Sommaire
Présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaires :
MM. Hubert Falco, Jean-François Humbert.
1. Ouverture de la troisième session extraordinaire de 2013-2014
3. Engagement des forces armées en Irak. – Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense.
MM. Pierre Laurent, Daniel Reiner, Robert Hue, André Gattolin, André Trillard, Yves Pozzo di Borgo, Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre.
4. Demande d’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de résolution
5. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
7. Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
8. Communication du Conseil constitutionnel
10. Clôture de la session extraordinaire
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaires :
M. Hubert Falco,
M. Jean-François Humbert.
1
Ouverture de la troisième session extraordinaire de 2013-2014
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République en date du 22 septembre 2014 portant convocation du Parlement en session extraordinaire le mercredi 24 septembre 2014.
Acte est donné de cette communication.
En conséquence, la troisième session extraordinaire de 2013-2014 est ouverte.
2
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du 16 septembre 2014 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?...
Le procès-verbal est adopté.
3
Engagement des forces armées en Irak
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur l’engagement des forces en Irak, en application de l’article 35, alinéa 2, de la Constitution.
La parole est à M. le ministre de la défense.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, un péril mortel s’étend au Moyen-Orient. La stabilité de la région et, au-delà, la sécurité du monde sont menacées par le groupe terroriste Daech.
La France est une grande puissance. La France assume ses responsabilités parce qu’elle est membre permanent du Conseil de sécurité, parce que la sécurité de l’Europe est menacée, parce que notre sécurité nationale est en jeu comme elle ne l’a jamais été au cours de ces dernières années.
Le Président de la République a donc décidé d’employer la force en Irak, à la demande expresse des autorités de Bagdad.
Conformément à l’article 35 de la Constitution, lorsque les forces armées sont engagées à l’extérieur, le Gouvernement en informe le Parlement dans les meilleurs délais.
Le Premier ministre a écrit au président de votre assemblée dès que les premières frappes ont été réalisées, c'est-à-dire vendredi dernier, 19 septembre 2014. Il a reçu ce matin, avec Bernard Cazeneuve, Jean-Marie Le Guen et moi-même, ainsi qu’avec les chefs d’état-major des armées et les directeurs des services de renseignement, les présidents des deux assemblées, les présidents des groupes parlementaires et les présidents des commissions de la défense et des affaires étrangères.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d’abord exprimer, à travers la représentation nationale, tout le soutien de la nation aux militaires engagés dans l’opération Chammal.
Le moment est venu, à nouveau, de faire corps derrière les armées françaises, de nous rassembler, de faire preuve d’unité. Je ne doute pas que ce sera le cas.
Grâce notamment au travail, souvent très risqué, des journalistes, les crimes du groupe Daech sont connus de tous : actes de barbarie, massacres de masse, exécution d’otages ; ces terroristes ne connaissent pas de limite à l’horreur, une horreur qu’ils propagent dans le monde entier par le biais d’internet.
Daech, c’est l’acronyme de la terreur. Celui d’un groupe qui prétend établir un califat au cœur du Moyen-Orient, qui n’offre d’autre choix que la conversion forcée ou la mort…
Lutter contre Daech, c’est combattre une organisation dont l’appellation « État islamique » constitue un double mensonge : elle n’a rien d’un État et ne représente en rien l’islam. C’est un rassemblement d’assassins, pour qui la vie humaine est sans valeur. Ce groupe, comme l’ont indiqué les plus hautes autorités de l’islam, est une insulte à cette religion.
Et il représente une triple menace : pour l’Irak, pour le monde et pour la France.
Depuis la chute de Mossoul, en juin dernier, Daech contrôle près du tiers du territoire irakien. Il maîtrise les points de communication et les axes stratégiques. Il a accumulé d’immenses richesses, lui permettant de recruter et de payer des supplétifs venant des quatre coins du monde, y compris d’Europe, y compris de France.
Son trésor de guerre a aussi servi à constituer une vraie armée, composée aujourd'hui de quelque 30 000 combattants, pourvue de près de 150 blindés légers, d’environ 50 chars de combat et de dizaines de missiles antichars. Ces troupes, extrêmement mobiles, pourraient être encore renforcées par l’acquisition de nouveaux matériels.
Aujourd’hui, la stabilité de l’Irak est menacée, l’existence même de ce pays est en danger.
Un nouveau gouvernement s’est mis en place en Irak. Il est maintenant constitué autour de quelques priorités : lutter contre cet ennemi de l’intérieur et tenter de réconcilier les communautés irakiennes, sunnites, chiites et kurdes. Il doit aussi protéger les minorités : les chrétiens d’Irak, les yazidis.
Cette tension entre les différentes communautés qui composent l’Irak est naturellement source d’inquiétudes. Le système politique irakien doit trouver un point d’équilibre, de même qu’il doit construire dans la durée des relations de confiance avec ses voisins, dont l’Iran. (M. Gérard Larcher acquiesce.)
Le gouvernement irakien nous appelle à l’aide. Il a demandé le soutien militaire de la France. C’est notre devoir de l’entendre. Aider l’Irak, éviter sa désintégration, c’est aussi éviter une déstabilisation massive de la région.
Nous agissons également en conformité avec la Charte des Nations unies, car tout État peut demander souverainement à un autre de lui porter assistance.
Daech est aussi une menace pour l’ensemble de la région.
Daech est né dans le chaos syrien. Il a prospéré avec la complicité du régime de Damas et s’est nourri de l’inaction de la communauté internationale.
Mais Daech ne s’arrêtera pas à l’Irak. Ses membres, qui forment une deuxième génération de djihadistes après celle d’Al-Qaïda, constituent, au-delà de ce pays, une menace pour tout l’Orient. Ils contrôlent plus du quart du territoire syrien. Ils cherchent à déstabiliser le Liban. Voilà le vrai plan de cette internationale du crime : la création d’un sanctuaire terroriste allant des rives de la Méditerranée à celles du golfe Persique.
Enfin, Daech est une menace pour l’Europe et pour la France.
J’ai souligné le risque que représentent ces filières qui conduisent des individus français ou résidant en France à s’enrôler et à partir combattre là-bas. Vous connaissez les chiffres : ils sont inquiétants.
C’est aussi pour cela que nous devons agir. Les filières terroristes trouvent dans ces régions déstabilisées les moyens de se développer et de frapper les pays occidentaux.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à cet instant, nous avons tous à l’esprit le sort de notre compatriote enlevé en Algérie. (M. Gérard Larcher acquiesce.) En cet instant, j’adresse mes pensées à Hervé-Pierre Gourdel, à sa famille et à ses proches. Mais je veux dire aussi aux Français que nous ne nous laisserons pas intimider. En s’en prenant à notre compatriote, les djihadistes s’en prennent à nous, à chacun d’entre nous.
Si nous nous montrons faibles face à cette menace, nous encouragerons ces lâches à poursuivre leur œuvre de mort. Nous ne faillirons pas, nous ne tremblerons pas. Face à la menace, face au chantage, la France ne cède pas !
Ce n’est pas notre intervention qui nous expose au terrorisme. Cette menace est présente depuis longtemps, et c'est pour cela que nous agissons et que nous intervenons.
Aider l’Irak, c’est protéger la France, c’est agir pour notre sécurité nationale.
Depuis plusieurs mois, la France a pris l’initiative parce que notre pays a toujours été présent au Moyen-Orient, parce que nous avons des responsabilités et des devoirs envers cette région. Nous en comprenons la complexité, nous examinons la situation dans le détail, avec la profondeur historique d’une vieille nation, en évitant le simplisme et la caricature.
Début août, alors que l’intégrité territoriale de l’Irak était mise à mal, que des minorités étaient menacées et que la situation humanitaire se dégradait, la France a décidé de s’engager : d’abord par une assistance humanitaire, puis par la fourniture d’armes et la formation de combattants.
Ce sont désormais nos avions de chasse qui survolent le territoire irakien, dans un premier temps pour des missions de reconnaissance et, depuis vendredi dernier, pour des opérations de frappe.
Les opérations aériennes en cours sont conduites en plein accord avec les forces armées irakiennes et en coordination avec nos alliés, en particulier les États-Unis et leurs partenaires arabes.
Notre objectif, mûrement réfléchi, est clair et il a été proclamé par le Président de la République. Je le rappelle : nous répondons à la demande de soutien des autorités irakiennes pour affaiblir l’organisation terroriste Daech, car il faut aider les forces de sécurité irakiennes et les combattants kurdes à restaurer la souveraineté de l’Irak.
Cet engagement militaire se traduit par des opérations aériennes sur le territoire irakien. Nous n’engagerons en revanche pas de troupes françaises au sol. Nous resterons impliqués le temps nécessaire, jusqu’à ce que l’armée irakienne ait retrouvé la supériorité face à Daech.
Nous n’agissons pas seuls. L’action de la France s’inscrit dans le cadre d’une coalition politique et militaire. Cette coalition s’est constituée à Paris, lors de la conférence sur la sécurité et la paix en Irak, à l’initiative du Président de la République, le 15 septembre dernier.
J’en viens à la Syrie, où le régime de Bachar Al-Assad continue de semer le chaos qui profite aux terroristes. Le Président de la République l’a rappelé lors de sa conférence de presse de jeudi dernier : la France était prête à prendre ses responsabilités il y a un an, lorsque les preuves d’un usage des armes chimiques par Assad contre son propre peuple ont été rassemblées. On n’en serait certainement pas là, en Syrie, si la communauté internationale était alors intervenue…
Les États-Unis, aidés des principaux pays de la région, ont décidé de mener des opérations contre les fiefs de Daech sur le territoire syrien.
Pour notre part, nous avons fait le choix de nous concentrer sur l’Irak et de continuer à soutenir l’opposition modérée au régime de Bachar Al-Assad. Ces forces d’opposition luttent avec détermination contre les terroristes. Nous sommes résolus, avec nos partenaires, à leur apporter un soutien civil et militaire accru. Nos efforts sont complémentaires, en Syrie, de l’action militaire que mènent les Américains.
Nous l’avons déjà dit et je le répète devant vous : Bachar Al-Assad ne peut absolument pas être un partenaire dans la lutte contre Daech.
L’action militaire répond à l’urgence. Il s’agit d’un combat de longue haleine contre le fanatisme, cette idéologie de mort qui détourne et corrompt le message de l’islam.
Ce combat, ce n’est pas l’Occident contre le Moyen-Orient. Il revient aussi aux pays arabes d’agir ensemble. Ils sont d’ailleurs engagés dans les opérations. Mais, sans un accompagnement de long terme, sans une réponse diplomatique et surtout politique aux causes de la menace, cette action militaire risque d’être vaine.
La conférence internationale qui s’est tenue à Paris a donc constitué une étape importante. Le ministre des affaires étrangères et du développement international, Laurent Fabius, l’a organisée avec beaucoup d’efficacité. Elle a permis de déterminer les grandes lignes d’une stratégie commune et a démontré la mobilisation de vingt-neuf pays et organisations internationales pour soutenir les nouvelles autorités irakiennes engagées dans la reconstruction de l’État irakien et la réconciliation du pays autour d’un gouvernement inclusif.
Les participants se sont entendus pour lutter contre la radicalisation, améliorer le contrôle des frontières, tarir les flux de combattants étrangers et assécher toutes les sources de financement de Daech.
C’est en effet une stratégie d’ensemble qui est nécessaire pour combattre ce terrorisme. L’action militaire n’en est qu’un des aspects.
Ainsi, au-delà de l’engagement militaire, il faut poursuivre les efforts déployés en matière d’aide humanitaire. Les partenaires de cette conférence s’y sont engagés. La France est en première ligne : nous avons déjà envoyé 87 tonnes d’aide. Nous poursuivrons cette assistance, tout particulièrement en direction des minorités, notamment celle des chrétiens d’Orient.
Pour stabiliser la région, le sort des populations déplacées doit également faire l’objet d’une mobilisation internationale. C’est vrai pour l’Irak, c’est vrai pour la Jordanie, c’est vrai pour le Liban, pays ami qui mérite, en cet instant, notre solidarité et notre soutien. Face à l’urgence, nous accueillons des réfugiés ayant un lien avec la France : samedi dernier, Laurent Fabius a ainsi accueilli à l’aéroport de Roissy près de 150 réfugiés irakiens.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la France assume à nouveau ses responsabilités en agissant pour sa sécurité, ses intérêts et la défense de ses valeurs. À nouveau, en effet, car nos armées restent déployées en Afrique sahélo-saharienne, au Mali, au Tchad et au Niger pour lutter contre le terrorisme dans le cadre de l’opération Barkhane. De même, nos soldats sont engagés en République centrafricaine pour aider à stabiliser ce pays, ainsi qu’au Liban, où nos forces participent à la sécurisation du sud du pays et appuient les forces armées libanaises.
Le Premier ministre l’a dit hier lors de son déplacement en Allemagne : la France agit lorsque sa sécurité est en jeu, mais elle agit aussi pour l’Europe. Cependant, l’Europe ne peut pas remettre sa sécurité à un seul de ses États membres, fût-ce la France. C’est pourquoi nous n’abandonnons pas notre volonté de voir progresser une véritable Europe de la défense.
Tous ces engagements militaires confirment la nécessité de disposer des ressources adéquates pour notre défense et notre sécurité nationales. Le Président de la République a fait le choix de maintenir les crédits de la défense au cours des prochaines années malgré un contexte budgétaire particulièrement difficile. Nous avons traduit ce choix dans la loi de programmation 2014-2019 que vous avez votée l’an dernier.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la situation en Irak et au Moyen-Orient a aussi des conséquences majeures sur notre sécurité intérieure. Il s’agit de notre principal sujet de préoccupation au regard de la lutte contre le terrorisme.
Nous devons agir hors de nos frontières, mais nous devons agir aussi sur le sol national parce que les groupes radicalisés constituent une menace chez nous. C’est une menace inédite, qui nécessite un grand sang-froid.
Je veux le dire avec force devant la représentation nationale : la France fait clairement la distinction entre l’islam, qui est la deuxième religion de France en même temps qu’un atout pour notre pays, et l’islamisme, dont le prolongement terroriste, le djihadisme, n’est qu’un message violent, perverti et contraire aux valeurs universelles de l’islam.
La France doit faire face à un défi sans précédent. Vous le savez, près de 1 000 Français ou résidents sont aujourd’hui concernés par les filières syro-irakiennes : 580 d’entre eux combattent ou ont combattu là-bas ; 36 y sont morts ; 189 djihadistes sont revenus de Syrie. Jamais notre pays n’a eu à affronter un tel défi en matière de terrorisme.
Au-delà de ces chiffres, les profils de ces personnes doivent nous interpeller : des mineurs, des femmes, des convertis, des individus jusqu’alors inconnus des services. Ils viennent de lieux divers, de nos quartiers, de nos territoires – y compris ruraux – et aussi d’outre-mer.
Ces mêmes profils, très divers, on les retrouve dans de nombreux pays européens. Le djihadisme violent exerce sur une jeunesse sans repères une fascination qui conduit des individus à la radicalisation et les mène l’action directe. Le parcours de Nemmouche, l’assassin du musée juif de Bruxelles, en est un terrible exemple.
Il nous faut être implacables dans la lutte contre le terrorisme. C’est pourquoi, dès décembre 2012, une première loi antiterroriste a renforcé la lutte contre le cyber-djihadisme et facilité la répression de l’incitation à la haine et à la violence terroriste sur internet. Elle a aussi prévu la possibilité de sanctions pénales contre les terroristes français ou résidents dont les actes étaient tous commis à l’étranger.
Ce travail s’est poursuivi et enrichi avec le plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes présenté en avril dernier par le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, et le projet de loi adopté le 18 septembre par l’Assemblée nationale, à la quasi-unanimité, texte qui va bientôt être examiné par la Haute Assemblée.
Vous en connaissez les quatre objectifs principaux : prévenir et contrarier les départs ; mieux lutter contre la diffusion de la propagande terroriste, notamment sur internet ; prendre en compte les nouveaux modes opératoires des terroristes, en particulier ceux qui agissent seuls ; enfin, doter la justice et les services de police de moyens d’investigation adaptés à la menace et à ses évolutions.
En complément de ces mesures, le Gouvernement est engagé dans une démarche visant à lutter contre les phénomènes d’endoctrinement et de radicalisation et à accompagner les familles qui y sont confrontées.
À ce stade, je tiens à rappeler que, dans le cadre de la lutte contre les filières terroristes vers la Syrie, 114 individus ont été interpellés, 78 ont été mis en examen et 53 ont été incarcérés au cours des derniers mois. Des départs de combattants, y compris de mineurs, ont été empêchés et plusieurs projets d’attentat sur notre territoire ont été déjoués.
Comme vous le savez, trois djihadistes présumés venant de Turquie sont arrivés hier sur le sol national. Ils sont maintenant à la disposition de la police. Le ministre de l’intérieur s’est exprimé à ce sujet et aura l’occasion d’y revenir très prochainement. Mais cette affaire, je dois vous le dire, ne s’est pas déroulée comme il aurait fallu.
M. Christian Cointat. C’est le moins que l’on puisse dire !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je veux rendre un hommage appuyé à l’ensemble de nos services intérieurs et extérieurs qui agissent avec courage et détermination pour protéger nos compatriotes.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la décision prise par le Président de la République d’engager les forces armées en Irak, à la demande des autorités irakiennes, repose sur un triple objectif : un objectif de sécurité, car nous sommes confrontés à une menace directe, immédiate et d’une gravité exceptionnelle ; un objectif de stabilité, car Daech met en péril la survie et l’unité de l’État irakien dans une région stratégique ; un objectif de crédibilité, car, quand un pays ami nous appelle à l’aide, quand des populations innocentes sont massacrées, quand nos partenaires dans la région sont menacés, quand un groupe terroriste d’une violence inouïe s’attaque à tout ce en quoi nous croyons, la France ne détourne pas le regard.
Ce triple objectif ne peut s’inscrire que dans une solution politique, dont cette opération militaire n’est qu’un des volets. Elle participe d’une stratégie de long terme.
L’action de la France est nécessaire. Le Président de la République l’a décidée. Elle est légitime et conforme au droit international. Elle s’appuiera sur le professionnalisme et le sens du devoir de nos armées. Elle doit pouvoir s’appuyer sur le soutien de la Nation tout entière.
Aussi, le Gouvernement souhaite pouvoir compter sur l’appui total de la représentation nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.
Dans le débat, la parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe CRC.
M. Bruno Sido. Au tour de l’Internationale !
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, chers collègues, nous voici réunis pour débattre de la participation militaire de la France aux interventions armées en Irak et en Syrie.
Notre débat a lieu six jours après l’annonce présidentielle, cinq jours après le déclenchement des frappes et alors même que ses préparatifs ont débuté, en réalité, au lendemain du sommet de l’OTAN des 4 et 5 septembre derniers, il y a près de vingt jours.
J’en viens au fond. La première raison invoquée pour justifier l’intervention occidentale est la terrible catastrophe humanitaire à laquelle nous assistons.
Les jours que vivent les peuples du Proche-Orient sont effectivement tragiques. Personne ne peut rester indifférent devant ce déferlement de violence et de destruction sur les populations civiles. En plusieurs points de la région, nous avons le devoir de secourir. Mais de quelle manière et avec quelles perspectives ? C’est en ces termes que la question se pose, en vérité.
En trois mois, près de 6 000 Irakiens ont perdu la vie. Depuis janvier 2014, 1 800 000 personnes ont été déplacées, dont 850 000 ont trouvé refuge au Kurdistan irakien, syrien ou turc. Sans l’engagement des forces kurdes, elles n’auraient pas eu la vie sauve.
Au moins 650 000 personnes coincées dans les zones de combat restent à secourir. La menace et le danger s’étendent à la Syrie, où Daech reprend l’offensive contre les villes et villages kurdes dirigés par le parti de l’union démocratique, le PYD.
Depuis des mois, les Kurdes résistent seuls, sans aide internationale, à la fois contre les armées de Bachar Al-Assad et contre ceux qui se nomment « État islamique » et autres groupes djihadistes.
En dépit de l’ouverture de quelques postes frontières, la Turquie multiplie les obstacles à l’arrivée des réfugiés et poursuit le blocage de l’aide humanitaire, singulièrement celle qui est collectée par les municipalités du parti pour la paix et la démocratie, le BDP, de Turquie.
La France elle-même n’est pas à la hauteur de l’aide humanitaire qu’elle peut apporter aux populations en détresse. Elle n’a accueilli que 1 500 réfugiés syriens, contre près de 10 000 pour l’Allemagne et la Suède. S’agissant de l’Irak, moins de 200 ressortissants de ce pays ont été accueillis en deux mois.
C’est dans ce contexte que l’un de nos compatriotes vient de se faire enlever – nous témoignons bien sûr notre solidarité à Hervé-Pierre Gourdel et à ses proches, sans oublier qu’un otage français est toujours aux mains d’AQMI, Al-Qaïda au Maghreb islamique – et que l’État islamique menace de s’en prendre, sur notre territoire, à la population.
Ces menaces sont graves. Elles justifient de veiller plus encore à la sécurité des Français sur notre territoire et à l’étranger. Nous pouvons néanmoins le faire sans céder à la peur, dans le respect de notre droit et des libertés, grâce au dispositif législatif et juridique existant. Nous considérons que de nouvelles lois d’exception, comme celle qui vient d’être votée à l’Assemblée nationale, sont inutiles et dangereuses.
Après dix ans d’un fiasco généralisé de la « guerre au terrorisme » menée sous l’impulsion des États-Unis, nous devons tirer une leçon : tant que la lutte contre les groupes djihadistes ne visera pas les causes de leur implantation, l’objectif ne pourra être atteint.
Des frappes aériennes telles que celles qui sont actuellement engagées sont-elles à même de résoudre de manière définitive le problème posé par la montée en puissance de cette organisation ? Nous ne le croyons pas.
Car d’où sortent ces forces obscures ? Les États-Unis, comme d’autres États dans la région dont nous parlons, ont joué avec le feu : ils s’en sont fait des alliés de circonstance pour servir leurs intérêts. Et ils se trouvent aujourd’hui dépassés par les monstres qu’ils ont contribué à créer.
Ceux qui ont parlé d’un prétendu « choc des civilisations » ont en réalité tout mis en œuvre pour faire grandir la « bête immonde » !
N’avons-nous donc rien retenu des interventions en Afghanistan, en Irak en 2003 – déjà ! –, en Libye ?
La lutte contre le terrorisme a mobilisé 4 000 milliards de dollars depuis ses débuts. Pour quel résultat ? D’un seul foyer de djihadistes, nous sommes passés à quatorze !
Alors, ayons l’honnêteté d’avouer que toutes ces interventions ont été des désastres, qui ont contribué à enfoncer un peu plus les peuples dans l’humiliation et la misère, tout en renforçant les groupes djihadistes.
La question n’est pas d’agir ou de ne pas agir : bien sûr qu’il faut agir ! Elle est plutôt de savoir comment, et avec qui, arrêter la barbarie ?
Il faut s’attaquer aux racines du mal, mettre en cause les États, membres ou alliés de l’OTAN, qui ont soutenu en armes, en matériels et en hommes les groupes djihadistes quand cela les intéressait. Il faut mettre en cause ceux qui continuent d’acheter le pétrole tiré des puits dont l’État islamique a pris le contrôle.
Les frappes aériennes de la France en Irak ont débuté vendredi dernier. Avant-hier, les frappes américaines ont touché la Syrie. Tous les experts le confirment, ces opérations aériennes atteindront très vite leurs limites. Dès lors, quels sont les véritables objectifs de cette guerre ? C’est de cela qu’il faut débattre !
Les États-Unis ont annoncé une opération longue, d’une durée d’au moins trois ans. La France compte-elle s’engager pour la même durée ? Et pour quelles suites ?
Nous le savons, l’OTAN n’a pas de solution politique ; je dirai même que l’OTAN et sa stratégie dominatrice font partie du problème. Alors, quelle est la stratégie de la France ? Quelle solution politique promeut-elle à court et à long terme ? La solution ne passe-t-elle pas, inévitablement, par un dialogue avec toutes les puissances, avec tous les pays de la région ? La France y a-t-elle renoncé en s’alignant derrière l’OTAN ? Quelle est la marge de manœuvre et quel est le poids de notre pays dans les décisions de cette organisation ?
En accompagnant la stratégie de l’OTAN, nous nous exposons et nous n’agissons plus autant qu’il le faudrait sur le plan politique ; nous ne soutenons pas avec toute la détermination nécessaire les forces de progrès de la région.
La tragédie que vit le peuple irakien se situe à la confluence de tous les drames de la région, qui appellent tous une action tendant à y mettre fin.
Je pense, d’abord, aux conséquences des interventions étrangères, notamment américaines, et à l’affrontement croissant entre les sunnites et les chiites, bien appuyé d’ailleurs par certaines puissances régionales, avec lesquelles nous avons parfois des relations étroites.
Je pense également au drame syrien ; face à la répression menée par Bachar Al-Assad, la recherche d’une solution politique pour une transition démocratique a été torpillée au profit de l’engrenage militaire.
Je veux aussi mentionner la question des aspirations nationales, aujourd’hui méprisées, du peuple palestinien. À ce propos, monsieur le ministre de la défense, je souhaite vous poser une question : la France apportera-t-elle un soutien clair et résolu aux nouvelles propositions de règlement politique du conflit que le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas va exposer devant l’Assemblée générale de l’ONU, et dont il a discuté avec le Président de la République il y a quelques jours ?
M. Roger Karoutchi. Quel est le rapport ?
M. Pierre Laurent. Je pense, enfin, à la question des aspirations nationales du peuple kurde, singulièrement réprimées par le régime d’Erdogan, membre de l’OTAN. Notre devoir est de soutenir les forces kurdes du PYD et du PKK, aujourd’hui en première ligne. Allons-nous, monsieur le ministre, laisser le PKK figurer dans la liste des organisations terroristes de l’Union européenne ?
Évidemment, tous ces drames ont pour toile de fond la question du pétrole, l’Irak possédant les quatrièmes réserves mondiales, avec une capacité de production de 12 millions de barils par jour.
L’invasion de l’Irak et son occupation par l’armée américaine pendant huit ans se sont traduites par une quasi-disparition de l’État irakien, par la mise en place de structures politiques et administratives fondées sur des critères religieux et ethniques, facteurs de frustrations et d’humiliations, favorisant les tensions communautaires et empêchant l’émergence d’une vision nationale commune, chacun des acteurs jouant pour ses propres intérêts.
C’est dans ce contexte que les différents groupes djihadistes ont pris leur essor. Les populations sunnites, maltraitées, ont été écartées du pouvoir et du partage des richesses par la politique sectaire d’Al-Maliki, lequel était soutenu tant par les Américains que par les Iraniens.
L’État central a été démantelé, l’armée, privée de cadres et de moyens. Quant à l’économie irakienne, rendue dépendante du seul pétrole, elle est désormais contrainte de tout importer.
Cette fuite en avant a favorisé la corruption, l’enrichissement fulgurant de quelques-uns, le blanchiment de l’argent des trafics et de la corruption, le tout sur fond de privatisations Al, sous les yeux bienveillants du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
Cette société s’est peu à peu disloquée, créant un terrain favorable à la montée de la radicalisation.
Mais tous ces facteurs n’expliquent pas à eux seuls l’expansion rapide des groupes djihadistes armés. En effet, ces groupes sont financés et équipés militairement – tout cela ne tombe pas du ciel ! – par des puissances régionales qui, à la faveur d’une proximité idéologique, les utilisent au gré de leurs intérêts : soit contre les Kurdes, telle la Turquie, soit contre l’influence chiite, tels l’Arabie saoudite et le Qatar.
Sans ces soutiens extérieurs, officiels ou non, jamais ces groupes djihadistes n’auraient pu acquérir la puissance qui est aujourd'hui la leur, telle qu’elle menace l’existence même de l’Irak et de la Syrie.
Allons-nous enfin ouvrir le débat sur les liens étroits que la France entretient avec ces puissances régionales, la Turquie, membre de l’OTAN, ou les monarchies du Golfe, ces clients fortunés qui achètent nos armes ? Peut-on encore longtemps fermer les yeux sur ces réalités ?
Mes chers collègues, que faire pour combattre ces groupes djihadistes et leur projet, à savoir la destruction de la démocratie et des droits humains ?
L’Irak mais aussi les troupes kurdes, qu’elles soient irakiennes ou syriennes, doivent recevoir toute l’aide nécessaire pour combattre les groupes armés. Cependant, les frappes aériennes ne sont pas la réponse, elles ne permettront pas de nous attaquer à ce fléau. Chaque jour, elles perdront de leur efficacité et nourriront le ressentiment des populations sunnites qui en sont victimes.
S’attaquer aux racines du mal, c’est aussi en finir avec le cadre dans lequel nous multiplions nos interventions, épousant la prétention d’un petit nombre d’États occidentaux qui s’autoproclament garants de l’ordre international. Il faut cesser de considérer ces régions comme l’arrière-cour de puissances occidentales en recherche de matières premières et de débouchés à leurs produits.
L’un des facteurs communs aux guerres actuelles et aux dangers qui montent est la prétention perpétuée de l’Occident à jouer le gendarme du monde, bien que les pays qui le composent ne représentent plus que 12 % de la population mondiale.
Chaque fois, notre réponse est strictement militaire, alors que ces situations de violence et de destruction sont le résultat de très profonds déséquilibres, auxquels il est urgent de s’attaquer en menant d’autres politiques, fondées sur le développement, la coopération et la solidarité, avec pour objectifs l’éradication de la pauvreté et la sécurité dans tous les domaines : santé, éducation, habitat, emploi et lutte contre les trafics.
Le Moyen-Orient n’est pas condamné à vivre guerre sur guerre ; les solutions politiques et diplomatiques peuvent être efficaces. Contre la radicalisation djihadiste, en effet, les réponses les meilleures sont, je le répète, le développement, la paix, la démocratie et la solidarité.
Il est grand temps de redonner aux Nations unies leur place et leur rôle dans la prévention des conflits, dans leur résolution et dans la mise en œuvre de programmes de développement et de partages des richesses. L’abandon progressif du seul cadre multilatéral, reposant sur le droit international et la souveraineté de toutes les nations de la planète, au profit d’un rôle accru de l’OTAN, sous l’égide des États-Unis, est une des plus grandes erreurs commises depuis la chute du mur de Berlin.
La France doit reconstruire sa vision du monde et cesser de s’accrocher au wagon de l’OTAN. Nous appelons de nos vœux l’organisation, dans cet hémicycle et dans celui de l’Assemblée nationale, d’un débat approfondi sur la politique extérieure de la France. Définie sans la représentation nationale et les citoyens, cette politique est plus « atlantisée » que jamais, à contresens de tout ce que les évolutions du monde nous appellent à penser.
À défaut d’un tel débat, notre politique restera dramatiquement aveugle et la voix de la France perdra sa portée. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner, pour le groupe socialiste.
M. Daniel Reiner. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je veux exprimer l’accord et le soutien du groupe socialiste du Sénat à l’action que mène le Gouvernement en Irak. La gravité du moment est à la mesure de la menace à laquelle nous faisons face.
Le Président de la République ne s’y est pas trompé, le 15 septembre dernier, à l’occasion de son allocution d’ouverture de la conférence de Paris, lorsqu’il a qualifié Daech de « menace majeure […], qui fait peser sur l’Irak, sur la région du Moyen-Orient et sur le monde un risque majeur ».
Nous voulons saluer ici l’action menée ces dernières semaines par le Président de la République, le Premier ministre, le ministre des affaires étrangères et le ministre de la défense. Leur sens de l’anticipation conduit aujourd’hui la France à assumer pleinement ses responsabilités dans cette crise majeure. Nous voudrions également vous remercier, monsieur le ministre de la défense, comme nous remercions M. le ministre des affaires étrangères, d’avoir tenu régulièrement informées, et ce depuis plusieurs semaines, les commissions compétentes en matière d’affaires étrangères et de défense au Sénat et à l’Assemblée nationale.
En prenant d’emblée le parti d’affronter cette menace, la France relève un défi global, un défi de civilisation, lancé à nos sociétés. Elle le fait en toute légitimité, dans un cadre international ; elle est, dans cette circonstance, fidèle à elle-même.
Parce que la France est un pays de droit et que l’ampleur de la menace ne suffit pas à elle seule à justifier une intervention armée, il est nécessaire de souligner ici la légitimité dans laquelle elle inscrit son action.
En effet, il est important de rappeler qu’elle agit à la demande des autorités irakiennes. Ainsi, elle a été l’une des premières puissances à reconnaître le nouveau gouvernement d’union nationale, dirigé par le nouveau Premier ministre, Haïdar Al-Abadi. C’était le sens du déplacement que le Président de la République a effectué en Irak le 12 septembre dernier et au cours duquel il a témoigné son soutien. C’était un acte important, qui conditionnait notre intervention, car nous estimions, comme d’autres partenaires, que ce gouvernement devait être représentatif et donc inclure à une juste proportion les minorités, en particulier sunnites, écartées jusque-là des responsabilités par le précédent Premier ministre, Nouri Al-Maliki.
C’est donc à la demande d’un gouvernement d’union nationale, oint d’une légitimité démocratique, que la France répond.
Les relations de la France avec l’Irak sont fortes et anciennes. Elles ont été parfois teintées d’ambiguïté, mais elles ont constamment été guidées par l’amitié avec le peuple irakien. Ainsi, si la France a participé à la libération du Koweït, elle a refusé, en 2003, d’intégrer une coalition internationale parce que les raisons invoquées par nos alliés, notamment américains, ne lui semblaient pas reposer sur des preuves tangibles et que les vraies motivations lui paraissaient se trouver ailleurs.
Les relations entre nos deux pays sont désormais normalisées et doivent répondre à un souci de réciprocité.
Il est tout aussi important de rappeler que l’intervention française ne saurait déroger au droit international, et que c’est à une demande du Conseil de sécurité qu’elle répond. C’est le sens du communiqué du Conseil du 19 septembre dernier : « Le Conseil prie instamment la communauté internationale de renforcer et d’élargir, dans le respect du droit international, l’appui qu’elle fournit au gouvernement irakien dans sa lutte contre l’EIIL et les groupes armés qui lui sont associés. »
Un sommet organisé par les Nations unies et consacré à la lutte contre la menace mondiale créée par les combattants terroristes étrangers a lieu aujourd’hui même.
Cette prise de conscience témoigne de la gravité de la menace. Le Gouvernement, d’ailleurs, n’a pas été en reste puisque la France a très tôt fait partie des États qui ont tenu à s’impliquer dans la lutte contre Daech.
Notre pays a décidé d’accueillir sur son sol des réfugiés irakiens : une première vague issue des minorités menacées, au mois d’août, puis une deuxième, samedi dernier. Bien entendu, il doit le faire en prenant en compte les liens qui existent avec les familles des résidents en France. Seules doivent compter à nos yeux les souffrances imposées par l’organisation terroriste aux Irakiens, qu’ils soient yazidis, chrétiens, chiites ou sunnites.
La France a très vite décidé de fournir de l’aide humanitaire d’urgence. Plusieurs dizaines de tonnes ont déjà été expédiées à ce jour. D’ailleurs, lors de son déplacement en Irak, le Président de la République a confirmé le déploiement d’un véritable « pont humanitaire » entre nos deux pays.
Elle a aussi livré des armes aux Peshmergas kurdes, armes qui ont permis à leurs destinataires de mieux tenir face aux éléments de Daech, voire de reprendre l’initiative. La reprise du barrage de Mossoul, de concert avec les forces régulières irakiennes, en témoigne.
La France a agi dans les diverses enceintes internationales afin que soit engagée une action armée, en conformité avec le droit international, et de conférer une dimension collective à la réponse. Ainsi, après avoir reconnu, par le déplacement à Bagdad, le gouvernement irakien du nouveau premier ministre, elle a organisé à Paris une première conférence sur la sécurité en Irak, le 15 septembre dernier. En réunissant trente États, cette conférence a favorisé la coalition internationale qui en réunit aujourd’hui une quarantaine.
Enfin, la France a effectué des missions de reconnaissance et, le 19 septembre dernier, nos chasseurs Rafale ont frappé, à partir de la base où se trouvent nos forces prépositionnées aux Émirats, un dépôt logistique près de Mossoul, en territoire irakien.
Dans cette lutte contre le terrorisme, l’action de la France s’inscrit dans une stratégie globale qui répond à une menace, elle aussi globale.
Comme l’actualité vient de le rappeler avec cruauté voilà encore quelques heures, Daech participe d’une logique qui dépasse les territoires irakien et syrien et menace aujourd'hui directement nos ressortissants. Nous avons affaire à une échelle inédite de terrorisme qui se répand sur de vastes territoires d’Afrique : du Mali au sud de la Libye et, plus largement, sur une grande partie du Sahel.
Par anticipation, compte tenu de cette nouvelle dimension, la France a réorganisé, en étroite coopération avec ses partenaires locaux, son dispositif sur le continent africain dans le cadre de l’opération Barkhane.
Notre pays soutiendra donc les autorités irakiennes sur les plans logistique, humanitaire et politique, ainsi que par des frappes aériennes, mais il ne déploiera pas de troupes au sol. Ce choix obéit à des considérations qui tiennent compte de l’expérience du passé. Les troupes américaines se sont retirées d’Irak en 2011 : le souvenir de troupes occidentales dans ce pays est encore trop récent pour qu’un retour ne suscite pas de polémiques.
La lutte contre Daech s’inscrit en toute logique dans un tel affrontement global, dans un même continuum géographique et temporel. Mais, en dépit de tous ces efforts humanitaires, diplomatiques et militaires, ces initiatives doivent être encore complétées et élargies.
Nous mènerons ce combat non pas seuls avec les États-Unis et les autorités irakiennes, mais unis au sein d’une coalition face à un péril inédit dans sa forme. Et si la lutte armée contre Daech est un impératif stratégique et une exigence morale à court terme, au regard des exactions qui ont été commises, la solution à moyen et long termes ne peut naturellement être que politique.
Parce que son idéologie est la négation de valeurs portées par nos sociétés, parce que ses actes sont d’une inhumanité inqualifiable, Daech doit être combattu. Ce mouvement est né en 2003 contre les États-Unis et le nouveau pouvoir en Irak. La France avait déjà eu affaire à lui. Il s’appelait alors l’Armée islamique en Irak. C’est cette même organisation qui avait enlevé une journaliste française. Son chef d’alors avait lancé les premières attaques anti-chiites dès 2004, creusant plus encore les fondations des confrontations intercommunautaires d’aujourd’hui.
Nourris d’une idéologie sommaire, les actes mêmes de cette organisation sont dénoncés par tous, à l’image de l’appel de Paris, lancé par l’ensemble des organisations islamiques françaises et dont l’un des paragraphes est ainsi rédigé : « Les signataires dénoncent sans ambiguïté les actes terroristes qui constituent des crimes contre l’humanité et déclarent solennellement que ces groupes, leurs soutiens et leurs recrues ne peuvent se prévaloir de l’islam. Ces agissements d’un autre âge, tout comme les appels inconsidérés au djihad et les campagnes d’endoctrinement des jeunes ne sont fidèles ni aux enseignements ni aux valeurs de l’islam. »
De même, au mois d’août dernier, à la suite d’une déclaration du pape, un haut responsable de La Mecque a déclaré : « L’extrémisme et l’idéologie de groupes tels que l’État islamique sont contraires à l’islam, sont le plus grand ennemi de l’islam et les musulmans en sont les premières victimes ». La condamnation est unanime et sans appel : cette organisation n’est ni un État ni islamique.
Si nous devons aujourd’hui combattre idéologiquement et militairement Daech, la question du tarissement de ses financements reste posée. Nous le savons, ceux-ci proviennent des taxes sur les zones qu’il contrôle, de multiples sources privées, de trafics, de détournement de pétrole… La communauté internationale doit chercher des réponses opérationnelles à cette question.
Cette organisation a prospéré, hélas ! sur les frustrations engendrées par les impérities du régime de Bachar Al-Assad en Syrie et du gouvernement de Nouri Al-Maliki en Irak. La non-prise en compte de la pluralité, pourtant multiséculaire, de ces sociétés-États a encouragé l’émergence de cette entité dans ce qui est, rappelons-le, l’un des berceaux de nos civilisations. C’est bien la preuve que ce sont des solutions politiques qui doivent être apportées, à la fois localement et à une échelle plus globale.
L’enjeu régional est réel. L’engagement des États du Moyen-Orient doit devenir effectif, car ce sont les premiers concernés. Pour nombre d’entre eux, il s’agit bien d’une question existentielle.
La Turquie craint, on le comprend, que le rôle et la place des Kurdes dans la lutte contre cet organisme ne confortent l’émergence d’un Kurdistan autonome. Comme pour d’autres États de la région, des garanties sur l’intangibilité des frontières doivent être apportées à Ankara. Par ailleurs, la mise à l’écart de l’ex-Premier ministre irakien devrait faciliter une participation plus effective de la Turquie, longtemps préoccupée par le sort réservé aux sunnites d’Irak.
L’Égypte subit elle-même les répercussions de groupes terroristes sur son sol, notamment dans le Sinaï.
Au Liban, l’islamisme sunnite et le Hezbollah chiite se livrent à une surenchère qui met en péril les partis politiques modérés.
S’agissant de l’Arabie saoudite et du Qatar, leurs assises monarchiques sont remises en cause par l’idéologique salafiste véhiculée par Daech, qui privilégie un vaste ensemble communautaire dépourvu d’expression institutionnelle politique.
La Syrie et l’Iran sont évidemment des cas très particuliers, mais leur rôle respectif ne peut pas être négligé. L’intégration de l’Iran dans la coalition est conditionnée à l’issue que connaîtront les négociations sur le nucléaire. Celle de la Syrie l’est tout autant par l’acceptation par le régime de Damas d’une solution politique entre les différentes parties prenantes d’une guerre civile, où la responsabilité de Bachar Al-Assad ne pourra jamais être exclue. Pour la Syrie, un processus politique semblable à celui qui s’est plus ou moins esquissé en Irak pourrait constituer le fondement d’une négociation entre les parties.
Une action concertée de ces pays au sein de la coalition internationale constituerait naturellement une « percée diplomatique majeure ». Elle permettrait un rééquilibrage par lequel les frontières de ces États seraient consolidées et leurs tensions internes, stabilisées, car elle obligerait les régimes en place à trouver des réponses politiques chez eux tout en participant à une solution politique globale.
Cette organisation lance un défi à l’ensemble du monde. Le territoire qu’elle entend contrôler, le long du Tigre et de l’Euphrate, échappe à toute convention internationale. C’était aussi, rappelons-le, l’objectif du groupe AQMI au Mali. Ainsi émergerait un édifice aux contours vagues, mais organisé, un peu à l’image de celui qui avait été bâti par les talibans d’Afghanistan ou du Waziristan dans les années quatre-vingt-dix.
Comme le démontre l’actualité de ces derniers jours et même de ces dernières heures, Daech crée une logique de multinationale du terrorisme, semblable à celle d’Al-Qaïda. Des groupuscules, comme en Algérie aujourd'hui, dans le Sinaï ou en Afrique subsaharienne demain, et des individus – on dénombre près d’un millier de Français et 10 000 Européens en Syrie et en Irak – s’en réclament. Comme les dernières déclarations incitent à le penser, les risques d’attentat sont donc accrus pour les pays occidentaux et pour ceux de la coalition.
Au-delà de la lutte sécuritaire et militaire, qui va durer longtemps, c’est un défi qui est lancé à l’ensemble de nos sociétés. La lutte contre Daech est un combat de nature civilisationnelle, qui nous ramène aux fondements de nos sociétés libérales et démocratiques et nous renvoie malheureusement à la fragilité, parfois, de nos États de droit.
En ce sens, l’absence de participation des Européens aux opérations militaires interpelle. (M. Daniel Raoul acquiesce.) Peut-être faudra-t-il soulever cette question lors du prochain Conseil européen, afin d’inciter le prochain Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune et la nouvelle Commission à définir une ligne plus claire sur un sujet essentiel pour l’Europe. En effet, comme M. le Premier ministre l’a récemment dit, Daech s’en prend à nos libertés et à nos valeurs fondamentales, non seulement à celles des Français, mais aussi à celles de tous les Européens. (MM. Daniel Raoul et André Gattolin applaudissent.)
Enfin, c’est parce que la France ne doit pas déroger à ses valeurs qu’elle s’engage dans cette coalition internationale. Elle conservera son autonomie d’appréciation dans les objectifs militaires et encouragera la plus large coopération avec les États participants, en conformité avec le droit international et dans le respect de ses partenaires.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Et voilà !
M. Daniel Reiner. La France est une fois de plus à sa place, à la hauteur de ce double défi : combattre le terrorisme – nous avons en ce moment une pensée pour nos militaires qui conduisent ces missions dans différents théâtres extérieurs et en France – et travailler à la recherche des issues politiques pour que cette région du Moyen-Orient retrouve équilibre et sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Robert Hue, pour le groupe du RDSE.
M. Robert Hue. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 29 juin dernier, la proclamation d’un califat par Daech sur une partie de l’Irak et de la Syrie a marqué un tournant majeur, même si nous étions déjà alertés depuis plusieurs mois sur cette évolution inquiétante, imposée avec barbarie par les djihadistes.
Ces dernières semaines, nous avons tous suivi avec effroi la brutalité de l’avancée de ces terroristes jusqu’à Mossoul. Je rappellerai les exactions commises sur leur passage, notamment à l’encontre des chrétiens d’Orient, qui n’ont pas eu d’autre choix que l’exil, la conversion forcée ou la mort. La France a d’ailleurs très vite mesuré la gravité de la situation. À cet égard, je salue sa prompte réaction, qui a permis de mobiliser l’Union européenne dès le 15 août pour l’organisation d’un pont humanitaire, afin d’aider les populations d’Erbil. Fidèle à sa tradition de protection des minorités persécutées, notre pays a accueilli des réfugiés, ce dont je me réjouis également.
Dans ce chaos insoutenable, je n’oublie pas la violence de l’assassinat des trois otages occidentaux, qui illustre une détermination sans borne, pour ne pas dire « sans foi ni loi », chez ces djihadistes, dont la prétendue ferveur n’a pas d’autre ambition que celle d’une domination absolue pour mieux propager leur obscurantisme.
C’est contre cela que nous devons lutter, contre un mouvement qui fait de la négation de l’être humain une politique. Et, contrairement à ce que prétendent les communiqués de ces terroristes, notre engagement ancien dans la lutte contre l’extrémisme islamiste n’est pas une guerre de civilisation.
Tout au long de son histoire, la France a toujours noué des liens étroits et mutuellement enrichissants avec la plupart des pays du Moyen-Orient et, plus globalement, avec les pays musulmans. C’est d’ailleurs au nom de cette amitié, en l’occurrence au nom de celle que nous avons souvent entretenue avec le peuple irakien, que nous ne pouvons pas laisser des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants se faire massacrer.
Bagdad a officiellement demandé l’aide de la France : comment ne pas y répondre ? Le Président de la République a donc décidé la participation de notre pays à la coalition mise en place au sommet de l’OTAN, à Newport. Dans sa grande majorité, le groupe du RDSE approuve cette initiative, même si, pour ma part, j’émettrai tout à l'heure quelques réserves.
Pour reprendre les termes utilisés par le Président de la République, il fallait agir rapidement pour affaiblir l’organisation terroriste et venir en appui des autorités irakiennes. Nous le savons, les forces armées irakiennes auraient été débordées sans l’aide efficace des Peshmergas kurdes, dont il convient de souligner l’engagement. L’armée irakienne doit affronter une force qui, auparavant estimée à 10 000 hommes, serait désormais, selon les experts, composée de 30 000 combattants – M. le ministre nous le confirmait ce matin.
En outre, en conquérant un territoire couvrant près de 40 % de l’Irak, les terroristes s’enrichissent : ils mettent la main sur des axes stratégiques et des richesses naturelles et organisent des flux financiers. Vous l’avez rappelé récemment devant les membres de la commission des affaires étrangères, monsieur le ministre, Daech disposerait d’une manne financière évaluée entre un et deux milliards de dollars. Au fur et à mesure de l’avancée de cette organisation, cette réserve progresse de façon exponentielle. Il est donc temps de la contenir, car nous connaissons les visées expansionnistes d’Abou Bakr al-Baghdadi.
Vous le savez, mes chers collègues, le leader de Daech ne cache pas ses intentions, qui ne concernent pas uniquement la Syrie et l’Irak. La Palestine, la Jordanie, mais aussi le Liban figurent parmi ses objectifs. Il veut réussir là où Ben Laden a échoué.
Face à un tel dessein, dont la réalisation déstabiliserait profondément et pour longtemps la région, nous ne pouvions pas rester passifs. Un large consensus s’est dégagé au plan politique comme dans l’opinion en faveur de l’intervention des forces françaises en Irak.
Sur le terrain, les premières frappes aériennes ont eu lieu. Je rappellerai cependant que tout doit être mis en œuvre pour épargner les populations civiles qui n’ont déjà que trop souffert.
J’ajouterai que cette intervention est également nécessaire pour la propre sécurité de nos concitoyens, même si, à court terme, le risque de représailles est réel, comme le montre, hélas, l’enlèvement d’un Français en Algérie. C’est une triste nouvelle, et je tiens à exprimer ma solidarité avec ses proches. Je sais, monsieur le ministre, que tout est fait pour éviter le pire, notamment en coopération avec les autorités algériennes.
Par ailleurs, comme vous l’avez aussi exposé à plusieurs reprises, monsieur le ministre, l’organisation sur notre territoire de filières d’apprentis terroristes expose les Français à une menace croissante.
Au demeurant, tout est mis en œuvre, je le sais, pour que notre pays dispose d’outils toujours plus efficaces. Je pense à l’action des services de renseignement, à Vigipirate et à notre législation concernant la lutte contre le terrorisme, dont nous aurons l’occasion de discuter dans quelques semaines.
Tout cela est positif, mais ne nous met malheureusement pas à l’abri du risque d’un acte isolé. Par ailleurs se pose la question, au regard de « l’incident » d’hier relatif au retour de trois djihadistes français, des moyens des services de lutte contre le terrorisme et de leur coordination… Les prochains débats budgétaires permettront d’en discuter. Cependant, monsieur le ministre, vous pourrez peut-être nous éclairer dès aujourd’hui sur ce qui apparaît comme un « raté ».
Si je devais néanmoins exprimer quelques regrets concernant cette intervention, je pointerais tout d’abord le manque d’implication significative, absolument inacceptable, de nos voisins européens, la France paraissant finalement se placer derrière les États-Unis. Les Français seraient ainsi les « bons élèves » supplétifs d’une stratégie purement américaine.
Or la France est forte dans ce monde quand elle porte cette conscience et ses valeurs, en affirmant plus que jamais sa capacité d’intervenir en toute autonomie et indépendance. Notre pays s’honore du combat conduit sur son initiative en Afrique, que ce soit au Mali ou en République centrafricaine. Toutefois, peut-il tenir tous ces fronts ? Est-ce souhaitable politiquement ? Et en a-t-il les moyens ?
Par conséquent, gardons également, pour ce qui concerne l’Irak, notre libre arbitre. Je pense en particulier à la question de l’extension de l’intervention de la coalition en Syrie. Les États-Unis effectuent depuis peu des raids en territoire syrien, alors que ce point n’avait pas été tranché lors du dernier Conseil de sécurité des Nations unies. Rappelons que notre décision d’intervenir a été prise avec l’accord de Bagdad. Quelle est la position de la France en la matière, monsieur le ministre ?
Ensuite, cette intervention, dans son seul format militaire, si nécessaire soit-elle, ne me paraît pas suffisante. Nous savons pertinemment que l’absence de stratégie globale ne fait que différer les problèmes. Nous ne pouvons que le déplorer pour ce qui concerne l’Irak, où l’intervention de 2003, à laquelle je m’étais d’ailleurs opposé – la position adoptée par la France à l’époque lui a fait honneur –, n’a pas produit l’effet escompté.
Daech est une réminiscence hybride de l’idéologie d’Al-Qaïda et de l’insurrection sunnite contre l’occupation américaine des années 2003-2008. Après une intervention militaire alliée dans un pays en crise, la question reste souvent entière : comment contribuer à une solution politique dans le cadre d’une stratégie diplomatique dans laquelle la France et l’Europe peuvent prendre une place majeure et indépendante ?
Dans ce pays et au-delà, nous sommes devant une situation complexe, où la lutte d’influence entre le sunnisme et le chiisme minoritaire complique les choses. On le sait, le gouvernement irakien de M. Nouri Al-Maliki a concentré tous les pouvoirs, sans intégrer toutes les communautés, contrairement aux dispositions de l’accord d’Erbil de novembre 2010.
Dans cet esprit, il est temps que tous les pays concernés de la région, que ce soient les pays en crise ou les acteurs incontournables comme l’Iran ou l’Arabie saoudite, participent sans ambiguïté à une stratégie commune, car seule la coexistence de toutes les communautés jugulera le terrorisme, lequel se nourrit de la marginalisation et de la paupérisation qui, bien souvent, en découle. Comment imaginer aussi dans cette partie du monde une solution durable qui n’associerait pas la Russie et la Chine ?
Dans cette perspective, du côté de la diplomatie occidentale, il convient, selon moi, d’intensifier les efforts en faveur des règlements politiques, car l’intervention militaire est une réponse d’urgence, mais certainement pas la voie de la paix.
Mes chers collègues, la France a pris ses responsabilités en décidant de contribuer à éliminer Daech, le visage inquiétant du fanatisme le plus monstrueux. Comme je l’ai dit, le groupe du RDSE soutient cette entreprise, qui doit s’accompagner d’une réflexion stratégique plus profonde et d’une action diplomatique soutenue avec la communauté internationale, dans le cadre et sous l’autorité de l’ONU. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bonne intervention !
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.
M. André Gattolin. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a un an, presque jour pour jour, nous étions dans cet hémicycle pour débattre d’un possible engagement de nos armées à la suite de la terrible tournure prise par la guerre en Syrie.
Aujourd'hui, nous nous retrouvons pour évoquer un sujet presque similaire et concernant la même région. Toutefois, en l’espace de douze mois, la situation sur place a pris une dimension qui ajoute encore une horreur extrême à ce qui paraissait déjà à l’époque le pire de l’horreur.
Hier, en effet, l’usage d’armes chimiques contre des populations civiles en Syrie représentait le plus haut degré de violence jamais atteint dans ce conflit.
Depuis lors, la guerre dans la région a franchi un seuil de barbarie presque impensable : nouveaux déplacements de population, exécutions sommaires, massacres de civils, actes de tortures et viols massifs... C’est une terreur sans limites qui, bien au-delà de la Syrie, s’étend désormais à l’Irak voisin. Devant cette tragédie, la communauté internationale se trouve, de fait, acculée. Nous n’avons d’autre choix que d’intervenir pour tenter de venir en aide à des populations prises au piège et pour enrayer la progression d’une entreprise terroriste d’une ampleur jamais connue auparavant.
De ce point de vue, soyons clairs, le groupe écologiste du Sénat ne peut que soutenir la décision du Gouvernement de participer à la coalition internationale qui se met en place depuis plusieurs jours.
Cette participation de la France, certes toujours risquée, comme toute participation à un conflit, a d’emblée été voulue comme très limitée par le Président de la République.
D’une part, nos moyens dans la région demeurent modestes, l’essentiel de nos capacités d’intervention extérieure étant déjà mobilisé sur d’autres théâtres d’opérations, notamment en Afrique subsaharienne.
D’autre part, notre action s’inscrit dans un cadre de stricte légalité internationale : nous répondons à une demande pressante d’assistance de l’État irakien. Nul besoin donc, dans ce cas précis, d’une résolution de l’ONU.
Pour autant, nous savons tous que nous ne sommes pas ici dans la meilleure des configurations pour mettre fin, exclusivement à coups de frappes aériennes, à un conflit horriblement complexe et sanglant. Nous pouvons certes contribuer à contenir la progression des djihadistes du soi-disant État islamique en Irak et au Levant dans le nord de l’Irak, pour peu que les Peshmergas kurdes n’enregistrent pas au sol de nouvelles défaites et que l’armée régulière irakienne – en cours de reconstruction – voie ses forces, notamment aériennes, devenir très rapidement opérationnelles.
Nous le voyons bien, ces derniers jours, le cœur du conflit s’est largement déplacé vers la Syrie, ainsi qu’aux frontières de la Turquie et du Liban. C’est la raison pour laquelle les États-Unis et cinq pays arabes ont choisi depuis lundi de procéder aussi à des frappes aériennes dans certaines zones de la Syrie.
Cette intervention en Syrie visant à contenir ou à déstructurer militairement les troupes de Daech, elle a une logique peu discutable, même si elle sort du strict droit international. On peut au passage s’interroger sur l’existence aujourd’hui d’un État syrien reconnu, légal et cohérent.
Nous sommes même légitimement en droit de nous poser la question suivante : jusqu’où la volonté affichée par les États-Unis de ne pas engager de troupes au sol lui permettra-t-elle de tenir ses objectifs politiques et militaires ?
Dans l’hypothèse d’un engagement au sol, le conflit entrerait alors dans une autre dimension, avec son cortège de risques et de conséquences contradictoires à court comme à moyen terme.
Disons-le clairement, une telle hypothèse ne concerne pas directement la France : d’une part, comme nous l’avons souligné précédemment, nous n’en avons pas les moyens militaires ; d’autre part, la sagesse passée de notre diplomatie, qui nous a tenus à l’écart d’une telle participation durant la guerre menée en Irak en 2003, nous protège, selon moi, d’une escalade dans notre engagement.
Toutefois, il faut bien garder en tête que des frappes aériennes ou, plus largement, une opération militaire ne suffira pas à instaurer la paix dans cette région. La réponse à ce conflit sera nécessairement une réponse politique et diplomatique et non pas seulement une réponse d’urgence, à la fois humanitaire et sécuritaire.
C’est vrai dans la plupart des cas, mais ça l’est tout particulièrement ici : chaque fois qu’une intervention extérieure a été déclenchée dans la région, elle s’est malheureusement traduite, in fine, par l’apparition de nouveaux groupes armés, de nouvelles factions aux objectifs plus radicaux. Il est donc impératif de tirer les enseignements des échecs passés si nous voulons enfin pouvoir mettre en place les conditions d’une sortie par le haut après cette succession de conflits.
Très clairement, ces conditions supposent d’engager très vite un règlement politique et diplomatique, qui pourrait prendre le relai de l’actuelle réponse militaire. En la matière, j’y reviendrai plus tard, la France et l’Union européenne ont un rôle d’initiative majeur à jouer.
Néanmoins, pour bien comprendre l’enjeu auquel nous sommes confrontés, il est nécessaire de revenir rapidement sur les raisons de l’émergence de ce prétendu État islamique en Irak et au Levant et sur l’origine des moyens humains, logistiques et financiers importants dont il dispose aujourd’hui. Celui-ci s’est constitué en agrégeant des groupes parfois très divers, ayant souvent bénéficié de l’appui de pays de la région, qui voulaient ainsi intervenir dans la guerre en Syrie. Ces groupes ont ensuite rompu avec leurs anciens « sponsors » en se radicalisant.
Au stade actuel, cette organisation profite évidemment des prises de guerre et des détournements de matériels opérés en Irak et surtout en Syrie, à l’occasion des combats et du ralliement des groupes que j’évoquais à l’instant.
Toutefois, il est manifeste qu’elle s’appuie aussi sur divers trafics, notamment celui du pétrole provenant des champs pétroliers des zones du nord de l’Irak passées sous son contrôle. Il serait donc intéressant d’identifier les intermédiaires et les clients de ces trafics et de restreindre, si possible, cette manne bien trop commode. Là encore, cette démarche requiert une coopération internationale aussi prononcée que possible.
Nous le savons, les responsabilités dans cette tragique évolution sont des plus partagées et, dans le même temps, nous ne pouvons en aucun cas nous contenter d’établir ces responsabilités pour dire avec lesquels de ces acteurs nous voulons, ou non, travailler aujourd’hui. En effet, cela peut être difficile à admettre, mais, si nous faisions cela, si nous choisissions nos interlocuteurs pour une paix future, il y aurait très peu de monde autour de la table des négociations au moment où la diplomatie devra succéder à l’action militaire.
Disons-le tout net : seule une grande conférence internationale mobilisant l’ensemble des puissances et des acteurs concernés permettra peut-être de sortir la région de cette spirale infernale. Et dans cette perspective, nous ne devrons avoir aucune espèce de tabou, aucune réticence, quand bien même cela ne dédouanera personne de ses responsabilités passées ni ne permettra d’oublier les terribles drames qui ont secoué ces pays.
Cela veut dire que les acteurs syriens dans leur ensemble – régime de Bachar Al-Assad et opposants à ce régime compris – devront être associés à ces discussions.
Que l’Iran – seul pays à même, aujourd’hui, de parler avec la plupart des parties à ce conflit – ne pourra être laissé à l’écart.
Que la Turquie, dont le rôle est, hélas, souvent ambigu, devra clarifier sa position ; elle a peut-être commencé à le faire, en accueillant depuis peu sur son territoire des dizaines de milliers de réfugiés kurdes, les principales victimes de la situation actuelle.
La question du Kurdistan et de son autonomie devra bien sûr, elle aussi, être posée, et cela, là encore, sans tabou.
La politique du gouvernement irakien devra aussi évoluer – avec le changement de Premier ministre, un début d’évolution est perceptible – pour apaiser les tensions passées avec ses populations sunnites.
Enfin, il ne faut pas oublier bien sûr la Russie, très constante et très présente dans la région via son appui au régime syrien...
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, apporter une réponse durable à la situation à laquelle fait face la communauté internationale ne sera pas aisé, mais il me paraît important de rassurer nos concitoyens sur un certain nombre de points.
Oui, cette organisation terroriste peut être militairement réduite, et peut-être même vaincue : quoique fortement équipée et manifestement déterminée, elle ne semble pas être en mesure de tenir durablement des territoires aussi vastes que ceux sur lesquels elle prétend aujourd’hui exercer sa domination.
La mobilisation des opinions publiques dans de nombreux pays musulmans pour dénoncer les exactions de ce prétendu État djihadiste, ainsi que la participation directe d’États de la région aux opérations visant à la réduire témoignent assez de ce qu’il ne s’agit en rien d’un choc entre civilisations et que l’on a plutôt affaire à une lutte entre les civilisations et ceux qui veulent leur porter atteinte.
Nous devons bien prendre garde, en France, dans un contexte sociétal et politique tendu, à ne pas céder aux facilités de l’amalgame ni à la panique. Nous devons faire preuve de prudence sur notre territoire, en luttant évidemment contre les possibles actes terroristes, mais aussi contre les effets délétères de ces drames sur nos propres consciences.
Sans minimiser l’impact possible de la situation en Syrie et en Irak au sein de notre société, rappelons tout de même que le conflit israélo-palestinien tel qu’il se développe, notamment depuis trois ans, est de loin celui qui suscite le plus de passions dans notre opinion, et qu’instinctivement beaucoup y voient la source de bien d’autres conflits, y compris celui dont nous parlons aujourd'hui.
N’oublions pas non plus cette autre bombe à retardement qu’est la Libye, dont la mise à feu semble déjà bien enclenchée et dont les retombées pourraient être considérables.
Nous nous devons d’avoir toutes ces questions en tête en même temps que nous réfléchissons et agissons sur ce qui se passe en Irak et en Syrie.
Tous ces conflits sont certes différents, mais ils n’en restent pas moins liés à bien des égards, notamment dans les représentations collectives ; vouloir mettre fin à l’un d’entre eux, c’est vouloir mettre fin à tous les autres.
Mes chers collègues, j’en arrive à ma conclusion et au rôle que l’Union européenne, au-delà de notre seul pays, pourrait et devrait jouer dans les mois et les années à venir.
C’est peu de dire que l’Europe est absente aujourd’hui de ce débat. Elle l’est, tout d’abord, en raison du caractère embryonnaire des politiques extérieure et de sécurité européennes et de l’inexistence d’une véritable défense européenne, ensuite, en raison des divisions qui peuvent encore la parcourir sur certains aspects, et, enfin – de manière plus conjoncturelle –, en raison du renouvellement en cours des instances dirigeantes de l’Union.
Ce dernier point en dit long sur le chemin qu’il nous reste à parcourir pour rendre l’Europe plus efficace et opérationnelle. En outre, le Royaume-Uni reste totalement à l’écart de ce conflit, sans doute parce que David Cameron se souvient encore un peu trop de l’échec qu’il a essuyé l’an passé, au sujet de la Syrie, vis-à-vis de sa propre majorité et devant le parlement britannique.
Pourtant, l’Union européenne a une carte importante à jouer ; plusieurs de ses États sont des acteurs engagés sur la scène internationale ; je pense à la Pologne, à la République tchèque, aux Pays-Bas, au Danemark. À ce propos, je voudrais saluer l’action du ministre de la défense et de son homologue danois, qui, en juin dernier, ont élaboré une stratégie de coopération entre la France et le Danemark. Celle-ci nous permet de sortir de l’espèce de volonté jamais aboutie de travail concerté avec les Britanniques. Il est vrai que nous avons peut-être, à travers l’action des pays que je viens de citer, l’embryon d’une défense européenne.
L’Europe a su faire la démonstration de son utilité dans les discussions avec l’Iran et elle entretient une relation de longue date, quoique particulièrement tumultueuse, avec la région. Son engagement dans ces dossiers constituera sans doute le premier test grandeur nature pour ses dirigeants, une fois que la nouvelle Commission sera en fonction.
L’intervention est aujourd’hui inévitable pour répondre à la crise humanitaire et redonner de l’espace et du temps à nos alliés locaux dans ce conflit.
Sachons utiliser au mieux ce nouveau délai pour préparer une sortie de crise qui soit enfin durable et permette d’associer au mieux l’ensemble des peuples concernés. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. Jean-Vincent Placé. Très bien !
M. le président. La parole est à M. André Trillard, pour le groupe UMP.
M. André Trillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à quelques jours du renouvellement du Sénat, nous nous retrouvons pourtant cet après-midi, parce qu’il y a urgence.
Urgence face à l’inimaginable, urgence face à la barbarie. Devant l’inhumanité des événements qui se déroulent en Irak depuis le mois de juin, la France ne peut rester immobile, alors que des centaines de personnes sont exécutées en raison de leur appartenance religieuse ou raciale.
Le massacre des chrétiens d’Orient et d’autres communautés par des extrémistes nous rappelle que, au XXIe siècle, nous n’en avons pas tout à fait terminé avec la folie génocidaire des hommes.
Face à cette tragédie, la France, de par les valeurs de liberté et de respect des droits humains qu’elle a toujours défendues, la France, dont la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a inspiré la Déclaration universelle des Nations unies, la France, membre du Conseil de sécurité des Nations unies, ne peut rester inactive.
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Philippe Marini. Absolument !
M. André Trillard. Face à une telle cruauté, il ne peut y avoir de polémiques, il ne peut y avoir de divisions.
À ce stade, qu’il me soit permis de remercier les responsables des communautés religieuses en France, qui ont fermement condamné la violence de ces fous d’un Dieu qui leur tient lieu d’alibi et pour lesquels la radicalité d’une religion n’est qu’un prétexte.
Je veux particulièrement saluer les démarches de soutien des responsables français de la communauté musulmane, qui s’est engagée auprès de l’Association des chrétiens d’Orient en danger.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. André Trillard. Je veux les saluer également pour leur langage de vérité et de paix. Ils ont su rappeler que le meurtre, la sauvagerie, le sectarisme ne sont pas des valeurs de l’islam.
Quant à nous, responsables politiques français, européens, ainsi que tous nos homologues à travers le monde, nous nous devons d’ouvrir lucidement les yeux sur la réalité de cette menace qui pèse sur nos peuples.
Pour sa part, attaché à l’unité nationale, c’est en toute responsabilité que le groupe UMP soutiendra le Gouvernement dans sa lutte contre le terrorisme en France, en Irak et dans le monde.
Au nom de notre groupe, je me dois de rappeler ici que la France et les Français ont déjà connu les menaces et subi le terrorisme.
Sur le sol national comme à l’étranger, les Français ont été les victimes de mouvements fanatiques, détournant et instrumentalisant la religion musulmane pour le compte de leur propre folie. Il en est de même pour nos alliés belges, espagnols et britanniques, pour ne citer qu’eux.
Il est donc grand temps de prendre la vraie mesure des nouvelles réalités du terrorisme global.
Il est temps d’adopter une grille de lecture cohérente des attentats de ces dernières années, qui dépassent très largement la Méditerranée : Paris en 1995, Madrid en 2004, Londres en 2005, Marrakech en 2011, les assassinats perpétrés par Mohamed Merah en 2012, la prise d’otages à In Amenas en Algérie en janvier dernier, la tuerie de Bruxelles, il y a quatre mois, sans oublier les soldats algériens tués en Kabylie au mois de juin dernier.
La litanie de ces macabres événements démontre que nous avons franchi un cap. L’Europe comme territoire est tout entière concernée. Chaque ressortissant européen à l’étranger est devenu une cible potentielle. L’enlèvement de notre compatriote, auquel nous pensons tous aujourd’hui, en est, hélas, l’illustration la plus récente...
L’augmentation du nombre d’enlèvements est proportionnelle à la cruauté de ceux qui disent agir au nom du djihad. Il n’y a pas de mots assez durs pour qualifier la terrible mise en scène des décapitations de journalistes, d’humanitaires, de civils.
Aujourd’hui, les responsables politiques doivent faire face à une double menace : la surenchère de mouvances terroristes plurielles ; l’embrigadement via internet d’individus rêvant de « faire leurs classes », si je puis utiliser cette expression, dans des camps d’entraînement au Pakistan, au Yémen ou en Syrie.
Les cartes ont changé. Il ne s’agit plus seulement de nébuleuses clairement identifiables telles Al-Qaïda ou AQMI au Sahel. Il y a désormais l’émergence de sectes comme Boko Haram en Afrique de l’Ouest. Et aujourd’hui, nous sommes face à Daech, dont les ramifications se situent en Syrie – j’y reviendrai.
Plus grave, ces organisations sectaires se voient talonnées par d’autres réseaux, tout aussi criminels et organisés. Ces derniers trouvent des soutiens opportunistes, au sein de telle ou telle tribu ou de telle ou telle communauté.
Depuis la mort de Ben Laden, ces groupuscules sont en rivalité permanente. Ils sont en quête de reconnaissance sur la scène internationale. Tous considèrent que leur barbarie est un gage de leur crédibilité politique et tous jouent de leur médiatisation.
Toutefois, je veux rappeler ici que le fléau du terrorisme, quelle que soit l’appartenance de ses acteurs, trouve ses origines d’abord dans la déliquescence des structures étatiques. Si ces factions contrôlent des régions entières du monde, c’est parce que des États se sont effondrés. Nous l’avons vu au Mali. Ces structures sont à la tête de trafics de drogues, d’armes et d’êtres humains qui ne connaissent pas de frontières.
Pour l’Irak, il faut comprendre et se souvenir que les Irakiens n’ont jamais cessé, depuis dix ans, de vivre sous la terreur. Combien d’attentats, combien de morts à Bagdad depuis 2003 ? Le retrait des troupes américaines n’a strictement rien changé.
Il faut le dire clairement : l’État islamique d’Irak et du Levant est né des cendres de la deuxième guerre d’Irak – la communauté internationale s’est détournée de ce pays – tout comme les membres de Daech sont légitimés par les trois années de guerre en Syrie, où Bachar Al-Assad continue de sacrifier la population, alors même que, il y a quelques années, lui-même n’avait pas combattu ces terroristes avec autant d’énergie....
Il y a un an, dans ce même hémicycle, il était question d’intervenir en Syrie contre un dictateur usant d’armes chimiques contre son peuple. Aujourd’hui, force est de constater que la France doit combattre le même ennemi que Bachar Al-Assad...
Dans cette redistribution géopolitique totale au Moyen-Orient, ni les interventions de la France ni celles des États-Unis ou des Britanniques n’aboutiront sans une clarification des positions des puissances régionales.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. C’est vrai !
M. André Trillard. De la même façon, il importe de comprendre que les luttes entre les différentes obédiences religieuses au sein du monde musulman sont plus que déterminantes.
Partant de là, monsieur le ministre, plusieurs questions essentielles se posent.
Que pouvez-vous nous dire de l’implication de la Jordanie, de l’Arabie saoudite, du Qatar, du Bahreïn, à l’heure où les États-Unis ont mené une offensive en Syrie ?
Lors de votre audition conjointe par les commissions concernées de nos deux assemblées, la semaine dernière, vous avez déclaré que la France resterait libre de ses décisions stratégiques. Qu’en est-il en cet instant ? Qu’en est-il de la livraison d’armes aux rebelles syriens d’hier, potentiels ennemis d’aujourd’hui ?
Est-il besoin, en effet, de souligner que nous devons rester très vigilants quant aux futurs équilibres dans la région ? Rappelons que nous livrons des armes également aux Kurdes. Nous savons bien que, à terme l’unité de l’Irak pourra être menacée.
Rappelons que, lors de la deuxième guerre d’Irak, le président Chirac avait marqué sa différence avec la politique de l’administration Bush,…
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Mais pas Sarkozy !
M. André Trillard. … qui souhaitait une nouvelle carte géopolitique de la région. Il s’était opposé à cette guerre et avait refusé d’y entraîner la France. C’est tout à la fois inspirée de ce message d’indépendance de l’époque et animée de cette volonté de paix à long terme pour la région que la France doit agir aujourd’hui.
Dans ce contexte, il importe que notre pays engage un dialogue sincère et exhaustif avec la Turquie, très sensible à la question du Kurdistan. Ce pays connaît, lui aussi, les affres du terrorisme. Par ailleurs, il doit gérer l’afflux de milliers de réfugiés syriens qui fuient le régime de Bachar Al-Assad, mais parmi lesquels peuvent se cacher des membres de groupuscules terroristes.
L’Europe doit aussi se préoccuper des problèmes des réfugiés en Turquie. Nous l’avons vu hier soir avec cette grave affaire des djihadistes français qui transitent aussi par la Turquie. Nous aurons l’occasion de réinterroger le Gouvernement à ce sujet.
À la lumière de ces nouveaux transits, qui mêlent réfugiés entrants et djihadistes en partance, l’Union européenne doit rapidement reconsidérer sa politique des frontières. L’espace Schengen a été créé en temps de paix. La guerre contre le terrorisme est une bataille de longue haleine. Il faut que les Européens s’adaptent à cette nouvelle situation. Les pays européens doivent, ensemble, réexaminer la pertinence des accords de Schengen dans cette situation de terrorisme dirigée contre la communauté européenne, notamment à l’encontre de ceux qui participent à la lutte contre l’Europe.
Si nous soutenons le Gouvernement sur le principe d’intervention de nos forces aériennes en Irak, je voudrais rappeler qu’aucune politique de défense ne pourra se substituer à la mise en place d’une diplomatie globale au Moyen-Orient, que ce soit dans la résolution des conflits entre la Palestine et en Israël – ce conflit dure depuis l’année de ma naissance –, ou en Syrie, en Libye et en Irak.
Par ailleurs, plus que jamais, la France a besoin d’être rassemblée et unie dans cette épreuve. Notre première réponse aux menaces est l’unité nationale. Aussi, ne comptez pas sur nous pour attiser les polémiques : la France n’en souffre que déjà trop.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. André Trillard. Toutefois, monsieur le ministre, il ne s’agit pas de donner un blanc-seing. C’est animés de ce même esprit de responsabilité que nous vous invitons vivement à reconsidérer de toute urgence les crédits consacrés à nos armées, en particulier ceux qui sont dédiés aux OPEX, les opérations extérieures.
Certes, il y a les financements interministériels. Toutefois, nul n’est dupe : ceux-ci ne suffiront pas, d’autant plus qu’ils ont déjà partiellement servi à financer d’autres OPEX. Nous nous étions exprimés sur ce point lors de l’examen de la loi de la programmation militaire, la LPM.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Et nous continuerons !
M. André Trillard. Nous vous avions alors tous alertés sur la sous-budgétisation des OPEX. C’est d’autant plus vrai que les recettes exceptionnelles ne sont pas toutes au rendez-vous…
Cet après-midi, nous l’avons dit, s’il s’agit pour la représentation nationale de faire preuve de responsabilité, il s’agit aussi de témoigner notre respect à l’endroit de nos soldats. Leur professionnalisme, leur dévouement et leur endurance sont l’honneur de la France et de nos forces armées. Or nous savons bien qu’ils ne bénéficient pas toujours des meilleures conditions pour leur sécurité et que leur moral est quelque peu atteint.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées avait abordé ce sujet notamment au moment du retour de nos collègues de République centrafricaine. Christian Cambon vous avait également interrogé sur ce point, monsieur le ministre, lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement.
Au nom de la France, le Président de la République a répondu à l’appel à l’aide du gouvernement irakien. À ce stade, monsieur le ministre, vous nous l’avez confirmé la semaine dernière, il ne serait question que d’opérations aériennes.
Quoi qu’il en soit, dans cette guerre, il nous faut des alliés impliqués. À cet égard, nous ne pouvons que nous réjouir de la réaction et de l’implication de l’Algérie, qui lutte avec ses alliés fermement contre les djihadistes. Néanmoins, et je ne suis pas le seul à le dire, le Président de la République doit aussi, de toute urgence, réussir à mobiliser nos partenaires européens et les exhorter à voir la réalité du monde.
Être européen, ce n’est pas seulement répondre à des critères d’endettement. (M. Christian Cointat s’esclaffe.) Certes, ce point est primordial, mais, quand il y va de la sécurité de l’Europe et du monde, l’agenda européen ne peut se cantonner à des questions de déficits ou de croissance. La France est consciente qu’elle doit respecter ses engagements économiques, mais il faut que nos autres partenaires respectent aussi les leurs en matière de sécurité et de défense.
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. André Trillard. Avec les seuls Britanniques, notre pays ne peut assurer la défense des vingt-huit États membres de l’Union européenne !
M. Christian Cointat. Absolument !
M. André Trillard. Monsieur le ministre, ainsi que je l’ai dit précédemment, le soutien de tous nos concitoyens à l’engagement dont notre pays a fait le choix est essentiel, et la première des réponses aux menaces que nous devons éradiquer est l’unité nationale.
Ce soutien et cette unité, il vous appartient de les obtenir : ils dépendront de la clarté des réponses que vous apporterez aux questions que les Français se posent légitimement et que la représentation nationale relaie dans cette enceinte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. Philippe Marini. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour le groupe UDI-UC.
M. Philippe Marini. Bravo !
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après la Libye, le Mali et la Centrafrique, la France est une nouvelle fois appelée à assumer ses responsabilités sur la scène militaire internationale.
Je tiens à le dire d’entrée de jeu, monsieur le ministre, l’ensemble des membres du groupe UDI-UC soutient cette intervention française en Irak, et nos premières pensées vont à nos soldats et nos pilotes, qui sont d’ores et déjà engagés dans l’espace aérien irakien, ainsi qu’à leurs familles. Je dirai que nous sommes au garde-à-vous pour soutenir nos armées, quand elles sont en mission extérieure !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Yves Pozzo di Borgo. Toutefois, nous ne pouvons pas nous en tenir là. Le pathos de la guerre nous fait trop souvent perdre de vue les motifs et les objectifs de celle-ci.
Ce nouveau conflit doit être lu, tout d’abord, au travers du prisme plus large de la prolifération d’une nouvelle génération de terroristes dans l’ensemble de l’aire arabo-musulmane et musulmane, avant de pouvoir mesurer les implications opérationnelles concrètes de notre intervention en Irak.
L’État islamique est un cancer géopolitique né de l’échec de l’intervention américaine en Irak, ainsi que de l’incapacité du président Bachar Al-Assad de permettre une vie démocratique dans son pays et de l’impuissance de la scène internationale à résoudre la guerre civile syrienne qui s’est ensuivie et qui sévit depuis 2011.
L’État islamique, à cheval sur les confins de la Syrie et de l’Irak, constitue une menace sérieuse pour la sécurité et la paix internationale. Ce « califat » autoproclamé a des ambitions territoriales larges, des ressources importantes, un armement solide et de nombreux soutiens parmi les tribus sunnites et les anciens officiers de Saddam Hussein.
Lors de la séance des questions d’actualité du 19 juin dernier, j’avais déjà alerté le Gouvernement sur la gravité de cette situation : je m’étais alors ému du sort réservé aux chrétiens d’Orient. Les yazidis, notamment, ont été victimes de terribles exactions à mesure qu’avançaient les troupes de l’État islamique. L’opinion publique n’était pas sensibilisée à cette question. Depuis lors, elle en a pris conscience.
À cet égard, je me félicite de l’action du Gouvernement, de celle du maire de Sarcelles qui a reçu l’archevêque de Kirkouk dimanche dernier ou de celle de la mairie du VIIe arrondissement de Paris, qui consacre la journée d’aujourd’hui aux chrétiens d’Orient.
La prise de Mossoul par les djihadistes le 9 juin dernier a montré que la démocratie irakienne demeure trop faible pour contenir le péril intégriste. C’est à l’heure actuelle le problème endémique du monde arabo-musulman : les dictatures sont remises en cause ou ont été fragilisées par les printemps arabes, mais la démocratie demeure trop faible pour s’imposer avec vigueur. Le djihadisme s’immisce dans cette faille, en véhiculant un imaginaire héroïque de reconstitution de l’oumma la plus large qui soit.
Dès lors, nous ne pouvons pas considérer l’actuelle intervention irakienne comme un cas isolé. Le problème réel est beaucoup plus large. Le djihadisme est une menace globale, et l’État islamique n’en est que l’un des avatars.
Ce cancer géopolitique empoisonne une situation internationale déjà particulièrement tendue avec la guerre civile syrienne et les tensions endémiques du Liban, tout en menaçant la Palestine, la Jordanie, mais aussi la Turquie.
Ce califat terroriste, qui est au califat historique ce que la caricature est à son modèle, n’est pas un cas isolé. Boko Haram, dans le nord du Nigéria, s’est également érigé comme tel. L’Afrique est donc également touchée, tout comme l’Algérie. La spécificité du péril que nous fait courir Daech tient à la fois à sa proximité géographique, dans l’immédiat voisinage de l’Europe, et à ses activistes.
Une nouvelle génération de djihadistes émerge. Vous avez cité des chiffres, monsieur le ministre : près d’un millier de nos concitoyens seraient sur place. Certains spécialistes parlent du double, voire du triple. Ils sont partout. Au Kazakhstan, dont le peuple est composé de musulmans modérés, ils sont trois cents.
Nous ne pouvons donc tolérer qu’un sanctuaire djihadiste se constitue à quelques heures d’avion de l’Europe. Notre continent est bien trop vulnérable. Aucun État européen n’a de solution définitive pour contrer la folie meurtrière de djihadistes isolés. Nos propres concitoyens à l’étranger sont désormais menacés.
Depuis 1991 et l’opération « Tempête du désert », presque toutes les grandes opérations extérieures internationales ont eu lieu dans des pays arabes riches en pétrole. Le raccourci est simpliste. Il n’échappe pas nécessairement à une analyse historique détaillée, mais c’est ainsi que l’Histoire récente est lue par les grands pays musulmans du monde.
Or le problème n’est ni strictement occidental ni strictement oriental. En effet, le terrorisme islamiste a été traité pendant longtemps comme un strict problème sécuritaire. C’était le cas pour les Américains avant l’attentat du 11 septembre 2001 contre les tours du World Trade Center. Cet attentat a montré aux Américains et au monde que c’était non pas un problème terroriste, mais un problème politique mondial.
Il semble d’ailleurs, au regard des documents découverts en mai 2011 dans la cache de Ben Laden, que celui-ci concevait le djihadisme comme un projet politique global. Quand nous lisons ces documents, on se demande si Ben Laden n’était pas à la fois Marx et Lénine, un penseur et un organisateur ! Il semblerait que, malgré l’affaiblissement d’Al-Qaïda, remplacé par les islamistes de Daech, la diffusion de son idéologie guerrière bouscule le monde arabe, mais aussi le monde musulman dans son ensemble.
Le cancer djihadiste s’étend partout et frappe tout le monde. L’interventionnisme occidental suscite ainsi des réactions épidermiques sur l’ensemble du continent eurasiatique. Gardons-nous de jouer une fois de plus la mélodie du fardeau de l’homme blanc : la question djihadiste n’est pas un problème seulement occidental ; elle est devenue un phénomène global, dont les répercussions sont mondiales.
Nous balayons une zone grise et une autre apparaît immédiatement après. Nous sommes intervenus en Afghanistan pour couper les racines d’Al-Qaïda et du régime taliban qui la soutenait. Nous sommes intervenus en Libye et nous avons déstabilisé la région. Nous sommes intervenus au Mali pour les mêmes raisons, et voilà qu’un nouveau sanctuaire terroriste émerge à la frontière de la Syrie et de l’Irak.
À force d’éparpiller les djihadistes, nous prenons le risque qu’ils se regroupent à l’avenir dans d’autres pays de l’aire arabo-musulmane ou musulmane, ou même de l’Asie, notamment centrale, où se trouveraient déjà plusieurs centaines de djihadistes, mais aussi des talibans. L’Asie centrale, où j’étais récemment avec notre collègue André Dulait, craint vraiment le départ des alliés de l’Afghanistan, car elle redoute que l’ensemble de cette région ne soit déstabilisé par les talibans.
La déstabilisation de ces États serait un véritable drame. Toutefois, quelles solutions politiques pouvons-nous apporter ? Le président du Tadjikistan, en septembre dernier, devant André Dulait, Michel Boutant et moi-même, s’était ému de constater que l’essentiel des interventions extérieures de l’ONU avait pour théâtre d’opérations des pays musulmans. Là encore, prenons garde de ne pas jouer l’Occident contre l’Orient. Des solutions politiques au défi idéologique posé par le djihadisme doivent être formulées par les pays musulmans eux-mêmes. Ainsi le Kazakhstan, où se trouvent – je le rappelle – plus de 300 djihadistes, accueillera, en 2015, un grand congrès religieux de l’ensemble du monde musulman modéré, du Maroc à l’Indonésie.
Tous les pays musulmans se regroupent et réfléchissent aux solutions structurelles à apporter au développement du califat. Voilà une solution à l’équation fondamentale qui nous est posée : quelles institutions peuvent parvenir à endiguer la prolifération du djihadisme et comment la démocratie peut-elle s’imposer dans l’aire arabo-musulmane comme un modèle alternatif à la dictature ou au terrorisme ?
D’importantes questions se posent du point de vue de la légalité internationale.
L’appel lancé par le gouvernement irakien nous autorise, dans le cadre défini par l’article 51 de la Charte des Nations unies, à employer la force contre l’État islamique, mais dans les seules limites des frontières irakiennes. Cette limite a été rappelée de nombreuses fois tant par le Président de la République, avec raison, que par le ministre des affaires étrangères et du développement international et par vous-même, monsieur le ministre.
Toutefois, la situation est différente du côté américain. Barack Obama n’a jamais caché son intention de mener des frappes sur le sol syrien. La loi américaine – supérieure à la loi internationale… – autorise l’emploi de la force contre toute forme de terrorisme islamiste. Or, pour certains, en l’absence de demande expresse du gouvernement de Bachar Al-Assad, une telle intervention n’est légale que si elle est justifiée par la légitime défense.
Des frappes américaines, Bachar Al-Assad a déclaré avoir été mis au courant par les autorités américaines, lesquelles prétendent que l’information a circulé entre ambassadeurs de l’ONU. Monsieur le ministre, j’espère que vous nous éclairerez sur ce point. En effet, si ce que l’on peut lire dans les dépêches est vrai, le régime de Bachar Al-Assad bénéficierait d’une reconnaissance de fait !
Les Russes crient au non-respect du droit international – ils en sont spécialistes… –, tout comme l’Iran. Le risque d’escalade est-il bien exclu ? Les périmètres de notre intervention ne seront-ils pas remis en question par ces frappes américaines en Syrie ? Notre intervention pose donc inévitablement la question de notre position sur le dossier syrien. Selon des spécialistes, l’armée syrienne serait la seule en capacité d’agir au sol contre les troupes de l’État islamique.
Monsieur le ministre, devrons-nous, malgré nos déclarations péremptoires, nous résigner à réintégrer progressivement l’actuel gouvernement syrien dans le règlement de la crise provoquée par Daech, même sans évolutions de la transition politique en Syrie, évolutions que nous soutenons, avec raison ? Les discours doivent parfois céder devant les réalités. Je vous remercie de me répondre sur ce point.
Ma deuxième question porte sur la forme de la coalition : comment se fait-il qu’une crise avec une telle empreinte régionale et des répercussions potentiellement aussi larges ne permette pas un regroupement des puissances les plus directement menacées par la prolifération d’un sanctuaire terroriste transfrontalier ? Je regrette ainsi l’absence au sein de cette coalition de deux puissances régionales majeures : la Russie et l’Iran.
La Russie dispose d’une expertise en matière de lutte contre le djihadisme. De plus, elle connaît très bien l’aire géographique concernée, du fait de ses relations anciennes avec la Syrie et l’Iran. Je pense qu’elle nous aurait été d’un grand secours dans la lutte contre l’État islamique, mais l’impasse dans laquelle elle s’est enfermée sur le dossier ukrainien l’isole. Pour preuve, je vous rappelle que l’affaire ukrainienne nous a conduits à suspendre le programme SCANDEX - détection de terrorisme dans la foule – de coopération dans la lutte contre le terrorisme entre la France et la Russie, décision forte s’il en est ! À cet égard, j’espère qu’un règlement rapide de la situation ukrainienne nous permettra de revoir le rôle de la Russie dans la coalition contre Daech.
Ne faut-il pas aussi regretter l’absence de l’Iran dans cette coalition ? Selon ma collègue Nathalie Goulet, qui a attiré mon attention sur ce point, ce pays aurait un rôle incontestable à jouer dans l’équilibre de cette région. L’État islamique représente, en effet, une menace pour l’arc chiite, pour le Hezbollah au Liban et pour l’armée irakienne, essentiellement chiite. La coalition doit, même sur un plan symbolique, marquer l’opposition de l’ensemble du monde musulman au cancer djihadiste. Elle devrait réunir sunnites et chiites au sein d’un projet commun.
M. Christian Cointat. Tout à fait !
M. Yves Pozzo di Borgo. Enfin, je regrette une fois de plus que la France et le Royaume-Uni soient les seules puissances du continent européen à supporter de fait l’essentiel de la sécurité et de la diplomatie européennes. Où est l’Allemagne ? Où est l’Union européenne ? À ces questions, monsieur le ministre, vous avez, avec raison, répondu par un souhait : celui d’une défense européenne. Mais, pour l’heure, de défense européenne, il n’y a point ! Il serait peut-être important que les pays qui nous donnent toujours des leçons puissent nous accompagner dans les opérations que nous engageons courageusement.
Ma troisième question est la suivante : à quel point connaissons-nous notre ennemi ? Vous avez déclaré, lors de votre audition à l’Assemblée nationale, que l’État islamique serait fort d’une cagnotte de près de 2 milliards de dollars. D’où vient cet argent ? Comment l’EI parvient-il à s’autofinancer ? A-t-il à ses côtés des États bailleurs de fonds ? Il exploite les champs pétrolifères des régions qu’il occupe, mais à qui vend-il son pétrole ? Et comment ? Ne peut-on pas couper les racines du mal en asséchant ses finances ? Quelle est la position de la Turquie, qui est notre alliée et qui est membre de l’OTAN ? Achète-t-elle le pétrole de l’EI ?
Dans le même ordre d’idées, je m’interroge sur les circuits d’approvisionnement en armes. Nous avons armé les rebelles syriens. Certaines des armes ont-elles rejoint les rangs de Daech ? Monsieur le ministre, vous avez déjà répondu par la négative à cette question, mais je me permets de vous la poser de nouveau, car, sur ce point, qui suscite beaucoup d’interrogations, il n’est peut-être pas inutile de répéter les choses.
De plus, les pertes subies par l’armée de Bachar Al-Assad et par l’armée irakienne sont autant de gains en matériel pour l’État islamique. Nous avons pu constater le même phénomène après l’épisode de la Libye, puisque de nombreux stocks d’armes conventionnelles ont proliféré jusqu’au nord du Mali et en Centrafrique, avec les suites que l’on connaît. Je sais, monsieur le ministre, que vous suivez ce problème avec beaucoup d’attention.
Ma dernière question concerne la soutenabilité de notre engagement en Irak. Du point de vue opérationnel, notre intervention en Libye nous avait conduits aux limites des possibilités ouvertes par notre flotte aérienne. Depuis, la loi de programmation militaire, la LPM, est entrée en vigueur et de profonds mouvements traversent nos forces aériennes. Dans ces conditions, sommes-nous en capacité logistique de mener à bien notre mission en Irak ? Ne sommes-nous pas sous-dimensionnés face à l’enjeu ? L’opération en Libye avait coûté plus de 170 millions d’euros, si mes chiffres sont exacts. Qu’en sera-t-il pour l’Irak, sachant que nous sommes encore engagés au Mali et en Centrafrique ? Nous sommes également présents au Liban, au Kosovo, en Côte d’Ivoire, en Guinée, en Asie centrale… Notre défense peut-elle encore être décisive sur autant de théâtres d’opérations ?
Il manque plus de 1,5 milliard d’euros au budget de la défense pour suivre la programmation dessinée par la LPM – M. le président de la commission peut le confirmer. (M. le président de la commission des affaires étrangères fait un signe de dénégation.) Ne sommes-nous donc pas en passe d’atteindre le point de rupture de notre capacité de projection ?
Comment allons-nous assumer ce surcoût des opérations extérieures ? Les pays du Golfe pourraient peut-être nous aider, eux qui font partie de la coalition… Considérez que 1,5 milliard d’euros, c’est, pour eux, le prix d’un grand magasin à Paris ! (Rires sur les travées de l'UMP.) Peut-être pourrions-nous leur poser la question, puisque, au final, nos soldats vont surtout les défendre !... (Les rires redoublent.)
M. Christian Cointat. C’est bien !
M. Jean-Claude Lenoir. Bonne question !
M. Roger Karoutchi. Échange BHV contre Rafale…
M. Yves Pozzo di Borgo. En tant qu’élu de la Ville de Paris, je suis sensible aux investissements qui sont faits dans la capitale !
De surcroît, lorsqu’ils y achètent des biens, ces pays ne paient pas d’impôts.
M. Christian Cointat. Ils paient la TVA !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Ce n’est pas si mal !
M. Roger Karoutchi. Et ils achètent nos Rafale !
M. Yves Pozzo di Borgo. Oui, ils paient la TVA, et ce n’est pas si mal quand on connaît le montant des droits de mutation sur les transactions immobilières à Paris, mais, je le répète, ils ne paient pas d’impôts !
Enfin, le cancer du terrorisme islamiste dépasse la seule question de la lutte contre l’État islamique. Le monde musulman est plus vaste que le seul Proche-Orient. Le risque de déstabilisation charrié par le djihadisme est donc très grand – je pense au Pakistan ; je pense à l’Indonésie ; je pense aussi aux Philippines. Allons-nous bombarder pour nous en aller une fois les responsables de ce mouvement neutralisés et leurs bases détruites ou allons-nous enfin nous attacher à trouver des solutions pour accompagner la consolidation de la démocratie et de la liberté dans le monde musulman, dans le respect de l’autonomie de destin de ses peuples ? À l’heure actuelle, ces solutions, nous ne les voyons pas.
Pour ma part, je n’ai qu’une certitude : au-delà de la nécessaire action militaire, seules des solutions politiques issues du monde musulman accompagné par les Occidentaux permettront de régler ce conflit idéologique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour le groupe UMP.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’heure est grave. À cet égard, quand vous annoncez, monsieur le ministre, que l’opération Chammal est d’ores et déjà remplie de succès, ne faites-vous pas preuve d’une trop belle assurance, quelques heures seulement après le début des frappes ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. C’est en tout cas ce que j’ai lu dans la presse. Au reste, il n’est pas impossible que vos propos aient été déformés…
Quoi qu’il en soit, il me semble quand même que le seul succès avéré à ce stade est celui de la communication : 61 % des Français seraient favorables à l’intervention française. Je tiens à le dire d’emblée : j’y suis moi-même favorable. Étant donné le niveau de popularité du Président de la République et du Gouvernement, un sondage positif est, en effet, un exploit notable… (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Soyons sérieux : la guerre est un acte trop grave pour qu’elle soit instrumentalisée à des fins politiciennes. Considérer comme un succès le fait d’avoir réussi à atteindre quelques cibles, c’est simplifier à outrance la situation au Moyen-Orient. Les méchants seraient clairement identifiés et nous disposerions de tous les moyens bons pour les abattre ? Cela serait un peu trop manichéen et prêterait à sourire si la sécurité mondiale n’était en jeu.
La situation n’est pas celle d’une armée de « fous de Dieu », avançant en ordre de bataille, en terrain découvert, pour conquérir de nouveaux territoires et asservir une population terrorisée. Elle est celle de groupes ultraviolents, mais dispersés, dans des territoires en proie, depuis deux ou trois ans, au chaos, en Irak comme en Syrie, avec des alliances ponctuelles et hétéroclites entre factions et des populations locales contrôlées non par la seule terreur, mais aussi par le rétablissement d’un certain ordre public et d’aides sociales.
Intégrer la complexité de la situation est moins efficace sur le plan de la communication, mais cela change beaucoup de choses. Dès lors, des frappes aériennes sont clairement insuffisantes. Oui, elles peuvent toucher des cibles stratégiques. Mais, à elles seules, elles ne modifieront pas la situation sur le terrain. Surtout, elles ne dessineront pas de perspectives de sortie durable de crise. L’impasse libyenne le prouve.
Si l’objectif de l’intervention est de protéger les populations civiles et de neutraliser la menace que fait peser l’EI sur le Moyen-Orient et le monde, alors le traitement de la question ne saurait être purement militaire. L’urgence est d’organiser un gouvernement irakien légitime, associant toutes les communautés. N’oublions pas que l’EI a puisé dans le ressentiment des populations contre le régime irakien l’essentiel de sa force. Tirons les leçons des précédentes guerres en Irak ou en Afghanistan : l’urgence est au rétablissement d’un gouvernement d’union nationale, associant toutes les communautés, les chiites, bien sûr, qui sont majoritaires dans la population, les sunnites et les autres minorités religieuses, dont les yazidis et les chrétiens.
Bariza Khiari, Roger Karoutchi et moi-même, nous travaillons au lancement d’un groupe d’études sénatorial sur les chrétiens d’Orient, avec pour objectif de réfléchir notamment aux moyens de favoriser la réconciliation et d’inverser la spirale de la violence qui est en train de détruire le tissu de la société irakienne.
Pour atteindre cet objectif, la solution ne peut venir du ciel, même par l’intermédiaire des Rafale… Il faut, hélas, des hommes sur le terrain. La coalition internationale l’a bien compris, et c'est la raison pour laquelle elle a choisi d’armer des rebelles locaux. Certes, une telle décision est moins risquée vis-à-vis de l’opinion publique française ou américaine. Mais, du point de vue géostratégique, n’est-ce pas jouer à la roulette russe et alimenter un monstrueux engrenage ? N’est-il pas insensé de déverser de nouvelles armes, dans le chaos moyen-oriental, à l’intention d’alliés aux profils instables ?
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Alors, que faut-il faire ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Les liens entre les diverses factions sont ambigus et changeants. Certains des rebelles syriens sont, comme les membres de Daech, des sunnites, parfois franchement extrémistes. Ce n’est pas parce qu’ils ont fini par se brouiller avec l’EI qu’ils en deviennent des démocrates ! Les « modérés » ne représenteraient que 10 % à 15 % des rebelles syriens. Armer des islamistes contre d’autres islamistes ? Machiavélique, certainement, mais pas rassurant ! De même, les combattants kurdes sont proches du PKK, fiché comme organisation terroriste par les États-Unis et l’Union européenne.
Alors que le djihadisme tire sa force des affrontements communautaires et confessionnels, instrumentaliser les uns pour neutraliser les autres est un jeu de poker bien risqué. S’attaquer à l’une des branches du terrorisme – l’État islamique – sans se préoccuper de la racine – l’extension des groupes djihadistes –, c’est aller au-devant d’un pourrissement assuré.
En Irak, on intervient à la demande du président, pourtant très contesté par sa population et n’ayant pas hésité à bombarder des quartiers d’habitation, tandis que, en Syrie, on arme des combattants dont on espère qu’ils déstabiliseront à la fois le président et l’EI. La France a même longtemps refusé des frappes en Syrie, où l’EI contrôle quasiment autant de territoire qu’en Irak, au prétexte que de telles frappes pourraient aider Bachar Al-Assad. Sans nier les exactions de ce dernier, un peu de pragmatisme vis-à-vis de la Syrie serait utile ! Hubert Védrine l’a rappelé récemment : contre Hitler, les démocraties ont fait alliance avec Staline, malgré tout le sang qu’il avait sur les mains… (M. le ministre marque son scepticisme.)
Face à ces défis, le manque de coordination internationale est désespérant. Certes, la coalition compte théoriquement une quarantaine de membres, mais nombre d’entre eux n’ont une implication que symbolique. Je pense, en particulier, à la non-association de l’Iran à la coalition qui me semble insensée, alors que ce pays a été l’un des premiers à combattre l’EI. De même, la Russie et la Chine n’y sont pas associées, alors qu’il s’agit des principaux investisseurs dans le pétrole irakien.
Il faut que tous les États membres de l’Union européenne comprennent que c’est aussi leur sécurité qui est en jeu et qu’ils ne peuvent nous laisser seuls en première ligne.
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Il faut impliquer réellement tous les belligérants et les États voisins dans la recherche d’une solution politique, au lieu de ne leur laisser qu’une place de figurants. Sur les questions des financements de l’aide logistique et de la prévention de l’arrivée de renforts djihadistes en Syrie, l’implication de la Turquie, de l’Arabie Saoudite, de la Jordanie, ou encore du Qatar est cruciale.
Une véritable stratégie de sortie de crise doit se préparer dès le début de l’intervention. Ne nous laissons pas aveugler par les seuls objectifs militaires immédiats, par des réussites relativement faciles, alors que c’est l’avenir de nos sociétés qui est en jeu !
L’image d’une croisade franco-américaine est ravageuse, non seulement pour l’acceptation par les populations locales de cette situation, mais aussi pour nos propres ressortissants, mis en danger sur notre territoire national et, a fortiori, dans le monde arabe. Cela donne de notre pays une image de suiveur, alors qu’il devrait avoir un rôle de moteur dans la recherche d’une solution politique concertée.
M. Christian Cointat. Très bien !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Une intervention sous l’égide de l’ONU est impossible, nous dit-on. Le temps de l’action ne serait donc pas le temps de la négociation internationale ? Cela fait pourtant des mois, voire des années, que la situation se détériore et que les chrétiens d’Orient appellent au secours. Les chancelleries se réveillent un peu tard !
Nous avons d’ailleurs lancé, au mois de juillet, un appel parlementaire en ce sens, auquel le président Hollande n’a pas encore apporté de réponse.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Vous ne pouvez quand même pas dire cela !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Un autre obstacle à l’envoi d’une force d’interposition de l’ONU serait le probable veto russe.
Là encore, comme pour l’Iran, je déplore que, au nom du politiquement correct, l’on s’évertue à écarter les Russes de la table des négociations. Oui, les Russes sont venus à la conférence de Paris. Il n’en demeure pas moins que derrière les photos de famille, à l’issue de réunions portant sur l’Ukraine ou sur l’Irak et la Syrie, le dialogue est très insuffisant.
L’envoi d’une force d’interposition de l’ONU ne répondrait pas qu’à un défi stratégique immédiat, celui de la cessation des hostilités, du désarmement et de l’accès humanitaire aux populations civiles. Il serait aussi indispensable pour la crédibilité de la légalité internationale.
Au lieu de cela, les Américains bombardent de toute façon depuis plus d’un mois, sans mandat international. Et faute d’une résolution du Conseil de sécurité, nous nous cachons derrière l’article 51 de la Charte des Nations unies consacré à la légitime défense, en indiquant répondre à un appel à l’aide du président irakien. Certes ! Cet artifice ne trompe néanmoins personne. C’est du discrédit du régime irakien auprès d’une grande partie de sa population et de son incapacité à gouverner que l’EI a puisé sa force : le président irakien est donc loin d’être un interlocuteur véritablement légitime. D’où l’impérieuse nécessité d’une intervention réellement internationale sous l’égide de l’ONU.
Mépriser la légalité internationale mine insidieusement l’ordre mondial. Un jour viendra où nous le regretterons, j’en ai peur.
Oui, l’ONU doit être réformée pour répondre plus efficacement et plus rapidement aux défis du monde contemporain. Elle offre cependant déjà un cadre dont il est regrettable de ne pas tenir compte. Une mission de l’ONU, la mission d’assistance des Nations unies pour l’Irak, la MANUI, est depuis longtemps en Irak, et une résolution du Conseil de sécurité en date du 30 juillet proroge même son mandat jusqu’au 31 juillet 2015. Elle semble pourtant ne jouer quasiment aucun rôle dans la résolution de la crise. Pourquoi ne pas s’appuyer davantage sur elle, monsieur le ministre ?
Personne ne conteste le bien-fondé d’une intervention face aux exactions commises, dont les responsables répondront, nous le souhaitons, devant la Cour pénale internationale. Il fallait agir, pour protéger les populations, notamment les chrétiens et les autres minorités persécutées, pour assurer la sécurité régionale, alors que des États comme la Jordanie et le Liban sont à leur tour menacés, pour éviter une recrudescence du terrorisme international à l’heure où des centaines de jeunes partent se former au djihad avant de rentrer sur nos territoires, peut-être pour y perpétrer des attaques. Si la cause est juste, les moyens de la servir sont tout aussi essentiels. J’émets donc de réels doutes sur la stratégie déployée.
L’anéantissement de Daech est non pas une fin en soi, mais tout juste un objectif tactique. Ce sont la montée de la violence intercommunautaire et interconfessionnelle au Moyen-Orient ainsi que le risque de propagation mondiale du terrorisme qui doivent être les véritables cibles.
Il faut que nous nous intéressions dès à présent aux scenarii de sorties de crise à l’issue de la campagne militaire – en espérant que celle-ci ne s’éternisera pas –, au-delà de la neutralisation de Daech, afin d’éviter la surenchère guerrière et de construire la paix.
Souvenons-nous de cette phrase de Churchill selon laquelle l’Irak a été créé un dimanche de folie ! Jacques Chirac a toujours soutenu la position selon laquelle si l’on excluait les sunnites du gouvernement irakien, jamais nous n’arriverions à une solution politique. Ses paroles sont toujours d’actualité, et nous nous interrogeons sur la survie de cet État, comme sur son intégrité territoriale.
En Irak, une fois les objectifs atteints, qui contrôlera le vaste territoire d’obédience sunnite libéré des djihadistes ? Retournera-t-il dans le giron irakien ou participera-t-il d’une région kurde autonome ? La forte implication des Kurdes dans le conflit ne fera-t-elle pas pencher la balance en faveur d’une partition de l’Irak ?
En Syrie, cette question de l’occupation des terres « libérées » est encore plus critique : reviendront-elles à Bachar Al-Assad ou aux rebelles ? Étant donné le poids minime des « modérés » parmi eux, seront-ils capables de contribuer à la reconstruction économique et sociale du pays ou irons-nous vers de nouveaux déchirements ?
Quid des chrétiens dans ces deux États ? Comment garantir leur sécurité et le respect de leur foi ? Et, de manière plus globale, comment résoudre le problème palestinien, qui joue évidemment un rôle majeur dans l’envenimement de la situation régionale ?
Il faut aussi que nous soyons conscients des dangers sur le territoire national. Le rapport du mois de juin 2013 de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la surveillance des mouvements djihadistes en France concluait à l’insuffisance des moyens humains, matériels et juridiques mis à la disposition de nos services sur le sol français. Peut-être cela explique-t-il aussi l’échec retentissant de nos services dans l’affaire de la non-interception de membres de la famille Merah…
Par ailleurs, je crois qu’il y a aussi urgence à observer une certaine décence. Il est assez honteux, et certainement dangereux, que certains pérorent à longueur de journée sur nos réseaux sociaux ou dans les médias sur ces problèmes. Nous devons être unis et, surtout, appeler à la vigilance.
En tant que sénatrice des Français de l’étranger et rapporteur à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN sur le terrorisme, je suis particulièrement inquiète des répercussions potentielles d’une telle attitude sur la sécurité de nos ressortissants – deux millions et demi dans le monde –, dont beaucoup sont facilement identifiables dans de nombreux pays du Moyen-Orient ; je pense bien sûr à notre compatriote enlevé en Algérie.
Monsieur le ministre, ces Français nous demandent d’être prudents dans nos paroles et d’essayer de ne pas toujours tout dire. Je comprends l’avidité de certains médias à vouloir organiser des débats, même si certains qualifient ceux-ci, et pas toujours à tort, de séances de café du commerce, mais la sécurité de nos ressortissants est en jeu et l’on ne peut pas laisser tout dire et dire n’importe quoi ! Parfois, le silence est d’or !
M. Jean-Claude Lenoir. Bravo !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Il y a urgence, monsieur le ministre, à renforcer les moyens des services qui traitent de la sécurité de nos concitoyens en France et à l’extérieur de notre pays. Le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme qui vient d’être adopté par l’Assemblée nationale et qui sera bientôt examiné au Sénat devrait y contribuer. Et j’exhorte tous nos collègues, tous nos compatriotes, quelle que soit leur appartenance politique, à soutenir nos forces armées et nos forces de sécurité dans ce combat contre la barbarie, tout en veillant à ne pas exacerber les tensions intracommunautaires. Ce n’est pas l’islam que nous combattons ; c’est la bestialité et l’ignorance d’une petite minorité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP, de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’issue de ce débat très riche, beaucoup de choses, parfois un peu contradictoires, ont été dites, qui témoignent, malgré tout, d’une approbation très majoritaire de la décision du Président de la République de faire intervenir nos forces armées en Irak. De surcroît, monsieur le ministre, vous avez dû goûter, comme moi, les nombreux conseils, quelquefois convergents, qui nous permettront d’éclairer les choix à venir. Il faudra néanmoins procéder à un tri !
Cela étant, avec l’État islamique – dénomination impropre tant le terme « État » est inapproprié, tout autant que la référence à l’islam, comme vient de l’expliquer ma collègue –,…
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Absolument !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. … nous sommes face à un danger mortel. Nous employons l’acronyme Daech, mais il est l’exacte traduction en arabe d’« État islamique au Levant ». Je préférerais, comme Laurent Fabius, parler de « califat de la barbarie et de la terreur ».
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Dans un souci de simplification, j’utiliserai toutefois l’acronyme précité.
Ce danger mortel nous menace tous. Il faut que nous soyons bien conscients de la viralité extrême à laquelle nous devons faire face.
En notre qualité de responsables politiques, l’une de nos tâches, que je considère comme essentielle, est de bien faire prendre la mesure du danger à nos populations et à nos partenaires. Il ne faut pas croire que l’opinion publique réagit avec facilité et complaisance à ce genre de défi ! Il faut expliquer et expliquer encore !
L’objectif de Daech, clairement affiché dans la référence historique au califat, vise et menace toute la région. Au-delà de la Syrie et de l’Irak, ses prochaines cibles seront – cela a été indiqué – le Liban, la Jordanie et, bien sûr, Israël. Son idéologie radicale se concrétise dans un choix simple : se soumettre ou mourir. Il organise avec une violence extrême la purification de tout ce qui n’est pas lui et, en particulier, de toutes les minorités, qu’elles soient chrétiennes, chiites, yazidies ou autres. À ce titre, l’Iran, principale puissance chiite, considéré comme hérétique, est directement visé.
Parmi ses commensaux sunnites, Daech condamne et considère comme ennemies l’Arabie saoudite et les Émirats inféodés à l’Occident.
Cette menace n’est cependant pas circonscrite au Moyen-Orient. Elle est désormais globale et recouvre ce que le Livre blanc de 2008, auquel nous avons beaucoup participé, appelait un « arc de crise », qui va des zones tribales du Pakistan au golfe de Guinée. C’est un véritable cancer, qui se développe au gré des faiblesses des pays, des régimes et des régions visées, que ce soit au Levant, en Libye, en Tunisie, au Sahel, ou encore dans la région du lac Tchad. Ses métastases se propagent aussi dans la Corne de l’Afrique jusqu’au Yémen. Le danger est bien évidemment celui de la mise en synergie, en cohérence, de cette internationale terroriste. Les porosités apparaissent, hélas !
Le ralliement de groupes largement maffieux, comme celui qui a pris en otage l’un de nos compatriotes, en est l’une des illustrations. Nos ressortissants et nos intérêts à l’étranger, nos concitoyens sur le territoire national sont désormais des cibles. Cette menace nous concerne directement, singulièrement en Europe, avec cette bombe à retardement que sont les combattants étrangers. Dans quelques jours, nous allons examiner le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, et, aujourd’hui même, un débat a lieu sur cette question aux Nations unies.
Nous savons bien que la probabilité d’un attentat sur le sol français est forte en dépit de la remarquable efficacité de nos services, que je tiens à saluer.
Outre le danger immédiat que représente Daech, ses avancées territoriales se jouent des frontières existantes et risquent d’entraîner l’ensemble de la région dans un chaos total et dans une remise en cause des équilibres issus de la Première Guerre mondiale, d’une zone éminemment stratégique non seulement pour l’Europe, mais aussi pour l’Asie.
La prise de conscience, malheureusement trop récente, de ce danger a permis de réunir une coalition dont l’objectif est clairement d’éradiquer Daech, ce dont nous nous félicitons, même si, comme le constatait le ministre des affaires étrangères et du développement international à l’ONU, « il y a des pays qui sont plus rapides que d’autres à prendre leurs responsabilités ». Une formule que je fais tout à fait mienne !
La difficulté est que ce redoutable ennemi est asymétrique : il sait se diluer, pour se reconcentrer ; il alterne la barbarie la plus brutale et la subtilité du maniement des nouvelles armes que sont le cyberespace et la bataille de l’opinion, de l’influence. Il est extrêmement mobile, se fond dans la population, mais dispose en même temps d’armements sophistiqués et de ressources financières considérables, comme y faisait référence un orateur précédent. Il n’offre pas de prise, il sait se reconfigurer. Ses fragilités, en matière de logistique et de communications, ne sont, hélas, qu’éphémères.
Face à cet ennemi, face à ces nouvelles structures du terrorisme, notre action doit être globale.
La feuille de route de cette action a été clairement définie par la résolution 2170 du Conseil de sécurité, adoptée le 15 août dernier, par la conférence de Paris du 15 septembre et par la déclaration du président du Conseil de sécurité du 19 septembre. Tout cela, auquel s’ajoute l’appel du gouvernement irakien, constitue selon moi, bien que j’eusse préféré, comme vous, une décision encore plus indiscutable, une base juridique solide à notre intervention. Mais qui dit approche globale dit aussi inscription de celle-ci dans le temps long de la diplomatie, de la politique et du développement.
L’intervention militaire tardive contre ce fléau s’inscrit une fois de plus dans l’urgence. Notre action, mes chers amis, doit nous conduire à imposer notre agenda, alors que, jusqu’à présent, c’est Daech qui impose le tempo.
L’un des aspects importants de cette approche globale qu’il faut appuyer sans réserve, comme le font la plupart d’entre vous, est la condamnation de Daech par les autorités religieuses de l’islam. C’est un point évidemment fondamental, et je me félicite des prises de position récentes exprimées en France, en Arabie saoudite ou au Royaume-Uni ; celles-ci vont dans le bon sens. Mais, je vous le répète, c’est sur le terrain, dans les mosquées, lors des prêches du vendredi, au plus près des populations concernées, que ces condamnations auront le plus d’incidence.
Le Président de la République a fixé des limites à notre action, notamment deux sur lesquelles je souhaite revenir brièvement.
La première est de ne pas déployer de troupes au sol. Les États-Unis, en dépit de l’envoi de conseillers, sont sur la même ligne. Nous savons pourtant que l’éradication des forces de Daech suppose des combats qui seront sans aucun doute très durs, et que l’appui et l’action aérienne, aussi puissants soient-ils, ne suffiront pas. C’est donc sur les forces irakiennes et kurdes que reposera l’effort de la bataille terrestre, ainsi que sur l’opposition syrienne modérée quand une aide, là aussi trop tardive, leur permettra de redevenir une force qui compte, ce que nous souhaitons. La seule évocation de cette question montre que les conditions de la victoire dépendront étroitement des solutions politiques qui pourront être apportées en Irak même. Le remplacement du Premier ministre Al-Maliki et la constitution d’un gouvernement inclusif vont dans le bon sens, comme tous l’ont rappelé, mais le chemin est long et semé d’embuches pour désolidariser les tribus sunnites de Daech, pour trouver un accord avec les Kurdes qui les convainque de renoncer à leurs tendances autonomistes, voire irrédentistes, et pour traiter le cas des cadres de l’ancien régime.
Le soutien aérien ne servira à rien si la reconquête des territoires perdus n’est pas faite concomitamment par l’armée irakienne et si l’État irakien ne s’y réinstalle pas. C’est toute la question de notre stratégie pour le jour d’après.
La seconde limite est de ne pas intervenir en Syrie. C’est aux États-Unis, heureusement appuyés par certains pays, qu’il incombe de le faire, comme cela s’est passé hier encore.
Le ministre des affaires étrangères et du développement international a clairement posé, le 19 septembre à l’ONU, les termes de l’équation à résoudre : « Daech a commencé en Syrie […] et […] il y a encore des forces importantes. Il faut donc les poursuivre et faire ce qui est nécessaire [...] nous allons soutenir […] l’opposition modérée [...] Il y a certainement d’autres choses à faire, mais la France ne peut pas non plus tout faire ! »
Il est en effet évident pour tous que nous ne pouvons traiter la question de Daech indépendamment du théâtre syrien, tant il est vrai que, pour ce dernier, la notion de frontière n’existe pas. Il ne saurait y avoir de « sanctuaire » syrien pour Daech. Nous sommes dans le même cas de figure que les talibans dans les zones tribales pakistanaises.
Cette intervention pose naturellement la délicate question du gouvernement Al-Assad qui, de manière très fine, après avoir tenu des élections afin de se « relégitimiser », fait des offres de service pour combattre le danger dont il a encouragé l’émergence et feint d’être informé par les États-Unis des frappes sur son territoire. Cette question nous renvoie au livre éclairant de Pierre Grosser, Traiter avec le diable ? Les vrais enjeux de la diplomatie au XXIe siècle.
La même question se pose pour l’Iran, qui est aussi, selon moi, un acteur incontournable qu’il faut impliquer directement ou indirectement dans la résolution du conflit. Mais d’autres intervenants ont posé cette question. Enfin, beaucoup ont évoqué le rôle de la Turquie, qui vient de retrouver une marge de manœuvre après la libération de ses otages.
Tout cela montre l’extrême complexité de la situation. Mais chacun a sa place pour lutter contre cette menace mortelle.
Je conclurai mon intervention en soulignant quatre enjeux, qui constituent, monsieur le ministre, autant de points de vigilance pour la commission des affaires étrangères, dont je pense que l’état d’esprit perdurera, que je la préside ou non.
Premier enjeu, la dispersion des théâtres d’opérations et la diversité des OPEX qui pèsent sur notre outil de défense.
La France ne peut évidemment pas tout. Je rappelle que nos forces armées sont engagées dans une vingtaine d’OPEX. Mais plus au Kosovo, monsieur Pozzo di Borgo... Vos informations datent un peu ! (Sourires.)
M. Yves Pozzo di Borgo. Excusez-moi, c’était une erreur !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Ce sont 9 000 à 12 000 hommes en moyenne qui ont été simultanément engagés en opérations lors des dix dernières années. C’est un effort considérable, et je rends hommage, une fois de plus, à nos militaires et à nos armées.
Notre engagement fort sur la bande sahélo-saharienne – l’opération Serval, puis désormais le dispositif régionalisé Barkhane – est salué de tous. Mais nous savons que le travail n’est pas fini, en particulier en Libye. Sera-ce notre prochain théâtre d’engagement ? Nous l’avons dit dès la fin 2012 à l’occasion d’une mission, et répété en 2013 dans nos deux rapports Chevènement-Larcher : dans le sud de la Libye prolifère un cancer terroriste qu’il faut aussi traiter. Le président Hollande en a fait une priorité lors de son discours à la conférence des ambassadeurs. Tout cela pose à l’évidence la question de nos possibilités, de notre degré d’engagement et du « partage des tâches » avec nos alliés et partenaires.
Deuxième enjeu, notre appréciation autonome de la situation, notre capacité à nous engager en premier et notre autonomie stratégique, qui sont le socle de notre souveraineté. Elles doivent être absolument préservées.
Troisième enjeu, les moyens de nos services de renseignement doivent aussi être confortés. C’est vrai tant pour démanteler les filières de recrutement des combattants étrangers sur le plan intérieur, que pour affaiblir, à l’extérieur, l’ennemi là où il se trouve. La délégation parlementaire au renseignement s’est unanimement prononcée, monsieur le président de la commission des lois, pour une consolidation législative du cadre juridique des services de renseignement.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Il est important, monsieur le ministre, que nous puissions avancer. Nous demandons donc au Gouvernement de presser le pas.
Enfin, les ressources de la défense doivent être au rendez-vous.
À mon ami André Trillard, membre de la commission que j’ai l’honneur de présider pour quelques jours encore, je dirai avec beaucoup de cordialité qu’il convient d’être prudent lorsque l’on s’exprime sur le budget de la défense et ses contours. Posez-vous toujours la question que je me pose lorsque d’autres que les représentants de l’actuelle majorité gouvernent notre pays : si nous avions à faire face à cette situation, aurions-nous fait mieux ?
M. Jean-Jacques Mirassou. Bonne question !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Cher André Trillard, le fait d’avoir obtenu la sanctuarisation de 31,4 milliards d’euros peut-il être balayé d’un revers de main ? Je ne le crois pas. Nous devons être solidaires de cette décision d’homme d’État ; c’est d’ailleurs ce que vous avez fait le plus souvent, et je vous en remercie.
Ces trois dernières années, les OPEX ont toujours dépassé le milliard d’euros. Cette année, nous avons vraisemblablement déjà franchi les 650 millions d’euros de dépassement par rapport aux surcoûts budgétisés en loi de finances initiale.
Monsieur le ministre, vous pouvez compter sur la vigilance de la commission des affaires étrangères pour s’assurer de la mise en œuvre de la mutualisation interministérielle des surcoûts non budgétisés. Où en est le dialogue, dont je ne doute pas qu’il est tonique, entre le ministère de la défense et Bercy sur ce point ? Pouvez-vous nous donner des assurances ? Se pose aussi la question – pardon de cette incongruité ! – des ressources exceptionnelles et de leur éventuelle substitution par d’autres ressources. Des solutions doivent impérativement être trouvées.
Je ne vous questionne pas, monsieur le ministre ; je vous renouvelle tout notre soutien afin que nous puissions aboutir !
Vous l’avez compris, vous pouvez compter sur notre soutien total et disposez de notre confiance pour la conduite des opérations, mais, et c’est le rôle de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, cette confiance s’accompagnera toujours, aussi, d’une réelle vigilance, qui vous servira dans votre action et ne se relâchera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord vous remercier de la qualité et de la tonalité générale de ce débat, de vos interventions, ainsi que de la précision de vos questions.
Je reprendrai à mon compte les propos de M. Trillard : la première réponse aux menaces, c’est l’unité nationale.
Votre soutien très large est indispensable à nos armées et à la sécurité de la nation. Je suis donc très heureux de pouvoir en faire le constat en cette heure grave, où nous avons besoin à la fois d’unité et de détermination.
Je vous indique également au début de ce propos, qui sera assez bref, que des dépêches d’agences nous informent, vidéo à l’appui, de la probable décapitation de notre compatriote Hervé Gourdel. Nous vérifions actuellement cette information avant d’affirmer quoi que ce soit, mais tout cela montre bien la barbarie à laquelle nous sommes confrontés.
Ma préoccupation principale, en tant que ministre de la défense, est le risque de connexion des différents théâtres et espaces dans lesquels se manifeste le terrorisme.
Le groupe qui aurait assassiné Hervé Gourdel a pour nom Les soldats du califat en terre d’Algérie. Il est dirigé par Gouri Abdelmalek, lequel est le produit du Groupe salafiste pour la prédication et le combat, le GSPC, qui a meurtri l’Algérie durant de nombreuses années, et lequel est aussi l’adjoint d’Abdelmalek Drougdal, l’émir d’Al-Qaïda.
Ce nouveau groupe vient de rejoindre Daech, sans doute parce que ce mouvement est plus attractif, sans doute aussi parce qu’il veut montrer la force de son allégeance en capturant nos compatriotes et en mettant éventuellement ses menaces à exécution.
L’émir Drougdal, qui organisait les groupes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique au nord-Mali, est aujourd’hui réfugié en sud-Libye. Il y a là des signes par rapport à la menace globale à laquelle le président Carrère et d’autres intervenants ont fait allusion. Cet exemple montre bien les risques que représente cette menace globale pour la période à venir.
J’observe, par ailleurs, que, au moment où Al-Baghdadi proclamait le califat dans une région située en Irak et en Syrie, Aboubakar Shekau, leader de Boko Haram, instaurait un califat dans une partie de l’Afrique. Voilà comment progressivement des liens, des connexions s’opèrent. Il est essentiel que nous puissions réagir en intervenant comme nous le faisons aujourd'hui dans le cadre de la coalition internationale qui se met en place.
J’observe, également, que l’on évoque souvent les volontaires djihadistes français. Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur, a souligné à juste titre, à plusieurs reprises, les mesures devant être adoptées pour à la fois anticiper, suivre et prévenir cette situation. Il a diligenté une enquête très précise sur l’incident survenu hier dont il aura sans doute l’occasion de vous rendre compte. Il a aussi pris des initiatives à l’égard des autorités turques.
Quoi qu’il en soit, au-delà des 365 volontaires français combattant auprès de Daech, 10 000 étrangers sont aujourd'hui volontaires djihadistes en Irak et en Syrie. Ils viennent de Tunisie – d’où l’inquiétude de ce pays –, d’Arabie saoudite, de Tchétchénie, du Caucase, d’Australie, etc. Le souci est donc double : comment endiguer la diffusion d’actes terroristes à l’échelon international et comment éviter la mise en œuvre de connexions entre des groupes terroristes se manifestant sur différents sites ? Si ces groupes nouent des liens entre eux, cela risque d’engendrer une situation extrêmement difficile sur le plan de la sécurité mondiale, et singulièrement de la sécurité de la France et de l’Europe.
Plusieurs d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont évoqué les fondements juridiques sur lesquels nous basons l’intervention de la France. Il y a d’abord l’appel des autorités irakiennes. Il me semble que Mme Garriaud-Maylam a formulé quelques critiques, mais la référence à l’article 51 de la Charte des Nations unies est tout à fait respectable,…
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Bien sûr !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. … d’autant que c’est sur cette base que nous sommes intervenus au départ au Mali, à la demande d’un État. Que les choses soient très claires : nous répondons à la demande des autorités irakiennes et non à un coup de téléphone de M. Barack Obama. C’est uniquement en réponse à cette demande que nous allons appuyer les forces irakiennes et les forces kurdes peshmerga au sol pour les aider à reconquérir leur propre territoire. Cette mission s’effectuera dans le cadre d’une coalition, mais nous avons nos propres objectifs de guerre.
Concernant la Syrie, notre position est également simple : nous aiderons l’Armée syrienne libre à s’organiser – elle en a besoin – et à être en mesure de riposter à Bachar Al-Assad, car nous n’avons pas à choisir entre une dictature sanguinaire et un groupe terroriste sanguinaire.
Il y a non pas du suivisme, mais une participation à une coalition, avec des buts précis, que nous avons affirmés et sur lesquels je voudrais insister de nouveau devant vous.
J’ajoute que la résolution 2170 du Conseil de sécurité de l’ONU en date du 15 août dernier est une réalité forte. Et je n’oublie pas le communiqué du Conseil de sécurité du 19 septembre, mais il concerne globalement la lutte contre Daech et ne vise pas spécifiquement à justifier l’intervention et les décisions françaises.
Je veux maintenant dire à Pierre Laurent que l’OTAN n’a rien à voir avec tout cela. Je ne sais pas où il est allé chercher cette information !
Mme Éliane Assassi. Expliquez-le-lui !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Cette organisation est uniquement chargée d’assurer la formation des forces irakiennes, et ce déjà depuis un certain temps : personne n’a jamais contesté ce point.
Mme Éliane Assassi. Si !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Bien évidemment, plusieurs d’entre vous l’ont souligné, la réponse apportée n’est pas uniquement militaire, laquelle, je l’ai précisé, est bien articulée avec l’action des forces irakiennes et des Peshmergas. Elle est aussi humanitaire. Même si cette dernière est sans doute encore insuffisante, la France en est déjà à sa sixième livraison d’équipements et de soutien humanitaires.
Par ailleurs, il existe une réponse politique et une réponse internationale.
La réponse politique relève de la responsabilité du nouveau Premier ministre, Al-Abadi, dont la volonté est de mettre en œuvre un processus de réconciliation nationale, afin de faire en sorte que l’ensemble des acteurs de la vie politique irakienne retrouvent leur place dans la reconstitution du pays, qu’il s’agisse des chiites, des sunnites, des Kurdes ou des minorités yazidies et chrétiennes. Il en est capable. Aidons-le à poursuivre son œuvre de réconciliation nationale.
Robert Hue a souligné la nécessité de fixer un cadre. La mise en place de celui-ci a déjà commencé, puisque la conférence de Paris a réuni de nombreux acteurs, à la fois pour condamner Daech et pour mettre en œuvre un processus de réconciliation dans l’ensemble de la région. Il faudra sans doute renouveler l’exercice après la clarification militaire, laquelle est nécessaire pour permettre à l’Irak de retrouver sa légitimité.
J’apporterai maintenant quelques précisions sur deux ou trois sujets qui ont été abordés.
Il s’agit véritablement d’un groupe terroriste d’un nouveau type, d’une nouvelle génération, comme M. Trillard l’a souligné, me semble-t-il. M. Hue l’a dit : ses membres veulent réussir là où Ben Laden a échoué. Quel est le plus grand changement ? Avec Ben Laden et Al-Qaïda, nous avions affaire à un terrorisme de réseaux, dont l’objectif était de mener un certain nombre d’actions pour déstabiliser à la fois l’Occident et certains pays arabes. Avec Daech, nous sommes confrontés à un terrorisme qui veut construire à partir d’un territoire, créer des États, retrouver l’Ouma des Abbassides. Ce n’est pas un hasard si son leader a pris pour surnom Abou Bakr Al-Baghdadi : il a voulu montrer cette volonté territoriale, qui s’accompagne par ailleurs de moyens militaires et financiers extrêmement importants.
Des questions ont d’ailleurs été posées sur ces moyens financiers. Daech a d’abord bénéficié du pillage de la banque de Mossoul, mais profite aussi de la contrebande du pétrole. Il est très difficile d’identifier les contrebandiers. Un certain nombre d’entre eux circulent en Turquie ou ailleurs, mais il n’existe à cet égard aucune responsabilité étatique. Il s’agit de circuits parallèles, mais étant donné le niveau du cours du baril, le prix de vente du pétrole produit dans la région de Mossoul défie évidemment toute concurrence, ce qui aiguise un certain nombre d’appétits. Cette question des trafics était soulevée par M. Gattolin.
Veuillez m’excuser, mesdames, messieurs les sénateurs, de passer d’un sujet à l’autre, sans cohérence globale, mais j’essaie de répondre au mieux aux questions que vous avez soulevées.
Pour ce qui concerne la coalition, si la France a défini spécifiquement son autonomie d’appréciation, son autonomie militaire est également préservée. C’est elle qui identifie les frappes et qui, au sein de la coalition, décide de faire ceci et non cela. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé voilà quelques jours, au moment des premières frappes ciblées. Vous avez signalé tout à l’heure, madame Garriaud-Maylam, que j’avais parlé de succès : certes, c’est plutôt mieux que le contraire,…
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Bien sûr !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. … mais il était question d’une opération ponctuelle ! Nous sommes au début d’un processus qui sera long, parce qu’il faut aider les forces irakiennes à reconquérir leur territoire et ne pas se substituer à elles. Je le répète donc : il n’y aura pas d’engagement de forces au sol.
Quant à la participation de nos voisins européens, la Grande-Bretagne, la Belgique, les Pays-Bas ont dès à présent montré leur intention d’être potentiellement intervenants. Laissons les débats suivre leur cours dans ces pays et n’anticipons pas sur leur décision finale. D’autres États ont pris d’autres postures. Ainsi l’Allemagne parle de livraison d’armes à un pays confronté au combat, ce qui est une première. D’autres pays européens sont aussi membres de la coalition. Néanmoins, pour être acteur dans une intervention de type aérien, il faut en avoir les moyens. Or beaucoup de pays ne les ont pas aujourd'hui.
Une question m’a été posée sur la Turquie. Le président Erdogan a fait un choix très clair, même s’il a été un peu retenu en raison des quarante-huit otages turcs à Mossoul, lesquels ont été libérés. Il a annoncé hier au Président de la République sa détermination à être acteur dans l’ensemble de l’opération. C’est aussi le cas du Qatar. Peut-être y a-t-il eu à un moment donné quelques complaisances, mais aujourd'hui les choses sont très claires.
En raison de l’actualité, je raccourcirai un peu mon propos, mais je souhaite néanmoins évoquer la question des OPEX et des financements.
Tout d’abord, notre participation militaire s’appuie sur nos forces prépositionnées sur la base Al Dhafra à Abou Dhabi : y sont en permanence présents six Rafale, un Atlantique et un avion ravitailleur. C’est donc un prépositionnement opportun. La loi de programmation militaire et le Livre blanc avaient fixé à nos forces, en particulier aériennes, cette mission. J’avais veillé à ce qu’on préserve le site d’Al Dhafra, tout à fait utile en cette période.
Mais pour ne pas mettre le ministère de la défense en difficulté, il ne doit pas y avoir d’ambiguïté sur les OPEX. Ce n’est pas le montant des OPEX inscrit dans la loi de programmation militaire qui est essentiel. En effet, si vous inscrivez – comme nous l’avons fait, et nous en avons beaucoup discuté en commission – un montant significatif dans l’enveloppe sanctuarisée de 31,4 milliards d’euros, les investissements seront moindres d’autant.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Nous sommes d’accord !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Pour ma part, j’ai choisi une enveloppe de base des OPEX sur le compte du budget de la défense – 450 millions d’euros –, et j’ai préféré discuter les surcoûts, en vertu de l’article 4 de la loi de programmation militaire, en fin d’exercice. Je veille à ce que le système soit appliqué à l’euro-l’euro, ce qui a été le cas l’année dernière ainsi que l’année précédente.
Évidemment, à la fin du présent exercice, comme chaque année, nous devrons examiner ces dépenses,…
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Vous aurez notre appui !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. … mais le surcoût des opérations lancées à partir d’une base prépositionnée est évidemment beaucoup moins élevé, du moins en l’état actuel des choses, que celui d’une opération similaire à celle qui a eu lieu au Mali ou en République centrafricaine.
M. Pozzo di Borgo m’a demandé si la loi de programmation serait sanctuarisée. Oui, elle le sera, cela a été dit à de nombreuses reprises par le Président de la République lui-même. Je peux vous assurer, monsieur le sénateur, que l’ensemble des ressources, y compris les ressources exceptionnelles, seront sanctuarisées dans le projet de loi de finances pour 2015 que je viendrai présenter devant la Haute Assemblée.
J’évoquerai maintenant les livraisons d’armes, sur lesquelles plusieurs orateurs m’ont interrogé.
En Irak, nous livrons des armes sous contrôle des autorités irakiennes légitimes, qui s’assurent elles-mêmes de leur destination. Ces armes sont généralement acheminées au Kurdistan. Pour avoir rencontré le ministre de la défense du Kurdistan la semaine dernière, je puis vous assurer que les Kurdes en sont très satisfaits. Par ailleurs, nous les aidons à les utiliser.
En Syrie, nous passons par des réseaux bien identifiés et nous faisons preuve d’une très grande vigilance, afin d’être sûrs des destinataires. Nous avons, je pense, de bonnes garanties de ce point de vue. Nous souhaitons aider l’Armée syrienne libre à se constituer, car l’une de nos préoccupations, c’est la dispersion de la résistance syrienne depuis plusieurs mois, et encore aujourd'hui.
Enfin, des précisions m’ont été demandées au sujet de la Lybie.
Monsieur Carrère, le chaos règne en Lybie, où l’État est déstructuré. On assiste en outre à une montée des groupes terroristes à la fois sur Tripoli et sur Bengazi. Enfin, il existe au sud une sorte de hub de ressourcement de l’ensemble des groupes de la bande sahélo-saharienne. En tant que ministre de la défense, j’ai alerté la communauté internationale sur les risques que fait courir une telle situation.
Le Président de la République a pris des initiatives au cours de l’Assemblée générale des Nations unies, ou est en train de les prendre. Le Secrétaire général des Nations unies a désigné un Haut Représentant, dont le rôle est de tenter de trouver des solutions politiques afin de sortir de la crise libyenne.
Il faut ainsi faire en sorte que le Parlement, qui est légitime, mais qui ne peut aujourd'hui siéger qu’à Tobrouk, soit reconnu comme le véritable Parlement et qu’il puisse s’établir normalement à Tripoli. La Libye devra ensuite se doter des autorités politiques responsables devant ce parlement, afin de pouvoir engager un processus de clarification et de sécurisation de l’ensemble du pays. C’est une urgence dans le contexte de connexion que j’évoquais au début de mon propos.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques remarques que je souhaitais faire dans ce contexte lourd et grave.
Pour conclure, je dirai que la France ne doit rien céder s’agissant de sa sécurité – je pense que nous en sommes tous convaincus – et qu’elle doit prendre ses responsabilités. Notre pays a les moyens et la détermination de se défendre, et ce d’autant plus qu’il y a unité nationale sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, du RDSE, ainsi que sur celles de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. Monsieur le ministre, même s’il convient d’attendre le résultat des vérifications, au nom de la Haute Assemblée tout entière, je tiens à faire part de notre émotion après la nouvelle tragique que vous avez annoncée et à témoigner notre solidarité à la famille de notre concitoyen, dont nous partageons les inquiétudes.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Il faut en effet attendre que les vérifications soient faites, monsieur le président, une manipulation n’étant pas à exclure.
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur l’engagement des forces armées en Irak.
4
Demande d’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de résolution
M. le président. En application de l’article 50 ter de notre règlement, j’informe le Sénat que M. Jean-Vincent Placé, président du groupe écologiste, a demandé, le 16 septembre 2014, l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution n° 643 présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Joël Labbé et plusieurs de ses collègues, relative à la préservation des insectes pollinisateurs, de l’environnement et de la santé et à un moratoire sur les pesticides de la famille des néonicotinoïdes, et déposée le 19 juin 2014.
Cette demande a été communiquée au Gouvernement dans la perspective de la prochaine réunion de notre conférence des présidents, qui se tiendra le 9 octobre prochain.
5
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, déposé sur le bureau du Sénat le 23 avril 2014.
6
Dépôt de documents
M. le président. J’ai reçu de M. le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel :
- le rapport sur l’élection des conseillers municipaux et des conseillers communautaires des 23 et 30 mars 2014 ;
- le rapport sur l’élection des membres des assemblées de province et du congrès de Nouvelle-Calédonie du 11 mai 2014 ;
- le rapport sur l’élection des représentants au Parlement européen des 24 et 25 mai 2014 ;
- enfin, des éléments de propositions soumis à la concertation sur la régulation des médias audiovisuels lors des trois campagnes électorales du premier semestre 2014.
Acte est donné du dépôt de ces documents.
Ils ont été transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et à la commission des lois.
7
Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 19 septembre 2014, trois décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :
- les délits de mise et de conservation en mémoire informatisée des données sensibles (n° 2013-412 QPC) ;
- le plafonnement de la cotisation économique territoriale en fonction de la valeur ajoutée (n° 2013-413 QPC) ;
- la contribution prévue par l’article 1613 bis A du code général des impôts (n° 2013-417 QPC).
Acte est donné de ces communications.
8
Communication du conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 24 septembre 2014, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le premier alinéa de l’article L. 46 du code électoral et le dernier alinéa de l’article L. 237 du même code (Accès des militaires en service aux mandats électoraux) (2014-432 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
9
Ordre du jour
M. le président. La prochaine séance aura lieu mercredi 1er octobre, à quinze heures, avec l’ordre du jour suivant :
- Installation du bureau d’âge ;
- Ouverture de la session ordinaire 2014-2015 ;
- Allocution du président d’âge ;
- Scrutin à la tribune pour l’élection du président du Sénat.
10
Clôture de la session extraordinaire
M. le président. Mes chers collègues, je constate que le Sénat a épuisé son ordre du jour pour cette session extraordinaire.
J’ai reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République portant clôture de la troisième session extraordinaire de 2013-2014.
En conséquence, il est pris acte de la clôture de cette session extraordinaire.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-sept heures cinquante.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART