Mme Éliane Assassi. Vous ne répondez pas à nos questions !
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le bilan du crédit d’impôt compétitivité emploi.
Avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures quinze.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
12
Communication du Conseil constitutionnel
Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 21 octobre 2014, qu’en application de l’article 61–1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du c du 2 de l’article 39 duodecies, du j du 6 de l’article 145 et du a sexties–0 ter du I de l’article 219 du code général des impôts combinées à celles de l’article 238–0 A du même code (Législation fiscale et État ou territoire non coopératif) (2014–437 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
13
Débat sur les conclusions du rapport de la commission des affaires sociales sur le suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission des affaires sociales et du groupe écologiste, le débat sur les conclusions du rapport de la commission des affaires sociales sur le suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante (rapport d’information n° 668 [2013–2014]).
La parole est à Mme Aline Archimbaud, au nom du groupe écologiste, présidente du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante.
Mme Aline Archimbaud, au nom du groupe écologiste, présidente du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier l’ensemble des collègues membres du comité de suivi « amiante », ainsi qu’Annie David, alors présidente de la commission des affaires sociales, d’avoir mis en place cette structure qui témoigne de la préoccupation constante du Sénat, depuis 2005, sur la question de l’amiante.
Je voudrais également remercier Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, d’avoir bien voulu associer notre commission à la demande du groupe écologiste pour organiser aujourd’hui ce débat en séance plénière.
En 2005, la mission commune d’information du Sénat présentait son rapport sur le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante.
Après avoir analysé les raisons de ce drame, la mission, présidée par Jean-Marie Vanlerenberghe et rapportée par Gérard Dériot, Jean Pierre Godefroy étant rapporteur adjoint, présentait pas moins de vingt-huit propositions pour mieux indemniser les victimes et tirer des leçons pour l’avenir.
En février 2013, la commission des affaires sociales a souhaité créer en son sein un comité de suivi « amiante » afin de dresser un bilan de la mise en œuvre des propositions formulées en 2005. Le comité, que j’ai l’honneur de présider, a alors identifié deux sujets essentiels : l’indemnisation des victimes et les enjeux du désamiantage.
Le comité de suivi a tout d’abord mené un cycle d’auditions sur l’indemnisation des victimes, d’avril à novembre 2013. Ensuite, de janvier à mai 2014, il a poursuivi sa réflexion sur les enjeux du désamiantage, à travers des auditions, des tables rondes et un déplacement sur le campus de Jussieu de l’université Pierre et Marie Curie. Sur cette seconde problématique, nous aurons au total rencontré trente-six organismes.
L’objectif de notre comité est simple : les pouvoirs publics doivent tirer les leçons du drame de l’amiante et relever le défi du désamiantage dans les décennies à venir.
Vous connaissez comme moi l’ampleur de ce drame. Selon la direction générale de la santé, la DGS, qui s’appuie sur les récents travaux de l’Institut national de veille sanitaire, l’INVS, le nombre de décès par mésothéliome oscillera entre 18 000 et 25 000 d’ici à 2050, tandis que le nombre de décès causés par un cancer broncho-pulmonaire en lien avec une exposition à l’amiante devrait être compris entre 50 000 et 75 000 sur la même période.
Il faut donc tout faire pour qu’à ce premier drame ne s’ajoute pas un second, lié aux conditions du désamiantage.
L’amiante n’est en effet pas un sujet réglé une fois pour toutes. Déclaré cancérogène par l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, en 1977, il n’a été interdit en France qu’en 1997. Il restera malheureusement d’actualité pendant encore plusieurs décennies, compte tenu du grand nombre d’établissements et autres objets contenant encore de l’amiante.
Comme l’indique le Guide des déchets de chantier du bâtiment de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, il restait en France, en 1998, environ 200 000 tonnes d’amiante non lié – flocage et calorifugeage – et 24 millions de tonnes d’amiante-ciment.
Je crois pouvoir affirmer que le comité de suivi a évité deux écueils. D’une part, nous avons veillé à ne jamais empiéter sur les compétences du juge judiciaire, au nom de la séparation des pouvoirs. D’autre part, nous formulons des propositions très opérationnelles, pragmatiques, sans vouloir susciter un sentiment de panique parmi nos concitoyens, mais avec le souci de faire bouger les lignes et de nous appuyer sur de nombreuses ressources et volontés, certes existantes, mais très dispersées.
Sur les vingt-huit propositions présentées en 2005, la majorité a été mise en œuvre – dix-sept, pour être précise. Elles concernaient principalement les mesures à prendre pour la protection des travailleurs.
Cependant, sept propositions relatives à l’indemnisation des victimes et à son financement sont restées lettre morte à ce jour. Faute de moyens, sans doute, mais aussi parce que l’idée de faire payer les entreprises ayant produit des matériaux amiantés ne fait pas consensus. Les différents rapports de nos collègues ont déjà abordé plusieurs fois ces questions.
Par ailleurs, une proposition concernant la qualification des diagnostiqueurs doit encore connaître une véritable mise en œuvre et trois propositions, relatives à la constitution de bases de données, sont toujours en cours de réalisation neuf ans plus tard.
En ce qui concerne le désamiantage, force est de constater que le cadre réglementaire en matière de protection contre le risque amiante, qui comprend essentiellement un volet « santé publique » et un volet « protection des travailleurs », est globalement satisfaisant.
Sans entrer dans le détail d’un sujet extrêmement technique, deux décrets méritent d’être signalés.
Le décret du 3 juin 2011 relatif à la protection de la population contre les risques sanitaires liés à une exposition à l’amiante dans les immeubles bâtis n’a pas bouleversé le volet « santé publique », mais l’a clarifié et consolidé. Ainsi, selon la nature du bâtiment et l’existence ou non d’une vente, le propriétaire doit faire réaliser des repérages et diagnostics. Trois listes sont définies selon la nature des matériaux, en fonction desquelles on établit ce qu’il reste à faire.
Seuls des laboratoires accrédités sont autorisés à effectuer les prélèvements et les analyses. Les préconisations du diagnostiqueur varient selon la nature de la liste – A, B ou C – et l’état de conservation des matériaux contenant de l’amiante, allant de la simple évaluation périodique à la réalisation de travaux de retrait ou de confinement, en passant par de nouvelles mesures.
Enfin, le seuil de déclenchement des travaux, fixé à cinq fibres par litre d’air, n’a pas été modifié.
En revanche, le décret du 4 mai 2012 relatif aux risques d’exposition à l’amiante a modifié en profondeur le volet « code du travail », suite à la révolution qu’ont entraînée les résultats de la « campagne Meta » menée par l’Institut national de recherche et de sécurité, l’INRS, en 2009.
Retenons, à ce stade, deux grands changements : d’une part, le contrôle de l’empoussièrement en milieu professionnel selon la méthode Meta, plus performante que l’ancienne méthode, qui devient obligatoire ; d’autre part, la valeur limite d’exposition professionnelle, qui passera de cent fibres à dix fibres par litre d’air au 1er juillet 2015.
En définitive, le volet « code du travail » semble être, par la conjugaison de ses deux mesures emblématiques, l’un des plus ambitieux et protecteur en Europe, comme en témoignent la majorité de nos interlocuteurs, ainsi que l’étude comparative que nous avons sollicitée auprès de la division de législation comparée du Sénat.
Mais ce satisfecit accordé à la réglementation actuelle ne saurait occulter quatre critiques de fond faites par notre comité : premièrement, un défaut de pilotage des politiques publiques au niveau national ; deuxièmement, la mauvaise qualité du repérage fragilisant la portée du dossier technique « amiante » ; troisièmement, le manque de contrôle des services de l’État pour assurer la protection des travailleurs ; quatrièmement, enfin, l’existence de règles très complexes, instables et parfois insuffisamment mises en œuvre en matière de protection de la population.
Ce sont ces constats qui nous ont amenés à présenter, dans un consensus total, une trentaine de propositions, rassemblées autour de quatre axes.
Le premier de ces axes – je laisserai mes collègues présenter les trois autres – vise à faire de la prévention du risque amiante une grande cause nationale.
Nous demandons tout d’abord au Gouvernement de mettre en place une mission interministérielle temporaire qui aurait un triple objet : élaborer une méthodologie pour estimer le coût global du désamiantage par secteur et ainsi permettre que soient fixées des priorités, étalées dans le temps, selon la dangerosité des situations ; identifier les faiblesses de la réglementation ; enfin, et surtout, évaluer l’organisation et l’implication des services administratifs.
Au cours des auditions, nous avons en effet constaté l’absence d’évaluation consolidée du coût du désamiantage depuis 1997, ainsi que l’absence d’évaluation globale pour les années à venir. Tous les bâtiments construits avant le 1er juillet 1997 sont potentiellement concernés, qu’ils soient publics ou privés, sans compter les navires, les canalisations, certains équipements industriels et des enrobés routiers, etc.
Les évaluations partielles sur le coût du désamiantage démontrent pourtant l’ampleur de la tâche qui s’annonce : l’Union sociale pour l’habitat a ainsi évalué, après un travail minutieux que nous reproduisons dans notre rapport, à environ 2,3 milliards d’euros hors taxes le surcoût annuel lié à la présence d’amiante dans les logements sociaux collectifs. On mesure l’ampleur de la tâche !
Or l’évaluation du coût global implique une certaine coordination entre les services ministériels pour cartographier ce risque, ce qui est loin d’être le cas. Je ne donnerai qu’un exemple : lors de son audition, le représentant du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche a indiqué qu’il n’avait pas eu connaissance des résultats d’une initiative du ministère de l’intérieur ayant permis de recueillir les diagnostics techniques amiante des établissements scolaires gérés par les collectivités territoriales.
Après cette audition, nous savons que le ministère a saisi officiellement le directeur général des collectivités locales afin d’engager un travail commun de cartographie du risque amiante dans les écoles, collèges et lycées, ce qui prouverait – et c’est encourageant – que la simple existence de notre comité de suivi a déjà permis de rouvrir certains dossiers.
Une coordination et une impulsion gouvernementale, interministérielle, sont absolument indispensables et urgentes, madame la secrétaire d’État. Elles n’existent pas aujourd’hui, ou vraiment très peu ; nous l’avons tous constaté lors des auditions. Je crois qu’il s’agit de l’un des messages essentiels de nos conclusions.
Nous proposons donc surtout la création d’une structure de coordination interministérielle rattachée au Premier ministre, un peu sur le modèle du Comité interministériel de la sécurité routière, qui traiterait de l’amiante et pourrait, par la suite, voir ses missions élargies à d’autres produits cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques.
Une telle structure comporterait différents collèges, regroupant les directions centrales – sur le modèle du groupe de travail national amiante et fibres, le GTNAF, qui existe déjà –, les partenaires sociaux, les experts médicaux, mais aussi les associations de prévention et de défense des victimes.
En effet, le GTNAF, malgré l’implication de certains de ses membres et de son président, ne peut répondre seul aux défis de l’amiante et à la dimension, par nature interministérielle, du sujet.
Lors de son premier mandat, entre 2008 et 2012, ce groupe de travail, qui a failli ne pas être renouvelé, a surtout assuré une coordination technique entre services administratifs, sans pouvoir décisionnel ni effectifs dignes de ce nom. Vous l’aurez compris, nous insistons sur la nécessité de mettre rapidement en place une stratégie nationale pluriannuelle de désamiantage – l’ampleur du travail à faire requiert une action sur la durée –, fondée sur des critères objectifs, transparents, actualisés et publics, en dialogue permanent avec les professionnels, les partenaires sociaux, les médecins, les experts et diverses associations.
Cette stratégie devrait disposer de financements pérennes pour affronter ce qu’un interlocuteur a appelé un « Everest financier ». L’idée est d’étaler notre action dans le temps, de prioriser les tâches et d’engager les travaux les plus urgents en fonction de la dangerosité.
Plusieurs pistes ont été proposées : mobiliser le grand emprunt, des fonds structurels européens, ou encore faire contribuer les entreprises qui ont produit les matériaux amiantés, au nom du principe pollueur-payeur.
Nous souhaitons également la création d’une véritable filière de désamiantage à l’échelle nationale. Cette filière regrouperait notamment les diagnostiqueurs, les entreprises de désamiantage, les déchetteries, mais aussi les fabricants d’équipements de protection ou de détection. Il est clair que des acteurs de taille suffisante seront beaucoup plus aptes à répondre aux exigences réglementaires.
Notre déplacement sur le campus de Jussieu nous a par ailleurs convaincus de la nécessité d’instituer une mission d’appui pour les maîtres d’ouvrage publics confrontés à des chantiers de désamiantage. Cette mission pourrait être composée de personnes ayant acquis une expérience approfondie dans les chantiers de désamiantage. Cette expérience, acquise « sur le tas », existe ; il est dommage qu’elle ne soit pas utilisée.
Trop souvent, c’est ce qui nous a été dit, les donneurs d’ordre ou maîtres d’ouvrage publics se retrouvent bien seuls pour gérer le problème de l’amiante. À titre d’illustration, les directeurs d’hôpitaux ou d’établissements médico-sociaux ne peuvent pas s’appuyer sur la direction générale de l’offre des soins, ou DGOS, qui est pourtant leur tutelle. Si la DGOS finance intégralement les chantiers de désamiantage d’envergure et complexes dans des cas exceptionnels, comme dans les CHU de Caen ou Clermont-Ferrand, son assistance technique demeure limitée. C’est pourquoi l’équipe de huit personnes chargée des chantiers de désamiantage du CHU de Caen est de facto devenue un interlocuteur privilégié pour de nombreux directeurs d’hôpitaux en France. Il y a là quelque chose à organiser et à valoriser.
Faute de temps, j’indiquerai seulement qu’une gestion immobilière plus rationnelle pourrait également être adoptée. J’en veux pour preuve le chantier sur le campus de Jussieu, qui, comme vous le savez, a duré très longtemps. Le président de l’université nous a indiqué que la location de locaux extérieurs, visant à assurer la continuité des activités de recherche des enseignants et des étudiants pendant les travaux de désamiantage, avait coûté 580 millions d’euros. Rétrospectivement, il eût été plus rationnel pour l’État d’acheter des locaux puis de les revendre à l’issue de ces opérations, plutôt que de louer des locaux en pure perte.
Par ailleurs, le comité de suivi plaide pour un fléchage des crédits vers la recherche et le développement, qui pourrait concerner plusieurs sujets.
Je pense, d’abord, à la détection de l’amiante. Cela permettrait, par exemple, d’évaluer l’efficacité du pistolet PhazIR, qui constitue une aide à la décision intéressante, mais que, nous l’avons constaté, beaucoup de nos interlocuteurs ne connaissent pas.
Je pense également à la création de nouvelles techniques de désamiantage, comme la robotisation, ou encore à la réalisation d’études spécialisées relatives à la mesure des fibres d’amiante pour certaines professions particulièrement exposées – plusieurs médecins nous ont alertés sur ce point –, les électriciens, les peintres, les maçons ou bien les diagnostiqueurs. Ce dernier point est capital, car une étude de l’INRS, publiée en octobre 2013, a montré que 40 % des plombiers-chauffagistes exposés pensaient ne jamais avoir été en contact avec des fibres d’amiante.
Le comité de suivi souhaite également la création d’une plateforme internet unique déclinant les informations à l’usage des particuliers, des parents d’élèves, des collectivités publiques maîtres d’ouvrage, des donneurs d’ordre, des entreprises, etc. Régulièrement mise à jour, elle renverrait ensuite vers les sites appropriés existants.
La communication sur le risque amiante, et surtout sur la façon de procéder quand on veut s’en débarrasser, constitue aujourd’hui un point faible évident. L’information est éclatée entre plusieurs sites peu pédagogiques, peu connus et inadaptés ; beaucoup d’acteurs nous ont confié être démunis.
Nous estimons que le travail de synthèse et de diffusion de l’information appartient à la direction générale de la santé, en lien avec l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES.
Nous proposons en outre l’organisation d’assises nationales de l’amiante, placées sous l’égide du Premier ministre, avant 2016, année au cours de laquelle la lutte contre les risques liés à l’amiante devrait, selon nous, être déclarée grande cause nationale, vingt ans après la publication du décret interdisant l’amiante en France.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Aline Archimbaud, au nom du groupe écologiste, présidente du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante. Je conclus, madame la présidente.
Enfin, nous insistons sur la nécessaire stabilisation du cadre normatif sur l’amiante, afin de laisser le temps aux différents acteurs de s’approprier les règles en vigueur.
Mes chers collègues, je laisse désormais la parole à Catherine Deroche et Dominique Watrin, qui vont vous présenter la suite des propositions du comité. Je ne doute pas, madame la secrétaire d'État, que le Gouvernement répondra aux défis relevés par notre comité de suivi. Nous le répétons : il y a urgence ; nous faisons donc appel à votre esprit de responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur les travées du RDSE. – Mme Elisabeth Doineau applaudit également.)
M. Jean-Vincent Placé. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche, membre du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante.
Mme Catherine Deroche, membre du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, notre groupe de travail, ainsi que l’a indiqué sa présidente, a identifié – c’est là le deuxième axe de son rapport – l’amélioration de la qualité du repérage amiante comme l’un des enjeux essentiels des années à venir. C’est à nos yeux le maillon faible sur les chantiers de désamiantage. Il importe également de faire du dossier technique amiante, ou DTA, un document de référence.
Selon des informations communiquées au comité de suivi, seuls 25 % à 30 % des DTA étaient réalisés en 2009–2010. Ce dossier, obligatoire uniquement pour les parties communes d’immeubles collectifs et les immeubles à usage commercial ou professionnel, constitue pourtant une véritable « carte d’identité amiante », comprenant les repérages, l’historique des travaux et des mesures d’empoussièrement, une fiche récapitulative et des recommandations générales. Quant aux DTA existants, ils sont rarement actualisés et, surtout, ils sont peu demandés par les entreprises intervenantes. Qui peut se satisfaire d’une telle situation ?
C’est pourquoi nous souhaitons, avant toute chose, que l’État joue pleinement son rôle pour contrôler la réalisation des DTA.
En particulier, les corps de contrôle relevant de la compétence de la direction générale de la santé, ou DGS, doivent être plus présents sur le terrain, contrôler la réalisation des DTA et, si besoin, sanctionner les propriétaires récalcitrants. Lors de l’audition des représentants de la DGS, nous avons ainsi appris que seuls seize emplois équivalents temps plein étaient mobilisés au niveau national dans les agences régionales de santé, ou ARS, pour contrôler la réglementation relative à l’amiante dans les hôpitaux et établissements médico-sociaux. Surtout, le contrôle par les services de l’État des obligations relatives au DTA dans les autres bâtiments semble quasiment inexistant.
Le Gouvernement doit aussi rapidement élaborer une circulaire pour rappeler aux préfets leurs prérogatives en matière de protection de la population contre le risque amiante en cas de carence du propriétaire, la dernière circulaire remontant au 14 juin 2006.
L’État doit se montrer exemplaire, par la création d’une base de données internet, régulièrement mise à jour, comprenant tous les DTA de ses établissements publics. Cette base de données pourrait s’inspirer du site www.cadastre.gouv.fr, et être étendue par la suite aux établissements publics relevant de la compétence des collectivités territoriales. Nous reprenons ainsi une proposition formulée dès 1998 par le professeur Claude Got et défendue par le Sénat en 2005.
Nous proposons qu’à terme le DTA devienne un document unique et obligatoire, quelle que soit la nature du bâtiment, afin de mieux protéger la santé des salariés et des artisans qui y interviennent.
Nous souhaitons également que le repérage de l’amiante pour les locations, rendu obligatoire par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », soit ambitieux et vise les listes A et B, comme c’est le cas aujourd’hui pour les appartements ou les maisons en cas de vente.
Enfin, la DGS doit rapidement mettre en place un système informatique de recueil des rapports annuels d’activité des diagnostiqueurs amiante et exploiter les données ainsi obtenues.
Venons-en justement à la mauvaise qualité des repérages et des diagnostics amiante, qui est relevée et dénoncée par quasiment toutes les personnes que nous avons auditionnées.
Insuffisamment formés, peu contrôlés par les organismes certificateurs, victimes, parfois, de pressions économiques dans l’exercice de leurs missions, les diagnostiqueurs sont aujourd’hui sous le feu de la critique.
Les enjeux sont majeurs : un repérage insatisfaisant entraîne des risques d’exposition à l’amiante pour les travailleurs et la population, une dévalorisation parfois dramatique des biens immobiliers, ainsi qu’un allongement de la durée du chantier accompagné de surcoûts souvent considérables.
Le comité de suivi invite par conséquent le Gouvernement à refondre totalement et rapidement l’arrêté « compétences amiante » du 21 novembre 2006, en prenant comme base de travail le projet d’arrêté modificatif d’octobre 2011, qui n’a jamais abouti.
Ce projet, qui visait à faire monter en gamme les compétences des diagnostiqueurs amiante, reposait sur deux axes : une certification avec mention, d’abord, pour réaliser des diagnostics dans les grandes copropriétés qui regroupent plus de cinquante lots, les immeubles de grande hauteur, les principaux établissements recevant du public et les diagnostics avant démolition ; une certification moins exigeante, ensuite, pour réaliser les repérages avant-vente et les immeubles de taille moindre.
En outre, la détention d’un diplôme de niveau égal à bac+2 dans le domaine du bâtiment et une expérience de cinq ans devenaient obligatoires ; à défaut de diplôme, le candidat devait présenter une expérience de dix ans. Par ailleurs, une formation de trois jours était imposée pour les diagnostiqueurs qui souhaitaient devenir certifiés sans mention.
Le comité de suivi souhaite cependant aller plus loin que ce projet d’arrêté modificatif : en obligeant les organismes certificateurs à procéder à plusieurs contrôles sur place inopinés pendant la période de surveillance des diagnostiqueurs ; en instaurant des stages de formation continue rigoureux, qui exploiteraient une base de données informatique regroupant des retours d’expérience significatifs de diagnostiqueurs ; en rendant obligatoire, par voie réglementaire, l’application de la norme de repérage amiante publiée en 2008 pour tous les types de repérage, afin d’uniformiser l’activité des diagnostiqueurs.
Par ailleurs, le comité de suivi souhaite mettre un terme au flou juridique actuel en inscrivant dans le code du travail le repérage obligatoire avant travaux, quelle que soit la nature de l’objet concerné – navires, enrobés de route, canalisations, par exemple –, comme le prévoit d’ailleurs la proposition de loi relative aux pouvoirs de l’inspection du travail, toujours en attente d’examen à l’Assemblée nationale.
Nous espérons donc que ces mesures pourront être prises rapidement, afin de renforcer les connaissances sur la présence réelle d’amiante dans les immeubles. C’est peut-être contraignant, mais il s’agit d’un vrai sujet de santé publique. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin, membre du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante.
M. Dominique Watrin, membre du comité de suivi de la mission d’information de 2005 sur l’amiante. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il me revient de vous présenter les troisième et quatrième axes de nos propositions, qui tendent à mieux protéger les travailleurs et la population face au risque amiante.
Mieux protéger les travailleurs passe d’abord par une formation spécifique obligatoire à ce risque pour tous les maîtres d’œuvre au sens large, formation pouvant s’inspirer en partie des règles prévues par l’arrêté du 23 février 2012 pour les salariés des entreprises de désamiantage.
Nous souhaitons également une véritable sensibilisation des organisations professionnelles des métiers particulièrement exposés au risque amiante. L’enjeu est considérable, puisque près d’un million de travailleurs dans le secteur du bâtiment seraient concernés par ce risque.
Parallèlement, nous espérons que la négociation actuelle des partenaires sociaux sur les institutions représentatives du personnel aboutira à un renforcement du rôle des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail en matière de prévention du risque amiante.
Mais il faut surtout renforcer l’action de l’inspection du travail, qui est en première ligne pour défendre les droits des salariés exposés à l’amiante.
L’augmentation du nombre d’agents de contrôle de l’inspection du travail est la condition sine qua non pour protéger les salariés. Qui peut croire un seul instant que les 743 inspecteurs et 1 493 contrôleurs en section d’inspection peuvent assurer sereinement leurs missions ? Un agent de contrôle peut-il vraiment suivre en moyenne 8 130 salariés ?
La création d’une cellule nationale d’appui « amiante » à la direction générale du travail, la DGT, et de cellules régionales dans les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, les DIRECCTE, permettra de mieux accompagner les agents et d’élaborer une doctrine cohérente, sans remettre en cause, bien évidemment, leur liberté pour ce qui concerne les suites qu’ils comptent réserver à leurs contrôles.
Dans ce cadre, les efforts récents pour clarifier la distinction entre les travaux relevant de la sous-section 3, qui désigne les travaux de retrait, le confinement et la démolition, et ceux qui relèvent de la sous-section 4, regroupant les travaux limités dans le temps et l’espace, doivent être poursuivis.
Il convient également d’encourager la coopération systématique avec d’autres services, comme les agents de prévention de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAM, dans le respect des compétences de chaque corps. Il serait d’ailleurs très utile de lancer une grande campagne de contrôle sur les chantiers de désamiantage au niveau national pilotée entre la direction générale du travail, l’INRS et le réseau prévention, à l’image de celle qui avait été menée au début des années 2000. Mais l’inspection du travail ne peut pas et ne doit pas être seule face au risque amiante ; chaque ministère doit jouer son rôle en amont ou en appui pour protéger nos concitoyens.
Le comité de suivi est également favorable à un élargissement de l’arrêt de chantier amiante à tous les secteurs d’activité et à tous les risques liés à l’amiante.
Enfin, le comité plaide pour que la direction générale du travail accentue ses efforts à l’égard des laboratoires de prélèvement et d’analyse, qui sont l’objet de nombreuses critiques. Des réunions de travail ont été organisées sous l’égide du ministère du travail depuis le début de l’année, mais elles doivent déboucher sur un véritable plan d’action.
J’en viens maintenant au dernier axe de nos propositions visant à mieux protéger la santé de la population.
Le comité a proposé d’abaisser le seuil déclenchant des travaux de désamiantage à 0,47 fibre d’amiante par litre d’air, mais nous constatons que le Haut Conseil de la santé publique, dans un rapport rendu public le 14 août dernier, propose un seuil à deux fibres par litre à compter de 2020. Cet abaissement du seuil est subordonné à la mise en œuvre de l’ensemble des recommandations très ambitieuses du Haut Conseil, lesquelles rejoignent pour la plupart celles qui ont été formulées par notre comité de suivi.
L’amiante présente un risque important pour les particuliers qui y sont confrontés dans leur environnement, notamment lors d’activités de bricolage. Or il existe un fossé entre les mesures de prévention prévues par les textes et la réalité du terrain. Il convient donc de mieux informer les particuliers sur la gestion des déchets susceptibles de contenir de l’amiante et de réfléchir avec les collectivités locales aux moyens d’organiser la collecte et le stockage à des coûts abordables.
Un autre enjeu important est le suivi post-professionnel des personnes exposées au cours de leur activité à des produits cancérigènes comme l’amiante.
Le mécanisme actuel demeure, hélas ! bien trop complexe, car il impose une démarche volontaire des personnes exposées. Dans son rapport de 2005, la mission commune d’information avait pourtant placé comme première recommandation l’amélioration de l’information des salariés susceptibles d’avoir été exposés à l’amiante au cours de leur carrière. Notre comité de suivi ne peut que réitérer cette recommandation.
Certaines avancées ont eu lieu, il est vrai.
Ainsi, grâce notamment à la mobilisation de syndicats, comme le Syndicat national des personnels techniques des réseaux et infrastructures, ou SNPTRI-CGT, une circulaire a récemment prévu la mise en place d’un suivi post-professionnel des personnels des travaux publics. Par ailleurs, un décret du 12 décembre 2013 relatif au suivi post-professionnel des agents hospitaliers et sociaux de l’État fait obligation aux établissements employeurs d’informer ceux-ci de leur droit à un tel suivi lors de leur cessation d’activité. Mais le comité de suivi considère que cette obligation doit être étendue à l’ensemble des employeurs publics et reposer également sur les employeurs privés.
Le comité de suivi souhaite également interpeller le Gouvernement sur les graves difficultés que rencontrent les services de l’université Pierre et Marie Curie pour assurer le suivi post-professionnel des personnels ayant travaillé sur le site de Jussieu entre 1966 et 1996. Sur 6 790 personnes identifiées, 1 700 personnes n’ont pas pu être contactées, faute d’une adresse à jour. Le service des pensions de l’État, contacté par l’université, n’a pas donné suite à leur demande d’information. Madame la secrétaire d’État, pareil cloisonnement administratif est particulièrement regrettable. Il convient, nous semble-t-il, d’y remédier très rapidement, à travers la création d’une cellule d’aide aux employeurs publics qui recherchent les agents publics susceptibles d’avoir été exposés à l’amiante.
Nous regrettons également que la réforme du statut des médecins du travail engagée en 2011 n’ait pas permis de faire le lien entre suivi professionnel et suivi post-professionnel. Nous recommandons que la promotion de l’accès à ce dernier soit un des axes du futur plan de santé au travail 2015–2019, qui est actuellement en cours d’élaboration.
Par ailleurs, il apparaît indispensable de renforcer le suivi épidémiologique dans les zones à affleurement naturel d’amiante et pour les populations exposées au traitement de l’amiante et au désamiantage. Il est essentiel de mener des études de santé publique sur tous les anciens sites industriels contaminés par l’amiante, comme le démontre l’exemple du Comptoir de minéraux et matières premières, jadis implanté à Aulnay-sous-Bois. Dans cette optique, nous appelons à un renforcement des effectifs de l’Institut national de veille sanitaire, et notamment de son département santé-travail.
Tel est le fruit des réflexions du comité de suivi de la mission d’information sur l’amiante. De notre point de vue, cette instance a pleinement joué son rôle de contrôle et d’évaluation des politiques publiques, tout en formulant des propositions concrètes, que mes deux collègues et moi-même venons de rappeler. La tâche est grande et le chantier est immense ; nous en sommes pleinement conscients.
C’est pourquoi je vous invite, madame la secrétaire d’État, à répondre aux défis relevés par notre comité de suivi sur l’amiante. (Applaudissements.)