assemblée ; le projet de loi sur le patrimoine prévu par Mme la ministre de la culture, qui nous est parfois annoncé comme devant porter sur le patrimoine et l’architecture – plusieurs avant-projets ont circulé, nous aurons des dispositions strictement patrimoniales ; un texte consacré à la biodiversité, que vous portez également, madame la ministre, et dont certains éléments concernent la réforme de la commission supérieure des sites, perspectives et paysages.
Or, quand nous traitons du patrimoine bâti, nous sommes aussi, d’une certaine manière, sur le patrimoine naturel tant dans les logiques internationales – je ne reviens pas sur le Mémorandum de Vienne ou sur les recommandations données au titre de la Convention nationale du patrimoine de 2011 – nous raisonnons de plus en plus aujourd’hui sur la notion de paysage historique.
Vous le voyez, ce que nous adopterons en matière de transition énergétique doit être vraiment écrit, selon la formule classique, la main tremblante, afin de trouver la bonne cohérence avec les futures dispositions en matière de patrimoine.
Second élément : vous demander, madame la ministre, mes chers collègues, d’accorder vraiment toute notre confiance au travail des élus au service du patrimoine de notre pays. Nous avons au fil du temps, au cours des décennies, élaboré un certain nombre d’outils juridiques, que chacun connaît dans cette assemblée, qui se sont révélés pertinents pour la défense du patrimoine. Il convient absolument, dans le cadre des dispositions forcément générales de la transition énergétique, d’adopter des dispositions spécifiques permettant de préserver le patrimoine. Celui-ci ne peut, en effet, se plier à des règles générales, à des écritures, que ce soit en ce qui concerne l’isolation extérieure ou la possibilité d’avoir tel ou tel élément saillant sur le domaine public. Le patrimoine a sa subtilité, sa finesse, sa qualité. Il a fallu très longtemps pour le constituer, il pourrait être très vite déstabilisé si nous adoptions des modalités inadéquates.
Je n’en prendrai qu’un court exemple. J’ai eu l’honneur, pendant dix-neuf ans, de gérer une ville complètement rouge, rouge par ses façades constituées de brique…
M. Jean-Claude Requier. Rose !
M. Philippe Bonnecarrère. Rose, si vous le souhaitez, monsieur Requier. Le cadre de cette ville, dont la cité épiscopale est classée au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2010, ne s’adapterait absolument pas aux règles d’isolation extérieure. Elle est non seulement rose ou rouge par ses façades de brique, mais elle l’est également par la cinquième dimension : les toitures, de tuiles canal, dites « romanes ». Si demain, y étaient intégrées des cellules photovoltaïques, seraient totalement changés le cadre, la couleur, l’esthétique et la logique patrimoniale, et, accessoirement, les éléments de la valeur universelle exceptionnelle au titre de laquelle la ville a été classée.
Cet exemple n’est, bien sûr, destiné qu’à souligner l’importance du patrimoine et de son adaptation et, donc, la confiance qui doit être accordée aux élus locaux.
Mon intervention vaut aussi, bien évidemment, explication de vote pour l’ensemble des amendements qui seront présentés dans la logique du travail réalisé par la commission de la culture ou des amendements déposés par M. Leleux et que j’ai cosignés.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, sur l’article.
M. Jean-Pierre Leleux. Mes propos sur cet article 3 vont rejoindre ceux de Mme Monier et, bien sûr, ceux de M. Philippe Bonnecarrère.
Cet article 3, comme vous le savez, a trait à l’isolation thermique assurée essentiellement par des dispositifs extérieurs, dont la technologie ne cessera, à n’en pas douter, de s’améliorer, mais qui consiste à envelopper les bâtiments, à les emballer, en quelque sorte, dans des matériaux d’une épaisseur de dix à vingt centimètres.
La version initiale de cet article proposé par le Gouvernement, qui a été peu modifié par l’Assemblée nationale, visait à lever les freins à l’isolation par l’extérieur en interdisant à l’autorité compétente, c’est-à-dire aux maires ou aux présidents de la communauté responsable, de refuser un permis, même si celui-ci enfreignait les règles locales – PLU, POS, etc. – en matière d’emprise au sol par l’épaisseur des murs, de hauteur et d’aspect extérieur, voire d’esthétique, en cas d’une isolation en saillie ou en façade, ou par surélévation des toitures des constructions existantes.
Cet article, comme l’ont rappelé notre rapporteur dans son intervention générale ainsi que nos collègues à l’instant, a suscité une levée de boucliers dans les milieux professionnels ou politiques passionnés par la préservation et la mise en valeur de notre patrimoine, grande richesse touristique et humaine de notre pays.
Cette crainte était légitime, car ne pouvant plus interdire des travaux réalisés avec ces matériaux isolants le maire perdait finalement la maîtrise sur son propre territoire. Une altération du bâti et une dégradation esthétique étaient à craindre, tant il est vrai que cette technique d’isolation extérieure suppose une destruction préalable des éléments de décor et de charpente préexistants. Une telle mesure non encadrée pouvait progressivement conduire à une forme d’altération de l’environnement de nos territoires.
Par une vision tout à fait intelligente et pertinente de notre rapporteur, le regard a été inversé : dans le texte qui nous est proposé, il n’est plus question d’interdire aux maires d’interdire ; il est question de les autoriser à autoriser !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. C’est exactement cela !
M. Charles Revet. C’est beaucoup mieux !
M. Jean-Pierre Leleux. C’est bien mieux, en effet, et je salue la lumière qui a présidé à la rédaction de cet article !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. C’est le Saint-Esprit qui m’est tombé dessus ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Leleux. Cela ne m’étonne pas ! (Nouveaux sourires.)
Je salue cette évolution, mais, très franchement, je pense qu’il faut encadrer ce pouvoir dérogatoire des responsables, des autorités compétentes. J’ai quelques craintes sur la qualité des réalisations de ces isolations en saillie sur l’extérieur de façades situées dans les environnements qualitatifs de nos territoires. Puis, parfois, les maires subissent de fortes pressions de la part des maîtres d’œuvre et des fabricants pour utiliser ces techniques et ces matériaux dont la qualité et les prix vont forcément être à la baisse. La loi peut les aider à refuser certaines mesures.
C’est la raison pour laquelle nous souhaitons – nous sommes une vingtaine de sénateurs de gauche, du centre et de l’UMP – encadrer la possibilité pour l’autorité compétente de déroger, par l’exclusion d’un certain nombre d’espaces, notamment ceux qui sont protégés par des règlements, tels les secteurs sauvegardés, les ZPPAUP ou les AVAP, la proximité d’éléments patrimoniaux importants et les bâtiments dont la construction est antérieure à 1948. Ainsi, on se concentrera sur l’isolation éventuelle par l’extérieur des immeubles dont la déperdition énergétique est beaucoup plus importante, ceux qui ont été construits dans les années 1950, 1960 et 1970. Il s’agit donc de proposer des exclusions au pouvoir dérogatoire de l’autorité compétente, quitte à demander, dans certains cas, l’avis de l’architecte des Bâtiments de France sur le permis de construire.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, sur l’article.