Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Dériot.
M. Gérard Dériot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente du comité de suivi, mes chers collègues, la catastrophe sanitaire qu’a connue la France, comme bien d’autres pays, avec l’amiante est un sujet sur lequel je me suis particulièrement mobilisé. Profondément attaché à la défense des victimes contaminées par l’amiante, je me réjouis que nous soit donnée aujourd'hui l’opportunité de débattre de nouveau de ce sujet au sein de notre assemblée.
Qu’il me soit permis de féliciter les membres du comité de suivi et particulièrement sa présidente, sous la houlette de laquelle a été effectué un travail de qualité. J’aurais dû assister à vos réunions, mais j’en ai malheureusement été souvent empêché, durant toute cette période, par mes autres fonctions.
Le rapport que j’ai eu l’honneur de rédiger en 2005 dans le cadre de la mission commune d’information, sous la présidence de Jean-Marie Vanlerenberghe et avec mon collègue Jean-Pierre Godefroy, pour établir le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante visait à comprendre, à mieux réparer et à tirer les leçons pour l’avenir du drame sanitaire que constitue l’amiante. Il avait été préparé dans un cadre de réflexion serein, la question faisant relativement consensus par-delà les clivages politiques. Ce rapport présentait vingt-huit propositions pour tirer les leçons du scandale de l’amiante et indemniser ses victimes.
Depuis qu’elle s’est saisie de la question de l’amiante, les travaux de la commission des affaires sociales du sénat sur le sujet, je l’ai souligné, ont plutôt fait l’unanimité : nous ne pouvons qu’espérer que l’État mette en œuvre ses propositions. Le consensus se traduit encore aujourd'hui, comme l’atteste la présence de bon nombre de nos collègues ici présents, qu’il s’agisse de Michelle Demessine, d’Annie David, de Jean-Pierre Godefroy, de Marie-Christine Blandin, de Gilbert Barbier et de bien d’autres. C’est la preuve que ce sujet nous a tous énormément préoccupés.
Aussi, neuf ans après la remise du rapport de la mission commune d’information en 2005, le travail du comité de suivi revêt un intérêt particulier et une importance singulière s’inscrivant dans le cadre de la mission du Parlement d’évaluation de l’action du Gouvernement. Ses travaux sont riches d’enseignements : la majorité des propositions émises en 2005 par la mission commune d’information ont été retenues – ce point a déjà été signalé – puisque dix-sept propositions concernant la protection des travailleurs ont été mises en œuvre, et on ne peut que s’en réjouir.
Malgré ces avancés incontestables, nous devons relever, comme l’a fait Mme la présidente du comité de suivi dans son propos liminaire, que les sept propositions concernant l’indemnisation des victimes du drame de l’amiante sont restées lettre morte, certainement en raison de leur coût financier, dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons. Ma première remarque porte donc sur ce point.
Le financement des dépenses au titre de la prise en charge des victimes de l’amiante est assuré, pour l’essentiel, par la branche AT–MP, accidents du travail–maladies professionnelles, de la sécurité sociale. Pour 2015, le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit une contribution totale de la branche à ces fonds de 1,073 milliard d’euros. Ces dépenses et leur impact sur l’équilibre financier de la branche AT-MP justifient que l’on engage une réflexion sur la gestion de ces dispositifs.
M. Jean-Pierre Godefroy. Très bien !
M. Gérard Dériot. Pour autant, le souci de maîtriser les dépenses engagées au titre de l’amiante ne doit pas se traduire par une moindre indemnisation des victimes. La solidarité nationale doit garantir à chaque victime de l’amiante une indemnisation satisfaisante, quelle qu’ait pu être l’origine de la contamination.
Je regrette que, dans ce domaine, les progrès opérés par l’État restent insuffisants. Une proposition du rapport de 2005 visait à permettre au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA, d’accorder aux victimes le bénéfice qui s’attache à la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur afin que ces dernières ne soient plus incitées à emprunter la voie judiciaire.
Cette proposition a été malheureusement écartée par le Gouvernement. La proposition tendant à revaloriser le montant de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, l’ACAATA, n’a pas non plus connu d’application, son montant demeurant proche du SMIC mensuel.
La question de la pérennité des fonds d’indemnisation n’a également pas été réglée. La situation financière du FCAATA, le Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, et du FIVA demeure relativement fragile, et les propositions destinées à permettre un financement pérenne du fonds n’ont pas connu de suite.
La contribution de l’État au FIVA a été inexistante en 2013 et en 2014. Bien que le projet de loi de finances pour 2015 prévoie une dotation, son montant de 10 millions d’euros demeure faible et ne permet pas de retrouver le niveau d’avant 2012, qui était de 50 millions d’euros.
Ce désengagement est d’autant plus préoccupant que la commission des affaires sociales du Sénat a, à plusieurs reprises lors de la discussion des derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale, jugé nécessaire – de Catherine Deroche à Jean-Pierre Godefroy, tout le monde est tombé d’accord – que l’État prenne sa part de responsabilité en contribuant pour un tiers à la dotation globale du FIVA. Cet impératif a été rappelé et doit être maintenu : nous devons y arriver.
Si des avancées significatives sur ce point sont toujours attendues, il est regrettable que les employeurs directement responsables ne participent pas davantage à l’effort d’indemnisation. La condamnation d’un employeur pour faute inexcusable l’oblige en principe à rembourser les sommes engagées au titre de l’indemnisation, mais le délai de latence très long des maladies de l’amiante conduit souvent le juge à constater a posteriori que l’entreprise responsable n’existe malheureusement plus.
Ainsi, la prise en charge des risques professionnels repose principalement sur la collectivité, ce qui n’est pas de nature à encourager forcément les entreprises à mettre en œuvre des politiques ambitieuses de prévention.
Ces considérations sur l’indemnisation des victimes de l’amiante soulèvent la question des modalités de réparation de l’ensemble des risques professionnels. En effet, si des considérations politiques, associées à la pression de l’opinion publique et des médias, ont permis d’introduire des règles d’indemnisation intégrale favorables pour les victimes de l’amiante, je rappelle que les salariés victimes d’autres substances chimiques toxiques ou d’accidents graves doivent se contenter, eux, de l’indemnisation forfaitaire traditionnellement versée par la branche AT–MP de la sécurité sociale.
On peut donc légitimement plaider, de ce fait, en faveur d’une réparation intégrale des préjudices causés par l’ensemble des accidents du travail et des maladies professionnelles. Le coût d’une telle réforme serait effectivement très élevé et pourrait atteindre 3 milliards d’euros pour le seul régime général. La question de l’effort financier que la collectivité est prête à engager pour assurer une meilleure indemnisation des risques professionnels se trouve ainsi posée.
Pour conclure, je souhaite abonder dans le sens du comité de suivi concernant les nouveaux défis qui s’ouvrent à nous : le désamiantage, la prévention et le suivi post-professionnel. J’adhère pleinement aux propositions du comité, et j’espère que le Gouvernement les mettra en œuvre rapidement.
Je tiens à vous féliciter de nouveau, madame la présidente Archimbaud, ainsi que l’ensemble des membres du comité, pour le travail effectué sur un sujet qui, comme je le disais à l’instant, a toujours fait consensus. L’amiante demeure un des grands scandales que notre pays a connus. Il est indispensable que nous restions tous unis pour trouver des solutions et que l’État nous accompagne. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat a produit un rapport d’investigation en 2005 pour comprendre et décrire comment l’État avait été « anesthésié par le lobby de l’amiante ». Les sénateurs Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy étaient rapporteurs, sous la présidence de Jean-Marie Vanlerenberghe.
Ce rapport consensuel et exigeant préconisait déjà de prévenir les futures contaminations, de s’intéresser aux entreprises de désamiantage et aux intervenants de second œuvre sur site amianté. Au passage, il recommandait l’interdiction des fibres vitrocéramiques. Le ministre du travail de l’époque, Gérard Larcher, ne disait-il pas dans son audition à propos de ces fibres qu’elles étaient considérées comme potentiellement cancérigènes et qu’il fallait recenser les produits de substitution moins dangereux ? Je vous renvoie à la page 309 du rapport. Où en sommes-nous, madame la secrétaire d’État ?
Les écologistes remercient Aline Archimbaud et ses collègues de la commission des affaires sociales d’avoir, par leur travail de grande qualité et leur nouveau rapport, actualisé et documenté l’alerte, et permis cet important débat. Car il y a urgence ! Le nombre de chantiers de désamiantage se multiplie, beaucoup apparaissent à l’occasion de la rénovation thermique, d’autres sont en attente car difficiles à entreprendre, comme certains centres hospitaliers universitaires. Mais, d’une part, la réglementation exigeante concernant les travailleurs est mal suivie et, d’autre part, il y a carence pour ce qui concerne les riverains et en particulier le suivi des déchets enlevés.
Beaucoup ayant été dit par les intervenants précédents, je me contenterai d’insister sur cinq points
Premièrement, le diagnostic des locaux vendus ou loués doit être plus précis et s’accompagner impérativement d’un plan des lieux investigués. Il faut un meilleur décret et des exigences accrues pour le DTA. La mémoire du lieu est en permanence un outil qualitatif qui peut sauver des vies. Tel plombier, tel électricien perçant des cloisons peut voir sa santé compromise du simple fait que le relevé soigneux des gaines encore amiantées lui aura été ou non communiqué. Coût d’un nouveau décret ? Zéro euro !
Deuxièmement, à propos des chantiers de réhabilitation, il nous faut tirer les leçons des aléas rencontrés. Afin d’éviter tout arrêt intempestif du chantier ou toute tentation d’occulter le risque en raison de surcoûts, c’est avant les appels d’offres de l’État, des collectivités et des maîtres d’ouvrage qu’il faut diagnostiquer la présence d’amiante. Coût de l’opération ? Zéro euro !
Troisièmement, la protection des salariés doit être mieux garantie par une formation ad hoc des CHSCT concernés, par des pauses compatibles avec le port d’équipements protecteurs oppressants et par des contrôles plus réguliers, en particulier pour l’usage illicite d’intérimaires ou de travailleurs non francophones qui signent à l’aveugle la note de mise en garde, écrite uniquement en français.
Au sujet des travailleurs, si une bonne traçabilité des expositions nous semble indispensable pour leur suivi sanitaire, il est impératif de veiller à ce que ces données ne soient en aucun cas utilisables par de futurs employeurs pour les tenir à l’écart de l’embauche. Coût de cette protection ? Zéro euro !
Quatrièmement, les contaminations environnementales périphériques sont une vraie source d’inquiétude pour les riverains. Les pouvoirs publics doivent garantir leur bonne information et la mise en œuvre de toute mesure protectrice, allant des vérifications de l’intégrité des bâches d’étanchéité du chantier aux arrosages réguliers des lieux susceptibles de véhiculer des fibres. Vous allez me dire que ce dispositif représente un coût. Je vous répondrai qu’en évitant de futurs malades vous réaliserez une économie de plusieurs millions d’euros.
Cinquièmement, une véritable traçabilité des déchets enlevés doit être instaurée, et le choix du lieu de la mise en décharge – déchets dangereux, inertes ou non – doit tenir compte des manipulations brutales qui font que des matériaux d’amiante prétendument « liée » deviennent des sources d’amiante friable après transport et casse.
Enfin, une étude indépendante de valorisation de l’amiante vitrifiée devrait permettre de baisser les coûts en suspendant une TGAP – la taxe générale sur les activités polluantes – liée au manque d’usages possibles. Faute de clarification, de suivi et de coût acceptable du traitement de l’amiante, nous risquons de voir encore de nombreux sacs d’amiante « tomber du camion » pendant les trajets.
Le débat d’aujourd’hui permet de reposer solennellement la question de l’expertise et des conditions de fabrication et de mise sur le marché des nanomatériaux. Ne répétons pas, par manque de règles et de précaution, un scandale sanitaire. Comme l’amiante, certains nanomatériaux sont en fibre à forte pénétration. Comme l’amiante, ils peuvent s’accumuler, être inflammatoires et carcinogènes. Cependant, du fait de leur taille, mille fois plus petite qu’une fibre d’amiante, ils vont beaucoup plus loin dans les tissus, dans les cellules, jusque dans leur noyau. Cette petite taille accroît les effets surface et les contacts toxiques. Dans un gramme de nanoparticule, il y a 100 à 1000 mètres carrés de surface de contact.
Si les articles 37 et 73 du Grenelle 2 ont un peu amélioré les exigences de transparence, le temps est venu, pour l’Europe comme pour la France, de combler ce non-lieu de l’encadrement sanitaire et de la protection des consommateurs comme des salariés.
Madame la secrétaire d’État, que ce soit pour l’éradication de l’amiante, le suivi des désamiantages ou l’encadrement des nanomatériaux, le Gouvernement doit prendre ses responsabilités. Ce message aurait pu s’adresser à Marisol Touraine pour la santé, à François Rebsamen pour le travail, à Sylvia Pinel pour le logement, à Ségolène Royal pour l’environnement, mais je ne doute pas qu’avec toutes vos compétences et votre engagement vous aurez la force de leur faire entendre que personne, demain, ne pourra dire qu’il ne savait pas. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tout le monde l’a rappelé, longtemps loué pour ses qualités de matériau extrêmement résistant et son faible coût, l’amiante a connu un très grand succès parmi les industriels avant son interdiction en 1997. C’est pourquoi, malgré des avertissements répétés sur ses effets désastreux sur la santé de leurs salariés, les industriels en ont usé et abusé – notamment dans les secteurs industriels qui ont fait la richesse de notre pays, tels que la sidérurgie, la métallurgie, les chantiers navals et autres grandes industries – pour fabriquer des faux plafonds, des portes coupe-feu, des appareils électroménagers ou encore prévenir le risque incendie dans les immeubles, les collèges et les hôpitaux.
Cet appât du gain des industriels pourrait causer la mort de 100 000 personnes d’ici à 2025, comme l’avait dénoncé la mission commune d’information du Sénat dont notre groupe avait demandé la création et à laquelle j’avais activement participé en 2005 aux côtés de Gérard Dériot, Jean-Marie Vanlerenberghe, Jean-Pierre Godefroy et Marie-Christine Blandin. Ce rapport, il faut le rappeler, a eu un grand retentissement et continue à être, aujourd’hui encore, un point d’appui sérieux pour les débats et délibérations sur ces questions de santé et de conditions de travail révélées par le drame de l’amiante.
Face à ce constat extrêmement préoccupant, révélé par notre rapport, les sénateurs communistes républicains et citoyens n’ont depuis cessé d’interpeller les gouvernements successifs. Les sujets ont été rappelés, je ne les détaillerai pas de nouveau. C’est pourquoi mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen se sont une nouvelle fois pleinement investis dans ce comité de suivi de l’amiante, mis en place par mon amie Annie David, alors présidente de la commission des affaires sociales, et présidée par Aline Archimbaud, dont je salue l’excellent travail, comme je salue celui de ses collègues Dominique Watrin et Catherine Deroche. En effet, l’amiante est actuellement responsable de 76 % des décès dus à une maladie professionnelle, et dans la région Nord-Pas-de-Calais, par exemple, sept cancers d’origine professionnelle sur dix lui sont imputables.
La lutte contre l’amiante doit donc être une priorité pour le Gouvernement dans la prévention des maladies professionnelles. Il est nécessaire pour cela, comme le préconise le rapport, de renforcer la prévention des risques de l’amiante, d’assurer une meilleure protection des travailleurs et des citoyens par une réglementation contraignante avec un pilotage de l’État au niveau ministériel. À cet égard, la création d’une plateforme internet pourrait être un outil formidable et pas seulement pour le risque amiante mais pour l’ensemble des maladies professionnelles. Lorsque plusieurs salariés déclarent une même maladie en travaillant à un même poste, les risques deviennent alors évitables et peuvent être éliminés ; en s’interrogeant sur la nocivité dudit poste et en le faisant évoluer, on peut éliminer le risque.
L’assurance maladie a tout en mains pour le faire, je veux le rappeler aujourd’hui. Elle collecte et enregistre depuis des années la liste des postes de travail ayant causé des maladies professionnelles reconnues. Elle dispose également de la liste des postes assainis après indemnisation. Mais, contrairement aux statistiques sur les types de maladies professionnelles qui ne disent rien de l’activité qui en est la cause, ces données ne sont pas rendues publiques, alors qu’elles permettraient de dresser un cadastre des risques réels et constitueraient un indicateur fondamental de l’efficacité des actions mises en œuvre pour éliminer le risque de maladie professionnelle lié à un poste de travail identifié à risques.
L’association médicale pour la prise en charge des maladies éliminables a réalisé un tel site – à la suite d'ailleurs des propositions du professeur Claude Got – à l’échelle du bassin d’emplois de l’étang de Berre. Cette initiative est soutenue par les mutuelles de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Les résultats sont éloquents : là où le réseau a identifié une vingtaine de cancers directement imputables à la cokerie de Fos-sur-Mer parmi le personnel et les sous-traitants, les statistiques de l’assurance maladie n’en recensent aujourd’hui plus aucun.
Ce cadastre du risque avéré, visible via Google Maps, est aujourd’hui inscrit dans le plan régional santé environnement PACA 2009-2013. Je voulais citer cette expérience, car elle nous conduit à réfléchir de manière beaucoup plus concrète à ce recensement.
Par ailleurs, alors que 25 millions de tonnes d’amiante se trouvent encore dans les bâtiments en France, l’État doit, comme l’indique à juste titre le rapport, prendre ses responsabilités en établissant une stratégie nationale pluriannuelle de désamiantage qui comprend, avec des financements pérennes, un échéancier et un suivi régulier du désamiantage.
Un investissement doit être réalisé dans la recherche et le développement sur les techniques de désamiantage, comme l’ont souligné un grand nombre de mes collègues, car le diagnostic amiante demeure le principal point noir dans la mise en œuvre de la réglementation actuelle. Ce diagnostic est pourtant indispensable pour déclencher la procédure de désamiantage. Il implique donc de la part de l’État et de la sécurité sociale le renforcement de leurs corps de contrôle et une coordination des interventions. De la même manière, il est indispensable de créer une filière professionnelle de désamiantage dont les compétences seraient reconnues par tous.
Comme l’indique le rapport, il est aussi prioritaire de renforcer les effectifs et les pouvoirs de contrôle, notamment de l’inspection du travail. En effet, comment contrôler l’application de la réglementation amiante dans les hôpitaux et établissements médico-sociaux lorsque les agences régionales de santé disposent au niveau national de seulement 16 équivalents temps plein ?
Enfin, l’examen des préconisations de cette mission de suivi est également, selon moi, l’occasion de faire le point sur l’indemnisation de ceux qui ont perdu leur vie à essayer de la gagner au contact de l’amiante.
À cet égard, la reconnaissance d’un préjudice d’anxiété par la Cour de cassation, le 11 mai 2010, est une grande avancée pour toutes les personnes qui ont travaillé dans les entreprises listées comme ouvrant droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante et qui vivent avec la crainte que l’épée de Damoclès ne leur tombe sur la tête, si on leur découvrait une maladie grave. Néanmoins, on peut regretter l’absence d’une voie individuelle pour bénéficier de l’ACAATA, de même que le refus de la mission d’aller plus loin dans ses préconisations pour revaloriser le montant de cette allocation par une contribution des entreprises. De plus, nous aurions souhaité qu’il soit recommandé que la gestion de l’ACAATA, actuellement assurée par la Caisse des dépôts et consignations, soit simplifiée et transférée aux caisses de la sécurité sociale.
Enfin, nous regrettons aussi que la mission n’ait pas donné suite à la recommandation de la commission formulée en 2005 visant à sanctionner le refus de certains employeurs de délivrer l’attestation d’exposition à l’amiante à laquelle les salariés ont pourtant légalement droit. On ne parvient pas à résoudre cette situation inadmissible qui dure depuis des années. C'est pourtant le minimum de ce que les employeurs pourraient faire.
Reste que ce rapport de suivi, pour lequel je réitère mes félicitations à ses auteurs, a le mérite de démontrer que, malgré l’interdiction tardive de l’amiante en 1997, la mission de 2005 a permis de créer un cadre juridique de protection des travailleurs. Il a mis en exergue les limites actuelles de la réglementation quant au repérage de l’amiante et aux faibles moyens dont disposent les services de l’État pour contrôler le désamiantage. Nous soutenons donc ce rapport et suivrons attentivement l’application des propositions du comité de suivi.
Je ne peux achever mon propos sans rendre hommage aux associations de victimes qui, il y a quelques jours encore, défilaient dans les rues de la capitale. Je tiens à saluer devant vous leur détermination sans faille à faire reconnaître et prendre en considération ce qu’elles appellent un « crime social » et à accroître les moyens financiers dédiés, comme l’ont rappelé nos collègues Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy. Elles animent un mouvement social admirable qui réclame justice, mais qui assure aussi un rôle de solidarité sans relâche auprès des victimes, dont le nombre ne cesse de s’amplifier.
Il est toujours difficile d’entendre, à l’ouverture des assemblées générales, la liste des adhérents et responsables disparus d’une année sur l’autre. Mais, comme dans Le Chant des partisans, quand un soldat tombe, un autre se lève à sa place. Voilà pourquoi, depuis 1997, ce mouvement n’a jamais faibli, car, au-delà d’eux-mêmes, un seul espoir les anime, le « plus jamais ça ».
Pour conclure, je veux citer les mots de cette veuve de Dunkerque, car ils ont toute leur place dans notre débat. Son époux venait de disparaître, mort à cinquante-quatre ans d’un mésothéliome fulgurant, dans d’atroces souffrances. Elle interpellait dans une lettre le Président de la République : « Ce crime social ne connaît ni coupable ni responsable pénalement. Nous voulons que la justice passe et ne trépasse pas. » (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Madame la présidente, madame la présidente du comité de suivi, mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, je vous prie de bien vouloir excuser la ministre de la santé, Marisol Touraine, qui est actuellement retenue à l’Assemblée nationale par l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Quoi qu’il en soit, c’est le Gouvernement tout entier qui est mobilisé sur la question de l’amiante. Sachez que votre rapport a d’ores et déjà été étudié par plusieurs ministères, le ministère de la santé bien entendu, celui du travail, mais également le ministère du logement et celui de l’écologie.
Vous l’avez dit, les maladies liées à l’amiante représentent aujourd’hui la deuxième cause de maladies professionnelles et la première cause de décès liés au travail, hors accidents du travail. Chaque année, entre 4 000 et 5 000 maladies professionnelles liées à l’amiante sont reconnues, dont environ 1 000 cancers. Nous ne voulons plus répéter les erreurs du passé, ni connaître les drames humains qui résultent des contaminations. C’est pourquoi il s’agit d’une priorité pour l’amélioration de la santé au travail.
Je tiens à saluer le travail de votre comité, qui a analysé méticuleusement les suites données aux 28 propositions formulées en 2005 par la mission commune du Sénat. Votre rapport souligne d’abord que ces propositions ont été majoritairement suivies. En effet, la réglementation actuelle a nettement progressé, en particulier dans son volet relatif à la protection des travailleurs, même s’il reste encore des progrès à faire.
Ainsi, le décret de 2012 relatif aux risques d’exposition à l’amiante a abaissé la valeur limite d’exposition professionnelle de 100 fibres à 10 fibres par litre au 1er juillet 2015. J’ai bien entendu que des questions subsistaient à ce sujet, mais le progrès est très net. Je pense également à la nouvelle méthode de contrôle de l’empoussièrement, que vous avez citée, et aux moyens de prévention gradués en fonction de la situation, avec les trois niveaux d’empoussièrement.
Ce décret a supprimé la différence entre amiante friable et non friable et a généralisé la certification des entreprises intervenantes. Il a enfin revu les règles de protection et d’organisation du travail des travailleurs exposés à l’amiante, afin de tenir compte de la pénibilité et des contraintes particulières, liées notamment au port des équipements de protection individuelle. Il est également venu compléter la réforme de la médecine du travail de 2011, qui a permis d’améliorer l’organisation des services de santé au travail et de prévoir un suivi médical spécifique des salariés exposés aux agents chimiques dangereux et aux produits cancérogènes. Un bilan intermédiaire de cette réforme est en cours, dont nous aurons prochainement les résultats.
En outre, le décret du 21 mars 2014 a réformé l’organisation du système d’inspection du travail en créant des unités de contrôle ainsi que, dans chaque région, des référents, « personnes ressources » sur les risques particuliers, parmi lesquels en premier lieu l’amiante. Un groupe national de contrôle est également créé : il aura pour mission de coordonner les agents qui interviendront dans le suivi des entreprises intervenant sur des chantiers. La protection des travailleurs exposés à l’amiante est l’une des priorités affichées de l’inspection du travail depuis 2011. Elle examine les plans de retrait ou de confinement et se rend régulièrement sur les chantiers où elle constate, malheureusement, un nombre encore trop important d’infractions à la réglementation.
En complément des contrôles, le plan de santé au travail 2010-2014 a fixé comme priorité la prévention du risque professionnel lié à l’amiante. Ainsi, de nombreuses actions d’information ont été mises en place par les acteurs de prévention régionaux à destination des entreprises et des maîtres d’ouvrage publics et privés. Un bilan du plan de santé au travail et des plans régionaux est en cours et permettra de donner de la visibilité à ces actions.
Aujourd’hui, votre groupe de suivi rend un rapport comportant une vingtaine de recommandations qui visent à améliorer la gestion du risque amiante.
Tout d’abord, figurent dans ce rapport des propositions concrètes pour faciliter et sécuriser le désamiantage. Il est ainsi proposé de faire de la prévention des risques liés à l’amiante une grande cause nationale avec, comme ambition première, la coordination de l’action de l’ensemble des acteurs impliqués. Le rapport prévoit également de rendre plus efficaces les actions sur le terrain, en créant une filière du désamiantage ou en renforçant les crédits vers la recherche et le développement.
Ensuite, vous recommandez d’améliorer le repérage de l’amiante par la création de toute une série d’outils pratiques qui pourront aider les professionnels sur le terrain.
De même, vous suggérez d’accroître la protection des travailleurs que l’on sait exposés à l’amiante, en renforçant notamment l’action de l’inspection du travail.
Par ailleurs, vous proposez de mieux protéger la population contre les risques liés à l’amiante.
Toutes ces recommandations retiennent l’attention du Gouvernement.
Le Gouvernement souhaite coordonner son action en finalisant une feuille de route interministérielle.
Au vu de tous ces éléments, du dernier rapport paru du Haut Conseil de la santé publique et compte tenu de la transversalité de la problématique, le Gouvernement a décidé d’élaborer une feuille de route interministérielle sur l’amiante, rassemblant les ministères du logement, de l’écologie, de la santé et du travail. L’objectif de cette feuille de route est d’améliorer la prévention des risques liés à l’amiante par l’application de la réglementation dans un contexte économique difficile. Bien entendu, d’autres ministères pourront s’associer à ce travail.
Les actions que comporte cette feuille de route sont organisées autour de cinq axes.
Premier axe : agir pour l’information de tous en mettant en place une communication universelle, en mutualisant les supports de communication ou encore en développant les partenariats avec les distributeurs de matériel de bricolage. Cela a notamment été évoqué pour l’information au grand public.
Deuxième axe : agir pour la professionnalisation des acteurs de la filière amiante. Que ce soient les diagnostiqueurs, les laboratoires, les maîtres d’œuvre ou les entreprises, tous ont besoin d’être accompagnés dans le cadre de cette politique de désamiantage. C'est la raison pour laquelle cette professionnalisation est importante.
Troisième axe : agir pour l’accompagnement des acteurs et pour une mise en œuvre facilitée de la réglementation. En partant des expériences de terrain qui fonctionnent, notamment en Rhône-Alpes ou dans les Pays de la Loire, un guide des bonnes pratiques pourra être édité à l’attention des maîtres d’ouvrage. De même, les entreprises publiques pourront être accompagnées dans la mise en œuvre de la réglementation.
Quatrième axe : réaliser des études et mettre en place des outils et des méthodes destinés à mieux prendre en compte les problématiques techniques et scientifiques émergentes. Il s’agit d’encourager la recherche et le développement pour soutenir l’innovation, ce qui peut permettre, entre autres résultats, d’améliorer les méthodes de repérage de l’amiante, qui sont actuellement souvent difficiles à appliquer par les professionnels peu ou pas informés.
Cinquième et dernier axe : développer les outils permettant à l’État de disposer des données nécessaires au pilotage – vous avez évoqué le manque de pilotage – et faciliter la mise en œuvre des obligations réglementaires des parties prenantes. Nous souhaitons mettre en place des outils de cartographie et d’information nécessaires pour améliorer notre efficacité. Une partie de ces travaux sont d’ores et déjà engagés.
Je veux terminer mon propos en disant que le Gouvernement a en permanence à l’esprit la situation des victimes. Le Président de la République s’est engagé à ouvrir à l’ensemble des fonctionnaires l’accès à la préretraite amiante, qui était jusqu’à présent réservée à certaines catégories. Les décrets sont en cours de finalisation.