M. Roland Courteau. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. Jean-Vincent Placé. Très bien ! (Sourires.)
M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de l’annonce de la mise en place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, la position des écologistes – peut-être vous en souvenez-vous ? – avait été clairement critique.
Sur la forme, tout d’abord, nous avions regretté qu’un tel dispositif soit voté sous forme d’amendements à une loi de finances rectificative, alors que son importance appelait à davantage de débat et de réflexion, ainsi qu’à la production d’une véritable étude d’impact.
Sur le fond, ensuite, ses finalités nous paraissaient beaucoup trop floues et son financement, reposant à la fois sur une baisse des dépenses publiques, une hausse de la TVA et les revenus de ce que l’on annonçait alors comme une nouvelle fiscalité écologique, nous semblait bien mal calibré.
Deux ans plus tard, et alors que nous disposons désormais d’un certain recul, force est de constater que nos réticences n’étaient pas tout à fait infondées !
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de condamner en bloc la notion même de crédit d’impôt ni de profiter de ce débat pour revenir à un antagonisme désormais classique, celui qui oppose les partisans d’une politique de l’offre à ceux d’une politique de la demande.
Il s’agit, dans le contexte de tensions budgétaires et de crise globale que nous connaissons, de déterminer les formes d’actions les plus efficaces et les plus efficientes qui s’offrent à nous et, lorsque c’est nécessaire, de détecter et de corriger les éventuelles erreurs d’appréciation que nous avons pu commettre.
Avec l’expérience du CICE qui est la nôtre aujourd’hui, je crois que deux erreurs de conception peuvent désormais être confirmées.
La première, c’est d’avoir mal estimé les effets éventuellement contreproductifs de certaines mesures prises au cours des deux dernières années et de la complexité de la mise en place du CICE lui-même.
Le rapport du comité de suivi indique ainsi clairement que ce dispositif, dont on sait qu’il est encore en phase de montée en charge, est nettement moins utilisé cette année par les entreprises que ce que prévoyait le Gouvernement : 13 milliards d’euros de versements étaient initialement attendus en 2014 au titre du CICE de l’année 2013 ; la prévision révisée retenue pour le projet de loi de finances n’est finalement que de 10,8 milliards d’euros.
Même si l’on peut y trouver quelques motifs de satisfaction – après tout, cela représente moins de dépenses pour l’État ! –, il est difficile de ne pas s’interroger sur ce constat. Ne serait-ce pas là, au moins partiellement, le résultat du mode de financement du CICE lui-même, comme d’autres mesures prises depuis lors, dont l’effet récessif a déjà été largement évoqué ? Je pense, par exemple, à la hausse de la TVA intervenue dans des secteurs tels que les transports en commun, la rénovation des bâtiments et la culture.
Ne faudrait-il pas remettre enfin tout cela à plat et évaluer clairement les effets croisés de toutes ces politiques ? En effet, il est, en l’état, bien difficile d’en percevoir les effets positifs, alors que les effets les plus négatifs sont beaucoup plus visibles.
Il est d’ailleurs intéressant de relever que l’absence de répercussion de la hausse de la TVA de 19,6 % à 20 % sur les prix finaux pratiqués par certains secteurs masque un effet pervers – la très faible inflation que nous observons depuis le début de l’année en témoigne –, qui contribue, lui aussi, à diminuer les effets promis du CICE pour les entreprises. Cela peut notamment se traduire par une rétractation des marges, non pas tellement celles des distributeurs eux-mêmes, mais celles de leurs fournisseurs, les producteurs, parmi lesquels on compte de nombreuses PME qui auraient pourtant bien besoin d’un surplus d’oxygène pour investir et embaucher !
La seconde erreur, qui découle en partie de la première, c’est justement le flou qui entoure le CICE quant à sa finalité en matière de création d’emplois. J’en veux pour preuve l’évolution du discours du Gouvernement lui-même sur la question.
Au moment de son lancement, le CICE devait, nous disait-on, permettre de créer 300 000 emplois à terme. On a ensuite évoqué un ordre de grandeur plus proche des 150 000 emplois. Récemment, le ministre des finances est allé jusqu’à laisser clairement entendre qu’il n’y avait pas de lien direct entre CICE et emploi…
En outre, parce que le bénéfice du CICE est limité aux salaires ne dépassant pas l’équivalent de 2,5 fois le SMIC par an, il ne facilite en rien les embauches dans les secteurs les plus qualifiés, alors que ceux-ci auraient bien besoin d’être dynamisés pour renforcer la France sur la scène internationale et relancer son économie. Ainsi, au final, le rapport annuel du comité de suivi reste très prudent quant aux résultats du dispositif sur les créations d’emploi.
Ce document indique bien, en reprenant l’enquête mensuelle de conjoncture de l’INSEE parue au mois de juillet dernier, que 48 % des entreprises de services et 34 % des entreprises de l’industrie affirment que ce dispositif aura un impact sur leurs embauches. Cependant, il s’agit de données déclaratives et, de fait, des plus imprécises. De manière plus générale, force est de constater que nous manquons de visibilité quant à l’utilisation réelle qui est faite du CICE par les entreprises qui y ont recours.
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe écologiste est favorable non pas à des mesures qui viendraient soutenir l’ensemble des acteurs économiques, quels que soient leur poids, leur modèle, leur santé réelle, mais à des mesures de soutien sectoriel, qui donneraient à l’État un véritable rôle de stratège et permettraient de soutenir nos entreprises les plus concernées par la concurrence internationale, nos entreprises véritablement innovantes et, surtout, les acteurs d’une transition écologique et d’une mutation technologique que nous appelons tous de nos vœux.
Michel Sapin indiquait récemment que le CICE était là pour permettre aux entreprises de retrouver leurs marges, donc d’investir, d’embaucher ou de former, en tout cas de préparer l’avenir.
Il est vrai qu’un crédit d’impôt peut effectivement être fort utile dans cette perspective et qu’il est des entreprises et des industries qui ne demandent qu’à se développer et à embaucher. Cependant, nous ne pourrons pas les aider avec des outils aussi généraux, imparfaitement et précipitamment conçus. De tels outils dépensent trop d’argent public sans permettre de financer assez de telles entreprises !
Et que l’on ne vienne pas nous opposer l’Europe qui, aux dires de certains, avec ses directives et ses règlements, nous empêcherait de mettre en place pareille démarche. C’est tout simplement faux : elle laisse en réalité de véritables marges de manœuvre en la matière, sans compter que c’est aussi à nous de nous emparer des politiques européennes pour mieux les orienter avec nos partenaires, alors que les institutions européennes terminent justement leur renouvellement.
Les difficultés du CICE, comme, plus généralement, celles de notre économie et de l’Europe tout entière, nous démontrent que c’est d’une utilisation précise, articulée et stratégique des moyens publics que nous avons besoin aujourd’hui. À nous de bien en tirer les conséquences. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. Jean-Vincent Placé. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, comme l’ont souligné plusieurs orateurs, le CICE a été institué par l’article 66 de la loi de finances rectificative pour 2012 et il est entré officiellement en vigueur le 1er janvier 2013. Il fait partie du pacte de responsabilité du Gouvernement, très largement inspiré du rapport Gallois.
Pour rappel, la Haute Assemblée avait rejeté cette proposition, mais, du fait de la navette parlementaire, celle-ci a été réintroduite à l'Assemblée nationale. Le CICE existe donc à présent depuis 21 mois : une durée certes insuffisante pour juger de la pleine efficacité du dispositif, mais assez longue pour avoir un premier retour d’expérience.
Un constat s’impose, celui des incertitudes mêmes du CICE en ce qui concerne son efficacité économique et sociale, c’est-à-dire en termes d’activité, de croissance et d’emploi. Et quand 17,5 milliards d'euros sont en jeu en 2015, il nous paraît essentiel que les parlementaires que nous sommes puissent, autant que les citoyennes et les citoyens, avoir des informations claires sur les réalités d’un tel dispositif.
Pour financer le CICE, on a augmenté la TVA, on a haussé le rendement de l’impôt sur le revenu, on va accroître la fiscalité dite « écologique », on a réduit et on réduit encore les dépenses publiques !
Le CICE apparaît de plus en plus comme un « chèque en blanc » accordé aux entreprises, sans contrepartie visible. Sinon, nous n’aurions pas la situation de l’emploi que nous connaissons. Le CICE prétend muscler l’offre, alors que celle-ci souffre notamment d’une insuffisance de la demande – et pour cause ! – face à un pouvoir d'achat en berne dont la première conséquence est la baisse de la consommation des ménages.
Ce dispositif est en quelque sorte la quintessence d’une politique assumée : largesse et laxisme pour certains ; rigueur et austérité imposées au plus grand nombre !
Comment ne pas s’interroger sur l’essence même de ces milliards d’euros accordés depuis des années aux entreprises, dont le CICE n’est qu’une forme parmi d’autres, une de plus – songeons aux exonérations de cotisations sociales, aux niches fiscales, au régime des groupes, à la niche Copé, à la suppression de la taxe professionnelle, et j’en passe. Le CICE, c’est en quelque sorte la « cerise sur le gâteau » – un gâteau déjà bien garni –, si je puis m’exprimer ainsi, avant la baisse programmée du taux de l’impôt sur les sociétés !
Du fait de ce que vous appelez le « coût du travail », qui en fait prend en compte les salaires sous toutes leurs formes, on postule depuis trop longtemps que les entreprises ne sont pas compétitives. Le rapport de la mission d’information menée par notre collègue Michelle Demessine démontre que les allégements de cotisations sociales et d’impôts n’ont pas suffi à enrayer le chômage, bien au contraire ! J’y reviendrai notamment avec des chiffres issus de mon département.
Tout aussi grave, cette politique d’exonérations de cotisations sociales met à mal depuis des années le financement de la protection sociale... Financée à 80 % par des cotisations, notre protection sociale ne l’est plus aujourd’hui qu’à environ 60 %. Notons d’ailleurs ensemble, mes chers collègues, que plus la sécurité sociale est « fiscalisée », plus elle est en déficit !
Les exonérations de cotisations, non ciblées, ne vont ni aux entreprises qui en ont le plus besoin ni aux secteurs les plus exposés à la concurrence. Elles favorisent au contraire les entreprises du CAC 40, et ce sont de véritables primes aux bas salaires et aux secteurs les plus abrités.
En conséquence, devons-nous continuer dans cette voie, madame la secrétaire d'État ?
Je reviens à présent spécifiquement au CICE et aux premières évaluations que le comité de suivi a pu faire, après une année et demie de mise en œuvre. Le rapport du comité de suivi est très évasif – c’est le moins que l’on puisse dire ! – sur les effets de la mesure.
Néanmoins, j’aimerais ici vous livrer quelques chiffres, qui viennent compléter ceux de ma collègue Marie-France Beaufils. Ce sont des exemples locaux et concrets qui interrogent les parlementaires communistes que nous sommes, mais aussi, je pense, tous les sénateurs ici présents.
Le groupe Mulliez, bien connu dans le Nord, perçoit depuis deux ans 127 millions d'euros. Or ce même groupe va supprimer 300 postes en trois ans.
D’après les chiffres que m’a communiqués mon collègue Dominique Watrin, 61,4 millions d’euros auraient été distribués à 6 000 entreprises du Pas-de-Calais. Pour combien d’emplois créés et combien d’emplois sauvés ?
PSA Peugeot Citroën va liquider 8 000 emplois en fermant l’usine d’Aulnay et en réduisant la production à Rennes. Avec le CICE, le Gouvernement offre en quelque sorte au groupe une récompense de plus de 100 millions d’euros pour avoir mené cette politique.
La Poste va, quant à elle, récupérer 270 millions d’euros et entend supprimer encore des milliers d’emplois d’ici à l’an prochain.
Par ailleurs, Total, dont on vient d’apprendre la disparition tragique du PD-G, touchera 80 millions d'euros, alors que ce groupe pétrolier organise volontairement son déficit en France.
Je poursuis avec un dernier exemple issu du département dont je suis l’élue. L’entreprise Ricoh, qui appartient à un groupe mondial, déclare avoir obtenu une aide publique de 1 million d’euros au titre du CICE pour l’année 2013, tout en faisant part de son intention de supprimer 328 emplois en France, dont 200 sur son site de Rungis.
Dans le Val-de-Marne, ce sont donc 65 millions d’euros qui ont été distribués à 9 817 entreprises de ce territoire. Pourtant, comme partout, le chômage n’a pas baissé. Faut-il rappeler qu’il a même augmenté de 7,9 % en 2013 à l’échelle nationale ? On ne peut pas vraiment parler d’effets bénéfiques, même minimes, du CICE.
Madame la secrétaire d'État, je crains que ces exemples ne soient pas isolés. Est-ce à dire que les aides publiques financent des licenciements et, parfois, des délocalisations ? Quelles mesures entendez-vous prendre pour que ce type d’entreprises ne puisse obtenir une nouvelle mesure de crédit d’impôt au titre du CICE pour l’année 2015, si des licenciements sont programmés ?
Par ailleurs, comment ne pas s’interroger sur le fait que seize des plus grandes entreprises françaises, faisant partie du CAC 40, cumulent une réduction d’impôt de 823 millions d’euros en 2013, qui devrait atteindre 1,24 milliard d’euros en 2014 ? Là aussi, la politique de ces groupes en matière d’emploi nous laisse plus que dubitatifs. Air France ou Sanofi, pour ne citer que deux autres exemples, ne brillent guère par leurs créations d’emplois, mais se distinguent, hélas, par leurs plans sociaux.
Mes chers collègues, quelle collectivité aujourd’hui accorde des subventions ou des avantages sans aucun engagement en retour ? Outre mon mandat de sénatrice, je suis conseillère régionale d’Île-de-France. Cette région, comme beaucoup d’autres, n’accorde pas de crédits aux entreprises qui ne mènent pas une politique « vertueuse » en termes d’emplois et d’égalité professionnelle notamment.
L’argent public ne peut être distribué sans un minimum de contrôle. N’est-ce pas aux parlementaires que nous sommes de s’en assurer, d’autant que les efforts demandés reposent toujours sur les mêmes, à savoir nos concitoyens et les collectivités ?
Vous l’avez remarqué, mes chers collègues, au sein du groupe CRC, nous sommes plus que critiques sur ce dispositif, mais nous voulons une fois de plus être constructifs dans l’intérêt de nos concitoyens.
Dans cet esprit, complétant les propos de notre collègue Marie-France Beaufils, je formulerai deux propositions supplémentaires, qui, je l’espère, trouveront de l’écho auprès de vous, madame la secrétaire d'État.
Premièrement, il faudrait créer un indice du coût du capital pour inciter véritablement au réinvestissement des dividendes dans l’entreprise.
Deuxièmement, il conviendrait de créer rapidement un observatoire national, avec des déclinaisons départementales, sur l’utilisation du CICE, afin d’évaluer de façon objective sa pertinence et d’en dégager ensuite les conclusions. C’est notamment la demande que nous avons formulée, Christian Favier et moi-même, auprès du préfet du Val-de-Marne.
Mes chers collègues, je crois que ce débat est essentiel aujourd’hui. À quelques jours de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances pour 2015, il est utile de rappeler que le montant du CICE correspond peu ou prou au montant entretenu, pour ne pas dire fabriqué, du déficit de la sécurité sociale. Tirons-en ensemble les conclusions qui s’imposent ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, vous le savez, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi devait être une sorte de couteau suisse de la relance économique française par l’amélioration de l’offre : un outil multifonction ! (Sourires.)
Selon la publicité, « le CICE a pour objectif de redonner aux entreprises des marges de manœuvre pour investir, prospecter de nouveaux marchés innover, favoriser la recherche et l’innovation, recruter, restaurer leur fonds de roulement ou accompagner la transition écologique et énergétique grâce à une baisse du coût du travail. » Stimulation de l’investissement et de la compétitivité dans les secteurs porteurs d’avenir, développement de l’emploi : difficile de dire mieux !
Après les intentions – forcément excellentes –, examinons la réalité, à tout le moins les enseignements de la première année complète de mise en œuvre du CICE, soit 2013.
Nous constatons d’abord que le rapport du comité de suivi du CICE, publié au mois de septembre 2014, dont l’importance du contenu informatif est inversement proportionnelle à la longueur – 115 pages avec les annexes –, nous est d’un maigre secours.
Essentiellement rédigé au conditionnel, pauvre en données factuelles précises, il se contente d’une évaluation de l’emploi du CICE – évolution du taux de marge des entreprises, de l’investissement, de l’emploi – à partir des seules « intentions exprimées » par les entreprises. D’ailleurs, ces dernières ne diront pas autre chose que ce que l’on attend d’elles : leur intention ne peut être que d’utiliser le CICE d'abord pour l’investissement, et ensuite pour l’emploi. Le rapport n’en note pas moins que l’on observe rarement un impact du CICE sur les prix, éléments pourtant essentiels de la compétitivité.
À regarder les choses de plus près, la réalité, telle qu’elle ressort de l’examen de l’exercice 2013, est sensiblement différente, s’agissant en tout cas des grandes entreprises du CAC 40 – elles aussi massivement éligibles au CICE, comme on vient de le dire –, lesquelles, en 2013, ont augmenté le versement de leurs dividendes et réduit leurs investissements. Autour de 40 milliards d’euros de dividendes ont ainsi été versés par ces entreprises, soit une augmentation de 5,5 %, ce qui place la France dans le peloton de tête européen pour cette discipline internationale. Leur taux de distribution médian, c'est-à-dire la part du bénéfice revenant aux dividendes, atteint 48 %, contre 46 % en 2012. En clair, la moitié des bénéfices dégagés revient aux actionnaires.
Dans le même temps, les investissements des entreprises non financières du CAC 40 ont reculé de 5 % en 2013, dégradation qui, d'ailleurs, s’est poursuivie à peu près au même rythme au premier semestre 2014. Le fameux théorème d’Helmut Schmidt, selon lequel « les profits d’aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain », est donc loin de se vérifier, au point que François Hollande lui-même, en août 2014, a cru bon de rappeler aux patrons leur devoir d’utiliser « pleinement les moyens du CICE pour investir et embaucher et non distribuer des dividendes ». On ne doute pas que les chefs d’entreprise seront sensibles à un conseil aussi paternellement délivré…
Côté intéressés, on nous explique benoîtement que « les entreprises font de l’investissement lorsqu’elles ont des projets de croissance rentables, pas simplement parce qu’elles ont des cash flows abondants. La décision d’investir dépend avant tout des perspectives futures. Or, elles ne sont pas trop optimistes pour l’heure en Europe ». Cette analyse est celle de Fabrice Théveneau, analyste à la Société générale interrogé par Les Échos, le journal de M. Bernard Arnault – première fortune française selon Forbes –, une référence donc.
Une référence qui dit clairement qu’en l’absence de demande une politique de l’offre est vouée à l’échec. Un entrepreneur n’investit et n’embauche que s’il a l’espoir de vendre, quels que soient les cadeaux fiscaux dont il pourra bénéficier. D’ailleurs, cette conclusion, bien qu’exprimée dans le langage amphigourique de rigueur, ressort aussi du rapport du comité de suivi du CICE – ne prêtez pas garde au niveau de français utilisé par ses auteurs – : « Ces résultats, bien que partiels, confirment ceux des précédentes vagues d’enquête : l’affectation du CICE en 2014 semble fortement dépendante de la situation conjoncturelle de l’entreprise, de ses contraintes et de ses perspectives. L’utilisation du CICE semble venir conforter des décisions qui répondent prioritairement à la dynamique conjoncturelle des entreprises. » En un mot, et en clair, la réussite de la politique de l’offre est suspendue à l’apparition d’une demande. Comment précisément faire apparaître cette demande ? Là est la vraie question !
En changeant l’angle de vision, en considérant ce qui se passe au niveau d’une entreprise particulière, la cohérence de la politique économique du Gouvernement apparaît-elle mieux ?
Parmi les entreprises publiques largement bénéficiaires du CICE, l’exemple de La Poste, qui aura reçu de l’ordre de 300 millions d’euros de CICE en 2013 et 357 millions d’euros en 2014, m’a fait douter. Certes, on peut se réjouir que cet argent ait permis à La Poste de réaliser 627 millions d’euros de bénéfices en 2013, soit une hausse de 31 %, malgré une chute de 30 % de son résultat d’exploitation. Toutefois, si le but du CICE est d’améliorer notre balance extérieure, on devrait pouvoir trouver d’autres entreprises plus exposées à la concurrence !
Le constat est le même s’agissant de la politique de l’emploi, La Poste poursuivant la réduction de ses effectifs, comme cela a été dit tout à l'heure : 4 500 emplois y ont ainsi été supprimés en 2013, après 2 500 en 2012. Le processus est engagé depuis longtemps.
Entendons-nous bien : je ne critique absolument pas l’aide publique à La Poste, qui remplit des missions de service public que personne d’autre n’assume, notamment par sa présence sur l’ensemble du territoire national. J’ai simplement un peu de mal à saisir la cohérence de la politique du Gouvernement à son égard : en 2013, alors que La Poste reçoit 300 millions d’euros d’aide publique par le biais du CICE, elle est, dans le même temps, ponctionnée de 171 millions d’euros de dividendes – 23 millions d’euros de plus qu’en 2012 –, tout en continuant, d'ailleurs, à assumer la charge des réductions tarifaires accordées à la presse, de l’ordre de 500 millions d’euros. Comprenne qui pourra…
En matière de cohérence et de clarification, on devrait pouvoir faire mieux, de même qu’en matière de politique fiscale, autre versant de notre affaire : si l’on en croit Thomas Piketty, le CICE « se contente d’ajouter des couches de complexité sur un système qui en compte déjà beaucoup trop. »
C’est d'ailleurs à Thomas Piketty que j’emprunterai ma conclusion (Exclamations.), puisqu’il me faut conclure – j’ai déjà dépassé le temps de parole qui m’était accordé – : « Si le gouvernement ne fait rien, alors le crédit d’impôt compétitivité emploi, dit CICE, restera comme le symbole de l’échec de ce quinquennat ». À moins que ce ne soit la réforme territoriale... Ça c’est moi qui l’ajoute. (Rires et applaudissements sur les travées du groupe CRC. – quelques sénateurs du groupe UMP rient également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons été invités par nos collègues du groupe CRC à aborder aujourd'hui la question du CICE.
Le CICE a à peine quatorze mois. Bien sûr, nous disposons d'ores et déjà, à son sujet, d’éléments d’évaluation, de rapports parlementaires et d’enquêtes de conjoncture, mais je pense que, pour juger une politique publique, pour juger de la pertinence d’un dispositif, il nous faut plus que quatorze mois.
M. Roland Courteau. En effet !
M. Martial Bourquin. Au reste, les informations que nous avons à notre disposition sont encore très parcellaires, puisque le dispositif est précisément en train de monter en charge.
Pourtant, le débat que nous avons aujourd'hui est important. Pour compléter l’intervention de mon ami Jean Germain, j’interviendrai plutôt sur la question économique et industrielle.
Tout d’abord, il faut rappeler le double objectif du CICE. Premièrement, il vise à accompagner l’ensemble du tissu économique vers une montée en gamme nécessaire à sa compétitivité, combinée à un allégement de charges. Deuxièmement, sa stratégie économique consiste à donner la priorité aux PME et aux TPE, surtout dans l’industrie.
Nous sommes dans une économie ouverte. Dès lors, nous ne pouvons ignorer la compétitivité des entreprises, sauf à devoir inévitablement les condamner.
Le premier bilan de l’investissement des PME et des TPE ayant bénéficié du dispositif – au total, 704 000 entreprises ont bénéficié du CICE – est positif. Je peux vous dire que les 400 entreprises présentes sur ma commune ont apprécié cet allégement et cette possibilité nouvelle, dont elles se sont saisies soit en se dotant d’une marge de manœuvre un peu accrue, soit en investissant.
En septembre 2014, la créance fiscale correspondant au CICE se montait à 8,7 milliards d’euros. Autrement dit, elle s’approche des 10,8 milliards d’euros prévus pour cette année et des 18 milliards d’euros prévus pour l’année prochaine. Le CICE, en vitesse de croisière, peut donc réduire de 50 % l’écart de compétitivité constaté entre l’Allemagne et la France, cet écart dont les membres de cet hémicycle débattent depuis des années. Nous parlons d’un point de PIB, soit 20 milliards d’euros. Ce n’est pas rien !
En ce qui concerne la destination du CICE, comme cela a été dit tout à l'heure, de grands groupes pourvoyeurs d’emplois émargent à ce dispositif, mais nous savons aussi que de nombreuses PME en bénéficient, et il faut s’en réjouir pleinement.
Nous n’avons pas d’évaluation plus précise, mais je pense, madame la secrétaire d’État, que vous nous donnerez des renseignements à ce sujet. Cela étant, concernant la conservation et la création d’emplois, nous en aurons surtout dans les années à venir – je pense qu’il est vraiment trop tôt pour disposer aujourd'hui de ces évaluations.
En revanche, je suis vraiment très satisfait d’apprendre que plus de la moitié des entreprises ayant bénéficié du CICE prévoient de le consacrer à l’investissement. C’est là que se situe le grand défi de l’économie française, notamment de son industrie. Il faut drainer le CICE vers l’investissement et dans l’industrie.
Mais, si je suis satisfait, nous devons aller beaucoup plus loin. Alors que 19 % des entreprises du secteur industriel ont bénéficié du crédit d’impôt, nous avons le devoir de faire augmenter ce taux l’année prochaine. Pourquoi ? Au nom de l’écart entre nos appareils productifs en matière d’investissement industriel, au-delà du différentiel de charges entre la France et l’Allemagne que j’évoquais voilà quelques instants. Je pense, par exemple, à la robotisation de nos entreprises : la France a quatre fois moins de robots que l’Allemagne et deux fois moins que l’Italie. Le CICE doit justement servir à combler cet écart. Si nous y parvenons, notre compétitivité pourra être comparée avec celles d’autres pays, en Europe et au-delà.
Je crois qu’un meilleur ciblage est possible. Je sais que Bercy n’est pas fermé à cette perspective.