Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous devons aussi faire évoluer le regard que nous portons sur le code frontières Schengen actuel.
Nous devons l’interpréter intelligemment pour que des contrôles plus réguliers, plus systématiques puissent s’exercer sur des vols en provenance d’un certain nombre de pays, de manière à assurer une plus grande efficacité des contrôles de la police de l’air et des frontières dans les aéroports.
Mais nous devons aussi accepter d’engager, au sein de l’Union européenne, une réflexion permettant une modification rapide du code précité, destinée non pas à remettre en cause l’atout que représente la liberté de circulation en Europe, mais à faire en sorte que celle-ci se conjugue avec l’exigence de sécurité dont nous avons besoin. (M. Robert del Picchia applaudit.)
Nous avons besoin de plus de coopération européenne, de plus de coopération internationale.
Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, notre agenda est riche. Il nous engage !
En conclusion, comme le Premier ministre l’a fait tout à l'heure devant les députés, je veux indiquer que le Gouvernement est déterminé à réaliser ce travail avec vous. Des propositions seront élaborées rapidement, parce que nous devons être dans le mouvement et avoir une réaction efficace et véloce. Nous vous associerons à cette réflexion, parce que nous voulons, en matière de lutte contre le terrorisme, une unité nationale et les meilleures dispositions, adoptées dans le consensus le plus large.
Enfin, je veux vous dire que tout ce que nous allons faire ensemble doit être inspiré par la volonté, que vous avez soulignée et qui nous rassemble, que la laïcité, qui permet à la République d’accueillir en son sein tous les enfants, et le respect des valeurs de liberté, de tolérance, ainsi que le respect de l’autre, aussi différent de nous soit-il, continuent à prévaloir sur toutes les formes de terrorisme et d’intolérance. En effet, ce qu’a révélé la manifestation de dimanche et ce que révèle l’unité qui préside à notre action, c’est l’amour que nous avons de la République et de ses valeurs. C’est cet amour qui nous donne de la force face aux attaques des terroristes ! (Applaudissements nourris et prolongés.)
M. le président. Mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d’État, mes chers collègues, je tiens à vous remercier d’avoir rendu hommage aux victimes des attaques terroristes et d’avoir partagé les interrogations que nous inspirent ces drames.
Monsieur le ministre, vous le savez, le Sénat est disponible, vigilant et engagé !
Nous en avons terminé avec le débat sur les attaques terroristes dont la France a été victime.
11
Nomination de membres de commissions
M. le président. Je rappelle au Sénat que :
- le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour la commission des affaires sociales ;
- le groupe communiste républicain et citoyen a présenté une candidature pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ;
- le groupe socialiste et apparentés a présenté une candidature pour la commission des affaires européennes.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :
- Mme Patricia Morhet-Richaud, membre de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Jean-Yves Dusserre, décédé ;
- M. Patrick Abate, membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en remplacement de M. Jean-Marc Todeschini, dont le mandat de sénateur a cessé ;
- Mme Gisèle Jourda, membre de la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Jean-Marc Todeschini, dont le mandat de sénateur a cessé.
12
Nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour la délégation sénatoriale aux entreprises.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame Mme Patricia Morhet-Richaud membre de la délégation sénatoriale aux entreprises, en remplacement de M. Jean-Yves Dusserre, décédé.
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
13
Autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées en Irak
Débat et vote sur une demande du Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle un débat sur la demande du Gouvernement d’autorisation de prolongation de l’intervention des forces armées en Irak, en application du troisième alinéa de l’article 35 de la Constitution, suivi d’un vote sur cette demande d’autorisation.
La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, par coïncidence, c’est le même jour que le Parlement est appelé à débattre avec le Gouvernement de la situation en matière de terrorisme, des actions d'ores et déjà engagées et restant à engager face à cette menace, et à se prononcer sur la demande d’autorisation de prolongation de l’intervention de nos forces armées en Irak.
En effet, c’est le 19 septembre dernier que le Président de la République a décidé de faire intervenir nos forces armées dans ce pays, à la demande des autorités irakiennes, confrontées à une organisation terroriste du nom de Daech.
Le 24 septembre, j’avais eu l’occasion, dans cette enceinte, de vous exposer les motifs et les conditions de l’engagement de nos moyens de défense, dans le cadre d’une coalition internationale. Depuis lors, aussi bien mon collègue ministre de la défense que moi-même nous sommes tenus à votre disposition pour vous apporter des informations sur la situation, chaque fois que vous l’avez souhaité.
Si nous sommes intervenus en Irak, c’est parce que, depuis la chute de Mossoul, Daech avait réussi à contrôler près du tiers du territoire irakien et à maîtriser les principaux points de communication et les axes stratégiques, ce qui menaçait la capitale, Bagdad. La stabilité de l’Irak était donc en cause. Son existence même était en danger et le risque, à l’époque, était une déstabilisation profonde de toute la région et, au-delà, de l’Europe et de notre pays, la France.
À cette occasion, Daech, qui n’était pas tellement connu jusque-là, révélait au monde son véritable visage, celui d’une organisation criminelle, ultraviolente et, au sens étymologique, sectaire. Daech, c’est le synonyme du chaos, avec des pillages, des massacres, des décapitations, mais aussi des prises d’otages, de l’esclavagisme, des viols, le commerce des femmes, des persécutions contre les minorités, avec le choix terrible laissé aux sunnites de se rallier ou de mourir, ou encore la traque permanente des chiites, sans parler de la situation des chrétiens et des yézidis. J’ai eu l’occasion de débattre de ces questions avec plusieurs d’entre vous.
Nous devions donc agir pour affaiblir Daech, par conséquent le terrorisme, et pour permettre aux Irakiens de restaurer, si cela était possible, la souveraineté de leur pays.
J’en viens au point essentiel de mon intervention – peut-être y aura-t-il débat entre nous sur ce sujet, auquel cas vous pouvez compter sur moi pour vous répondre : nous devions également agir là-bas pour nous protéger ici.
M. Aymeri de Montesquiou. Tout à fait !
M. Laurent Fabius, ministre. En effet, à rebours de l’illusion que le terrorisme connaîtrait des frontières et à l’inverse du raisonnement selon lequel c’est parce que nous sommes là-bas qu’il y a du terrorisme ici, nous sommes là-bas parce qu’il y a du terrorisme là-bas ! Nous devons être très précis sur ce point – c’est normal dans une démocratie –, en particulier en ce moment.
Les objectifs qui étaient les nôtres lors de l’intervention et que vous aviez approuvés au mois de septembre dernier n’ont pas changé. À cet égard, nous devons poursuivre l’action engagée – je vais essayer de le montrer –, car, si des coups majeurs ont été portés, notre mission n’est pas achevée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est donc juridiquement en application de l’article 35 de la Constitution que, au nom du Gouvernement, je sollicite votre autorisation de donner à nos armées le mandat de poursuivre leurs opérations.
Je m’efforcerai de ne pas être très long, surtout après les très justes considérations qui viennent d’être émises sur le terrorisme, par vous-mêmes et par mon collègue et ami Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur.
Quels sont les résultats obtenus ?
En quatre mois, de premiers résultats militaires ont été atteints. L’offensive d’envergure qui avait été lancée par Daech l’été dernier a été stoppée. Un certain nombre de territoires qui avaient été conquis ont été repris. Toutefois, restons prudents : ces premiers résultats restent, dans une certaine mesure, fragiles. Nous les devons à l’action d’une large coalition, coordonnée par les États-Unis d’Amérique. Cette coalition a été renforcée avec la participation d’un certain nombre de partenaires d’Europe, d’Asie, d’Océanie et du Golfe. En tout, elle regroupe plus de soixante nations, dont une trentaine a engagé directement des moyens militaires.
Bien évidemment, je veux saluer l’engagement tant de nos soldats – à peu près une centaine sur place – à faire la démonstration de leur courage et de leur compétence d’une façon magnifique, que de ceux de pays européens et arabes qui avancent côte à côte avec eux.
Après quatre mois d’opérations contre Daech, le rapport de forces sur le terrain a été modifié, en particulier ces dernières semaines. Mais il faut l’inverser durablement.
En effet, l’organisation terroriste conserve l’essentiel de son potentiel militaire. Elle a adapté ses modes d’action et consolidé un certain nombre de ses positions défensives – vous avez la carte à l’esprit –, et la menace qu’elle fait peser, en particulier à l’ouest de Bagdad, demeure préoccupante.
Quant à notre dispositif, il est monté progressivement en puissance. La représentation nationale est informée sur ce point, en toute transparence. Après une première phase de déploiement, le Président de la République a décidé d’adapter nos moyens à l’évolution de la situation des forces irakiennes. Aujourd’hui, quinze avions de combat, Rafale et Mirage 2000, sont engagés dans les opérations. Ils interviennent depuis les Émirats arabes unis et la Jordanie. Des moyens de soutien au ravitaillement en vol, à la détection et à la collecte de renseignements sont aussi déployés.
Depuis la mi-septembre, nos avions ont réalisé plus de trois cents missions. Ils ont effectué notamment trente-quatre frappes contre des infrastructures, des véhicules et des postes de combat. Ces opérations aériennes ont contribué à affaiblir le potentiel des terroristes et permis d’obtenir des renseignements, en particulier sur les combattants en provenance de l’étranger.
En plus de ces opérations aériennes, la France participe, avec d’autres pays partenaires, à la fourniture d’armement, ainsi qu’au conseil et à la formation des combattants kurdes. Au total, une centaine de formateurs français sont sur place – je donne cette précision, parce qu’il existe parfois une confusion dans les chiffres. Dans les pays circonvoisins, notre dispositif représente un millier de personnes. La France est donc, après les États-Unis, l’un des pays les plus impliqués au sein de la coalition.
Ce dispositif continuera d’évoluer : les militaires français vont participer à des missions de formation de l’armée irakienne et le porte-avions Charles de Gaulle, qui fait sa tournée annuelle vers l’Inde, pourrait être présent dans le Golfe arabo-persique.
J’aborderai maintenant un point sur lequel nous sommes, je pense, tous d’accord, mais qu’il importe de rappeler : nous avons décidé d’intervenir avec nos moyens aériens parce que c’était nécessaire. Cependant, nous le savons tous, la stabilité de l’Irak et celle de la région ne sauraient être obtenues uniquement par des moyens militaires. Une stratégie politique d’ensemble est indispensable. Et cette remarque vaut pour tous les conflits : les précédents qui se sont déroulés nous l’enseignent.
Tout d’abord, en Irak, l’action de la coalition sur le terrain ne peut venir qu’en appui d’un processus politique. Au cours des derniers mois, la situation politique s’est stabilisée. Le nouveau Premier ministre, Haider al-Abadi, a constitué un gouvernement ouvert à toutes les composantes politiques et ethniques. C’est maintenant un immense travail de reconstruction qui doit être entrepris ; il a d’ailleurs commencé, mais les chantiers sont considérables : réforme et modernisation de l’appareil de sécurité, lutte contre la corruption, mise en place d’un nouveau cadre fédéral garantissant le maintien de l’unité de l’Irak tout en permettant la représentation équitable des différentes communautés – ce que l’on appelle, en recourant à un anglicisme, une « pratique inclusive » – et, bien sûr, reconstruction économique.
La France est aux côtés du nouveau gouvernement irakien pour la mise en œuvre de ce programme. Le Président de la République a fait part de notre soutien au Premier ministre irakien lorsque nous l’avons reçu au mois de décembre dernier. L’action diplomatique que je mène, qui doit être conduite en parallèle de l’action proprement militaire, va également dans ce sens.
Vous le savez, la France concentre son action sur le théâtre irakien. Nous avons fait le choix – certains le discutent, mais nous le confirmons – de ne pas mener de frappes aériennes en Syrie. Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne faille rien faire, et nous agissons notamment en soutenant fortement l’opposition modérée. C’est aussi le choix de nos partenaires européens, à l’exception de nos amis britanniques. Bien évidemment, la situation des villes assiégées, comme Kobané et Alep, ne laisse aucun d’entre nous indifférent, et nous sommes actifs. Mais notre ligne demeure la même et le Premier ministre la résumait tout à l’heure à l’Assemblée nationale par cette formule : « ni Bachar, ni Daech ».
Je précise qu’il n’est évidemment pas question de soutenir si peu que ce soit le groupe terroriste Daech, mais il serait illusoire de croire que nous parviendrions à le combattre durablement si l’autre terme de l’alternative est de maintenir éternellement au pouvoir M. Bachar al-Assad. Le choix offert à la population ne peut se limiter à, d’un côté, des terroristes, de l’autre, un pouvoir qui a facilité le terrorisme. Car, rappelez-vous, pour une bonne part, ces terroristes ont été sortis des prisons par le dictateur. Cela reviendrait à la fois à mener un combat et à épauler en permanence ces deux parties.
Entendons-nous bien : il faut mener la lutte et avoir une perspective politique. Nous y travaillons avec les Nations unies, bien sûr, mais aussi avec les Russes et d’autres pays. Même si c’est extrêmement difficile, l’objectif est d’arriver à une solution politique comprenant certains éléments du régime – faute de quoi tous les piliers de l’État s’effondreraient, comme ce fut le cas antérieurement – et d’autres de l’opposition que l’on qualifie de « modérée », afin que toutes les communautés soient représentées – alaouite, chrétienne et autres – et que l’on parvienne à une Syrie unie où chacun soit respecté.
Donc, ne nous trompons pas, si le présent débat concerne l’aspect militaire, notre objectif reste politique. En Syrie, nous affichons, si je puis dire, clairement la couleur : il n’est absolument pas question de nous désintéresser du problème, d’être naïf – aucun de nous ne l’est –, mais il s’agit de trouver une solution, ce qui est très difficile, puisque les négociations de Genève I puis de Genève II ont échoué. Avec nos partenaires, nous continuons à travailler dans cette direction, à savoir une approche politique et militaire.
Je tenais à être précis en la matière, car j’entends parfois, ici ou là, des approximations. Selon certains, Daech étant composé de terroristes, nous devrions oublier les reproches que nous pouvons faire à M. Bachar al-Assad et nous précipiter pour l’étreindre. La réalité, vous le comprenez, est bien plus complexe.
C’est à cette complexité qu’entend répondre la position de la France. Notre choix n’est absolument pas synonyme d’immobilisme. Nous soutenons l’opposition syrienne qui combat les groupes djihadistes. Nous nous tenons prêts, aux côtés de nos partenaires, à mener des actions renforcées en matière de formation et d’équipement.
En Syrie comme en Irak, il n’y a pas d’alternative : seule une solution politique passant par un régime de transition comprenant toutes les forces qui veulent reconstruire une nouvelle Syrie est possible, mais celui-ci ne pourra pas durablement inclure M. Bachar al-Assad. Nous devons travailler en ce sens avec les Nations unies, nos partenaires américains, les États voisins, mais aussi avec les Russes.
Agir, c’est également continuer notre mobilisation sur le plan humanitaire. Le travail est considérable. Les pays de la région – je pense au Liban, à la Jordanie, notamment – consentent d’énormes sacrifices pour accueillir des réfugiés syriens. Vous avez reçu comme moi des amis libanais venus nous décrire la situation. L’un d’entre eux me disait que si la France accueillait une proportion de réfugiés syriens aussi élevée que celle qu’accepte le Liban, près de 20 millions de personnes seraient concernées. Imaginez ce que cela signifie d’un point de vue économique, politique et social. Cette situation est épouvantable.
Notre devoir est d’assister ces populations. Nous avons déjà livré des centaines de tonnes d’aide humanitaire. Ce chiffre peut sembler élevé ; il est dérisoire par rapport aux besoins. Je remercie le Sénat tout entier d’être attentif et extrêmement actif en la matière. Nous continuerons aussi à accueillir en France, au titre de l’asile, des familles syriennes et irakiennes appartenant aux minorités pourchassées. C’est l’honneur de notre pays.
Pourquoi faut-il poursuivre dans cette voie ?
Les interventions militaires, comme les solutions politiques, ne peuvent malheureusement pas donner de résultats immédiats. Il faut être lucide, en l’espèce comme sur le thème, très lié, abordé tout à l’heure par Bernard Cazeneuve à cette tribune : réduire Daech est un objectif que nous devons atteindre, mais qui prendra du temps. Nous sommes donc engagés dans la durée. Quitter nos partenaires aujourd’hui serait plus qu’un échec : ce serait abandonner l’Irak et ses populations aux terroristes, des assassins dont l’ambition territoriale n’a aucune limite.
Là encore, évitons les réactions par réflexe que certains de nos compatriotes qui n’ont pas vu l’ensemble du problème peuvent adopter. Je veux rappeler que le drame de Toulouse, que chacun de vous a à l’esprit, s’est produit à un moment où la France n’était présente ni au Mali ni en Irak. Il faut donc faire très attention. Nous sommes confrontés malheureusement à un phénomène international face auquel nous devons faire preuve d’une grande détermination.
Daech a un programme : exporter la terreur partout, répandre le crime dans le monde, menacer nos sociétés. Aujourd’hui, nous voyons les conséquences de son plan : le Liban fragilisé par le poids des réfugiés, la Jordanie et la Turquie subissant de plein fouet le contrecoup de la crise syrienne.
Parce que les terroristes continuent de tuer, de massacrer, d’exterminer, nous devons poursuivre notre tâche.
Parce que le terrorisme continue de menacer l’équilibre de la région et de déstabiliser, ce faisant, les pays voisins tout comme le nôtre, nous devons poursuivre notre action.
Parce que Daech continue de vouloir recruter, former des terroristes – dont des Européens et des Français – pour nous frapper, pour semer la terreur et la destruction sur notre sol, nous devons aussi poursuivre notre stratégie.
Parce que la mission n’est pas terminée et parce que nous ne devons abandonner ni nos partenaires ni les Irakiens, nous devons poursuivre notre action.
Nous la poursuivrons aussi au Sahel. Nos inquiétudes se tournent vers la Libye, dont les déserts immenses et non contrôlés du sud deviennent un nouveau repaire pour le terrorisme djihadiste, ainsi que vers la région du bassin du lac Tchad, où prospère dangereusement la secte Boko Haram qui sème la terreur – ce fut encore le cas ces tout derniers jours – en commettant des crimes effrayants non seulement au Nigeria, mais aussi au Cameroun et dans les pays voisins.
Une nouvelle fois, je veux saluer nos soldats présents dans de nombreuses régions que j’ai citées ; ils accomplissent au nom de la France et de l’humanité un travail absolument magnifique.
La question gravissime du terrorisme a été évoquée ces jours derniers, puis tout à l’heure dans cette enceinte – M. Cazeneuve a bien décrit la situation – comme à l’Assemblée nationale par M. le Premier ministre. Vous connaissez les chiffres, mesdames, messieurs les sénateurs : à ce jour, près de quatre cents individus, français ou résidents français, combattent à l’étranger. Soixante-sept sont morts récemment au cours de combats. Certains de nos compatriotes sont malheureusement impliqués dans les atrocités commises par Daech. D’autres participent à la propagande et appellent à commettre des attaques sur notre territoire. Face à cela, il nous faut agir avec sang-froid, discernement et détermination.
Nous avons abordé les moyens précédemment. Vous aurez l’occasion d’y revenir au cours des prochaines semaines. Nous entendons les adapter à l’évolution de la menace. Mais nous le savons, au-delà des moyens, ce qui compte, c’est la profonde détermination de la population française. La démocratie ne combat jamais aussi efficacement le terrorisme qu’en promouvant ses valeurs, la liberté, l’égalité et, cela a été rappelé à juste titre, la laïcité.
L’épreuve que nous venons de vivre est aussi une invitation à un sursaut, et elle doit nous rendre encore plus forts.
Je sors un instant du sujet pour vous livrer simplement cette remarque, mesdames, messieurs les sénateurs : cette image du quart des dirigeants de la planète rassemblés dimanche autour des plus hautes autorités françaises me fait dire que la France est bien la patrie des libertés et que, lorsque l’on touche aux libertés de la France, on touche aux libertés de tous les pays ! Je pense que ce sentiment a également été ressenti profondément par chacune et chacun d’entre vous, et assurément par tous nos compatriotes.
J’ajoute qu’un grand pays, c’est un pays uni – vous en donnez d’ailleurs une belle illustration cet après-midi, mesdames, messieurs les sénateurs. L’unité de la République, c’est aussi la réponse que nous devons apporter au terrorisme.
Le choix ayant été fait, pour les raisons que j’ai indiquées, d’engager des soldats français à l’extérieur de nos frontières – ce n’est jamais une décision qui se prend à la légère, puisque, derrière elle, ce sont des femmes et des hommes qui s’exposent pour nous protéger –, il vous est demandé ce soir de juger, avec nous, que cette décision est, malheureusement, toujours nécessaire, car la guerre contre le terrorisme est un combat de longue haleine.
C’est la raison pour laquelle je sollicite votre assemblée, au nom du Gouvernement de la République, afin de permettre à la France d’agir conformément à ses valeurs et à ses intérêts.
Je vous demande donc d’autoriser nos armées à poursuivre leurs opérations en Irak, au service des valeurs auxquelles nous croyons, des valeurs qui font par ailleurs l’unité de la France, au service de la démocratie et de la liberté. (Applaudissements.)
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à quinze minutes le temps attribué au groupe UMP et au groupe socialiste, et à dix minutes le temps attribué aux autres groupes, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de cinq minutes.
Je rappelle que les interventions des orateurs vaudront explication de vote.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Robert Hue, pour le groupe du RDSE.
M. Robert Hue. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, le débat sur la prolongation de l’opération Chammal en Irak intervient seulement quelques jours après les attentats terroristes tragiques qui ont coûté la vie à dix-sept personnes et blessé plusieurs autres de nos concitoyens.
Ce drame est d’abord celui de familles brutalement endeuillées, des familles auxquelles j’adresse ici solennellement toutes mes pensées, ainsi que celles de mes collègues du RDSE – je rejoins bien évidemment les propos du président Jacques Mézard, qui s’est exprimé au nom de notre groupe, dans le débat précédent, consacré précisément à ces attaques terroristes.
Qu’il me soit permis de souligner une nouvelle fois, mes chers collègues, que, dimanche, la France a offert au monde et à elle-même l’image de l’unité, de la solidarité et de la détermination. La mobilisation massive, d’une grande dignité, de millions de Français a montré une capacité certaine à la résilience.
Bien entendu, après le temps de l’émotion, nous devons passer, comme M. le ministre de l’intérieur l’évoquait précédemment, au temps de la réflexion et de l’action. Je sais toutefois que tel n’est pas l’objet de ce débat, même si ce dernier n’est pas sans lien avec ce que nous avons connu ces derniers jours sur le territoire national.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, la lutte contre le terrorisme, c’est aussi, bien sûr, un combat que nous devons mener à l’extérieur de nos frontières, en soutien aux États fragilisés par les groupes djihadistes et terroristes. Le dernier Livre blanc sur la défense le rappelait clairement : « La possibilité que des territoires échappent durablement au contrôle d’un État est un risque stratégique de première importance pour l’Europe. » Nous y sommes !
Aussi, au regard de la menace que représente l’établissement d’un califat dirigé par le groupe terroriste Daech, le Président de la République a décidé de lancer l’opération Chammal, en septembre 2014.
L’attachement profond au respect des droits de l’homme que chacun d’entre nous peut avoir impose des responsabilités lorsque ces droits sont bafoués. En répondant à la demande officielle des autorités irakiennes, la France a tenu son rôle.
Les atrocités commises contre des minorités religieuses et ethniques, en particulier contre les femmes, par les djihadistes de Daech dans leur progression jusqu’à Mossoul, ainsi que l’assassinat barbare de plusieurs otages occidentaux ont dicté la réaction de la communauté internationale.
Comme je l’ai souligné lors du débat qui s’est tenu le 24 septembre dernier, les visées expansionnistes d’un certain nombre dans la région et leur volonté farouche de réussir là où Ben Laden a échoué nécessitaient une réponse d’urgence, à la hauteur. Sans contester le principe de l’engagement d’une coalition internationale en Irak, monsieur le ministre, j’avais toutefois émis quelques réserves, d’ailleurs partagées par plusieurs de mes collègues, et je continue de penser que l’intervention de nos forces militaires, en Irak comme en Afrique, exige un engagement plus grand et plus significatif d’autres forces de la coalition, en particulier de nos alliés européens.
Après quatre mois de soutien aérien aux forces irakiennes, devons-nous poursuivre l’opération ?
Il est vrai que le délai est assez court pour que l’on puisse apprécier l’efficacité de cet engagement, tant la situation sur le terrain est complexe. Concrètement, comme l’indique régulièrement le ministre de la défense dans ses points de situation, et comme vous le soulignez aussi, monsieur le ministre, nos forces armées remplissent parfaitement chacune de leurs missions. Très récemment encore, des avions de chasse français ont participé avec succès à une opération d’envergure dans le mont Sinjar pour aider des réfugiés harcelés par Daech.
Mais, plus globalement, force est de constater que l’Irak n’a toujours pas retrouvé son intégrité territoriale, l’un des principaux objectifs de la résolution 2170. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, les frappes aériennes de la coalition internationale, conjuguées aux actions des forces de sécurité irakiennes et des peshmergas, ont permis de contenir les positions de Daech mais pas, hélas, de les faire reculer significativement.
Nous allons donc vers un engagement long. Vous ne l’avez d’ailleurs pas caché, monsieur le ministre. Mais l’on sait ce qu’il en coûte.
Sommes-nous en mesure d’assumer un conflit de longue durée alors que nous menons bien d’autres opérations sur des théâtres extérieurs ? Je pense, par exemple, à l’opération Barkhane en cours dans la bande sahélo-saharienne. Nous avons aussi de nombreux soldats en République centrafricaine dans le cadre de l’opération Sangaris.
À cela s’ajoutent, plus que jamais, les exigences intérieures liées au plan Vigipirate, qui nous ont été rappelées à l’instant encore. Dans l’Hexagone, le fameux « continuum sécurité-défense », promu dans le dernier Livre blanc, va être largement mis en œuvre, avec la mobilisation actuelle de 10 000 militaires pour parer au risque élevé d’attentats.
Tout cela est, bien sûr, légitime, mais va peser fortement sur notre format capacitaire. Nos forces armées sont déjà sous tension.
Nous avons déjà eu ce débat dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances, et je ne m’étendrai pas davantage, mais il n’est pas inutile de le rappeler, car nous faisons des choix qui, parfois, nous dépassent. Et c’est bien naturel. Nous voyons bien que les frappes aériennes ne vont pas suffire à déloger Daech. Or personne ne souhaite envoyer des troupes au sol. Même les Américains sont réticents, alors que, disons-le clairement, ils sont en grande partie responsables de la situation actuelle dans la région, depuis qu’ils ont mené leur guerre dite « préventive » en 2003 et qu’ils n’ont pas su, par la suite, gérer notamment les rapports entre sunnites et chiites.
J’en profite pour rappeler et saluer la décision courageuse prise à l’époque par le président Chirac, décision responsable qui, a posteriori, était la bonne, et plus encore au regard du chaos qui a finalement suivi le retrait américain.
Ce constat doit nous amener, comme je l’ai indiqué lors du premier débat, en septembre, à conduire une politique stratégique toujours plus clairvoyante et, surtout, à privilégier le temps long dans la gestion des conflits régionaux, sous peine d’entrer dans des contradictions qui ne font que compliquer la recherche de solutions politiques et diplomatiques.
Cela doit nous conduire à considérer que la voie diplomatique et politique appelle à renforcer plus encore nos relations avec les pays incontournables dans cette région : je pense naturellement à la Turquie et à l’Iran, deux grandes puissances régionales ; je pense aussi, dans un sens différent, au Qatar, à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, qui doivent sortir de leur comportement souvent ambigu ; je pense enfin à la Russie, qui est un interlocuteur majeur.
Mes chers collègues, si l’on peut et si l’on doit encore maintenir les frappes aériennes pour le moment, car la situation l’exige, nous devons avant tout soutenir les acteurs de la région dans la lutte contre les groupes terroristes, leur permettre de s’emparer d’un conflit qui les concerne en premier lieu et aider les populations locales, qui sont les premières victimes de la violence et de la barbarie.
Toutefois, attention à ne jamais confondre la responsabilité de protéger les populations avec le changement de régime, comme cela a été fait, par exemple, en Libye, avec le résultat que l’on sait et que l’on vit aujourd’hui. C’est ce que nous rappelions voilà un an à cette même tribune.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, dans ces conditions, au regard de ce qui se passe là-bas, mais aussi après ce qui est arrivé ici, les membres du groupe du RDSE voteront de façon unanime et responsable en faveur de la prolongation de l’intervention des forces armées françaises en Irak. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et de l’UMP)