M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Vous êtes dans votre logique, monsieur Dantec, mais c’en est fini de la liberté !
M. Jean Desessard. C’est la loi !
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Comment ça, c’est la loi ? En France, on fait ce que l’on veut de son logement ! Il ne faut pas qu’une mesure législative condamne demain le Français à vendre lorsqu’il n’a pas les moyens de réaliser un certain nombre de travaux.
La commission a, bien sûr, émis un avis défavorable sur cet amendement. Avec cette inflation d’obligations supplémentaires, vous êtes parfaitement dans votre logique ; je ne suis pas surpris que vous proposiez cet amendement, qui est, de mon point de vue, liberticide. (Mme Vivette Lopez et M. Daniel Chasseing applaudissent.)
M. Ronan Dantec. Oh !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre. Ce débat est intéressant. Vous souligniez hier, monsieur le rapporteur, que l’Allemagne réussissait à rénover 720 000 logements par an. Or, justement, il existe des règles très contraignantes outre-Rhin et la rénovation des logements est obligatoire au moment des mutations. Depuis très longtemps, l’Allemagne a fait ce pari, afin d’envoyer un signal fort.
Comme vous le disiez très justement, monsieur le sénateur, le projet de loi ne prévoit pas de contrainte. La société tout entière doit s’engager dans cette transition énergétique et considérer que les travaux d’isolation des logements constituent une chance : une chance pour créer des activités, une chance pour la croissance verte, une chance pour que les entreprises du bâtiment et les artisans aient du travail, une chance pour que les gens n’hésitent plus.
En outre, l’objectif, fixé à 2030, est tout de même très lointain, et relié à l’amendement que vous venez d’adopter. Les gens se diront qu’ils auront jusqu’en 2030 pour rénover leur logement et pourront ainsi décider de réaliser cette année les doubles vitrages, l’année prochaine les combles, l’année suivante l’isolation des façades, etc.
De toute façon, ces travaux valoriseront leur bien. Dans quelques années, un logement qui ne sera pas bien isolé aura perdu beaucoup de sa valeur. (M. Jean Desessard applaudit.) C’est donc aussi une façon d’aider les propriétaires à valoriser leur bien,…
M. Jean Desessard. Évidemment !
Mme Ségolène Royal, ministre. … à le vendre dans de meilleures conditions. Depuis que l’affichage de la performance énergétique est obligatoire dans les documents notariés, les gens y sont de plus en plus attentifs. Ils prennent en compte les factures d’énergie qu’ils sont obligés de payer tous les trimestres…
M. Jean Desessard. Évidemment !
Mme Ségolène Royal, ministre. … et constatent combien l’investissement dans l’isolation énergétique est important.
Il est d’autant plus crucial d’accélérer le mouvement que des efforts considérables sont déployés par les collectivités territoriales pour implanter des lieux d’information sur les travaux d’économie d’énergie, de même que par les artisans pour se former aux travaux d’isolation d’énergie. Si nous accompagnons ce mouvement, les acteurs économiques seront poussés à investir et les particuliers à placer leurs économies dans les travaux d’isolation d’énergie, valorisant ainsi leur patrimoine immobilier, qui sera vendu dans de meilleures conditions.
Il s’agit non pas d’une contrainte, monsieur le rapporteur, mais d’un signal fort. Les gens doivent avoir envie de s’engager dans cette transition, sans qu’on les menace de quoi que ce soit. S’ils n’ont pas les moyens financiers, ils ne feront pas les travaux. L’idée, c’est qu’ils se saisissent très rapidement du crédit d’impôt, des prêts à taux zéro, des sociétés de tiers-financement et que la multiplication des commandes fasse baisser le prix des travaux d’isolation et augmente leur performance. Nous réussirons ainsi à baisser les consommations énergétiques. C’est un processus gagnant pour les citoyens qui vont réaliser des économies d’énergie, pour les territoires qui vont créer des emplois dans les filières du bâtiment et pour la planète dans la lutte contre le réchauffement climatique.
L’urgence climatique doit s’accompagner de l’accélération de la transition énergétique ; c’est de cette façon que nous serons les plus efficaces en termes de création d’activités et d’emplois.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement. (M. Jean Desessard applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Au travers de cet amendement, nous votons un objectif, fixé à 2030, ce qui laisse un certain temps pour trouver les moyens nécessaires à sa réalisation. Les pouvoirs publics doivent avoir conscience qu’une telle décision suppose la création de nouveaux outils de financement.
À cet égard, il importe que les plates-formes énergétiques aillent vers les gens et non l’inverse ; je déposerai d'ailleurs un amendement en ce sens. Les personnes âgées, par exemple, ne sont pas informées, ont peur que ce soit trop cher, etc. Même si elles ont effectué régulièrement des travaux parce qu’elles en avaient les moyens ou ont fait appel à un tiers financeur, à soixante-dix ou à quatre-vingts ans, au moment de la mutation, si leur logement n’est pas aux normes, les banques ne leur prêtent plus et les sociétés de tiers financeur ne peuvent plus agir.
Il faut donc trouver un système de prêt qui permette de déduire l’argent investi au moment de la revente. Un montage financier, technique, juridique doit être créé, un outil spécifique admettant que le montant de la réalisation des travaux soit déduit du prix au moment de la mutation. Pour l’heure, ces outils sont à peu près inexistants.
Pour autant, se fixer des objectifs à l’horizon de 2030, c’est aussi se donner l’obligation de trouver les moyens. Nous avons eu un débat du même ordre pendant des lustres s'agissant du droit au logement opposable : fallait-il instaurer un tel droit sans savoir comment loger tout le monde ou fallait-il l’instaurer pour s’imposer de loger tout le monde ? Manifestement, prévoir une obligation n’implique pas toujours d’y mettre les moyens.
En tout cas, madame la ministre, j’espère que la nation se donnera les moyens de faire entrer les propositions de notre collègue Dantec dans les faits sans que ce soit une pénalité pour les plus faibles. (M. Didier Guillaume applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Je rejoins complètement le propos de Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous le savons, il convient de mettre au point un outil financier opérationnel, et ce bien avant 2030 puisque celui-ci servira dans d’autres domaines. La facilité d’accès au crédit, notamment par le tiers-financement, est un point clé pour une loi efficace.
Je remercie le rapporteur, M. Ladislas Poniatowski, d’avoir clairement remis la droite à droite et la gauche à gauche. Le mot « liberticide » me semble devoir être réservé aux situations qui le nécessitent vraiment, mon cher collègue.
M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. La liberté de vendre !
M. Ronan Dantec. Néanmoins, c’est un vrai discours libéral qu’a tenu le rapporteur, et il est clair aujourd’hui que l’état de la planète provient du libéralisme, de l’incapacité à introduire de la régulation. Il est faux de penser que les choses s’arrangeront spontanément, par la « carotte », par la seule incitation, que nous retrouverons ainsi une trajectoire inférieure à deux degrés. Il faut des règles. Mme la ministre a rappelé le cas de l’Allemagne, qui sert parfois d’exemple même au rapporteur en matière de réhabilitation et de rénovation du parc de logements, qui a atteint ses objectifs grâce à des règles contraignantes.
De surcroît, cette disposition est en cohérence avec celle que nous avons adoptée hier. Nous avons adressé un premier signal en 2020 sur la rénovation du parc locatif privé ; nous en donnons un second en 2030 pour un certain nombre d’entreprises. Un vrai schéma cohérent d’engagement, de création de filières et de formations est ainsi créé. Étape par étape, nous instaurons de la cohérence dans la loi.
Enfin, en termes de liberté, sans employer des mots trop forts, je souligne que les logements qui sont des passoires thermiques connaîtront de plus en plus une décote. Si nous ne prévoyons pas d’obligation, ce sont donc les plus modestes qui se retrouveront dans de tels logements : soit ils ne pourront pas se chauffer, soit ils se retrouveront en situation de précarité financière énergétique et d’endettement.
La mesure que nous proposons est tout à fait raisonnable et rationnelle. Nous pourrions tous la voter, en gardant à l’esprit la remarque formulée par Mme Lienemann à propos de l’accompagnement bancaire qu’il reste à trouver. Nous avons le temps d’y parvenir.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je voulais effectivement attirer votre attention sur la remarque formulée par Mme Marie-Noëlle Lienemann : à partir d’un certain âge, il n’est plus possible d’obtenir de crédits.
Je connais, dans mon département, des agriculteurs touchant 700 euros de retraite par mois (M. Alain Gournac opine.) ou des artisans qui se chauffent au bois parce qu’ils ne peuvent pas se chauffer à d’autres énergies et n’ont pas les moyens de rénover leurs bâtiments. De plus, M. le rapporteur a évoqué ce point, certains vont aller en EHPAD et s’ils ne peuvent pas payer les frais d’hébergement, le département leur viendra en aide, mais le bien devra être cédé. Or ce bien ne pourra être vendu s’il n’est pas rénové. L’amendement précise bien que les logements « devront faire l’objet d’une rénovation énergétique ».
Vous avez indiqué, madame la ministre, que ces mesures étaient bénéfiques pour l’artisanat et pour l’économie. Il faut favoriser la rénovation énergétique. L’enjeu majeur de la transition énergétique, c’est l’isolation des bâtiments ; nous en sommes d’accord. Cependant, on ne peut imposer une obligation si les gens n’ont pas les moyens de la mettre en œuvre. Il faut les inciter, mais il n’est pas possible de les obliger à agir.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Monsieur le rapporteur, n’y voyez rien de personnel, mais je vais une nouvelle fois faire des remarques sur vos observations, en lien avec les options que vous défendez.
Cet amendement, vous l’avez vous-même souligné, monsieur le rapporteur, n’a rien de contraignant, sauf à partir de 2030. Nous avons donc le temps de nous y préparer, qu’il s’agisse des moyens à mettre en œuvre, des crédits à apporter, des modulations techniques. Votre analyse m’a semblé très intéressante.
La question se pose de savoir si votre discours relève de la bonne intention ou si vous avez une réelle volonté en matière de rénovation thermique. J’avais compris que nous étions tous d’accord, à gauche comme à droite, dans cet hémicycle et à l’Assemblée nationale, sur la rénovation thermique - nous avions eu, bien sûr, des débats sur le nucléaire, mais je n’y reviendrai pas.
Vous ne pouvez pas renoncer au motif que cela coûte cher ! De toute façon, à court terme, cela va coûter cher. Même si des économies seront réalisées sur trente, quarante, cinquante ans, il y a bien un moment où il faudra avancer l’argent. Si vous reculez devant l’obstacle, nous n’y arriverons jamais.
Un discours d’intentions, c’est dire qu’il faut le faire, mais s’arrêter à la moindre difficulté. Il faut tout de même prévoir des conditions. Ce n’est nullement « liberticide », monsieur le rapporteur !
Les particuliers ont la possibilité de s’organiser d’ici à 2030 ! Ils peuvent ainsi engager des travaux avant une mutation. Mais si vous ne fixez pas d’objectif, rien ne se fera jamais. Cela revient à tenir un discours plein de bonnes intentions sans prévoir d’acte de mise en œuvre.
Mme la ministre a décrit tous les avantages du dispositif. J’en ajouterai deux autres.
Monsieur le rapporteur, nous avons participé ensemble à une mission commune d’information sur l’électricité. Nous voulons tous l’indépendance énergétique pour notre pays. Or moins il y aura de consommation, plus cette indépendance sera grande.
Nous savons qu’il est difficile de gérer les écarts de consommation. Plus la rénovation thermique sera mise en place rapidement, plus les écarts seront réduits. En revanche, plus vous mettrez du temps à l’instaurer, plus les écarts seront importants. En effet, c’est au même moment que l’on consomme, dans l’année, par jour et en termes d’horaires. Cela signifie que l’on devra construire des centrales thermiques. Autrement dit, il faudra bien les payer ! Le coût de l’électricité sera plus cher pour le consommateur, et l’État devra lui aussi payer.
Vous nous dites que notre proposition représente un investissement coûteux, mais elle est économique à long terme. Ce que vous ne faites pas maintenant parce que cela coûterait cher pour le particulier, finira par coûter cher à l’État ou aux entreprises et donc, finalement, au consommateur ! Vous ne faites absolument pas d’économie !
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Létard, pour explication de vote.
Mme Valérie Létard. Je ne vais pas répéter les propos qui ont été largement exposés sur toutes les travées. Nous sommes tous d’accord : la rénovation thermique des bâtiments et de l’habitat privé ancien est une nécessité, et l’un des éléments qui permettra d’atteindre les objectifs que nous visons collectivement.
Monsieur Dantec, nous ne pouvons que partager les objectifs inscrits dans l’amendement que vous portez. Mais, comme l’a dit Marie-Noëlle Lienemann qui parle d’expérience, et tous les élus locaux le savent, il faut se demander quels sont les ménages qui ont le plus de difficultés à accompagner la rénovation thermique de leur logement. Qui sont les ménages propriétaires occupants en situation de surendettement pour des consommations d’énergie trop élevées parce qu’ils vivent dans de l’habitat dégradé ?
Ce sont les ménages les plus modestes. Ce sont donc eux qui auront le plus de mal, le jour où ils voudront céder leur logement ou faire les travaux, à être suffisamment solvables pour mener à bien leur projet.
Le programme « Habiter mieux » regroupe les outils mis en place par l’Anah pour que tous les petits propriétaires occupants, qui sont retraités, qui sont des personnes vivant tant en milieu rural qu’en milieu urbain, soient accompagnés dans cette solvabilisation. Or, on le sait, nous arrivons au bout du dispositif et les moyens s’épuisent.
M. Philippe Dallier. Il n’y a plus de financement !
Mme Valérie Létard. Aujourd’hui, se pose donc la question de ce que vont devenir ces ménages modestes, voire très modestes. Il faut trouver les modalités d’accompagnement de l’objectif visé.
Pour ma part, je proposerais bien à Mme la ministre, à M. le rapporteur et surtout à M. Dantec, qui en est l’auteur, de rectifier cet amendement pour ajouter les mots « sous réserve des outils financiers qui permettront d’atteindre cet objectif ». (M. Alain Gournac s’exclame.) Comme l’a dit à juste titre Marie-Noëlle Lienemann, imaginez le cas d’une personne retraitée, propriétaire d’une petite maison, qui doit partir en maison de retraite parce qu’elle est atteinte d’une maladie neurodégénérative. Elle devrait alors vendre son logement, mais, comme elle a une toute petite retraite, elle n’a pas les moyens de faire les travaux : il lui serait impossible de vendre son logement !
On le voit bien, il y a des limites à cet exercice. Il faut accompagner les ménages les plus modestes, qui sont pénalisés. Je suis d’accord à 100 % avec l’objectif de cet amendement, que je voterai si M. Dantec accepte d’y faire figurer la garantie sur le financement. Cette question reviendra à plusieurs reprises dans le débat.
Les ambitions vertueuses doivent s’accompagner de mesures en faveur des personnes les plus fragiles. Les objectifs et les visées en matière environnementale creusent le fossé entre ceux qui peuvent accompagner cette évolution et les autres.
On ne doit jamais perdre de vue que tout ce qui touche à la solidarité, à l’environnement et à l’écologie doit être pensé collectivement et de façon cohérente, car si l’on ne prévoit pas d’outils d’accompagnement, on créera un véritable fossé entre ceux qui ont les moyens de s’adapter à la transition énergétique et ceux qui ne les ont pas.
Mme la présidente. La parole est à Mme Odette Herviaux, pour explication de vote.
Mme Odette Herviaux. À ce moment du débat, je souhaiterais évoquer la situation des locataires qui ont de faibles revenus. Ma réflexion porte sur l’amendement dont nous discutons, mais également sur les deux précédents.
Ceux d’entre nous qui siègent au CCAS de leur commune peuvent constater que vivre, surtout en zone rurale, dans une maison de bric et de broc ou mal rénovée, véritable passoire à chaleur, chauffée avec des radiateurs de style « grille-pain », coûte cher au propriétaire – je vous l’accorde –, mais surtout au locataire.
Pour vivre dans ce type de logement, les locataires engloutissent beaucoup d’argent, parfois des sommes vraiment astronomiques au regard de leur revenu moyen. Et plus le logement loué est dévalorisé parce qu’il n’a pas été rénové, plus le coût du chauffage et de l’électricité est important.
Quand on dit que cela coûte cher, c'est d’abord pour les locataires de ces logements. Comme ils ne peuvent souvent pas payer leurs factures d’électricité, ce sont ensuite les CCAS qui, par des accords, prennent le relais. Au final, cela coûte cher aussi à la collectivité, et d’une autre manière.
M. Didier Guillaume. Très bien !
Mme Odette Herviaux. Il faut donc, bien sûr, évoquer la situation des propriétaires qui ne roulent pas sur l’or et prendre les précautions nécessaires, mais ne pas oublier que, globalement, les locataires sont les premiers à subir le contrecoup de l’absence de mise aux normes et de réfection de ces logements. (M. Didier Guillaume applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour explication de vote.
M. Jean-Noël Cardoux. Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais je considère que ce débat est assez surréaliste !
J’approuve tout à fait les conclusions de notre rapporteur. Nous nous inscrivons dans une démarche libérale, que bien entendu M. Dantec n’a pas souhaité suivre.
M. Ronan Dantec. Merci de le souligner !
M. Jean-Noël Cardoux. Nous sommes déjà dans une économie administrée (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) ; allons-nous maintenant également administrer la vie et les choix des Français ? Considérons-nous comme normal que dans quelques années, si l’on poursuit une telle dérive, chacun d’entre nous doive avoir son petit livret, dans sa vie individuelle de tous les jours, pour savoir ce qu’il a le droit de faire ou de ne pas faire ?
M. Jean Desessard. Oui ! C’est normal !
M. Marc Daunis. Cela s’appelle la loi !
M. Jean-Noël Cardoux. Imposer de telles choses – je reviendrai sur la question du délai à l’occasion de l’examen d’un texte sur l’énergie – me paraît assez surréaliste. Je suis peut-être « à côté de la plaque », mais je tenais à le dire.
Par ailleurs, nous sommes en train de légiférer pour 2030. Or, 2030, c’est dans quinze ans, c’est presque une génération. Pouvons-nous nous arroger le droit de prendre de telles décisions pour les léguer aux générations futures ? (MM. Ronan Dantec et Jean Desessard s’exclament.) Nous allons déjà leur léguer collectivement des déficits budgétaires considérables, que l’on a chiffrés de manière individuelle par Français et qui seront extrêmement lourds !
Allons-nous ajouter à ces charges collectives, que le gouvernement alors en fonction devra bien assumer, des charges individuelles résultant de tels textes ? J’avoue que je suis assez sidéré qu’on puisse l’imaginer.
Enfin, madame la ministre, bien entendu ces travaux, en 2030, seront réalisés par des entreprises et des artisans. Mais croyez-vous que, actuellement, les artisans, vu la situation qu’ils connaissent en termes de besoin de travail, seront sensibles à l’argument selon lequel on leur donnera du travail en 2030 ? Les artisans, à l’heure actuelle, sont confrontés à des difficultés importantes et c'est maintenant qu’il faut leur apporter des solutions, ce n’est pas en 2030 !
J’ai simplement voulu exprimer ce que je ressentais à l’occasion de ce débat et, bien évidemment, vous l’aurez compris, je ne voterai absolument pas cet amendement.
M. Jean Desessard. Même en 2025 !
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Pour ma part, je ne me placerai pas sur le terrain des libertés individuelles. L’objectif, nous le partageons tous. Cependant, je ne veux plus voter d’amendement ou de texte qui promettent, à terme, monts et merveilles sans savoir si nous sommes capables d’y parvenir et comment nous allons procéder. (Mme Valérie Létard s’exclame.)
Nous sommes en 2015. Rappelez-vous, mes chers collègues : en 2005, il y a dix ans, nous avons voté, à l’unanimité, je crois, ici, au Sénat et à l’Assemblée nationale la fameuse « loi handicap ». Je ne me souviens plus exactement comment cela s’est passé, mais il me semble que nous l’avons fait sans évaluation des coûts pour les collectivités locales. Et nous avons laissé croire à nos concitoyens que nous allions mettre à niveau tous les bâtiments publics. Pour ma commune de 22 000 habitants, il fallait trouver 15 millions d’euros. Nous avons été incapables de le faire, même si, avec de la bonne volonté, nous avons fait des choses.
Dix ans plus tard, nous avons rendez-vous avec les Français et nous, parlementaires, sommes bien obligés de leur expliquer que, une fois de plus, nous avons voté une loi généreuse, mais que nous sommes désolés de ne pas avoir été capables de la mettre en œuvre.
Le DALO, le droit au logement opposable, n’est-ce pas un peu la même chose ? Bien évidemment, il faut un toit pour chacun, pour chaque famille. Et nous avons voté le DALO en sachant toutes les difficultés que nous aurions pour le mettre en œuvre.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C'est la droite qui l’a fait !
M. Philippe Dallier. Oui, vous avez raison, madame Lienemann. La loi handicap et le DALO, c’était nous ; je ne dis pas le contraire. Mais nous avons tous voté ces deux lois !
Aujourd’hui, quelques années plus tard, nous sommes confrontés à la réalité : nous n’avons pas été capables de mettre en œuvre le DALO. Dans les zones non tendues, il n’y a pas de problème ; mais, dans les zones tendues, on aboutit à des situations complètement absurdes. Les particuliers font condamner l’État par le tribunal administratif, ce qui ne signifie rien puisqu’on prend dans une poche de l’État pour mettre dans une autre. Que croyez-vous que les Français en pensent ? C'est la véritable question qu’il faut se poser.
Si je partage bien évidemment l’objectif de cet amendement, je ne peux plus voter de textes qui fixent de grandes ambitions sans dire comment les atteindre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Annick Billon applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. J’irai dans le sens de mes deux collègues précédents : l’idée est bonne, mais il faut bien en mesurer les conséquences.
Là où les particuliers n’auront pas les moyens de faire les travaux nécessaires, nous allons avoir des friches urbaines ou rurales, alors même qu’il y a de plus en plus de personnes mal logées dans notre pays. L’idée n’est pas détaillée de façon suffisamment précise pour arrêter la date de 2030.
Pour ma part, je ne peux pas voter un tel amendement, qui va engendrer des conséquences terribles que l’on n’a pas forcément mesurées. C’est une bonne idée, mais cela reste au stade de la bonne idée.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, pour explication de vote.
M. Michel Le Scouarnec. Je partage beaucoup de points de vue qui ont été exprimés, notamment par les Verts pour ce qui est des objectifs, mais également et surtout par Mme Létard, sur la question des moyens, et par M. Dallier, s’agissant des promesses faites, mais qui ne sont pas tenues, ce qui est politiquement dangereux.
Nous pouvons réussir si nous prenons des engagements fermes et clairs. Dans cette affaire, il faut de l’enthousiasme. Nous sommes à un moment de grande crise dans lequel il faut se fixer des objectifs ambitieux et dégager les moyens nécessaires, car cela permettra de créer de nombreux emplois.
Nous sommes capables de faire une grande œuvre sur la question du logement, tant en créant de nouveaux logements de qualité qu’en rénovant d’anciens logements, ce qui est plus difficile. Si l’État se porte garant, si tous ensemble nous élaborons un document précis assorti de garanties, nous pouvons redonner un peu d’espoir à nos concitoyens.
Aujourd’hui, non seulement la situation est complexe, mais nous n’arrivons plus à donner de l’espoir aux gens. (M. Ronan Dantec opine.) C'est très grave ! Ce projet peut nous permettre d’inverser la tendance. Prenons des engagements fermes et clairs. Allons-y, car c’est une grande affaire ! (Mme Cécile Cukierman applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. René Danesi, pour explication de vote.
M. René Danesi. Selon moi, cet amendement se heurte à la réalité du quotidien. En effet, en plus des personnes âgées, déjà citées par notre collègue Mme Lienemann, il y aura les héritiers, qui auront du mal à se mettre d’accord sur les modalités de financement de la rénovation de l’appartement ou de la maison.
Il y aura aussi les divorcés – ils sont nombreux –, qui, vu qu’ils ne s’entendent plus sur tout – généralement, ils ne s’entendent plus sur rien (Sourires.) –, auront certainement les plus grandes difficultés à se mettre d’accord sur les conditions de financement de la rénovation d’un logement qu’ils comptent vendre.
Telles sont les réalités du terrain.
Par conséquent, à partir de 2030, chaque année des dizaines de milliers de personnes ne pourront pas appliquer la loi.
Au demeurant, consacrer cette obligation me paraît inutile, pour une raison toute simple : comme Mme la ministre l’a fort bien dit, le marché de l’immobilier se traduira par des décotes très élevées pour tous les logements qui ne seront pas mis aux normes en matière d’isolation. (M. Ronan Dantec s’exclame.) Pourquoi vouloir obliger les propriétaires à des travaux qu’ils ne seront pas en mesure de réaliser (M. Jean Desessard s’exclame.), d’autant qu’il y aura ensuite la sanction toute naturelle du marché ?
Le bon sens invite à ne pas s’engager dans cette voie. Par conséquent, je ne voterai pas cet amendement.
M. Alain Gournac. Moi non plus !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.