M. Francis Delattre. Nous sommes pour la fiscalisation !
M. Jean Desessard. Les écologistes sont favorables à la suppression de la modulation des allocations familiales et à celle du quotient familial. Ainsi, la même somme serait attribuée pour chaque enfant, indépendamment du milieu dans lequel celui-ci est né. Il s’agirait d’une vraie réforme de justice sociale.
En conclusion, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale comporte des avancées intéressantes dans le domaine de l’accès aux soins et de la prévention, mais il est plombé par une réduction des recettes dont la compensation est loin d’être idéale. Peut-on offrir davantage de services et créer des emplois avec moins de recettes ? Comment faire plus avec moins ?
Mme Nicole Bricq. En faisant mieux !
M. Jean Desessard. De deux choses l’une, soit cela signifie que l’on engage une vraie réforme générale, soit cela veut dire qu’auparavant on faisait mal ! Nous savons tous ce qui se cache derrière les mots : « rentabilité à l’hôpital ». Allez voir le film Hippocrate.
Mme Nicole Bricq. Je l’ai vu !
M. Jean Desessard. Ce film n’est pas extraordinaire, mais il décrit très bien la misère du secteur hospitalier.
M. Yves Daudigny. Ça reste du cinéma !
Mme Laurence Cohen. On peut aussi aller voir sur place !
M. Jean Desessard. Si votre idée est de faire mieux en faisant travailler davantage les agents, c’est que vous méconnaissez complètement le terrain. Préparez-vous à un dur retour à la réalité.
Enfin, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale comporte une mesure, la modulation des allocations familiales, qui est contraire au principe d’universalité. En l’état, le groupe écologiste du Sénat, à l’instar des députés écologistes, ne votera pas ce projet de loi de financement. (Mme Laurence Cohen applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, « notre modèle social rassemble les Français, ils nous le disent : ils tiennent à ce modèle dont la force est de s’adresser à tous, depuis la naissance jusqu’à la fin de la vie, et dont l’objectif est de soutenir davantage ceux qui en ont le plus besoin ».
Vous aurez reconnu, madame la ministre, les paroles que vous avez prononcées devant l’Assemblée nationale ; vous les avez d’ailleurs reprises tout à l’heure à cette tribune. Je les cite d’autant plus facilement que je les approuve entièrement. Elles sont dans l’esprit du programme du Conseil national de la Résistance, au nom duquel Ambroise Croizat, ministre communiste, a mis en œuvre notre protection sociale.
Je vous approuve encore lorsque vous dites que, « quels que soient les succès de notre modèle social, nous devons sans cesse l’adapter, pour faire en sorte qu’il tienne mieux ses promesses de justice, qu’il réponde aux évolutions de notre société et, bien évidemment, qu’il soit soutenable financièrement ».
Oui, les élus du groupe communiste, républicain et citoyen pensent que notre modèle social a su rester moderne et que, en effet, il doit être soutenable financièrement.
Là où je ne peux plus vous suivre, c’est dans la voie que vous empruntez pour répondre à cet impératif de soutenabilité. Vous faites le choix résolu de la réforme, dites-vous. Mais en réalité, dans la foulée de vos prédécesseurs, vous persistez à baisser les dépenses sans prévoir de nouvelles recettes.
Avec ce texte, le Gouvernement persévère dans son objectif de réduction des déficits, concrétisé par des économies de 21 milliards d’euros, dont 9,6 milliards d’euros sur le financement de la santé et la protection sociale.
En outre, ce texte concrétise une part du pacte de responsabilité et compense les 6,3 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales patronales, alors même que ces mesures n’ont jamais fait la preuve de leur efficacité.
Dans un contexte économique moribond et de croissance quasi nulle, les espoirs de générer davantage de recettes semblent s’envoler. Nous nous interrogeons sur la sincérité de vos prévisions budgétaires, qui paraissent irréalistes au regard de l’austérité que vous imposez au pays et eu égard aux récentes déclarations du ministre Michel Sapin devant la Commission européenne sur le budget de la France.
Continuer à diminuer les dépenses est pour mon groupe un non-sens et un aveuglement en considération des souffrances ressenties par nos concitoyens.
En outre, la compensation du pacte de responsabilité, qui exigera, rappelons-le, 50 milliards d’euros d’économies d’ici à 2017, est réalisée par des jeux d’écriture dans la mesure où aucune recette nouvelle n’est créée.
Cette compensation est en réalité un vaste phénomène de vases communicants entre le budget de l’État et celui de la sécurité sociale. Comme le soulignait notre ancien rapporteur général Yves Daudigny, c’est une tuyauterie complexe de transferts de financements. Quoi qu’il en soit, ces jeux d’écriture qui ne seront pas éternellement renouvelables. Tôt ou tard, vous devrez affronter la question de l’augmentation des recettes.
En l’espèce, le dogmatisme est du côté du Gouvernement. Il faut en effet être mû par une forte conviction théorique pour décider d’amplifier une politique menée depuis vingt ans de réduction du prétendu « coût du travail », alors que la pratique, les statistiques et les études empiriques montrent que celle-ci est inefficace en matière de création d’emplois et lourde de conséquences pour les comptes sociaux et publics.
Chaque année, ce sont en effet près de 30 milliards d’exonérations de cotisations sociales qui sont consenties aux employeurs, sans que ne soient jamais exigées d’eux des contreparties claires, précises et concrètes. Le fondement de ces mécanismes de réduction des cotisations sociales repose sur une approche libérale de l’économie, selon laquelle plus le prétendu coût du travail serait réduit, plus les employeurs auraient tendance à recruter.
Qui plus est, ces exonérations de cotisations sociales appauvrissent tout à la fois les comptes sociaux et les salariés, car l’effet « trappe à bas salaires », à savoir le tassement des salaires pour que les employeurs conservent le bénéfice des exonérations de cotisations sociales, est indéniable.
Très clairement, plutôt que de faire le choix de renforcer le pouvoir d’achat des salariés en augmentant les salaires, c’est-à-dire en opérant un nouveau partage des richesses entre capital et travail en faveur du travail, vous faites le choix de réduire les cotisations sociales, ce qui, mécaniquement, conduira à une hausse des taxes et impôts affectés pour compenser ces moindres recettes.
Ainsi, comme le rappelait Nicolas Sansu dans son rapport sur la proposition de loi relative à la modulation des contributions des entreprises, présentée par les parlementaires communistes, « la distorsion en faveur du capital a d’abord permis d’augmenter les dividendes versés aux actionnaires, renforçant la logique de domination de la finance sur l’économie réelle ».
Quant à ma collègue Michelle Demessine, elle dénonce dans son rapport La réalité de l’impact sur l’emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises, dont le Sénat n’a d’ailleurs pas adopté les conclusions, « la course sans fin à la baisse des salaires, qui alimente la déflation en Europe, alors que nous avons besoin de croissance et de soutien à la consommation ». Enfin, écrit-elle encore, « focalisés depuis vingt ans sur le coût du travail, les pouvoirs publics ont négligé d’autres enjeux : développement des entreprises, promotion de l’emploi et des qualifications ».
Autre point de désaccord, les compensations prévues pour pallier ces réductions de recettes se traduiront logiquement par un accroissement de la fiscalisation de notre système de protection sociale, et par une hausse soit de la CSG soit de la TVA, impôts majoritairement supportés par les ménages. Cela revient à reprendre sous forme de taxes et d’impôts affectés les exonérations de cotisations salariales consenties ! Au passage, on dissimule comment ce PLFSS organise un transfert du financement des entreprises vers les salariés eux-mêmes.
De plus, les pertes de recettes organisées au profit du patronat entraîneront mécaniquement une baisse des prestations sociales et une dégradation des services proposés à la population.
Vos décisions, madame la ministre, ne seront pas sans conséquences pour nos concitoyens, notamment pour les classes populaires. Vous exigez de leur part des efforts sans en demander en retour au patronat. Autrement dit, vous faites payer la crise à celles et ceux qui la subissent le plus.
Selon le Gouvernement, ce PLFSS facilitera l’accès aux soins, réorientera le système de santé vers la proximité et la qualité et favorisera la prévention. Dans le même temps, comme vient également de le dénoncer notre collègue Jean Desessard, vous fixez l’ONDAM à 2,1 % – soit son taux le plus bas depuis sa création –, ce qui représente 3,2 milliards d’euros d’économie pour 2015. Ce faisant, alors que vous connaissez parfaitement la situation de déficit de nombreux hôpitaux, vous accentuez les fermetures de services, les réductions de personnel et les inégalités d’accès aux soins.
De même, le virage ambulatoire que vous souhaitez prendre revêt plus une finalité d’économie que d’adaptation aux progrès de la prise en charge des patients pour certains actes. Prenez garde à la sortie de route, car ce virage nécessite préalablement de réorganiser les pratiques, de former les praticiens et de créer de nouveaux lieux d’accueil. Il faut donc rester prudent sur le montant des économies envisagées.
Il faut aussi se demander jusqu’où l’on peut réduire la durée d’hospitalisation des patients sans nuire à la qualité de la prise en charge. Là encore, les inégalités sociales et territoriales sont fortement marquées : le retour chez soi après une intervention en ambulatoire ne peut être envisagé de la même manière pour tous les patients. Il faut tenir compte du cadre de vie, de l’environnement familial ou de la situation géographique de chacun.
Au-delà de l’hôpital, les économies seront pour l’essentiel réalisées à hauteur de 1 milliard d’euros grâce à « la pertinence et le bon usage des soins ». Si nous partageons votre souci de mieux gérer le prix des médicaments et des dispositifs médicaux, et de favoriser la prescription de génériques, nous contestons le recours au concept de « pertinence » dans le domaine médical.
Selon nous, les soins sont pertinents dès qu’un professionnel de santé estime qu’ils sont nécessaires à l’établissement d’un diagnostic ou d’un traitement. Entrer dans une telle discussion entrouvre une porte au débat sur l’opportunité des soins en fonction des individus. La seule pertinence que nous acceptons, c’est celle d’une meilleure coordination et transmission des informations entre les praticiens de santé de ville et des hôpitaux, ainsi que d’une meilleure coordination pour prendre en charge les aspects administratifs des dossiers des patients.
Par ailleurs, nous sommes particulièrement préoccupés par le renforcement de l’autoritarisme des ARS, qui seront désormais les gendarmes des établissements de santé puisqu’elles détiendront le pouvoir de les sanctionner en cas de non-respect des objectifs contractuels. Cette conception des relations entre les organismes de l’État ne nous semble pas correspondre aux attentes d’un système de soins « pertinent ».
Concernant la branche famille, l’annonce par le Gouvernement de la modulation des allocations familiales en fonction des revenus est extrêmement grave à nos yeux. C’est la remise en cause de l’universalité de la protection sociale, pourtant pierre angulaire de notre système de politique familiale, issue du principe même de sécurité sociale héritée du Conseil national de la Résistance, fondée sur deux bases essentielles : la solidarité et l’universalité.
Ainsi, alors même que la fiscalité remplit un rôle de redistribution verticale, des ménages aisés vers les ménages modestes, et alors que de nombreuses prestations spécifiques visent à aider les familles qui se trouvent en situation de précarité financière, les allocations familiales jouent un rôle de redistribution horizontale en faveur des familles qui ont des enfants à charge, sans considération du milieu social dans lequel grandit un enfant ni des conditions de ressources.
Avec cette réforme, vous divisez les familles entre elles et confondez l’objectif de la politique familiale d’aide à l’enfant avec celui d’une politique sociale de redistribution des revenus.
Mme Nicole Bricq. Oui.
Mme Annie David. Nous sommes, pour notre part, tout à fait favorables à l’idée de combattre les inégalités sociales par une politique fiscale juste,…
M. Jean Desessard. Suppression du quotient familial !
Mme Annie David. … passant notamment par la réintroduction de tranches fiscales, par une augmentation du SMIC et des salaires, par l’égalisation par le haut des salaires féminins et masculins et par un meilleur partage des richesses du travail.
Enfin, selon le Gouvernement, l’ambition de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale est de soutenir le pouvoir d’achat des retraités les plus modestes. Or l’assurance vieillesse est fortement mise à contribution dans la réduction des déficits.
Le gel des pensions de retraite est loin d’être compensé par la prime exceptionnelle de 40 euros pour les petites retraites et la revalorisation du minimum vieillesse. Et ce, d’autant plus que la révision du calcul du taux de CSG appliqué aux revenus de remplacement imposables va entraîner l’augmentation des cotisations pour un grand nombre de retraités.
Face à ce projet que nous ne pouvons accepter, aggravé – vous l’avez vous-même souligné, madame la ministre – par la droite sénatoriale qui a introduit des mesures réduisant encore les dépenses de l’assurance maladie de 1 milliard d’euros, tendant au report de l’âge de départ à la retraite ou à l’introduction d’une journée de carence dans la fonction publique, le groupe communiste, républicain et citoyen soutient un projet alternatif visant à réaffirmer que les déficits de la sécurité sociale ne s’expliquent pas par des dépenses excessives, mais sont la conséquence d’un manque à gagner considérable du côté des recettes. Ce projet redonne tout son sens à notre système de protection sociale et mérite que vous en preniez connaissance, madame la ministre.
Au cours du débat, nous vous proposerons de créer de nouvelles recettes à partir de deux leviers : d’une part, en alignant la contribution des revenus financiers sur ceux du travail ; d’autre part, en instaurant une modulation des cotisations sociales employeurs en fonction des politiques salariales et d’emplois.
Au-delà de ces nouvelles recettes, nous vous proposerons également de récupérer le manque à gagner des fraudes aux cotisations sociales des employeurs.
Enfin, nous proposerons de mettre en place un véritable plan d’investissement pluriannuel pour la santé publique, afin de répondre aux enjeux de prévention et d’accès aux soins.
Tout d’abord, nous proposons de réformer notre assiette de cotisations sociales en alignant les revenus financiers sur les taux actuels des cotisations sociales « employeur » de chaque branche de la sécurité sociale. Nous pourrions ainsi générer 87,45 milliards d’euros de recettes supplémentaires – soit 42,75 milliards d’euros pour la branche maladie, 27,08 milliards d’euros pour la branche vieillesse et 17,62 milliards d’euros pour la branche famille. En rendant moins incitatifs les revenus financiers, cette cotisation sociale additionnelle permettrait d’engager le combat contre la spéculation et pousserait la réorientation de l’activité économique vers la production de richesses réelles.
Ensuite, parallèlement, nous proposerons d’instaurer un dispositif de modulation des cotisations sociales patronales en fonction de règles simples : plus les entreprises sont vertueuses, moins leur part de cotisations sociales est élevée.
Je tiens à rappeler que le coût du capital imposé aux entreprises et à leurs salariés représentait en 2012 pas moins de 299 milliards d’euros, plus de deux fois ce qu’elles ont acquitté au titre des cotisations patronales. En 2013, les distributions de dividendes des entreprises du CAC 40 se sont établies à 31 milliards d’euros, faisant de la France la championne d’Europe des dividendes versés aux actionnaires. En l’occurrence, on peut parler du coût du capital !
Votre gouvernement souhaite introduire la modulation dans le système de sécurité sociale. Je vous en propose là une autre application : modulons les cotisations sociales des entreprises en fonction de leur revenu et préservons l’universalité des prestations familiales !
À ces nouvelles recettes doivent s’ajouter les actuelles qui ne sont pas perçues – et je fais ici référence aux fraudes aux cotisations employeurs. La Cour des comptes a estimé leur montant entre 20 et 25 milliards d’euros. Certains contestent ces chiffres, mais vous prévoyez de n’en récupérer que 76 millions. Pourquoi si peu ? La lutte contre les fraudes devrait être une priorité plutôt que d’étendre les exonérations aux entreprises. Encore faut-il permettre aux agents chargés du contrôle des cotisations de faire leur travail, et non réduire leurs effectifs.
Enfin, nous demandons la mise en place d’un plan pluriannuel d’investissement dans la santé publique. Les mesures proposées d’extension de l’ACS, d’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé, d’amélioration du dépistage du VIH, de prévention ou d’accès à la vaccination vont certes dans le bon sens, mais sont loin d’être suffisantes. Elles sont, hélas, trop rares pour justifier une véritable politique de réduction des inégalités d’accès aux soins. Elles auraient dû s’accompagner d’une politique plus ambitieuse, faisant le choix de la suppression des franchises médicales, de l’interdiction des dépassements d’honoraires, de la généralisation du tiers payant, de l’accroissement de la part de remboursement par l’assurance maladie, qui constituent autant d’obstacles dans l’accès aux soins.
Cette politique ambitieuse vous permettrait de développer massivement les places et les structures d’accueil des jeunes enfants au sein d’un service public de la petite enfance. Elle vous permettrait également de veiller à la qualité de l’organisation et de l’offre de soins hospitaliers, et à tarifs opposables sur tout le territoire. C’est le sens du projet alternatif que nous défendons, un projet ambitieux de justice sociale, redonnant toute sa force à notre système de protection sociale imaginé et mis en œuvre au sortir de la guerre.
En cela, nous ne sommes pas opposés au changement. Celui-ci ne nous fait pas peur et nous ne souhaitons pas condamner notre modèle social en le maintenant dans les ornières de l’immobilisme. Bien au contraire, nous voulons lui rendre son éclat, l’éclat d’un « plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État. » Vous aurez reconnu, mes chers collègues, un alinéa du programme du Conseil national de la Résistance. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC – M. Jean Desessard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel.
Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, je suis honorée que ma première intervention dans cet hémicycle porte sur un texte aussi important que le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Cependant, mon enthousiasme est largement tempéré par les constats qui s’imposent.
Avant toute chose, je tiens à remercier notre président et nos rapporteurs pour l’excellence de leur travail. Au nom du groupe UDI-UC, je me concentrerai sur les équilibres généraux du texte et les perspectives qu’il ouvre. Puis, ma collègue Élisabeth Doineau présentera la position de notre groupe sur les différentes mesures.
En ce qui concerne les soldes consolidés, le moins que l’on puisse dire est qu’ils sont inquiétants, car ce projet de loi confirme l’enrayement de la dynamique de réduction des déficits sociaux.
Depuis 2008, d’importants efforts ont été consentis pour les résorber. Toutefois, ils représentent encore un montant vertigineux de plus de 15 milliards d’euros.
Surtout, depuis 2013, la dynamique vertueuse s’est essoufflée, puisque la résorption du déficit a quasiment stagné entre 2013 et 2014. Il risque fort d’en être de même entre 2014 et 2015 au vu des hypothèses macroéconomiques optimistes retenues.
Le Gouvernement mise sur une croissance de 1 % du PIB et de 2 % de la masse salariale en 2015 alors que celle-ci a été de 1,6 % en 2014. Chacun le sait, la masse salariale est une variable-clé, car c’est sur elle que sont assises les cotisations sociales qui représentent encore plus des deux tiers du financement de la protection sociale.
Une véritable incertitude plane donc sur les recettes de la sécurité sociale.
Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ne prévoit pas d’augmentation de recettes. La recherche de l’équilibre passe uniquement par des diminutions de dépenses. Cela mérite d’être salué, à condition que ces diminutions soient réellement au rendez-vous, ce qui, hélas ! ne semble pas être le cas.
Toute la stratégie budgétaire du Gouvernement repose sur une réduction de dépenses de 9,6 milliards d’euros pour la protection sociale dès 2015. Or M. le rapporteur général l’a très bien exposé, le présent projet de loi ne permet de retracer qu’une partie de cette somme.
Madame la ministre, où sont donc passés les milliards d’euros manquants ? Cette question n’a pas reçu de réponse à l’Assemblée nationale. Je ne doute pas que vous aurez à cœur de nous en donner une au Sénat.
Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale présente donc des recettes incertaines et un plan d’économies incomplet : autant dire que des doutes s’imposent sur sa sincérité et sa contribution au retour à l’équilibre des comptes sociaux.
Certes, la situation est difficile. Le remède ne peut être un claquement de doigts. La gravité de la situation impose à tous courage et lucidité, qualités dont ce texte ne peut se prévaloir. En effet, il faut avouer, pour utiliser une métaphore maritime d’actualité avec l’arrivée de la Route du Rhum, qu’avec ce projet de loi financement de la sécurité sociale, vous écopez, vous colmatez, mais le navire poursuit sa dérive. Il faut le renflouer durablement et retrouver le cap de l’équilibre ! La navigation à vue n’a jamais constitué une politique.
Ce projet délaisse les sujets majeurs qui inquiètent profondément les élus locaux et nos concitoyens – les déserts médicaux, la permanence des soins. Il fragilise la politique familiale, véritable réussite de notre pays qui a permis une démographie dynamique, un taux d’emploi significatif des femmes.
Il l’affaiblit par la réforme du congé parental, décidée sous le prétexte fallacieux de l’égalité entre les femmes et les hommes. Or cette réforme retirera la liberté aux familles, et ignore la réalité et la diversité de la vie professionnelle.
Il la fragilise de façon inéquitable par la réforme des allocations familiales alors qu’il existe dans la fonction publique un supplément familial dont la modulation n’a jamais été évoquée.
Vous n’affrontez pas les vrais gisements équitables d’économie, comme le rétablissement du jour de carence dans la fonction publique.
Vous éludez le lancinant problème du financement des retraites, première dépense sociale de notre pays, largement évoqué par M. le rapporteur Gérard Roche.
Vous annoncez, et en soi c’est une bonne nouvelle, la création de places de crèches supplémentaires alors que nos collectivités locales, soumises à une véritable disette budgétaire, ne pourront assurer leur part du coût de fonctionnement de ces structures.
Pour conclure, l’objectif de retour à l’équilibre des comptes sociaux semble renvoyé sine die. Nous aurions souhaité, parce que l’état du pays le nécessite, plus de réalisme, de courage et d’ambition. Nous ne pouvons que constater, avec regret, que ce projet de loi de financement de la sécurité sociale est incertain et reste, sur de nombreux points, comme l’a souligné M. le rapporteur général, très en deçà des mesures qu’exige la gravité de la situation.
En ce sens, je ne peux que souhaiter, madame la ministre, une écoute extrêmement attentive de votre part aux amendements que présenteront la commission et les membres du groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.
M. Jean-Noël Cardoux. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pardonnez-moi, une fois n’est pas coutume, de commencer mon intervention en vous livrant quelques chiffres, mais ils sont édifiants et viendront compléter les propos des précédents orateurs.
Le déficit cumulé de trésorerie de l’ACOSS en 2014 était de 33 milliards d’euros. En outre, le bilan provisoire au cours de cette année fait état d’une évolution de la masse salariale de 1,6 % alors que les prévisions étaient de 2,2 %, et des encaissements en recul de 2,9 milliards d’euros.
Le déficit global de la sécurité sociale en 2014 sera de 15,4 milliards d’euros, alors que le chiffre annoncé dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 était de 10 milliards d’euros. Pour 2015, les prévisions sont de 13,4 milliards d’euros, avec un retour à l’équilibre en 2019, deux ans après l’échéance de l’actuel mandat présidentiel. Chacun appréciera…
La croissance prévue pour 2014 était de 0,8 % : elle sera de 0,4 %. Pour 2015, la croissance annoncée est de 1 %, chiffre jugé largement irréaliste par le Haut Conseil des finances publiques.
L’ONDAM affichera un taux de progression de 2,1 %, sans véritable réforme de fond – j’y reviendrai – ; par conséquent, ce chiffre sera probablement dépassé.
J’ajoute, et je ne partage pas du tout l’optimisme du Gouvernement, que la généralisation programmée du tiers payant entraînera nécessairement le développement de ce qu’il convient malheureusement de qualifier d’assistanat, avec un effet direct sur les dépenses de la sécurité sociale.
Comme l’a justement souligné M. le rapporteur général dans son propos, que se passera-t-il si les taux d’intérêt, particulièrement bas en ce moment, remontent significativement ? Récemment, cela n’a échappé à personne, la Réserve fédérale américaine, la FED, a décidé de stopper ses perfusions financières dans l’économie des États-Unis, tout simplement parce que la croissance est revenue – elle est de 3 % ! Dans ces conditions, on peut prévoir une augmentation des taux américains au cours du premier semestre de 2015, ce qui, mécaniquement, conduira probablement à une remontée des taux européens. Je crains alors que notre système n’explose !
Notons-le au passage, comme l’a indiqué le directeur de l’ACOSS dans son rapport annuel, l’Agence finance son déficit à un taux extrêmement bas de 0,1 %, alors qu’en 2008, au plus fort de la crise, elle empruntait à 4,50 %, ce qui engendrait 800 millions d’euros d’intérêts annuels. La charge annuelle n’est donc plus que de 25 millions d’euros.
Ces chiffres devraient nous permettre de relativiser ce que nous entendons depuis quelques années sur l’héritage : l’année 2008 a été exceptionnelle, car elle a marqué le début de la crise économique mondiale qui a laissé des traces. La plupart des pays européens se sont redressés, mais pas le nôtre.
Je tiens également à signaler que les dépenses publiques de notre pays représentent actuellement 57 % du PIB, classant la France au deuxième rang des pays industrialisés en Europe, le premier étant, me semble-t-il, la Finlande.
Si ce scénario catastrophe devait se produire, malheureusement, M. Daudigny y a fait référence tout à l’heure, je ne vois pas comment nous pourrions échapper à un nouveau transfert de la dette sociale vers la CADES, avec les problèmes que cela poserait. Espérons que les taux demeurent bas, mais j’avoue ne pas trop y croire…
Devant un tel constat pour le moins inquiétant, le Gouvernement fait des efforts dans la bonne direction, mais sans réelle vision d’avenir.
Nous n’avons trouvé aucune mesure volontariste, aucune réforme structurelle dans ce projet, mais uniquement ce que je qualifierai d’« ajustement », un peu comme un boutiquier, un petit commerçant en fin de carrière – pardonnez-moi cette comparaison un peu prosaïque – cherchant à vendre son fonds de commerce, procédant à du colmatage et vivant d’expédients jusqu’à son départ, en laissant le soin à son successeur d’effectuer les réformes de fond ! (M. Jean Desessard s’exclame.)
Je vous donnerai le détail de ces mesures « à la petite semaine » qui, une fois de plus, auront un effet – j’insiste sur ce point – sur les revenus des classes moyennes : augmentation de la CSG sur les revenus de remplacement, pour les retraités moyens, en vertu de l’article 7 ; encadrement des assiettes forfaitaires ; assujettissement des rémunérations des personnes chargées d’un service public ; forfaitisation du capital décès ; anticipation du versement des cotisations des caisses de congés payés. Avec cette dernière mesure, nous sommes là au cœur de cette politique de boutiquier. Ce coup, vous le ferez une fois, ce qui rapportera 1,5 milliard d’euros de trésorerie – ce n’est pas négligeable –, mais vous ne le referez pas l’année prochaine ! C’est l’exemple même de ces petits colmatages de brèches, sans véritable réforme de fond.
Citons encore le décalage des allocations de naissance et, bien entendu, la modulation des allocations familiales en fonction du revenu, battant en brèche l’universalité du système, ce que Caroline Cayeux et certains orateurs précédents ont dénoncé. Il s’agit d’une nouvelle attaque en règle contre la famille – nous y sommes habitués depuis quelques années –, ce qui ouvre la porte à toutes les dérives concernant d’autres catégories de prestations – nous l’avons aussi souligné.
Monsieur Desessard, je suis d’accord avec vous. Il convenait de maintenir l’universalité du système et c’est en amont qu’il aurait fallu résoudre le problème, en décidant le prélèvement de sommes supplémentaires sur les revenus aisés. Néanmoins, nous estimons, et c’est là que nous divergeons totalement, que ces fameux revenus moyens ou aisés ont suffisamment été taxés depuis quelques années et ne doivent pas de nouveau être mis à contribution.
Signalons aussi la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S, sur trois ans avec le transfert sur le budget général de la sécurité sociale, ce qui représentait tout de même 2,5 milliards d’euros de ressources pour le régime social des indépendants, le RSI, et 2,5 milliards d’euros pour le Fonds de solidarité vieillesse.
Toutes ces mesures « à la petite semaine » doivent permettre de faire des économies et d’atteindre l’objectif de 2,1 % de progression de l’ONDAM. Comme l’a souligné M. le président de la commission des affaires sociales, c’est un objectif sans déremboursement ni franchise.
Nous ne le répéterons jamais assez, ce sont les classes moyennes qui, encore une fois, vont être touchées, d’autant que le risque d’augmentation des taux d’intérêt en filigrane constituerait une véritable bombe à retardement !
Devant ce constat, des réformes de fond sont nécessaires.