M. Jeanny Lorgeoux. C’est très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’honneur et le courage de nos soldats, qui mettent leur vie au service de la défense de la nation, sont respectés par tous dans cet hémicycle.
Monsieur le ministre, nous rendons hommage à votre engagement sincère en faveur de la défense nationale, aux côtés de nos troupes, et à votre disponibilité envers les parlementaires.
Vous avez élaboré le Livre blanc de la défense et engagé la loi de programmation militaire en faisant, à juste titre, le choix de maintenir l’ensemble des capacités de notre pays dans un contexte d’économies nécessaires.
Mais c’est un choix qui a une incidence financière lourde.
L’équilibre de cette deuxième annuité de la LPM qui s’inscrit dans le projet de loi de finances pour 2015 est très fragile.
Le général de Villiers, chef d’état-major des armées, avec beaucoup de précautions oratoires liées à sa fonction, l’a répété tout au long de son audition par la commission des affaires étrangères : le budget est taillé au plus juste, il n’y a plus de marges, on ne peut aller plus loin sans risque de rupture de l’équilibre de la LPM.
Monsieur le ministre, vos choix budgétaires nous alarment. Vous avez reconnu avec honnêteté que le montant réel des actifs cessibles était probable mais non pas certain, et que le calendrier de la vente des fréquences de 700 mégahertz était hypothétique à la date prévue et pour un montant assuré.
Cette réalité nous inquiète fortement.
Vous sous-entendez donc vous-même que faire reposer le budget de la défense pour 2015, d’un montant total de 31,4 milliards d'euros, sur 2,3 milliards d'euros de ressources exceptionnelles est extrêmement périlleux. La Cour des comptes s’alarme des nombreux aléas qui affectent les montants prévus par la LPM ; elle déconseille – sans, hélas, réussir à dissuader – de recourir aux ressources exceptionnelles, surtout pour équilibrer les crédits de la défense, alors que nos forces sont engagées.
Des ressources aléatoires ne peuvent constituer un socle budgétaire ; elles doivent être remplacées par des ressources certaines. Si les cessions immobilières peuvent éventuellement être réalisées pour le montant prévu et dans les délais fixés – quoique ! –, la vente des fréquences de la bande des 700 mégahertz, pour un gain de l’ordre de 2,1 milliards d'euros, soulève de multiples difficultés. En effet, elle est liée aux négociations internationales en cours qui rendent incertains le montant et la date de réalisation. Votre budget, fondé sur une perception du produit de la vente à la fin de l’année 2015, est dangereusement optimiste et rend le calendrier retenu trop aléatoire. Où trouverez-vous les ressources de substitution ?
Le montage des sociétés de projet, solution « innovante », permettra, certes, de répondre au besoin urgent de fonds. Mais qu’en sera-t-il sur le long terme ? Ces sociétés sont financées par le produit des cessions de participation d’entreprises publiques pour acquérir du matériel militaire auprès du ministère afin de le lui louer par la suite ! Constituent-elles une opération véritablement sûre et sage ? On peut émettre des doutes. Il s’agit d’une technique de débudgétisation appliquée à l’armement. Nous sommes déroutés par un mécanisme très innovant dans le contexte militaire, j’en conviens. Cependant, n’y a-t-il pas mélange inopportun des genres, car sont en cause des armes létales ?
En revanche, le programme d’investissements d’avenir a l’avantage d’assurer des ressources sûres ; il finance des projets du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, le CEA, et du Centre national d’études spatiales, le CNES. La direction générale de l’armement n’étant pas éligible, la question du changement de son statut a été avancée.
Ce sont les axes préconisés dans le rapport de l’Inspection générale des finances, l’IGF, et du Contrôle général des armées, le CGA, remis au ministère des finances au mois de juillet dernier, mais dont les députés et les sénateurs n’ont pas eu connaissance, malgré leurs demandes pressantes et répétées. Sont-ils l’objet d’un manque de confiance ou de considération ?
Par ailleurs, quelles seraient les implications de la transformation en établissement public à caractère industriel et commercial ? Les pistes de changement de statut évoquées sont-elles abandonnées ?
Cela étant, la sous-budgétisation chronique des OPEX atteint, cette année, un seuil inégalé et très inquiétant. Le coût prévu de 450 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2014 fut loin du compte final, plus de un milliard d'euros ! Le nombre d’hommes déployés sur les théâtres extérieurs était alors environ de 10 000, il sera cette année de 20 000 ! Cette budgétisation est plus qu’imprudente, elle est insincère.
Faut-il être présent au Mali ? Faut-il être présent en Centrafrique ? Faut-il être un coupe-feu entre Israël et le Liban ? Faut-il être sur le front de la lutte contre Daech ? Oui, sans aucun doute, tant pour notre sécurité que pour celle de l’Union. Néanmoins, la France n’a pas les moyens d’être le gendarme européen. Il est impératif de définir et d’exiger une participation financière des autres membres de l’Union, afin de soutenir l’effort français de défense des intérêts européens et de maintien de la paix dans des régions du monde où se joue la sécurité de l’Union.
La construction européenne est minée par les interrogations. Proposons donc une mutualisation des moyens militaires européens ; défendons le projet d’un livre blanc de la défense européenne ; relançons cette Europe de la défense qui nous fait si cruellement défaut. Je ne peux pas croire que celle-ci soit illusoire. Ainsi, le partenariat franco-britannique a toujours été le moteur de la défense commune, et le traité de Lancaster House de 2010 souligne la nécessité de « faire face ensemble à de nouveaux défis » et d’avoir « des capacités de défense robustes, qui puissent être déployées rapidement et puissent agir ensemble et avec un grand nombre d’alliés ».
Nous devons absolument bâtir le socle d’une défense européenne renouvelée. Monsieur le ministre, quelle position défendrez-vous auprès de la nouvelle Commission ? Quelle devrait être l’articulation de la défense européenne avec l’OTAN et nos alliés américains ? Ces derniers, malgré quelques gesticulations pour exprimer leur mécontentement quant à la crise ukrainienne, déplacent le centre de gravité de leur défense vers l’Asie du Sud-Est. Il est temps que les Européens assument leur défense s’ils ne veulent pas demeurer dans l’alignement, voire même dans la sujétion.
Afin de ne pas subir les effets de l’incertitude, nous devons avoir la capacité d’anticiper, de réagir et de peser sur les évolutions mondiales. Cette ambition, la vôtre comme la nôtre, est traduite dans le stratégique programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » et dans la fonction stratégique « connaissance et anticipation ».
Préparons l’avenir en préconisant de mutualiser, à l’échelle de l’Union européenne, la prospective et la recherche dans les domaines de l’aéronautique, du spatial ou de l’armement, en lien avec une industrie performante, car notre pays excelle dans ces domaines. La cybersécurité et le renseignement doivent devenir une priorité européenne ; l’absence de coopération et de coordination fragiliserait en effet considérablement leur fiabilité. Au mois de mars dernier, Jean-Louis Carrère s’alarmait et montrait à quel point notre défense était en danger. Il soulignait que « sans une diplomatie appuyée sur un outil militaire bien dimensionné, l’influence de la France et sa capacité à défendre sa place, ses intérêts et ses ressortissants connaîtraient un déclassement très significatif ». En deçà de 1,5 % du PIB, la LPM est à la limite de mettre en danger notre défense nationale. Nous entrons dans l’incertitude dès le seuil de 1,3 % franchi. Monsieur le ministre, ne nous faites pas partager le constat désabusé du doge de Venise au père de Desdémone : « Il vaut encore mieux se servir d’une arme brisée que de rester les mains nues. »
Il est de tradition de ne pas voter contre le budget de la défense. Le général de Villiers parlait d’une « année de vérité ». Or les crédits de votre ministère pour 2015 suscitent une inquiétude, hélas !, très justifiée.
Nous respectons votre action et nous sommes convaincus que, plus que tout autre, vous êtes soucieux de la vie de nos soldats.
Certains membres du groupe UDI-UC voteront ce budget ; certains s’abstiendront, notamment les rapporteurs pour avis ; d’autres, enfin, voteront contre pour manifester leur protestation à l’égard des incertitudes du budget. Mais nous avons tous comme objectif de vous aider à trouver les ressources nécessaires à la défense de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur quelques travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jeanny Lorgeoux.
M. Jeanny Lorgeoux. Madame la présidente, sénatrice émérite du Loir-et-Cher, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux grandes lignes de force sillonnent le budget de la défense pour 2015 : la cohérence et l’intelligence.
Je commencerai par évoquer la cohérence.
Le projet de loi de finances fait le choix de la cohérence avec les trajectoires tracées par la loi de programmation militaire, que notre assemblée a approuvée, dans un consensus politique suffisamment rare pour qu’il soit relevé. Je salue tous mes collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, qui y ont contribué. Nous n’ignorons pas les difficultés concernant la réalisation des ressources exceptionnelles ou la mise en place des sociétés de projet – les émérites rapporteurs du programme 146 nous les ont rappelées. Le président de la commission des affaires étrangères, Jean-Pierre Raffarin, en a d’ailleurs appelé au chef des armées lui-même, avec une grande honnêteté intellectuelle que je salue, pour que l’enveloppe sanctuarisée de 31,4 milliards d’euros soit respectée. Tout cela est vrai, dura lex, sed lex…
Mais il faut dire aussi que, dans ce budget, les priorités de la LPM sont respectées, mises en œuvre, déclinées. J’en donnerai quelques illustrations.
D’abord, 740 millions d’euros de crédits sont consacrés à la recherche et aux études, et les crédits d’acquisition atteindront 16,7 milliards d’euros.
Ensuite, des équipements importants seront commandés ou livrés : Daniel Reiner et Jacques Gautier ont évoqué l’avion MRTT, le programme Scorpion, les quatre avions Phénix, les huit hélicoptères NH90, les Rafale, les hélicoptères Tigre, la frégate multi-missions, les vingt-cinq VBCI, véhicules blindés de combat d’infanterie…
Enfin, les crédits du maintien en condition opérationnelle, le MCO, si cher – à juste titre – à M. le ministre, progresseront, comme l’an passé d’ailleurs, de 4,5 % en 2015, pour remonter vers les normes de l’OTAN.
J’en viens maintenant à la seconde ligne de force : l’intelligence, dans les deux acceptions du terme naturellement.
La montée en puissance des capacités en matière de cyberdéfense, de renseignement, de connaissance et d’anticipation se poursuit à un rythme rapide. Elle nous permettra de faire face à la menace quand terrorisme et révolution numérique se percutent pour donner ce que je pourrai appeler, par un raccourci réducteur, le « djihad 2.0 », un terme très moderniste.
Des exemples ? Je pense à l’acquisition prévue d’un troisième système de drone MALE, dénommé Reaper. Chacun sait les résultats considérables enregistrés avec l’acquisition de nos deux premiers drones positionnés à Niamey. Des dizaines de chefs terroristes ont ainsi pu être neutralisés.
Autre exemple, ce projet de budget pour 2015 ouvre une nouvelle phase pour le CERES – je vise non pas le centre d’études de Jean-Pierre Chevènement, mais le programme de satellites d’écoute électromagnétique pour la surveillance de certaines zones, comme, là encore, la bande sahélo-saharienne.
On peut citer également la montée en puissance des moyens des services de renseignement. Je parlerai à cet égard de la direction du renseignement militaire, la DRM, un service de renseignement de 1 600 personnes qui dépend du chef d’état-major des armées. Son rôle est d’offrir une appréciation autonome de la situation militaire et d’éclairer la décision pour la conduite des opérations. La DRM est mobilisée sur tous les fronts, de l’opération Barkhane à l’Irak et sans doute ailleurs aux frontières orientales de l’Europe. Elle a entrepris une mutation très importante, et son expertise se consolide, notamment dans le renseignement image.
Détecter les menaces d’ordre militaire, les surveiller, analyser et identifier les objectifs, recouper, analyser, valider, diffuser le renseignement d’intérêt militaire : on voit bien l’importance de ces missions dans le monde actuel, où les menaces de la force coexistent avec celles de la faiblesse, et où nous devons faire face à la fois à des États proliférants dans le domaine nucléaire et à des groupes terroristes qui savent se diluer, se recomposer, et qui disposent parfois de moyens militaires supérieurs à ceux de certains États.
Dernier exemple de cette priorité à l’intelligence, on peut noter la montée en puissance des capacités cyber au sein du ministère de la défense. Avec « l’état-major cyber », avec le CALID, le Centre d’analyse de lutte informatique défensive, avec la montée en puissance des capacités cyber à la direction générale de l’armement, avec un pôle qui se constitue en Bretagne, avec les exercices en grandeur et en temps réels, tels le récent exercice DEFNET, avec, surtout, son pacte « cyber », le ministère de la défense construit graduellement, patiemment, une réponse cohérente, sérieuse, adaptée, structurée à la cybermenace.
La cohérence et l’intelligence sont mises au service de l’efficacité des armes de la France et du renforcement de la fonction « connaissance anticipation » : autant de réelles raisons d’adopter ce projet de budget qui, n’en déplaise au Front national, préserve l’essentiel national. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. David Rachline. Ben voyons !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà tout juste un an, le Parlement adoptait la loi de programmation militaire qui affichait des ambitions fortes dans un cadre budgétaire contraint.
Monsieur le ministre, vous reconnaissiez alors que cette loi était fragile et que toutes les recettes devraient être au rendez-vous dans la durée.
À ce moment-là, la France envisageait de réduire très fortement sa présence militaire au Mali, attendait les contingents européens et onusiens pour alléger son dispositif en République centrafricaine, et n’envisageait pas de nouveaux théâtres d’opérations.
Un an plus tard, nous avons dû redéployer notre dispositif au Sahel avec l’opération Barkhane en vue de décloisonner notre action et couvrir le Mali, le Niger, le Burkina Faso, la Mauritanie et le Tchad face à la pression terroriste.
Mais nous avons dû intervenir de nouveau en force au nord du Mali pour arrêter des regroupements djihadistes.
Nous sommes toujours présents en République centrafricaine où, comme au Mali, la faiblesse des contingents onusiens nous oblige à ne pas baisser la garde et à maintenir un dispositif important. Depuis l’été dernier, nous sommes également présents au Moyen-Orient dans le cadre d’une coalition pour stopper puis réduire Daech, qui menace la stabilité de la région et de nos pays.
Voilà deux semaines, pour la première fois depuis près de cinquante ans, nos avions ont frappé le même jour des cibles distantes de plusieurs milliers de kilomètres au nord du Mali et en Irak. Nos troupes, avec professionnalisme, efficacité et volontarisme, sont présentes sur de nombreux théâtres ou prépositionnements, souvent en surtension, avec, parallèlement, une surutilisation et une usure de nos matériels et une consommation importante de missiles, bombes et munitions dont les stocks se réduisent.
Pourtant, dans le même temps, les crédits de la défense sont fragilisés par des incertitudes ; certains parlent même d’insincérité.
Le Président de la République est le chef des armées. Il ne peut, chaque jour, demander plus aux hommes et aux femmes de la défense sans leur donner les moyens pour accomplir leurs missions.
Le budget des OPEX, on le sait, sera dépassé ; la défense contribuera à financer ce surcoût à hauteur de 20 %. Monsieur le ministre, c'est satisfaisant au regard de ce que nous aurions pu avoir à payer.
Les reports de charges en fin d’exercice s’aggravent légèrement par rapport à l’année 2013, dépassant les 3,5 milliards d’euros. Cette pratique, qui perdure depuis des années, n’est pas – reconnaissons-le ! – de bonne gestion.
Nous en avons longuement parlé, les REX risquent surtout de ne pas être au rendez-vous.
Face à ces réalités, les hauts responsables français, le Président de la République et le Premier ministre, ont qualifié la défense de « priorité ». Il convient donc de donner des instructions à Bercy pour que ce ministère cesse d’utiliser la défense comme variable d’ajustement.
Pour 2015, l’enjeu principal, au-delà de la difficile réduction supplémentaire des effectifs, reste la réalisation des programmes d’investissement. Je l’ai dit, je regrette l’absence des crédits pour un programme d’études amont en vue de la réalisation d’un drone MALE européen à l’échéance 2020–2025, alors que les industriels sont prêts à travailler ensemble. La défense doit disposer, en temps et en volume, de la totalité des ressources, y compris la compensation des 2,1 milliards d’euros de REX. En l’absence de celle-ci, la solution du PIA nous semblait intéressante. J’ai indiqué, en revanche, les réserves que m’inspirait la complexité de la mise en œuvre des sociétés de projet.
Monsieur le ministre, pourquoi ne pas faire simple et ne pas étudier, comme cela a été proposé, une alternative strictement financière reposant sur une convention de mandat, c’est-à-dire un prêt de la part d’un établissement financier pour bénéficier des taux d’intérêts actuellement très bas ?
La réponse du Président de la République au président de la commission des affaires étrangères, Jean-Pierre Raffarin, a apporté un point positif. Celui-ci l’a dit, le montant de 31,4 milliards d’euros a été écrit noir sur blanc. En revanche, le Président de la République évoque encore les cessions des fréquences, le montage des sociétés de projet. Pis, il envisage un report des financements au début de l’année 2016, c’est-à-dire trop tard pour commander en temps et en heure les équipements, en pratiquant une forme de cavalerie budgétaire.
Monsieur le ministre, dans cette enceinte, nous connaissons tous votre engagement. Nous vous demandons d’étudier toutes les pistes, y compris les plus simples, et d’être le rempart de la défense face aux coups successifs de Bercy.
Parce que ces équipements correspondent à un besoin urgent de nos armées, parce que les hommes et les femmes de la défense s’engagent sans réserve et risquent leur vie, parce que la France doit être présente auprès des nations amies agressées et faire face au terrorisme, je ne peux voter contre les crédits de la mission « Défense ». Néanmoins, compte tenu des faiblesses et des incertitudes que je viens d’évoquer, à titre personnel, je m’abstiendrai.
Monsieur le ministre, les hommes et les femmes de la défense vous font et nous font confiance. Alors, ne les décevons pas et donnons à nos armées les moyens dont elles ont besoin ! (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume.
M. Didier Guillaume. Madame la présidente, monsieur le président du Sénat, monsieur le ministre, mes chers collègues, parce que des militaires risquent leur vie tous les jours au combat pour notre sécurité et celle de nos partenaires, l’armée doit avoir les moyens d’exercer sa mission, ce que le présent budget lui assure.
Ces femmes et ces hommes, je veux les saluer ici pour leur dévouement, leur professionnalisme et les sacrifices qu’ils font dans le cadre de la réalisation de leur mission, que ce soit au Mali, au Liban, en République centrafricaine, en Irak, ou ailleurs dans le monde, mais aussi, ne l’oublions pas, sur le territoire national.
Je veux également rendre un hommage appuyé à celles et ceux qui ont disparu en accomplissant leur devoir. La nation leur doit beaucoup et notre mémoire est là pour conserver le souvenir de leurs actes.
C’est pour ces raisons que ce budget est singulier. Il l’est de par les enjeux auxquels il répond et parce qu’il permet de financer les missions accomplies ; il l’est aussi parce qu’il permet de garantir la sécurité de nos concitoyens, d’assumer nos responsabilités internationales et de participer au redressement des comptes publics. Le budget de la défense, c’est tout cela à la fois.
Telle est l’ambition affichée et constante du Président de la République, qui se veut le garant de l’indépendance nationale. D’ailleurs, lors de la réception au ministère de la défense pour la fête nationale de 2012, ne déclarait-il pas : « Je veillerai particulièrement à la pérennité, à la continuité, à l’avenir de nos capacités militaires. » Nous y sommes !
Cette ambition fait écho à un environnement international et sécuritaire de plus en plus incertain et dégradé. Les crises se sont multipliées, accompagnées de leur lot de déstabilisations.
Ainsi, au Mali, la France est intervenue au mois de janvier 2013 à la demande des autorités politiques légitimes, afin d’empêcher l’émergence d’une entité terroriste qui menaçait l’existence même de l’État malien. Outre un sanctuaire terroriste, dont il fallait empêcher la constitution, c’est toute la stabilité de la sous-région qui était l’enjeu de notre intervention.
Cette année, l’opération Barkhane a pris la suite de l’opération Serval, afin de contrer la menace terroriste avec l’aide de nos partenaires africains. La déstabilisation de la bande sahélo-saharienne ayant des répercussions sur les ressortissants européens, nous avons l’espoir que ces deux opérations fassent évoluer les perceptions de nos alliés à propos de notre stratégie en Afrique.
Plus près de nous, la crise ukrainienne rappelle, quant à elle, combien la paix est fragile, y compris sur notre continent. Les frontières de l’Ukraine sont aujourd’hui remises en cause, et la Russie, par les tensions qu’elle génère, éprouve tout le système de sécurité continental. Le Président de la République a donc eu raison de suspendre la livraison des bâtiments Mistral, et je veux en cet instant saluer une décision pleine de sagesse. (Murmures de réprobation sur les travées de l’UMP.)
Imaginez un seul instant que ce bâtiment, dédié à la projection de forces, soit déployé au large de la Crimée ! Qu’en penseraient nos partenaires européens et nos alliés américains ? Quelle crédibilité aurait notre politique extérieure si nous l’orientions sur de simples impulsions mercantiles ?
Si la crise ukrainienne met en danger les fondements sur lesquels reposait le système de sécurité sur le continent européen, Daech est un signal d’alarme adressé à nos démocraties. Lutter contre cette organisation, tout en respectant la légalité internationale, constitue pour la France et ses alliés un défi qu’il faut relever. Tout comme AQMI dans le Sahel, Daech véhicule une idéologie totalitaire vouant à la destruction ses opposants. Ce sont les valeurs sur lesquelles sont adossées nos sociétés libres et démocratiques qui sont en jeu.
Ce bref état des lieux confirme le diagnostic posé par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013. Dès lors, maintenir notre effort de défense est une impérieuse nécessité, afin que soit assurée la sécurité tant de nos concitoyens que de nos intérêts vitaux. Il s’agit de permettre à la France de tenir son rang sur la scène internationale.
C’est donc en responsabilité que le Président de la République, dès le début de son quinquennat, a souhaité sanctuariser les efforts consentis par notre pays en matière de défense, malgré la contraction budgétaire. Nous le constatons aujourd’hui.
Cette volonté a pris corps non seulement avec la démarche instaurée par le Livre blanc, mais aussi, depuis 2012, au travers des différents budgets, qui ont respecté les projections de la loi de programmation militaire. Cette dernière, je le rappelle, a recueilli un large assentiment au sein de cet hémicycle et a permis de préciser les éléments matériels et budgétaires de cette nouvelle stratégie pour cinq ans, à savoir le maintien de notre dissuasion nucléaire avec ses deux composantes et notre capacité à entrer en premier sur un théâtre d’opérations, ce qui suppose de conserver notre force pré-positionnée.
Avec 31,4 milliards d’euros, dont 17 milliards d’euros en investissement, ce budget permet à notre pays de continuer à conserver ses capacités militaires. Les choix effectués préservent également les capacités et les perspectives de l’industrie de la défense.
Ce budget respecte aussi la perspective de long terme qui a guidé la rédaction de la loi de programmation militaire. En effet, il traduit la priorité accordée à la préservation de l’industrie de défense, gage d’autonomie stratégique et de dynamisme économique, et à la recherche, en prévoyant un effort marqué en faveur des études en amont.
Maintenir les moyens de la France pour assumer son ambition de puissance et de paix, tel est le credo de cette démarche qu’incarne encore cette année le budget de la mission « Défense ».
Dans L’Armée nouvelle, Jean Jaurès posait le principe suivant : « Tout ce que la France fera pour ajouter à sa puissance défensive accroîtra les chances de paix dans le monde. Tout ce que la France fera dans le monde pour organiser juridiquement la paix et la fonder immuablement sur l’arbitrage et le droit ajoutera à sa puissance défensive. » Je veux croire que notre politique de défense participe de cette pensée.
Enfin, je veux livrer une perspective européenne. La crise ukrainienne, que j’ai évoquée, vient rappeler les limites de la politique européenne, notamment en matière de défense. Alors que le monde réarme, l’Europe désarme, et les dépenses militaires asiatiques dépassent désormais celles de notre continent. Aussi, les efforts de la France en matière de défense paraissent singuliers, voire isolés, mais ils sont indispensables.
La défense ne peut demeurer le rocher de Sisyphe de la construction européenne.
Alors, monsieur le ministre, face à tous les enjeux qui se trouvent devant nous, le groupe socialiste soutient l’engagement du Président de la République et du Premier ministre, que vous relayez ici, de donner les moyens à notre armée d’assurer ses missions au service de la paix et de la liberté, en France et dans le monde.
Oui, monsieur le ministre, sans surprise, nous soutiendrons votre budget. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Christiane Kammermann.
Mme Christiane Kammermann. Madame la présidente, monsieur le président du Sénat, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les interventions exhaustives des différents rapporteurs, je souhaiterais attirer votre attention sur des sujets moins chiffrés, mais plus spécifiques.
Avant d’aller plus loin dans mon propos, je tiens à rendre hommage à toutes les femmes et à tous les hommes de la défense, qui font la fierté de notre pays. Vous comprendrez également que, en cet instant, j’ai également une pensée particulière pour tous les soldats français engagés depuis des années dans la FINUL, au Liban. En de nombreuses occasions, et encore tout récemment, j’ai pu les rencontrer au Sud-Liban. Leur courage et leur professionnalisme honorent la France.
Monsieur le ministre, dans un premier temps, je veux vous faire part de mes plus profondes inquiétudes quant à la situation de l’armée en tant qu’institution.
Combien de fois, à l’occasion de l’examen de la loi de programmation militaire ou des crédits budgétaires, n’avons-nous pas entendu dire que notre défense était « à l’os » ? Cette expression témoigne d’une certaine ingratitude au regard des efforts consentis par cette institution.
Peu de corps d’état ont été capables d’une telle adaptation, face tant aux menaces qu’aux contraintes budgétaires, qui ont fortement ébranlé leurs conditions de travail. Cela n’a pas pour autant altéré l’adhésion des hommes et des femmes du ministère, qui restent prêts au sacrifice ultime pour leur patrie.
Du fait de la professionnalisation, les armées doivent s’adapter à un turn over, ce qui nécessite une politique de gestion des ressources humaines reposant sur l’anticipation et la réactivité. Cette politique doit être adaptée aux besoins des hommes et au ministère. Par ailleurs, les contrats courts supposent que l’armée puisse encore être attractive pour attirer les jeunes recrues dont elle a besoin.
Nous le savons, l’un des défis en matière de ressources humaines tient autant au dépyramidage qu’à la fidélisation des engagés.
Alors, face aux difficultés inhérentes à la condition des soldats, face aux problèmes de gestion des soldes, qui, n’ayons pas peur de le dire, sont peu attractives par rapport à l’engagement, et, enfin, face à un certain manque de considération de la part de la société civile, il est à craindre que l’armée française ne peine à séduire.
Parallèlement, le moral de nos armées est en berne et la confiance vis-à-vis de leur institution s’étiole. Nos soldats s’interrogent et doutent quelque peu de leur avenir.
M. Pêcheur, nouveau président du Haut comité d’évaluation de la condition militaire, se dit très préoccupé de l’incidence du rythme des réformes, qui ont eu des conséquences parfois brutales sur les vies personnelles des militaires.
Monsieur le ministre, un nouveau pilotage des ressources humaines sera développé à partir du mois de janvier prochain. Le programme 212 crée treize budgets opérationnels de programme qui seront confiés à des gestionnaires de personnel, lesquels disposeront des ressources dont ils ont besoin, d’un point de vue tant quantitatif que qualitatif.
Ce dispositif semble positif, mais au vu de l’échec du système Louvois, il importe de tirer les leçons des erreurs du passé et d’anticiper d’ores et déjà de potentielles failles qui déstabiliseraient encore plus les personnels. Par ailleurs, plutôt que de parler du système Louvois, il serait plus adapté de parler de « l’écosystème Louvois ». Ces ratés en séries témoignent en tout cas du retard de la modernisation du mécanisme de gestion de l’armée française.
Il n’est point de défense sans ressources humaines : ce principe est essentiel. Pourtant, la poursuite des suppressions de postes me semble inquiétante, voire incohérente face à l’augmentation du nombre d’OPEX, ce qui implique de nombreuses rotations et un maintien en condition opérationnelle des hommes et des matériels.
Je vous rappelle que, au mois de juillet 2012, un rapport de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, adopté à l’unanimité, était intitulé : « Forces armées : peut-on encore réduire un format juste insuffisant ? » Monsieur le ministre, il est à croire que ce rapport ne vous a pas inspiré, ou alors peu …
Avant de conclure, mes chers collègues, je veux insister sur conditions de nos militaires en OPEX.
Certains retours d’expérience sont saisissants et alarmants. Au Mali, l’un des problèmes logistiques est celui de l’acheminement et du rationnement de l’eau pour nos soldats. Près de 200 militaires ont été victimes de coups de chaleur. Les fortes températures ont mis en évidence le fait que les fournitures et les équipements semblaient être de bien mauvaise facture. D’ailleurs, on le sait, avant chaque départ en OPEX, les soldats se fournissent dans les surplus spécialisés et payent avec leurs propres deniers leur paquetage.