M. François Patriat. Très bien !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Nous avons toute confiance dans les régions, qui seront désormais autorités de gestion en ce qui concerne la très grande majorité de ces fonds, pour que ces crédits soient mis efficacement au service de leur stratégie de développement. La France pose ainsi un acte de décentralisation fort et rejoint la pratique courante de la plupart de nos partenaires européens. Les projets mis en œuvre dans ce cadre incarnent une Europe aux côtés de nos territoires, une Europe concrète, une Europe positive, une Europe qui investit.
Au-delà de ces budgets préaffectés, nous devons répondre aux appels à projets et à propositions qui sont lancés par la Commission européenne. Nous aurons ainsi à conforter les réflexes européens des différents acteurs concernés en France. Deux grandes politiques européennes sont à cet égard essentielles, car elles participent de l’amélioration de notre compétitivité, à laquelle vous avez fait référence.
La première est la politique de recherche et d’innovation, à travers le programme Horizon 2020. Son budget a été porté à 79 milliards d’euros sur la période 2014-2020 pour l’ensemble de l’Union européenne, soit une augmentation de 38 % par rapport à la période précédente.
C’est essentiel que nous puissions présenter de bons projets pour que la France bénéficie du programme Horizon 2020 si nous voulons atteindre l’objectif que nous nous sommes fixé de consacrer 3 % de notre PIB à la recherche et à l’innovation. C’est essentiel aussi si nous voulons tirer profit du potentiel international de nos laboratoires, de nos universités, en créant les activités de recherche, mais aussi les produits de demain, ainsi que les emplois y afférents.
Je souligne que le programme Horizon 2020, principalement destiné aux universités et aux laboratoires de recherche, peut aussi venir en aide aux projets d’entreprises. Ces dernières sont amenées de plus en plus à faire financer une partie de leurs projets de recherche par ce programme européen.
En tout état de cause, nous devons chercher à augmenter notre taux de retour, qui est actuellement de l’ordre de 12,6 %. C’est un défi auquel nous devons nous atteler.
La seconde politique européenne essentielle tient aux grands projets de transports européens qui passent par le territoire français. Le Premier ministre a annoncé l’engagement fort de la France afin de réaliser le canal Seine-Nord Europe et la ligne ferroviaire Lyon-Turin. Là encore, nous avons plaidé lors de l’adoption du cadre financier pluriannuel en faveur d’une augmentation très substantielle de l’enveloppe allouée à ces grands projets, en ayant à l’esprit qu’ils peuvent profiter des 40 % de financements du mécanisme d’interconnexion pour l’Europe.
Vous le voyez, ce budget européen vise clairement à répondre aux défis de nos territoires, de la cohésion sociale et de l’emploi, de l’économie et de l’avenir. Il permet également de faire face aux crises les plus urgentes. À cet égard, je pense d’abord à l’aide humanitaire d’urgence, qui soutient le financement des actions sur plusieurs terrains de crise – Syrie, Soudan, République centrafricaine – et l’action coordonnée de l’Europe pour endiguer l’épidémie d’Ebola.
Je pense aussi, plus généralement, à l’action extérieure de l’Union européenne, qui s’adresse notamment aux pays ayant vocation à la rejoindre, en particulier les pays des Balkans occidentaux, qui bénéficient des crédits de préadhésion, ainsi que les pays du voisinage. Je pense à ceux du Sud, qui doivent continuer à bénéficier de tout notre soutien dans leur processus de transition démocratique et pour assurer la stabilité en Méditerranée.
Je ne voudrais pas conclure cette intervention sans évoquer à mon tour, à l’instar des deux précédents orateurs, le plan de relance de 315 milliards d’euros que le président de la Commission européenne présente ce matin à Strasbourg devant le Parlement européen.
Ce plan, dont les principaux éléments vous ont été communiqués, repose sur la création d’un fonds stratégique d’investissement, directement géré par la Banque européenne d’investissement, la BEI. Celui-ci sera doté d’une capacité de financière de 21 milliards d’euros, présentée comme une capacité de prise de risque garantie en partie par le mécanisme d’interconnexion pour l’Europe, mais aussi par la contribution de la Banque européenne d’investissement elle-même. Cette capacité financière permettra de lever des investissements privés dans des domaines qui sont des priorités européennes, mais pour lesquels l’investissement aujourd'hui fait défaut.
L’investissement en Europe est en recul d’environ 18 % par rapport à son niveau d’avant la crise de 2008. L’investissement public lui-même est aujourd'hui moitié moindre en Europe qu’aux États-Unis : 2 % du PIB en Europe contre 4 % aux États-Unis. Dans tous les pays de l’Union, au Nord comme au Sud, même si les situations sont différentes et ne concernent pas exactement les mêmes secteurs, on constate un manque d’investissement préjudiciable au potentiel de croissance de l’Europe, que nous devons veiller à préserver.
Dans certains pays, il s’agit de développer davantage les infrastructures d’énergie pour favoriser une meilleure interconnexion entre le nord et le sud de l’Europe, et assurer la sécurité énergétique ; ou encore de développer le recours aux énergies renouvelables. (M. Jean-Claude Requier opine.) Dans tel autre pays, notamment en Allemagne, ce sont parfois les infrastructures de transport de base, c'est-à-dire les routes, les ponts, qu’il faut favoriser.
De façon générale, il s’agit de combler certains retards en matière d’investissement dans les domaines d’avenir, comme dans le numérique, et d’apporter notre soutien à la recherche ainsi qu’à l’innovation dans les petites et moyennes entreprises.
Par ailleurs, il est nécessaire de continuer à soutenir la formation et l’élévation du niveau de qualification : c’est un gage non seulement de compétitivité pour l’économie européenne dans le futur, mais également d’employabilité pour nos concitoyens, notamment pour les jeunes.
Ce fonds stratégique d’investissement, doté d’une capacité financière de 21 milliards d’euros, devrait donc permettre au groupe BEI d’augmenter sa capacité d’intervention de 60 milliards d’euros – c’est un effet de levier de 3 –, lesquels entraîneraient ensuite des cofinancements pour un volume global de 315 milliards d’euros – c’est un effet de levier de 5 –, soit un levier total de 15. Ces chiffres sont conformes à ceux qui ont été enregistrés par la BEI après l’augmentation de capital de 10 milliards d’euros décidée en 2012.
Je me félicite donc de la présentation de ce plan de 315 milliards d’euros annoncé par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Ce plan devra maintenant être adopté à la fois par le Conseil européen des 18 et 19 décembre prochain, par le Parlement européen et par le Conseil de l’Europe, pour pouvoir être mis en œuvre le plus rapidement possible. C’est une nécessité pour soutenir la croissance et pour favoriser le redémarrage de l’investissement en Europe. C’était une demande forte de notre part, car notre priorité doit être la relance des investissements publics et privés, notamment dans tous les secteurs porteurs de croissance que j’ai mentionnés : l’énergie, le numérique, les transports, les télécommunications.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais vous dire aujourd’hui.
Les discussions entre le Parlement européen et le Conseil reprendront dès que la Commission aura mis une nouvelle proposition de budget sur la table. Nous continuerons naturellement à être vigilants pour que les fonds européens soient bien calibrés et dépensés au mieux de l’intérêt général européen comme de celui de notre pays.
Nous le devons à l’ensemble des citoyens européens, qui attendent de notre part que nous leur démontrions la valeur ajoutée de l’action de l’Union européenne. Soutenir les territoires et leurs projets, agir pour l’innovation et la formation, investir pour l’avenir : tel est le sens de notre contribution au budget européen ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il faut toujours savoir apprécier la poésie lorsqu’elle se présente à nous. C’est plus vrai encore lorsqu’on est plongé, comme c’est notre cas depuis plusieurs jours, dans un exercice aussi comptable qu’est l’examen d’un projet de loi de finances.
Or ce matin, nous avons de quoi nous réjouir ! Mallarmé l’affirmait : « un poème est un mystère dont le lecteur doit chercher la clef ». Cela s’applique également à merveille à cet article 30, dirai-je un peu ironiquement ! (Sourires.)
Sans suspense, le groupe écologiste votera évidemment cette contribution. Non seulement parce que celle-ci découle des traités et de notre appartenance même à l’Union européenne, mais aussi en raison de notre attachement profond à ce processus, et de notre volonté de doter l’Union de moyens à la hauteur des ambitions que nous lui fixons collectivement.
Néanmoins, un Mallarmé qui s’intéresserait aujourd’hui à la construction européenne s’interrogerait sur quelques éléments, qu’il trouverait sans doute mystérieux.
Premier mystère, cette somme d’environ 21 milliards d’euros est purement indicative, et l’on aurait bien du mal à dire aujourd’hui si elle correspondra in fine à la réalité. En effet, le prélèvement sur recettes que nous votons, année après année, se retrouve presque systématiquement en décalage avec celui qui est vraiment effectué en cours d’exercice.
L’imprécision s’explique par la complexité des modes de calcul et par celle des facteurs entrant dans la définition de notre contribution, même plusieurs années après, comme cela a déjà été souligné. Cependant, elle n’en est pas moins problématique pour la représentation nationale, qui est en droit d’attendre plus de précision et d’exactitude !
Deuxième élément de mystère, qui prolonge le précédent, cet article ne permet en rien de retracer tout le bénéfice que la France tire de son appartenance à l’Union européenne. Évidemment, il existe un rapport annexé dans lequel les plus férus de chiffres pourront se plonger. Mais il n’y a, dans le projet de loi de finances lui-même, aucun article indiquant, au moins de manière symbolique, l’ampleur des apports communautaires sur notre territoire. Et je ne parle même pas des avantages indirects ou de l’effet de levier que peuvent avoir les fonds européens sur l’investissement privé.
D’une manière générale, il n’existe pas de document qui serait à la fois assez exhaustif, compréhensible et lisible par tous pour dresser une sorte d’État de la France en Europe, sur lequel nous pourrions échanger et à partir duquel nous pourrions réorienter telle ou telle de nos politiques. Ce serait pourtant un outil intéressant à des fins de prise de conscience et de participation citoyennes, ainsi que dans notre communication sur l’Europe à l’endroit de nos propres électeurs.
L’excellent rapport – je tiens à le souligner – de notre collègue François Marc revient notamment sur les problèmes de flexibilité et de fongibilité au sein du budget communautaire, sur les retards de paiement, sur les doutes quant au mode de financement du plan de 300 milliards d’euros annoncé par Jean-Claude Juncker. Ce sont des questions qui mériteraient d’être débattues – espérons que cela sera fait – plus longuement et plus largement qu’au cours d’une simple séance plénière d’une durée d’une heure trente.
Un autre élément mystérieux que cache le montant de notre contribution est la disparition progressive des ressources propres de l’Union européenne, lesquelles étaient pourtant censées constituer la base de son budget.
Les droits de douane, en particulier, n’ont pas cessé de diminuer au cours des dernières années, tandis que les États abondent désormais le budget communautaire à hauteur de 74 % de ce dernier. Leurs contributions nationales directes devaient pourtant, à l’origine, servir uniquement à garantir l’équilibre du budget européen.
Nous sommes donc inquiets, monsieur le secrétaire d’État, concernant ce qui subsiste encore de droits de douane, vu les nombreux projets de traité de libre-échange en cours de négociation. A-t-on précisément chiffré le manque à gagner budgétaire que cela représentera bientôt en Europe ? C’est une question qu’il nous faut creuser d’urgence.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, face à la disparition de ces ressources, à la mauvaise volonté de certains États membres et à la pression qui pèse sur l’ensemble des finances publiques européennes, il devient absolument nécessaire de faire apparaître de nouvelles pistes de financement direct pour le budget communautaire. Ces pistes doivent être à la fois plus adaptées à la situation actuelle et les plus indolores possible pour nos concitoyens.
La mise en œuvre d’une taxe sur les transactions financières fait naturellement partie de cette approche renouvelée du financement propre et de l’Union européenne, même si elle sera très loin de répondre à elle seule à l’ampleur des besoins.
En effet, comme le mystère mallarméen qui entoure la poésie, le mystère qui entoure le financement de demain du budget de l’Union européenne appelle beaucoup d’imagination de notre part, si nous voulons sortir des arrangements obscurs de petits boutiquiers que nous avons connus lors de l’élaboration du cadre pluriannuel financier 2014-2020 l’an passé et qu’il nous faudra revivre lors de la construction de chaque budget annuel de l’Union.
Je donnerai un exemple. À l’issue d’un déplacement fait à Europol et à Eurojust par la commission des affaires européennes du Sénat voilà quelques mois, j’avais proposé que les sommes éventuellement recouvrées grâce aux enquêtes menées par ces organismes permettent, au moins en partie, d’augmenter les moyens qui leur sont alloués. Ces deux agences, intégrées dans le troisième pilier, ont en effet un budget très faible. Alors que le périmètre des besoins en termes de lutte contre la fraude et la criminalité internationales s’accroît, leur budget n’augmente pas. Pourtant, ces organismes font rentrer de l’argent.
Peut-être pourrions-nous réfléchir à un mécanisme du même ordre s’agissant des projets de la Commission européenne en matière de lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales, et ainsi permettre un accroissement des moyens grâce au travail que produisent l’Union européenne, ses commissions et ses agences.
C’est une piste parmi bien d’autres que la commission des affaires européennes, au gré de plusieurs rapports, a beaucoup explorée ces dernières années.
Il me semble relativement urgent qu’un dialogue continu puisse s’instaurer entre le Parlement et le Gouvernement sur ce sujet qui dépasse de loin la simple question comptable. Nous avons la capacité, en tant que pays membre de l’Union européenne, à faire des propositions en matière de ressources propres auprès des institutions européennes. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. le rapporteur spécial applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat sur le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne est important, à plus d’un titre.
La France contribue chaque année à hauteur d’une vingtaine de milliards d’euros au budget européen : un peu moins de 21 milliards d’euros en 2015, soit près de 17 % des recettes européennes. C’est une ligne budgétaire élevée en volume du projet de loi de finances, qui correspond en outre à 8,1 % des recettes fiscales françaises nettes. Ainsi, alors que les dépenses totales de l’État ont diminué de 2,7 milliards d’euros en valeur depuis 2012, le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne a augmenté de pratiquement 2 milliards d’euros.
En outre, la France est contributeur net au budget de l’Union. Elle contribue à son budget davantage qu’elle ne perçoit de fonds européens, et ce quel que soit le mode de calcul choisi, soit plus 8,5 milliards d’euros, c'est-à-dire 0,4 % du PIB.
Enfin, la France contribue aussi à différents mécanismes, dont le mécanisme européen de stabilité financière. Ainsi, près d’une soixantaine de milliards d’euros de notre dette découlent directement de notre contribution au budget de l’Union européenne.
Il ne s’agit évidemment pas de discuter le principe même de l’effort financier consenti par la France au profit de l’Union. Il participe du projet européen et de l’exception européenne. Toutefois, dans la mesure où le prélèvement sur recettes, au titre de la participation au budget de l’Union, est inclus dans le calcul de notre déficit, toute hausse de son montant diminue d’autant les crédits consacrés à d’autres politiques nationales.
À cet égard, nous pouvons souligner une augmentation de 2,5 % des dépenses administratives européennes, et ce malgré l’objectif de réduction de 5 % des effectifs des institutions, organes et agences de l’Union entre 2013 et 2017, pourtant acté par les chefs d’État et de gouvernement et inscrit dans l’accord institutionnel du 2 décembre 2013.
Cela représente un effort particulièrement important en faveur de la fonction publique européenne, souligné dans le fascicule jaune budgétaire, où l’on peut également lire ceci : « Dans la mesure où la plupart des États membres sont engagés dans des politiques strictes de maîtrise de leurs dépenses de fonctionnement, il est essentiel que l’Union s’associe activement à ces efforts. »
De plus, comme cela a été souligné dans un rapport d’information de l’Assemblée nationale de juillet 2014, l’exécution du budget européen est particulièrement « chaotique ».
Ce rapport donne l’exemple de l’année 2013 pour laquelle le budget initial s’élevait à 150,9 milliards d’euros en crédits d’engagement et à 132,8 milliards d’euros en crédits de paiement. Or pas moins de neuf budgets rectificatifs ont été adoptés au cours de l’année 2013, lesquels ont augmenté les engagements de près de 1,2 milliard d’euros et les paiements de 11,6 milliards d’euros.
Ces écarts ont une incidence immédiate sur la contribution des États membres, qui, dans le même temps, doivent consentir des efforts importants dans le cadre de la maîtrise de leurs dépenses. Ils fragilisent, par conséquent, l’effort de prévision et l’exécution budgétaire au sein de ces États et bafouent le rôle des parlementaires nationaux.
C’est pourquoi nous proposons, par notre amendement, d’exclure les contributions nationales nettes au budget de l’Union européenne du calcul du solde nominal et structurel des administrations publiques dans le cadre de la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance et du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire.
Le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne ne doit plus être pris en compte dans la norme de dépenses de l’État. Cette déduction des contributions des États membres au budget européen permettrait aussi de relancer un espace d’investissement public, entre autres par des augmentations des contributions des États au budget européen et donc aux politiques publiques européennes.
En effet, lors du récent débat sur le rôle de la France dans la relance de la zone euro, nous avions pointé l’incohérence – voire à certains égards la schizophrénie – du Gouvernement, qui, d’une part, défend une politique de relance au niveau européen et, d’autre part, s’inscrit aux côtés des autres pays contributeurs nets pour limiter les dépenses du budget européen parce qu’elles augmentent son déficit.
Cette position, incohérente à nos yeux, est aussi celle de la Commission européenne qui, d’un côté, prévoit une hausse substantielle du budget européen, donc de la participation des États membres, et, de l’autre, sanctionne la France pour son manque d’orthodoxie budgétaire. De son côté, le Conseil ne peut à la fois annoncer des objectifs politiques ambitieux et refuser d’en assumer les conséquences financières.
Toujours lors de ce même débat avait été soulignée la nécessité, en vue d’une reconstruction européenne, d’une réorientation des priorités en faveur de l’investissement public, social et écologique, cela afin d’éviter la déflation qui guette la zone euro.
À cet égard, le Fonds monétaire international, dans ses Perspectives de l’économie mondiale d’octobre 2014, jugeait que « l’investissement dans l’infrastructure, même financé par la dette, peut se justifier et aider à stimuler la demande à court terme et l’offre à moyen terme. ».
Or les budgets nationaux sont contraints et le mode de financement actuel de l’Union force les contributeurs nets à limiter les ambitions du budget européen.
Certes, des engagements ont été pris par le Conseil de juin 2014 ainsi que par le président de la Commission européenne d’investir pour une croissance plus robuste et plus justement répartie. Un plan de 300 milliards d’euros nous a certes été annoncé par M. Juncker, mais il n’y a aujourd’hui aucune perspective concrète quant à ces 300 milliards d’euros. À y regarder d’un peu plus près, il s’agit de 5 milliards de cash effectif, de 16 milliards de garanties des États membres, l’essentiel de l’effort reposant sur les investisseurs privés. Nous espérons qu’ils seront au rendez-vous, encore que 300 milliards d’euros ne représentent, somme toute, que 30 % du coût estimé de l’évasion fiscale au sein de l’Union européenne. Peut-être y a-t-il là une piste à explorer avec beaucoup d’ardeur, mais je ne doute pas que M. Juncker saura s’attaquer à cette réalité inacceptable au Luxembourg et ailleurs.
M. Jean Bizet. C’est de l’humour…
M. Éric Bocquet. Nous avions cité, dans ce débat, l’exemple des fonds structurels et de leur réallocation vers des objectifs de croissance lorsque ces fonds sont une politique de solidarité et de convergence pour les régions les moins développées d’Europe et que cette réallocation obère leurs propres perspectives de développement en matière de projets structurants et d’investissements d’avenir.
De plus, comment vouloir la relance d’un côté, tout en prônant de l’autre la rigueur budgétaire sur le plan national ?
Pourtant, toute notre économie pourrait bénéficier de l’effet de levier des dépenses européennes si l’interdiction dogmatique du déficit structurel et du déséquilibre budgétaire qui revient à condamner cette forme d’endettement qu’est l’investissement public était enfin abandonnée. Car celui-ci est un moteur de croissance, de création de richesses et d’emplois.
Nous avons défendu cette position à maintes reprises dans cet hémicycle et nous continuerons de le faire. Pour toutes ces raisons, nous vous inviterons à voter notre amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à la même époque l’année dernière s’achevaient les longues et intenses tractations sur la programmation du budget européen pour les exercices 2014 à 2020. Ce feuilleton a donné à la vue des citoyens européens ce que l’Europe peut offrir de pire, à savoir des marchandages permanents entre les États membres – souvent obnubilés par leurs égoïsmes nationaux – et les institutions communautaires, la Commission et le Parlement.
Ces procédures, qui échappent à la compréhension des non-initiés – nous en sommes convaincus –, sont de nature à alimenter l’euroscepticisme, tant elles sont contre-productives et éloignent les citoyens de l’idée européenne.
À la conclusion de cette séquence, le compromis péniblement trouvé évita le pire, à savoir une forte réduction de ce cadre financier pluriannuel. Néanmoins, nous constatons que ce nouveau cycle est caractérisé par son manque d’ambition. Il représente 960 milliards d’euros en crédits d’engagement et 908,4 milliards d’euros en crédits de paiement, soit une baisse de plus de 3 % par rapport à la période 2007-2013.
Dans son rapport spécial, notre collègue François Marc rend bien compte des défauts du mode de financement de l’Union européenne. Les rabais accordés à certains pays, tels « le chèque britannique », qui est le plus connu, les rabais sur le rabais, les taux d’appels TVA allégés pour les États fortement contributeurs,… tous ces correctifs sont venus « miter » et très largement complexifier le régime de financement de l’Union européenne, le rendant totalement illisible aux non-spécialistes, et plus encore aux citoyens.
Ces mesures dérogatoires aboutissent au fait que – et monsieur le rapporteur spécial, vous l’avez rappelé –, aujourd’hui, seules la France et l’Italie ne bénéficient pas d’un rabais spécifique. C’est une vraie Europe de marchands de tapis, loin de l’Europe des pères fondateurs et des signataires du traité de Rome.
Si l’on se fie aux termes du cadre pluriannuel, une réforme ne devrait pas intervenir avant 2020. Nous notons qu’un groupe de travail « de haut niveau », présidé par Mario Monti, le gouverneur de la Banque centrale européenne, la BCE, a été mis en place au début de 2014. Il est chargé de réfléchir au financement futur de l’Union européenne. Mais permettez-moi de vous faire part de mon scepticisme quant au résultat à attendre de ce chantier, bien qu’un consensus se dégage pour reconnaître que le système actuel est à bout de souffle.
Aujourd’hui, il nous revient non pas d’examiner ce prélèvement, mais de le confirmer.
Du fait d’un mode de calcul que je ne fais qu’évoquer, le budget pour 2015 a, lui aussi, fait l’objet d’intenses passes d’armes entre institutions : Commission, Conseil et Parlement européen. À ce jour, il n’est pas encore totalement arrêté.
À l’article 30 figure donc le montant du prélèvement, évalué à 21,04 milliards d’euros, en légère augmentation. Le verbe « évaluer » est donc choisi à dessein. En effet, ces dernières années, le prélèvement voté est largement dépassé lors de l’exécution.
De plus, la part du prélèvement sur recettes, qui atteint près de 75 % du budget, ne cesse d’augmenter. On peut donc difficilement parler d’un financement communautaire autonome.
Cet automne, les échanges entre le Gouvernement français et la Commission européenne, dans le cadre du « two-pack » et de la supervision communautaire des budgets européens ont abouti à l’annonce, par le Gouvernement, de 3,6 milliards d’euros d’économies.
Parmi les rectificatifs, figure un ajustement du prélèvement sur recettes en direction de l’Union européenne. Selon les dernières estimations, cette actualisation devrait permettre de dégager 600 millions d’euros d’économies supplémentaires. Cette baisse étant calculée en fonction du poids du revenu national brut de la France par rapport à l’ensemble des pays contributeurs, elle anticipe une croissance moindre dans notre pays que dans le reste de l’Union. Elle s’explique également par une modification des règles définissant le revenu national brut de chaque État membre.
Si la contribution de notre pays a ainsi pu baisser, pour d’autres, elle a augmenté. C’est notamment le cas du Royaume-Uni, qui a, un temps, refusé de payer cette « rallonge », avant d’en obtenir le règlement après les élections générales qui se tiendront en mai 2015. L’Europe de marchands de tapis, toujours…