Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Luche, rapporteur pour avis.
M. Jean-Claude Luche, rapporteur pour avis de la commission de la culture. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai l’honneur de présenter les crédits du programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».
Pour résumer mon analyse du budget pour 2015, je dirai que, au-delà des crédits du programme, globalement préservés, les décisions du ministère de la culture révèlent un désengagement de l’État et un pilotage défaillant.
Les crédits sont certes préservés pour l’ensemble du programme, avec 1 099 millions d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 0,38 %. Cependant, les évolutions sont très inégales d’une action à l’autre.
J’aimerais surtout m’attarder sur la notion de désengagement de l’État qui est flagrante lorsqu’on analyse ce programme. L’illustration la plus évidente de mon propos est la suppression de l’action n° 3 qui regroupait les crédits relatifs aux enseignements artistiques, accordés par les directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, aux communes pour le fonctionnement des conservatoires classés, soit 40 conservatoires à rayonnement régional et 102 conservatoires à rayonnement départemental.
Je rappelle que les crédits de cette action devaient être sanctuarisés en attendant leur transfert aux départements et aux régions en application de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. Plusieurs articles de cette loi organisaient la décentralisation des enseignements artistiques avec une répartition des compétences entre les collectivités territoriales et l’État.
Le ministère a choisi de faire disparaître les crédits, ou presque, puisque seuls 5,5 millions d’euros sont préservés, mais au sein de l’action n° 1 relative à l’enseignement supérieur.
Nous observons aujourd’hui le résultat d’un processus engagé voilà trois ans. J’ai rencontré l’association des directeurs des conservatoires de France : ils m’ont fait part des conséquences de ce désengagement de l’État, déjà observées sur le terrain en 2014.
La première d’entre elles est relative à l’emploi : trois postes ont ainsi été supprimés au conservatoire à rayonnement départemental d’Orléans, quatre dans mon département, celui de l’Aveyron. Compte tenu des perspectives annoncées pour 2015, les directeurs s’interrogent sur la pertinence du classement des conservatoires qu’ils dirigent, et c’est la deuxième conséquence que je souhaitais évoquer.
Les directeurs estiment que ce classement induit des contraintes coûteuses qui n’ont plus nécessairement d’intérêt, compte tenu de la disparition du soutien financier de l’État, perçu jusqu’alors comme une contrepartie.
Enfin, ils sont très inquiets en découvrant la nouvelle logique du ministère, qui attribuera les crédits résiduels aux conservatoires adossés à un pôle d’enseignement supérieur. En effet, les disparités entre territoires sont fortes et la dynamique d’intégration voulue par la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche varie beaucoup selon les pôles. Aussi la rupture d’égalité a-t-elle été évoquée lors de mes auditions, ce qui me paraît particulièrement alarmant.
« Désengagement », c’est le mot qui m’est également venu à l’esprit en découvrant le cas de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, l’ENSBA. Cette prestigieuse école d’enseignement des arts plastiques est aujourd’hui menacée, puisqu’il est désormais impossible d’y organiser les cours normalement, avec des locaux qui s’effondrent littéralement.
Ce triste état des lieux intervient alors que la Cour des comptes a rendu public, le 3 février 2014, un référé très sévère à l’encontre de l’ENSBA portant sur les années 2001-2011. Malgré ce constat très alarmant, le ministère ne semble pas avoir considéré le cas de cet établissement comme une priorité.
L’image de notre enseignement artistique dans le monde entier est en jeu, mais l’effort financier de l’État reste quasi identique, puisque la subvention pour charges de service public n’augmente que de 300 000 euros pour atteindre 7,3 millions d’euros, après deux baisses successives en 2013 et en 2014.
Au-delà de ce cas, qui me semble particulièrement important, c’est le pilotage de l’enseignement supérieur « culture » qui semble faire défaut aujourd’hui. Permettez-moi, madame la ministre, d’évoquer la situation des écoles d’art, qui reflète cette carence de l’État. En effet, de nombreuses disparités existent entre les écoles nationales et les écoles territoriales, constituées en majorité sous forme d’établissement public de coopération culturelle, ou EPCC.
Nous le savons depuis longtemps, les disparités entre ces deux types d’écoles constituent un handicap, notamment au regard des activités de recherche qu’elles sont tenues de développer. Or le Gouvernement n’a jamais rendu le rapport sur le statut des enseignants des écoles d’art, prévu par l’article 85 de la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, alors que le délai prévu par la loi était fixé au 30 juin 2014.
Madame la ministre, comment, dans ces conditions, relever tous les défis de l’enseignement supérieur « culture » ?
Compte tenu de ces observations, la commission de la culture a rendu un avis défavorable sur les crédits de la mission « Culture ».
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Je vous rappelle également que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans les quelques minutes qui me sont imparties, je n’évoquerai qu’une seule question : l’ambition culturelle, celle sans laquelle la gauche n’est pas elle-même, celle sans laquelle la France n’est pas celle de l’égalité.
Madame la ministre, cette ambition est une nouvelle fois absente du budget que vous nous proposez. Or, en temps de crise plus que jamais, la culture doit être au cœur de l’ambition politique. Elle n’est pas un luxe que la crise rendrait superflu et qu’on pourrait sacrifier.
La culture est, au contraire, le chemin le plus fécond de l’émancipation individuelle et collective quand tout est fait pour borner les horizons. Avec sa capacité à symboliser, à nourrir la pensée, à libérer les imaginaires, elle seule rend possible la construction d’un autre monde.
C’est donc bien la question du sens et de la visée culturelle qu’il importe de traiter aujourd’hui, car examiner le budget de la culture, c’est mettre à l’épreuve des chiffres non seulement l’ambition politique en matière d’arts et de culture, mais l’ambition politique tout court d’une société débarrassée des dogmes financiers qui broient tant de parcours humains.
Je vous le dis tout net, notre ambition culturelle ne s’inscrit pas, pour ce qui nous concerne, dans la pensée aujourd’hui dominante des sphères dirigeantes qui borne notre horizon en vertu du prétendu dogme budgétaire. Ce dogme, qu’on ne questionne ni ne remet en cause, entraîne pourtant des conséquences catastrophiques, comme le montrent encore les chiffres du chômage publiés il y a quelques jours.
Malheureusement, le budget général s’inscrit dans ce dogme de réduction budgétaire et la culture reste, quoi qu’on en dise, en première ligne. Si le Gouvernement s’évertue à défendre que, dans un contexte de participation du ministère à « l’effort de redressement des comptes publics », la faible diminution du budget de la culture démontre l’importance accordée à la culture, l’argument a de quoi laisser songeur. Il ne parvient pas à masquer ce qui continue d’être en fait un renoncement.
Je n’ai pas le temps de faire un inventaire exhaustif de tous les chiffres de ce budget, mais notons simplement que cette « importance », cette « priorité » comme on nous dit, se traduit cette année par une augmentation de 0,09 %, qui est en réalité une baisse de 0,9 % en euros réels, c’est-à-dire compte tenu de l’inflation.
En outre, nous n’oublions pas que ce budget fait suite à des baisses successives de 2 % en 2014 et de 4 % en 2013, et qu’il s’inscrit donc dans une diminution continue depuis 2008. Partout, les créateurs souffrent, s’inquiètent, alertent. L’ambiance consensuelle des propos que j’entends depuis ce matin me paraît en décalage total avec les angoisses rencontrées sur le terrain.
En l’absence de politique culturelle forte, le champ est laissé libre aujourd’hui au populisme culturel qu’on voit renaître un peu partout avec les spectres de la censure, du tri culturel, de la bienséance réactionnaire. (M. Philippe Bonnecarrère rit.) Le champ est laissé libre à une marchandisation normalisée de la culture, véhiculée par les grandes entreprises du marché, par les géants américains du web qui veulent tout contrôler et piller, à commencer par les droits d’auteur, et abordent les biens culturels comme de simples contenus marchands permettant de dégager des profits selon les logiques de l’arithmétique financière. Le vide laissé se révèle d’autant plus grand qu’à la baisse du budget de l’État pour la culture s’agrègent désormais la réforme des compétences des collectivités territoriales et la baisse de leurs dotations.
Loin de l’ambition de décentralisation et de démocratisation culturelle rapprochant la culture des territoires et des citoyens, les crédits attribués aux régions reculent en vérité dans la mission « Culture ». À cela s’ajoute la diminution des dotations de l’État.
Vous ne pouvez pas parler de maintien de l’effort culturel quand la réduction programmée des dotations aux collectivités territoriales, qui sont les principaux financeurs de l’action culturelle, avec des budgets consacrés à la culture dépassant celui de l’État, les empêchera de contribuer correctement au développement de la culture.
Combien de projets seront menacés ? J’étais hier au Salon du livre et de la presse jeunesse, qui constitue la principale initiative en matière de soutien à ce secteur : cet événement n’existerait pas sans l’engagement du département de la Seine-Saint-Denis et de la Ville de Montreuil. Combien de compagnies de théâtre ne pourront plus exister ? Combien d’artistes ne pourront pas travailler ?
Le maintien d’une compétence partagée entre collectivités est indispensable, et nous veillerons à ce qu’il en soit ainsi lors de l’examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dit « projet de loi NOTRe ». Toutefois, cette compétence partagée n’a de sens qu’avec le maintien d’un haut niveau d’engagement de l’État ainsi que des moyens donnés aux collectivités, nécessaires pour assurer les financements croisés.
Pour terminer, je veux attirer votre attention sur la situation, toujours non réglée, des intermittents et, au-delà, de l’ensemble des artistes et techniciens. Le Gouvernement s’est mis dans une situation difficile en agréant la convention relative à l’assurance chômage au printemps dernier. Il a fallu le mouvement de mobilisation de toute la profession pour permettre la création de la mission tripartite.
Cependant, nous sommes très inquiets. Rien ne semble avancer, et la mission pourrait déboucher sur une nouvelle impasse devant le refus d’une partie des signataires de la convention de revoir les dispositions de l’agrément. La surenchère du MEDEF est d'ailleurs encouragée par tous les gages qui lui sont donnés, sans aucune contrepartie pour l’intérêt général.
La mission doit déboucher sur des pérennisations claires en faveur des artistes. En cas d’échec, il sera alors de la responsabilité du Gouvernement et du Parlement de trancher en faveur d’une solution durable, originale et équilibrée pour les intermittents du spectacle. Nous y veillerons.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, nous voterons contre ce budget, parce qu’il ne traduit pas d’engagements forts pour la culture ni de volonté de promouvoir les droits de toutes celles et de tous ceux qui œuvrent pour sa vitalité.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous approuvons le maintien du niveau des crédits de la mission « Culture » dans le budget triennal 2015-2017. Il montre l’attention portée à ce secteur par le Gouvernement.
La culture doit aujourd’hui être considérée comme une urgence. « Urgence », le mot est choisi à dessein. En effet, de plus en plus, la culture est l’apanage d’une frange de la population, qui l’a héritée de ses parents. De moins en moins, elle est ce qu’elle devrait être : un bien transversal, partagé par toutes les couches sociales de la population, défiant toute appropriation catégorielle. Parfois élitiste, la culture devient facteur de discrimination à la fois verticale et horizontale, sans que l’école vienne compenser cet état de fait.
La culture est, d'abord, un facteur de discrimination verticale, en tant que capital, en tant qu’habitus. Comme Bourdieu l’avait constaté, les étudiants issus des classes sociales favorisées « héritent […] des savoirs et un savoir-faire, des goûts et un "bon goût" dont la rentabilité scolaire, pour être indirecte, n’en est pas moins certaine. » Le montant des bourses sur critères sociaux dans l’enseignement supérieur n’a pas encore été assez revalorisé pour compenser ces inégalités. Comment une bourse d’échelon 1, d’un montant de 166,50 euros par mois, pourrait-elle permettre aux étudiants de se loger, de se nourrir, de s’acheter des manuels scolaires et de faire face à leurs dépenses de santé ? Dès lors, imaginez ce qui leur reste pour la culture ! Selon le Secours populaire français, 107 000 étudiants seraient dans une situation de précarité et 45 000 dans une situation d’extrême pauvreté.
La culture opère aussi une discrimination horizontale, car les fractures territoriales, en la matière, sont importantes. Deux France, aujourd’hui, s’opposent : une France urbaine, vivant dans ou à proximité d’une métropole et bénéficiant d’infrastructures culturelles, et une France périphérique, hors du champ des grandes métropoles, qui, nous le savons, cumule les handicaps en matière d’aménagement du territoire, ce qui a aussi des répercussions en termes d’accès à la culture. La désertification culturelle préfigure la désertification des territoires, de manière plus globale.
C’est sur ce plan que les politiques culturelles trouvent leur point d’ancrage et leur justification : rééquilibrer, horizontalement et verticalement, l’accès des uns et des autres à la culture. Comme le soulignait un rapport conjoint de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires culturelles, il existe une corrélation positive entre les initiatives culturelles et le développement à long terme des territoires.
S’agissant des territoires, les crédits déconcentrés de la mission « Culture » ont été préservés, notamment au sein du programme « Patrimoines ». Ce dernier point est particulièrement important. En effet, une récente étude de l’Association des petites villes de France révèle que 95 % des villes de 3 000 à 20 000 habitants envisagent de réduire, dès 2015, les moyens qu’elles consacrent à la culture, dans le contexte de la baisse des dotations de l’État. La progression des crédits du patrimoine est donc un signal positif envoyé à nos collectivités territoriales.
Par ailleurs, nous savons que l’exception culturelle française est l’un des moyens de notre rayonnement dans le monde. Elle a des répercussions marchandes, facilement quantifiables – par exemple, dans le secteur du tourisme ou encore dans celui de l’industrie culturelle –, mais elle a aussi des effets qualitatifs, plus difficiles à mesurer, comme l’illustre la remise du prix Nobel de littérature 2014 à l’écrivain Patrick Modiano.
L’émergence de la notion d’« exception culturelle » résulte de l’opposition irréductible entre, d’une part, des systèmes de régulation spécifiques, au bénéfice de productions nationales, et, d’autre part, des dispositifs de libre-échange internationaux, fondés sur la prohibition des mesures de discrimination entre productions nationales et productions étrangères.
Le Gouvernement a annoncé la sanctuarisation des crédits dédiés à la culture, à la suite du mouvement des intermittents du spectacle. Le groupe du RDSE soutient cet effort.
Dans un pays comme le nôtre, l’exception culturelle est plus qu’essentielle, justifiant un régime dérogatoire de subvention à la création artistique.
L’évolution du régime des intermittents est nécessaire, mais différentes pistes sont à explorer, notamment la lutte contre les abus des sociétés de production audiovisuelle. Celles-ci emploient des intermittents à l’année, ce qui réduit très sensiblement leurs charges et leur permet de verser des petits salaires. Le rapport d’information de notre collègue député Jean-Patrick Gille préconisait, par exemple, de requalifier les CDD d’usage en CDI au-delà de 900 heures de temps de travail auprès du même employeur dans l’année ou encore d’interdire de cumuler un emploi à plein temps avec des allocations.
Sur ce sujet, notre collègue Maryvonne Blondin a elle aussi réalisé un important travail, que nous devrions utiliser un peu plus.
Le spectacle vivant, que je connais plus particulièrement, fait coexister des structures de tailles très différentes, qui vont des opéras nationaux aux prestataires dans les domaines du son, de la lumière ou des costumes. Globalement, les entreprises du spectacle vivant sont de petite taille. Ainsi, 43 % des entreprises relevant de la branche professionnelle ont déclaré cinq salariés au plus, tous types de contrats de travail confondus, 94 % des entreprises de la branche emploient moins de 10 salariés permanents et 54 % n’emploient aucun salarié permanent. Le secteur associatif représente 81,2 % des entreprises de la culture. Cette diversité impose que soit menée une politique permettant une différenciation intelligente, dans le cadre du chantier qui s’ouvrira prochainement.
Nous attendons beaucoup d’un gouvernement de gauche en matière de culture. Nous espérons que nous ne serons pas déçus. Pour l’heure, le groupe du RDSE votera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, bien souvent, en période de restrictions budgétaires et de recherche d’économies, la culture est le premier poste budgétaire à servir de variable d’ajustement. Néanmoins, cette année, les crédits de la mission « Culture » sont sanctuarisés, ce dont le groupe écologiste se félicite.
Cependant, cela ne doit pas nous empêcher de regretter certaines priorités, qui font que votre budget ressemble plus à celui d’un seul ministère des Beaux-Arts qu’à celui d’un ministère de la diversité culturelle.
Les écologistes considèrent que ce budget ne tient pas assez compte de la réalité des pratiques culturelles de nos concitoyens. Par exemple, dans le programme « Création », les musiques actuelles ne sont pas dotées de financements suffisants. Alors que les collectivités territoriales sont contraintes de revoir à la baisse leurs subventions en faveur des scènes de musiques actuelles, le budget que vous nous proposez n’y consacre que 9,7 millions d’euros. N’oublions pas que les musiques actuelles comptent parmi les activités culturelles préférées des Français, la musique étant la première pratique artistique. Votre décision touche particulièrement les jeunes, priorité énoncée de votre budget !
En revanche, les grandes scènes parisiennes sont plutôt bien dotées.
Une analyse comparée des investissements de l’État à Paris et dans les autres territoires serait intéressante. Je m’interroge, d’ailleurs, sur la concurrence à venir entre la salle Pleyel, l’auditorium rénové de la Maison de la Radio et, maintenant, la Philharmonie de Paris. Madame la ministre, la diversité des cultures doit aussi s’exprimer sur l’ensemble du territoire.
Enfin, je regrette le peu de place accordé à la photographie, parent pauvre historique du budget de la culture, mais pratique plébiscitée par les Français, à en croire la fréquentation et la qualité artistique des nombreux festivals existant en France. La constitution, par la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, d’une photothèque universelle, regroupant les reproductions des collections de l’État et en assurant la conservation, la valorisation et la diffusion numérique, est salutaire, mais limitée en matière de soutien aux arts visuels.
Pour ce qui concerne le programme « Patrimoines », nous nous félicitons de la mise en place de la subvention de 5 millions d’euros pour charges de service public au profit de l’Institut national de recherches archéologiques préventives. Si ce n’est qu’un pansement, sachez que nous serons attentifs au maintien de la continuité de ce service, essentiel à la sauvegarde du patrimoine et à la production de savoirs.
En outre, si nous comprenons l’utilité de renforcer les conditions d’accueil, de visite et de sécurité des visiteurs dans les bâtiments des grands opérateurs du patrimoine, pour répondre à l’objectif, plus éloigné du lien social, de renforcer l’économie touristique, cela ne doit pas se faire au détriment des monuments historiques, notamment de leur restauration. L’attractivité touristique de la France ne peut reposer uniquement sur le Louvre, Versailles ou le Centre Pompidou.
L’article 50 bis, qui vise à ce que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur la possibilité d’affecter au Centre des monuments nationaux les bénéfices d’un tirage exceptionnel du loto, est intéressant et mérite réflexion ; nous le soutiendrons. Sachez toutefois que les écologistes resteront attentifs à ce que ce type de financements n’entraîne pas un désengagement durable du ministère.
Enfin, au sein du programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », la hausse des crédits dédiés à l’éducation artistique et culturelle est une excellente nouvelle. En revanche, il est essentiel que le ministère de la culture reste aussi présent pendant le temps scolaire obligatoire.
Cinq minutes de temps de parole pour un budget de 2,6 milliards d’euros, quand il faudrait évoquer des droits culturels qui restent à construire, l’intermittence en tension, l’impact de ce que l’on appelle les GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon… Vous comprendrez, mes chers collègues, que j’ai dû faire l’impasse sur un certain nombre de points ! (Sourires.)
En tout état de cause, nous voterons les crédits de ce budget sanctuarisé, en appelant à une répartition plus équitable, sur l’ensemble du territoire, en direction de tous les publics et de toutes les pratiques. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – M. Guillaume Arnell applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Madame le président, madame la ministre, mes chers collègues, les crédits affectés à la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2015 sont présentés comme stables.
Madame la ministre, cette sanctuarisation est, pour vous, un succès. Elle le serait totalement si elle était réelle ! Malheureusement, tel n’est pas le cas. Pour s’en convaincre, il convient de replacer le budget qui nous est soumis dans une triple perspective.
Premièrement, il faut le mettre en perspective avec les baisses de 2013 et de 2014. À cet égard, le budget pour 2015 n’est que la consécration de ces baisses. Dans le temps, l’effort culturel de l’État décroît.
Deuxièmement, et ce point est tout aussi préoccupant, le budget culturel de l’État, comme cela a été indiqué, est de moins en moins représentatif de l’effort de la nation en matière culturelle, les financements des collectivités locales étant aujourd’hui largement majoritaires dans ce domaine. Or, du fait de la baisse continue de leurs ressources jusqu’en 2017, les collectivités seront amenées à réduire leur action. Même si, en toute probabilité, elles tenteront de préserver au maximum leurs dépenses culturelles, tant de fonctionnement que d’investissement, une telle réduction ne pourra être évitée.
Le phénomène pourrait être accentué par un dernier élément, constitutif de la troisième mise en perspective.
Dans le cadre des contrats de projets, qui, comme nous le savons, concentrent les crédits d’investissement de l’État, les lettres de mission données aux préfets de région ne comportent pas de volet culturel. Cela ne pourra qu’entraîner une diminution des investissements en matière de culture.
Les annexes budgétaires préparées laissent entendre que cette situation pourrait être rattrapable au travers du volet dit « territorial » des contrats de projets. Une telle indication est, à mon sens, inexacte, puisque ces volets territoriaux ne seront pas signés par l’État, sauf, madame la ministre, information contraire que vous pourriez nous communiquer ce matin et que nous accueillerions avec grand intérêt.
En résumé, une vision « grand angle » de l’évolution des ressources affectées par notre pays à la vie culturelle conduit au constat d’une triple diminution : d’une part, du budget de l’État, la mission « Culture » pour 2015 consolidant les baisses passées ; d’autre part, du budget des collectivités, via la réduction de leur voilure financière ; enfin, des actions communes de celles-ci, à la suite de la disparition des ressources affectées dans le cadre des contrats de projets.
Telle est la réalité du budget culturel dans sa grande masse !
Les trois programmes de la mission « Culture » examinée ce jour tâchent d’accompagner, tant bien que mal, ce contexte de désengagement général dans le domaine culturel.
Ainsi, le programme « Patrimoines » entend-il préserver les crédits déconcentrés de la mission. Mais que peut bien peser cette préservation, ou cet « accompagnement », au regard de la baisse des dotations aux collectivités ?
La situation est analogue pour le programme « Création ». Celui-ci affiche une ambition - que nous partageons - de soutien au spectacle vivant. Comment un tel objectif peut-il être atteint sans apporter de solution à la crise ouverte, déjà évoquée par plusieurs orateurs, que traverse le régime des intermittents ?
Il a été indiqué, en commission, que si aucun crédit n’était prévu sur le budget culturel, il en existait à l’échelon de celui du ministère du travail. Nous prenons acte de cette affirmation, madame la ministre, mais exprimons quelques doutes, le budget en question ayant, à notre connaissance, la plus grande difficulté à absorber la montée en puissance des contrats dits « aidés » sous toutes leurs formes.
Au-delà de ces doutes d’ordre financier, nous craignons de voir la question de l’intermittence ressurgir, comme ce fut le cas au début de l’été dernier. À un mois de la fin de l’année, aucun renseignement n’est communiqué à la représentation nationale sur les voies et moyens permettant de la résoudre, et j’ai le sentiment que les mêmes causes produiront les mêmes effets : en l’absence de décision d’ici à la fin cette année, les difficultés, que chacun de nous connaît bien, ne manqueront pas de renaître à l’approche des festivals d’été.
J’en arrive au programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».
Même si les crédits relatifs aux Centre national du cinéma et de l’image animée et à la Cinémathèque française sont transférés de ce programme vers le programme « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles », en dire un mot en cet instant n’est pas totalement hors sujet, dans la mesure où les dépenses fiscales relatives au domaine cinématographique et audiovisuel – cela a été souligné précédemment – demeurent paradoxalement rattachées à la mission « Culture ».
Le groupe centriste, qui, monsieur Laurent, aime les larges horizons, tient à exprimer son attachement à la dimension non seulement culturelle, mais aussi économique du monde du cinéma, comptabilisant un nombre d’emplois que nul ne peut sous-estimer.
Toujours au titre de ce programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », nous ne pouvons que regretter l’assèchement progressif, puis définitif, de la ligne budgétaire fléchée vers les établissements d’enseignement artistique financés par nos villes et nos départements. Une fois encore, cette décision nous semble symptomatique d’une politique culturelle qui, faute de moyens, ne parvient naturellement pas à atteindre l’objectif affiché de tout sauvegarder et finit par ne plus avoir de priorités clairement définies.
C’est d’ailleurs ce constat, madame la ministre, qui semble caractériser l’ensemble de ce projet de budget. Votre volonté, parfaitement honorable, d’essayer de maintenir tous les domaines d’intervention du ministère de la culture et de la communication, à tout le moins un maximum de lignes budgétaires pour cet exercice 2015, aboutit à ce qui ressemble fort à une politique de saupoudrage !
Le vrai risque pour l’action culturelle dans notre pays est, aujourd’hui, celui d’un long affaissement des ressources, avec une répartition large et inchangée des crédits. Ce modèle conduit à une forme de décrochage général.
En prenant un peu de recul, le principal reproche que l’on peut formuler à l’encontre des propositions budgétaires pour 2015 figurant à la mission « Culture » est donc l’insuffisance de priorisation. C’est la limite des bonnes intentions !
En un mot, le monde de la culture attend des choix et des décisions !
Quant à la nécessaire articulation entre l’État et les territoires, je rappelle que votre prédécesseur, madame la ministre, avait proposé aux collectivités une sorte de contrat moral : le temps des grands investissements étant terminé, les outils de création et de diffusion existant, l’effort serait porté sur le travail de diffusion des grands opérateurs parisiens vers la province. Moins d’investissements, donc, mais une diffusion plus ouverte vers la province. Ce contrat moral reste pour le Sénat, garant de l’équilibre des territoires, une trajectoire recommandable.
Dans ce contexte d’incertitude, vous comprendrez, madame la ministre, le vote défavorable du groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)