Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Michel Vaspart. Les conservatismes et les frilosités sont trop nombreux. Meilleure efficacité de l’action publique locale, meilleure répartition des compétences, simplification administrative, baisse de la dépense publique, plus grande proximité avec les citoyens, dynamisation et ouverture des territoires : dans un contexte financier de plus en plus difficile et contraint, pour l’État comme pour les collectivités, tels seraient les enjeux réels d’une réforme des collectivités si l’on voulait qu’elle soit porteuse de vrais changements.
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la France et les Français nous attendent, ne les décevons pas une fois de plus : ce serait une fois de trop ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, élu de la banlieue parisienne, je centrerai mon propos sur la situation de la métropole de Paris.
S’il est vrai que la Haute Assemblée n’a pas encore pu prendre connaissance de l’amendement sur la métropole du Grand Paris promis par le Gouvernement, ceux qui suivent ces débats savent quels en sont les tenants et les aboutissants, et il me semble que nous pouvons en parler même sans l’avoir sous les yeux. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
J’en parlerai en rappelant que le Sénat, l’an dernier, a pleinement joué son rôle dans l’élaboration d’une métropole à Paris. Le 1er janvier 2016, un unique EPCI se substituera aux 17 intercommunalités existantes, et nous pouvons en être fiers.
Dotée de compétences et de ressources financières importantes, cette future métropole aura les moyens de relever le défi de l’aménagement de la zone la plus dense d’Île-de-France, notamment en matière de logements, où les attentes des habitants sont extrêmement fortes.
Lors du débat parlementaire, les opposants au projet ont il est vrai tenté de l’affaiblir et d’en faire une simple fédération d’intercommunalités.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Philippe Kaltenbach. En vain ! Une majorité transpartisane s’est heureusement dégagée – je salue notamment la position de notre collègue Philippe Dallier – en faveur d’une véritable métropole intégrée qui refuse le « chacun chez soi ».
Le Gouvernement, soucieux de demeurer à l’écoute des futurs acteurs de l’institution, a demandé aux élus membres de la mission de préfiguration de faire des propositions d’évolution, mais bien évidemment sans remettre en cause le principe même d’une métropole solidaire.
En effet, le Gouvernement a raison d’être à l’écoute des élus locaux lorsqu’ils demandent que les conseils de territoire puissent mieux gérer, au plus près des habitants, les équipements publics et leurs personnels.
Il faut également les écouter quand ils suggèrent que le PLU soit élaboré à l’échelle des conseils de territoire et s’intègre dans le cadre d’un SCOT métropolitain suffisamment prescriptif.
Toutefois, nous devons impérativement nous garder de franchir la ligne rouge en dotant ces conseils de territoire d’un statut de véritable EPCI. Une même commune serait alors membre de deux EPCI et, surtout, ces conseils de territoire seraient dotés d’un levier fiscal. On se retrouverait alors avec des conseils de territoire qui pourraient voter des taux et lever l’impôt. Au sein de la même métropole coexisteraient alors des territoires aux taux d’imposition et aux richesses très variables. À l’échelle de la métropole de Paris, on ne ferait que maintenir des inégalités qui, aujourd’hui, sont criantes.
La région parisienne est la plus riche de France, voire la plus riche d’Europe, mais c’est aussi celle où les inégalités sont les plus grandes, avec des territoires extrêmement riches, au-delà même de la décence parfois, et d’autres extrêmement pauvres. Ces écarts de richesses sont bien entendu inacceptables, et nous devons faire en sorte de réduire les inégalités à l’échelle de la métropole.
Si nous accordions aux conseils de territoire un statut d’EPCI et un pouvoir fiscal, ce que demandent certains élus locaux, nous irions à l’encontre de l’idée même que nous nous faisons d’une métropole et de la solidarité qu’elle implique. Les inégalités seraient encore plus criantes, et, en tant que sénateur du département le plus riche de France, j’estime que cette situation n’est pas viable à long terme : il doit y avoir plus d’égalité entre territoires, au sein de la métropole de Paris comme à l’échelle du pays.
Nous devons être prudents. Si, in fine, nous en venions à autoriser la double appartenance à un EPCI et la possibilité pour les conseils de territoire de lever l’impôt, il pourrait y avoir d’autres demandes émanant d’autres métropoles, comme Marseille ou Lyon, et l’on détricoterait ce qui a été si difficile à construire.
J’attire également votre attention, madame la ministre, sur le risque d’’anéantissement de nos efforts de simplification du millefeuille territorial si nous créions un échelon de décision supplémentaire à Paris et en petite couronne. Nous aurions alors cinq échelons de décision : la commune, le conseil de territoire, le département, la métropole, la région. Ce serait impensable, absurde ! Nous serions la risée de nos concitoyens si nous nous engagions dans cette voie.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Philippe Kaltenbach. Aussi, je fais confiance au Gouvernement et à la majorité du Sénat et de l’Assemblée nationale pour écouter les élus locaux, certes, sans toutefois écrire la loi sous leur dictée. Il faut tenir compte des bonnes idées, mais aussi être en mesure de réguler les demandes extravagantes. Je sais que c’est votre position, madame la ministre, et je vous soutiendrai totalement dans votre défense d’une solution raisonnable pour le Grand Paris.
Mme la présidente. Je vous remercie de conclure, monsieur Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Pour conclure tout à fait (Exclamations sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.), je dis oui à une véritable métropole, oui à la solidarité, oui à la lutte contre les inégalités territoriales ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume. Voilà !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme à mon habitude, j’userai de ma liberté de parole pour attirer votre attention sur plusieurs points.
Dans ce contexte de big bang territorial, il est une certitude, comme de nombreux collègues de tous horizons l’ont rappelé : les conseils départementaux formeront l’indispensable relais entre les futures grandes régions, les communes et les intercommunalités.
Le département est représenté par des élus locaux très proches de leur territoire, à l’inverse des élus régionaux, qui, pour leur grande majorité, sont inconnus des habitants et souvent éloignés de la base. Pour avoir siégé aux deux niveaux de collectivité, je sais de quoi je parle.
C’est pourquoi la commission des lois du Sénat a profondément modifié ce texte, redonnant ainsi certains rôles aux départements, notamment celui d’aménageur du territoire et d’acteur de proximité.
Après qu’elle fut revenue sur les transferts des collèges aux régions, elle a vidé de sa substance la notion de « chef de file » sur l’économie, puis sur le tourisme.
Pour ce qui concerne la gestion des collèges et lycées, je me permets de vous faire part de mon opinion personnelle : compte tenu de nombreux doublons, je pense qu’il aurait été plus sage de la confier soit aux régions, soit aux départements.
S’agissant des routes, les régions seront chargées des grandes infrastructures, et il était prévu de leur transférer la gestion de la voirie départementale. La commission a choisi de conserver cette dernière aux départements, ce dont je me félicite.
En revanche, madame la ministre, il aurait fallu confier aux régions toute la voirie nationale que l’État avait transférée aux départements ces dernières années, car les coûts de réfection sont exorbitants. J’entendais Mme la présidente du conseil général de la Haute-Vienne : nous partageons une même route, sans connotation politique aucune, je veux parler de la nationale 147. (Exclamations amusées.)
Naturellement, les départements ne peuvent pas financer à eux seuls l’entretien de ces voies. Aussi, il aurait été préférable que cette compétence, qui avait été transférée aux départements par l’État, soit reprise par les régions.
J’en viens à la politique du tourisme. Mon département, la Vienne, fera partie de la future grande région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes. Il est bien évident que la compétence « tourisme » doit être gérée par chaque département. En effet, quel peut être, dans cette grande région, le lien en matière de communication touristique entre Saint-Jean-de-Luz, d’une part, et Châtellerault ou Loudun, d’autre part, distantes de plus de 300 kilomètres ?
Le tourisme doit évidemment relever de l’échelon de proximité, et il ne faut pas le recentraliser, comme il est proposé.
Enfin, arrêtons-nous un instant sur la compétence économique.
Pour mon département, le rattachement à l’Aquitaine et au Limousin va avoir des conséquences pour l’élaboration des schémas économiques sur les territoires.
À cet égard, la proposition de la commission visant à permettre aux régions de contractualiser avec les départements et les collectivités s’agissant de projets économiques locaux me paraît d’une grande sagesse.
En effet, ce n’est pas de Bordeaux qu’aurait pu être gérée l’implantation, en cours, d’un Center Parcs dans le nord de la Vienne, à plus de 300 kilomètres, ou encore de la technopole du Futuroscope de Poitiers, avec 10 000 emplois à la clé. Ne rêvons pas, les choses ne se seraient pas aussi bien passées, car la réussite économique de ces équipements n’a été possible que grâce au concours des élus et des responsables de proximité. Un tel succès ne sera plus envisageable si nous recentralisons.
Aujourd’hui, nos conseils départementaux ont deux grandes priorités : l’aménagement du territoire, avec les aides aux communes, aux services publics en milieu rural et aux projets structurants, ainsi que la solidarité, avec les sommes importantes que cela représente.
Qui pourrait prendre le relais dans ces domaines ? Les régions n’en veulent pas et l’État n’en a pas les moyens, puisqu’il se décharge constamment sur les collectivités.
Madame la ministre, le Premier ministre, Manuel Valls, a précisé, devant l’Assemblée des départements de France réunie en congrès, qu’il tiendrait compte de l’avis du Sénat. Je souhaite que vous nous entendiez ! Nous voulons une France équilibrée, qui tienne compte des territoires et de la ruralité ; nous voulons un pouvoir géré par les élus de terrain, et non par quelques responsables administratifs qui, comme cela se voit aujourd’hui dans les départements, parce qu’ils n’ont plus de moyens humains pour mener ou accompagner les politiques des territoires, passent leur temps à imposer des normes, à contrôler, à sanctionner, bref, à freiner le développement de notre pays.
Hélas, aujourd’hui, la France a tendance à prendre cette direction. Alors, oui, j’espère, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous écouterez ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Roux.
M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nos territoires sont riches de leur diversité, ce qui nécessite un projet de réorganisation territoriale de notre pays précis, mais sans raideur.
Pour ma part, je porte les problématiques d’un territoire de montagne, rural, connaissant certes des difficultés, mais plein de vitalité. Je tenais à souligner ce point dès le début de mon intervention.
Les potentiels de ce territoire rural sont réels : les femmes et les hommes qui y vivent et y travaillent, quelles que soient leurs activités, nous en apportent la preuve tous les jours dans les villes, les villages et les campagnes.
Les Français demandent de nouvelles perspectives pour l’emploi et la croissance, pour un mieux vivre ensemble. Ils ont besoin d’engagements forts. C’est ce que le Gouvernement a entrepris avec ce projet de réorganisation territoriale de notre pays.
Le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République que nous commençons à examiner aujourd’hui finalise la redéfinition de notre pays pour les cinquante prochaines années. Il prévoit une réforme structurelle qui permettra de renforcer l’efficacité de l’action des collectivités territoriales en proposant une clarification des compétences pour que chaque collectivité devienne un moteur de croissance.
De même que je ne suis pas revenu sur les deux premiers volets de la réforme territoriale déjà discutés et adoptés par la Parlement, je n’entrerai pas dans un autre débat sur la pertinence du nouveau périmètre des régions. Nous soutenons le Gouvernement dans sa volonté de renforcer leur rôle en matière de stratégie, d’innovation et pour tout ce qui concourt au développement économique.
Cette évolution des régions rend d’autant plus indispensable le renforcement des solidarités de proximité, auquel aspirent nos concitoyens dans un contexte où le risque de délitement du pacte républicain est bien réel.
Ces solidarités de proximité s’expriment naturellement au niveau des communes, des intercommunalités et des départements. S’agissant de ces derniers, je me félicite que le Gouvernement, dans un esprit de dialogue, se soit finalement rallié aux arguments de tous ceux qui considèrent que l’échelon départemental, en particulier dans les territoires ruraux, est le niveau le plus efficient pour la mise en œuvre des solidarités humaines et territoriales.
J’insisterai donc sur deux points qui me semblent essentiels.
Tout d’abord, il m’apparaît nécessaire de renforcer le rôle des départements en matière de soutien aux communes.
Cela suppose d’abord de donner clairement aux départements une compétence en matière d’assistance technique et d’en définir le plus précisément possible le contenu, c’est-à-dire, selon moi, l’eau, l’assainissement, les milieux aquatiques, mais aussi la voirie, l’aménagement et l’habitat. Cette définition est d’autant plus nécessaire que l’État a mis fin à l’assistance technique fournie pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire, l’ATESAT.
Conforter le rôle des départements en matière de soutien aux communes suppose aussi le maintien de l’intervention des départements en faveur des projets d’équipement des communes, ce qui permettrait de pérenniser les nombreux dispositifs d’aide créés depuis de très nombreuses années, leur rôle étant essentiel pour soutenir l’investissement, et donc l’emploi, en particulier dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.
Dans cet ordre d’idées, il serait certainement opportun d’envisager le transfert aux départements de la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR.
Ensuite, je voudrais insister sur la nécessité de préserver la compétence des départements en matière d’infrastructures routières, ce qui est étroitement lié à l’affirmation du rôle des départements en matière d’assistance technique et découle d’une évidence : la très grande majorité des routes départementales ne présente aucun caractère stratégique d’importance régionale et relève, en conséquence, d’une gestion de proximité qui a largement fait la preuve de son efficacité.
Peut-être pourrait-on envisager un transfert des routes nationales aux régions, ce qui paraîtrait logique, compte tenu de l’importance de ces régions pour le développement économique et les transports.
M. Alain Fouché. On est d’accord !
M. Jean-Yves Roux. Le Gouvernement, par ce texte, propose que l’architecture territoriale soit donc recentrée. Il a travaillé dans un dialogue dense mais réel, et je ne doute pas que l’expression législative proposera une organisation territoriale nouvelle, mais concrète et pertinente, à l’issue de nos débats.
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, respecter la promesse républicaine d’égalité, c’est ce que nous voulons tous. Le travail réalisé ici, au Sénat, permettra, je le souhaite, d’offrir les mêmes chances à tous, que ce soit en ville ou en milieu rural, a fortiori en zone de montagne. Renforcer les possibilités d’action des territoires, leur proposer des outils d’ingénierie et de développement, tout en conservant un échelon de proximité efficace et à l’écoute : tels sont les axes de travail sur lesquels nous allons nous concentrer lors des débats à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.- Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme.
M. Philippe Mouiller. Bravo !
M. François Bonhomme. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi aura été l’un des plus longs à se concrétiser, puisqu’il vient en discussion deux ans après son annonce par François Hollande, en octobre 2012, lors des états généraux de la démocratie territoriale.
L’objectif se voulait ambitieux : écrire l’acte III de la décentralisation.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Nous n’avons jamais dit cela !
M. François Bonhomme. Le diagnostic, lui, était largement partagé et connu depuis bien longtemps : empilement des structures, enchevêtrement des compétences, efficacité moindre et, plus grave encore, incompréhension de l’action publique locale par nos concitoyens.
Cet acte III était donc annoncé dans un but de simplification institutionnelle et de clarification de notre organisation territoriale. En somme, il s’agissait d’améliorer le fonctionnement de notre administration décentralisée.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Depuis sa présentation en conseil des ministres, les atermoiements et les volte-face n’ont pas manqué, jusqu’à nous donner un peu le tournis En fait, le malentendu était initial, car cette loi n’est pas une véritable loi de décentralisation.
M. François Bonhomme. En effet, il n’y a pas de transfert de nouvelles compétences de l’État, et les transferts de compétences entre niveaux décentralisés n’en font pas pour autant un approfondissement de la décentralisation.
Par ailleurs, je note que les quatre niveaux de décentralisation demeurent. Du reste, qu’aurait-on pu attendre de l’État, et pas seulement de ce seul gouvernement ?
Face aux visions locales, qui sont par nature fragmentées, face à ceux qui sont rétifs à tout changement, l’État se doit d’avoir un rôle de chef d’orchestre. Lui seul peut penser la décentralisation de manière globale et s’extraire de l’influence des seuls intérêts « localistes ».
Cette vision existe-t-elle ? L’État s’est-il élevé au-dessus de ces considérations ? Je crains que non ! Faute de fil directeur, cette réforme n’est qu’une collection d’idées qui s’entrecroisent et s’entrechoquent, au risque du statu quo. J’en veux pour preuve le traitement de la clause générale de compétence, d’abord supprimée, puis rétablie, puis de nouveau supprimée, ou encore du conseiller territorial, qui semble suivre le même mouvement, incompréhensible.
Plus ennuyeux, le Gouvernement a procédé à des revirements à contretemps, et il a fait preuve d’un autoritarisme inopportun en imposant une nouvelle carte régionale ou en renonçant brutalement à la suppression du département. À ce sujet, il a fait la démonstration de son impréparation, s’apercevant, mais un peu tard, de l’impasse politique et juridique qui se profilait s’il s’entêtait à concrétiser cette annonce tonitruante.
Tous ces changements de pied intervenus depuis le mois de mai, avec des modifications importantes, voire contradictoires, ont forcément changé l’architecture globale, laquelle est devenue aujourd’hui une véritable construction byzantine. Que reste-t-il donc de ce projet désarticulé ?
La région se voit indiscutablement renforcée. Ce projet tend à promouvoir le niveau régional par la concentration des compétences entre les mains d’acteurs régionaux moins nombreux. En combinant gigantisme et octroi de nouveaux pouvoirs, le Gouvernement souhaite créer des « super-régions ».
C’est du moins ce qu’il annonce, mais, s’il est bien question de transférer de nouvelles compétences et d’affirmer un renforcement de la compétence de développement économique en érigeant les régions en chefs de file et en leur donnant mission d’élaborer certains schémas, en revanche, aucun pouvoir fiscal ne leur est accordé, ce qui peut paraître paradoxal au regard du rôle nouveau qu’on entend leur faire jouer.
Concernant les intercommunalités, le projet de relever leur seuil de 5 000 habitants à 20 000 habitants est effectivement étonnant. Multiplier la taille des intercommunalités par quatre au minimum est irréaliste, car seul le seuil choisi prête à discussion, mais il ne correspond à rien, sinon à un fétichisme du chiffre. Certes, ce relèvement ne posera pas de difficulté majeure dans les zones urbaines, mais, en zone rurale, il aboutira, en l’état, à un regroupement artificiel de territoires, très ou trop étendus du fait de la faiblesse démographique.
La géographie des territoires est ici totalement ignorée, la réalité des bassins de vie s’en trouve véritablement négligée. En conséquence, on s’achemine vers une intercommunalité imposée qui continuera à cohabiter avec une myriade de communes de petite taille.
Concernant les économies affichées, on peut douter de la réduction des dépenses publiques, tout au moins dans les premières années, notamment parce que l’harmonisation des traitements des personnels, en cas de fusion et de mutualisation, se fera sur la base du régime le plus avantageux.
Enfin, pour les départements, chacun se souvient que le projet initial consistait à les supprimer par évaporation, selon une méthode sournoise. Puis, faisant machine arrière, le Gouvernement a opté pour la strangulation, alors même que beaucoup de départements sont déjà affaiblis par une compétence sociale qui en fait des pachydermes, situation aggravée par la disette financière que vous imposez aux collectivités locales avec la baisse brutale des dotations.
À cela s’ajoute un facteur aggravant, le nouveau mode d’élection des conseillers départementaux dans des cantons binominaux, redécoupés à rebours de la carte et de la réalité intercommunales, ce qui aura inévitablement pour effet d’accélérer et d’achever le processus de décomposition.
Enfin, cette réforme présente un risque accru de disparité entre les différents types de collectivités locales, car la seule existence des métropoles aboutira à une organisation hétérogène de la carte, du fait de leur taille ou de l’ampleur de leurs compétences. Nous aurons, d’un côté, les territoires « métropolisés », urbains, disposant d’une nouvelle organisation plus dynamique, intégrée, dans laquelle les métropoles viendront inévitablement concurrencer les régions et, de l’autre, des territoires « interstitiels », ruraux, avec une organisation plus classique et nécessairement moins dynamique.
En conclusion, ce projet de loi laisse une impression d’improvisation et même d’incohérence. Plus préoccupant, les collectivités vont connaître une forme d’insécurité, inadaptée à un fonctionnement serein et finalement bien éloignée des objectifs initiaux.
Au total, après l’acte I de la décentralisation, qui se voulait à l’époque édificateur, l’acte II, qui se voulait consolidateur, l’acte III, qui se voulait refondateur, risque, au fond, de n’être que bredouilleur et même, l’avenir le dira peut-être, fossoyeur d’une certaine France des territoires. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Botrel.
M. Rachel Mazuir. Voilà un Breton !
M. Yannick Botrel. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, s’il faut se féliciter de l’intérêt que nous portons collectivement à ce projet de loi, nous devons constater que c’est là un des seuls points sur lequel se rejoignent les différents orateurs.
Depuis de nombreuses années, rapport après rapport, le Sénat estime qu’il y a lieu de repenser l’organisation territoriale de notre République, pour la rendre plus claire, plus efficace, plus proche de nos concitoyens. Il y a eu le rapport Balladur et, plus récemment, le rapport Krattinger-Raffarin qui, une fois encore, a abouti à ce constat, alors assez partagé, au-delà des sensibilités politiques de chacun.
Le Gouvernement nous a présenté un texte que nous attendions tous et nous avons beaucoup débattu ces derniers mois de son contenu. Le texte gouvernemental qui a été soumis à la commission des lois, probablement perfectible et amendable, avait le mérite de mettre sur la table un certain nombre de propositions.
Le groupe socialiste a fait le choix de formuler des propositions concrètes pour améliorer ce texte. Il a déposé des amendements, dont malheureusement un très petit nombre a été repris par la commission des lois – je le regrette, bien entendu.
Je ne prendrai qu’un exemple, qui concerne l’article 14.
Nous avons tous estimé, et différents orateurs sont intervenus sur ce sujet, que le chiffre de 20 000 habitants qui est proposé par le Gouvernement comme seuil de population des intercommunalités pouvait être parfois, mais pas toujours, trop élevé. Les sénateurs socialistes ont proposé d’abaisser ce seuil à 15 000 habitants avec de larges modulations possibles, afin de s’adapter à la réalité des territoires, avec la possibilité laissée aux commissions départementales de la coopération intercommunale de le faire varier, en cas de nécessité. Il me semble qu’il s’agissait là d’une proposition concrète, équilibrée et constructive.
La nouvelle majorité sénatoriale a fait le choix de la facilité et du dogmatisme, d’une certaine manière, en supprimant purement et simplement l’alinéa concerné à l’article 14. Selon moi, c’est une erreur. Une fois encore, nos collègues députés passeront par-dessus nos têtes en faisant prévaloir leur version, et elle seule. Personnellement, je trouve cette situation regrettable.
Elle est d’autant plus regrettable que M. le président du Sénat souhaite, nous a-t-il dit, illustrer la rénovation de notre Haute Assemblée par un investissement accru – et, j’imagine, positif –, dans l’élaboration des lois. Nous n’en prenons pas le chemin !
Sur l’article 14 toujours, je rejoins la volonté exprimée par le Gouvernement de rationaliser la carte de la coopération intercommunale par la réduction du nombre de syndicats primaires qui auront vocation, à l’avenir, à rejoindre les EPCI. Cela se produit déjà en Bretagne, madame la ministre, région qui doit à son antériorité en termes de coopération intercommunale d’avoir été précurseur sur ces sujets, sans que cela pose de problème aujourd’hui.
Dans le même temps, je me félicite également de la position que vous avez exprimée, madame la ministre, lors de votre audition au Sénat, au sujet du maintien des grands syndicats constitués à l’échelle supra-communautaire ou départementale et exerçant un certain nombre de compétences techniques, dans les domaines de l’eau ou de l’énergie en particulier. L’intention du Gouvernement de les conserver est conforme à la prise en compte de la subsidiarité territoriale, synonyme d’efficacité ; or, à cet égard, ces structures donnent aujourd’hui pleinement satisfaction.
Je vois dans les propos que vous avez tenus, madame la ministre, la confirmation de la prise en considération du bloc communal dont ces syndicats sont l’expression et l’émanation. Leur suppression par absorption au profit d’un autre niveau de collectivité – comme cela a pu être évoqué – serait, pour les maires et les présidents d’EPCI, inacceptable et ils le disent, d’autant que les compétences dont il est question continueront localement à relever de leur responsabilité. Il ne peut donc y avoir, sur ces compétences, de mise sous tutelle du bloc communal.
Dans un tel débat, le Sénat, assemblée des collectivités locales, ne devrait pas s’enfermer dans une logique réductrice, partisane et, in fine, improductive sur des sujets de cette importance, car cela reviendrait, aux yeux des observateurs, à remettre en cause son utilité même. Si tel doit être le cas, il appartiendra à la majorité sénatoriale d’en porter la responsabilité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)