M. Jean Bizet. Très juste !
M. Didier Guillaume, rapporteur. Qu’aurait-il fallu y mettre ?
M. Jean-Jacques Lasserre. À mon sens, la place de l’environnement atténue complètement l’ambition économique et donc la compétitivité.
La priorité de ce texte, depuis le départ, est essentiellement le volet environnemental. Pourtant, la compétitivité de la France dans le domaine agricole est primordiale ; il est nécessaire de toujours innover, avec de nouveaux outils économiques, de nouvelles pistes. Il convient surtout de stabiliser et de sécuriser la situation financière des agriculteurs qui, pour beaucoup, vivent dans la désespérance.
Le projet de loi ne prend pas la mesure exacte des efforts faits par la profession agricole en matière de respect de l’environnement. Personne ne conteste l’importance de l’écologie, sa nécessaire prise en compte, mais il est faux de penser que, sur le terrain, les agriculteurs négligent cet aspect. Ils sont souvent passionnés par leur métier, leur environnement de travail et soucieux, bien entendu, de la qualité de leurs produits.
Il faut donc trouver un juste équilibre entre performances économiques et agro-environnement. Malheureusement, de notre point de vue, l’élan économique est insuffisant. L’accent aurait dû être mis davantage sur le rôle économique de l’agriculture, sa contribution à l’équilibre de la balance des paiements, sa fonction nourricière de la population et son rôle de support de l’animation territoriale.
Certains thèmes fondamentaux ne sont pas repris dans le projet de loi, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire.
En premier lieu, je pense à la protection contre les risques naturels. Nous en avions déjà parlé en première lecture et les événements de ces jours derniers n’ont fait que conforter notre opinion sur le sujet.
En second lieu, rien n’est dit sur l’application des mesures de la PAC. Nos inquiétudes demeurent quant à la politique agricole commune et son lot de mesures concernant le verdissement, secteur dans lequel les États ont gardé une marge de manœuvre. Il faut savoir que 30 % des aides directes vont être subordonnées à la mise en place de mesures « vertes », avec trois conditions alarmantes : l’obligation de diversification des cultures, le maintien des prairies permanentes, ce qui est justifié, et le maintien des surfaces d’intérêt écologique. Ces obligations d’assolement seront catastrophiques, notamment pour les régions de monocultures ; je pense bien entendu aux régions maïsicoles.
M. Didier Guillaume, rapporteur. Adressez-vous à Mme Merkel et à M. Juncker !
M. Jean-Jacques Lasserre. J’en viens à ma seconde remarque.
Le travail sénatorial qui a été fait sur ce texte est à mon sens remarquable. Je remercie une fois de plus nos deux rapporteurs, MM. Guillaume et Leroy, de la qualité de leur travail. Les auditions et les différentes réunions ont laissé toute leur place à l’écoute et au dialogue. C’est notamment grâce à cet état d’esprit que certains consensus et accords ont pu être trouvés pour avancer.
Des améliorations significatives et équilibrées ont pu être apportées. Je pense notamment au sujet délicat des pesticides et des conditions d’épandage, sur lequel un compromis a été trouvé. Si, à l’évidence, nous sommes tous d’accord pour user du principe de précaution face à cet enjeu capital de santé publique, qui touche tout le monde et pas seulement les écoles et les hôpitaux, une telle évolution ne se fera pas au détriment des exploitants agricoles, ce qui est une bonne chose.
Dans les points positifs, notons également les débats sur le foncier, sujet toujours très complexe sur lequel il convient d’avancer prudemment sans rester arc-bouté sur des visions extrêmes ou antinomiques. Grâce à ce projet de loi, nous avons pu convenablement en débattre et évoquer certaines pistes.
S’agissant de la fameuse « clause miroir », un compromis a été trouvé dès la première lecture à la suite de nombreuses discussions, ce qui nous satisfait. Je n’y reviens donc pas.
Par ailleurs, je partage le point de vue positif exprimé par M. le rapporteur sur le bail environnemental et cette évolution on ne peut plus pragmatique.
Autre point positif que je souhaite évoquer : le registre de l’agriculture. Je salue cette évolution et la mise en place de ce répertoire, appelé désormais registre, que nous avions d’ailleurs fortement encouragé lors de la première lecture. Ce dispositif vient renforcer et préciser le statut de l’agriculteur. Je me félicite également des efforts faits en direction de la pluriactivité, dès l’instant qu’ils sont marqués par la rigueur et le réalisme. Il s’agit d’un élément nouveau dont on parle dorénavant plus sérieusement.
Vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, aujourd’hui, nous attendons encore beaucoup de vous et de ce débat. Nous espérons que les avancées permises par le travail sénatorial seront actées, et nous attendons que certains sujets d’actualité soient de nouveau évoqués. Je pense notamment aux PGM : les débats que nous avons eus dans cette assemblée ont montré combien il était nécessaire non pas de légiférer au coup par coup, selon les inscriptions aux répertoires variétaux, mais de réfléchir à une loi-cadre globale. Je pense également aux risques climatiques et à la couverture des risques. Dans le contexte météorologique actuel, nous ne pouvons pas ignorer ce sujet qui désempare trop souvent les agriculteurs. Il y a là un grand chantier à mettre en route.
Il est un sujet sur lequel le texte nous laisse un peu sur notre faim : la relation entre production et distribution. À nos yeux, cette loi est insuffisante dans ce domaine.
M. Jean Bizet. Très juste !
M. Jean-Jacques Lasserre. Chacun connaît l’âpreté des discussions et le caractère « angélique » des interlocuteurs en présence. Dans une ambiance de discussion acharnée entre production et distribution, nous considérons que la mise en place d’un médiateur, si elle constitue une avancée, n’est pas à la hauteur du problème posé.
Enfin, je souhaite évoquer un problème qui me tient à cœur et sur lequel nous devons essayer d’évoluer : la situation des chambres d’agriculture. Nous avons été alertés par beaucoup de ces chambres consulaires et par leur organe de représentation nationale sur leur situation financière. La période 2015-2017 s’annonce extrêmement rude : perte de ressources fiscales et prélèvements sur les fonds de roulement, ce qui ne peut pas durer éternellement. Bref, les chambres d’agriculture sont dans une situation très préoccupante.
Nous sommes en outre très inquiets de l’évolution du statut de ces chambres. Nous espérons qu’une RGPP bis ne va pas les détruire, la première étant déjà assez lourde de conséquences.
M. Didier Guillaume, rapporteur. La première a été terrible !
M. Jean-Jacques Lasserre. Errare humanum est, perseverare diabolicum !
M. Jean-Jacques Mirassou. Ce n’est pas du basque ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Lasserre. J’ai été longtemps enfant de chœur. (Nouveaux sourires.)
Ainsi, une espèce de « tutelle » des chambres régionales sur les chambres départementales nous semble aberrante et totalement déconnectée de la réalité et des besoins du terrain. Nous avons donc déposé un amendement sur le sujet, qui est de surcroît rendu encore plus complexe avec le débat sur la réforme territoriale en cours. Je suis Aquitain et construire l’avenir des Pyrénées-Atlantiques avec les Limougeauds me paraît tout de même assez délicat…
Je terminerai en évoquant un problème jamais soulevé ici, à savoir les décrets d’application. Le triste et récent exemple du « fait maison » montre un dévoiement total du débat parlementaire. C’est pourquoi je vous demande, madame la secrétaire d’État, de nous rassurer sur la rédaction des décrets qui seront pris en application de ce projet de loi, que nous voterons peut-être en fonction des avancées obtenues, mais sur lequel nous nous abstiendrons plus probablement.
M. Didier Guillaume, rapporteur. Allez, un petit effort !
M. Jean-Jacques Lasserre. Les décrets d’application doivent respecter l’esprit de la loi que nous votons dans nos assemblées. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. Jean Bizet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en Bretagne, il est courant de dire : « solide comme un Breton et dur comme le granit ». Je ne doute pas que Stéphane Le Foll, dont nous connaissons les origines, ne fera pas mentir cette maxime et que, dès demain, il sera parmi nous, en pleine forme.
Nous abordons aujourd’hui la deuxième lecture du projet de loi qui va structurer et orienter le modèle agricole de la France pour l’avenir. Le texte dont nous débattons étant dense et ambitieux, nous aurions apprécié une meilleure anticipation de la part du Gouvernement dans la prévision de l’ordre du jour. En effet, les conditions dans lesquelles les parlementaires, comme les administrateurs et nos collaborateurs, ont dû travailler sont loin d’être optimales, ce que nous regrettons vivement.
Le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt est une véritable loi d’orientation pour le secteur agricole. L’agroécologie, qu’il décline, porte des objectifs et des ambitions que nous soutenons. Je dirais même que nous avons souhaité les renforcer avec plus ou moins de succès lors de la première lecture. Nous verrons ce qu’il en sera à l’issue de cet ultime débat.
Depuis vingt ans, le nombre d’exploitations agricoles en France a été divisé par plus de deux. Dans le même temps, la surface agricole utilisée moyenne par exploitation a augmenté, particulièrement pour les « grandes » exploitations, de 40 hectares. Comme le note l’étude d’impact du projet de loi : « 80 % du potentiel économique, le PBS, est aujourd’hui concentré dans ces grandes unités ».
Ces données chiffrées, nous en sentons les effets au quotidien dans nos territoires. Ainsi, nous constatons la baisse du nombre d’exploitations individuelles et les difficultés, au-delà des contraintes économiques réelles, que rencontrent les jeunes agriculteurs pour trouver des terres, les financer et s’installer.
M. le Foll avait déclaré vouloir trouver un équilibre entre l’objectif de renouvellement des générations et l’agrandissement nécessaire aux évolutions de productivité. Nous partageons cette volonté, et nous saluons les dispositions du texte permettant d’arriver à cet équilibre.
Les groupements d’intérêt économique et environnemental, désormais fondés sur un triple objectif associant la dimension sociale, à laquelle nous sommes très attachés, constituent une bonne mesure pour encourager les agriculteurs à s’associer avec d’autres acteurs et à mettre en œuvre de nouvelles pratiques agronomiques. L’élargissement de l’entraide, que nous avons porté en première lecture, participe également de cette volonté de fédérer les énergies tout en respectant la spécificité des métiers et des exploitations agricoles. Nous saluons aussi les dispositions visant à asseoir les groupements agricoles d’exploitation en commun, les GAEC.
Le renforcement des outils permettant d’organiser l’occupation de l’espace agricole et de limiter la concentration des exploitations était très attendu de notre part. Nous nous félicitons donc que le projet de loi autorise les SAFER à faire jouer leur droit de préemption pour acquérir l’usufruit de terres agricoles ou la totalité de parts de sociétés à objet agricole.
Nous nous réjouissons que l’Assemblée nationale ait voté un amendement du Gouvernement pour permettre aux SAFER de préempter également, dans certaines conditions, la nue-propriété agricole. C’était l’une de nos propositions en première lecture. Nous aurions aimé aller encore plus loin, mais l’article 40 a mis un terme à l’examen de notre proposition visant à étendre ce droit de préemption à la cession de la majorité et non pas seulement de la totalité des parts de sociétés agricoles.
Je souhaiterais ici dire – nous n’y reviendrons pas dans le débat, les articles relatifs à l’installation ayant été votés conformes – que nous saluons le dispositif de contrat de génération-transmission, comme le renforcement du répertoire à l’installation. La viabilité économique des projets et la capacité professionnelle sont des dimensions déterminantes pour assurer la pérennité des activités agricoles. Nous vous proposerons tout de même de renforcer les possibilités de pluriactivité pour les agriculteurs au cas où cela serait nécessaire. En revanche, nous considérons que des efforts devraient être consentis afin de renforcer les aides financières, notamment pour les personnes qui, pour diverses raisons, s’installent après quarante ans ou qui n’ont ni emploi ni diplôme, mais se sont engagées dans des formations.
Il nous semble également important, et cela n’est pas prévu dans le projet de loi, que le rôle des banques soit recentré sur l’économie réelle au service des territoires ruraux et des activités agricoles. Les missions du Crédit agricole, établissement historiquement consacré aux agriculteurs pour encourager le crédit au profit de la petite exploitation familiale, ont été largement dénaturées par les contraintes prudentielles et la stratégie financière de la banque. Pourtant, cette « banque verte » a un rôle essentiel à jouer dans la mise en œuvre d’une politique agricole, alimentaire et forestière nationale assurant la réponse aux besoins et le développement de nos potentiels. C’est dans ce sens que nous demandons la renationalisation de Crédit agricole SA et le renforcement du mutualisme dans les caisses locales, associant usagers et salariés. Il serait également nécessaire de renforcer la traçabilité de l’utilisation de l’épargne et de l’emploi des crédits sur les territoires actuels des caisses régionales.
En ce qui concerne le volet relatif à la politique de l’alimentation et à la performance sanitaire, le projet de loi tend à proposer des mesures visant à diminuer la consommation de produits phytopharmaceutiques et des antibiotiques et se donne pour objectif de renforcer l’indépendance des contrôles sanitaires. Les préconisations de la mission sénatoriale d’information sur les pesticides et leur impact sur l’environnement et la santé, à laquelle j’ai participé, n’ont pas toutes été suivies. Nous aurions pu aller plus loin, car il s’agit là d’enjeux de santé publique d’importance.
Je veux notamment dire un mot des autorisations de mise sur le marché et de la responsabilité qui sera donnée à l’ANSES pour, ce sont les mots de M. le ministre, « valoriser et faciliter les autorisations de mise sur le marché s’agissant de toutes les nouvelles techniques qui apparaissent en matière de biocontrôle ». Nous considérons que ce transfert pose des questions d’indépendance et que l’État doit garder la maîtrise en ce domaine. C’est pourquoi nous demanderons la suppression de cet article.
De plus, les exigences liées à la politique de l’alimentation et de sécurité sanitaire sont affaiblies par la politique d’austérité renforcée mise en œuvre par le Gouvernement. En effet, la restructuration des services du ministère de l’agriculture, la baisse des moyens accordés aux services de contrôles sanitaires, vétérinaires, à la douane ou à la police économique ne sont pas remis en cause par le projet de loi. L’alimentation et la sécurité alimentaire devaient être un axe essentiel de ce texte, notamment en matière de fraudes alimentaires. Or aucun moyen humain et financier supplémentaire n’a pour l’instant été accordé aux services chargés des différents contrôles réglementaires.
À cela s’ajoutent, comme nous l’avions dit en première lecture, les risques que l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada fait peser sur le niveau des normes de production en matière environnementale, sanitaire et de bien-être animal. Sans rupture avec les politiques de libéralisation et de déréglementation, l’agroécologie risque de rester une belle idée.
Par ailleurs, le Gouvernement a fait le choix traditionnel d’intégrer dans la loi d’avenir un volet forestier. Pourtant, la forêt aurait sans doute mérité un projet de loi dédié. En effet, au regard de l’importance de la ressource forestière française – les espaces boisés couvrent 31 % du territoire métropolitain, soit près de 17 millions d’hectares –, au regard de la diversité de cette ressource, mais également des contraintes en termes d’accessibilité, les sujets sont vastes et les problématiques denses, comme a pu le rappeler notre collègue Philippe Leroy. Or, encore une fois, le projet de loi ne remet pas en cause les logiques de rentabilité initiées par la révision générale des politiques publiques. Dans ce cadre, l’ONF a développé une logique commerciale préjudiciable aux missions d’intérêt général de la forêt. Comme vous le savez certaines missions d’intérêt général, telles que la prévention des incendies, la restauration des milieux montagnards ou la fixation des dunes, qui faisaient l’objet de conventions entre l’État « donneur d’ordres » et l’ONF « prestataire », ne sont plus entièrement financées par l’État. Dès lors, il faut craindre pour l’avenir et pour la qualité des missions que l’ONF n’aura plus les moyens d’assumer seul.
Le projet de loi contient cependant des mesures positives sur le volet forestier que je tiens à souligner : il cherche à encadrer la conservation des ressources génétiques forestières ; il instaure un fonds stratégique de la forêt et du bois, dont l’efficacité reste suspendue aux arbitrages budgétaires de la loi de finances ; il renforce les instruments de gestion durable et multifonctionnelle des forêts appartenant à des particuliers en instaurant le GIEEF, instrument favorisant le rassemblement des parcelles forestières.
Lors de la discussion des articles, nous vous proposerons de renforcer les outils permettant de lutter contre le contournement du droit de préférence des propriétaires de terrains boisés dans le cadre d’une vente portant sur un ensemble constitué de plusieurs parcelles dissociées.
Nous saluons également le dispositif de contrôle et de sanction de la mise sur le marché de bois et de produits dérivés du bois issus d’une récolte illégale, portant atteinte au développement durable des forêts.
J’évoquerai enfin l’agriculture ultramarine. Les territoires d’outre-mer sont soumis à des contraintes propres. Je voudrais dire quelques mots plus particulièrement de La Réunion, au nom de mon collègue Paul Vergès, et de la production de canne à sucre.
Il se prépare, à La Réunion, en raison de la dérégulation des politiques de l’Union européenne, une crise économique, sociale et environnementale d’ampleur. En effet, l’Europe, suite à une plainte de pays producteurs de sucre – Brésil et Australie – déposée auprès de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce, en 2008, a décidé de supprimer non seulement les quotas, mais aussi le prix garanti. Ce sont 30 000 emplois qui sont concernés, directement ou indirectement : planteurs, coupeurs de cannes, ouvriers d’usine, transporteurs, dockers, commerçants,… Ce sont aussi 25 000 hectares qui seront livrés à l’érosion. Le quart des exportations réunionnaises est en suspens ! En termes financiers, l’exportation canne et rhum représente 93,2 millions d’euros, soit le plus gros poste d’exportation de La Réunion !
Pour l’heure, l’île est assurée de vendre tout son sucre à l’Union européenne à un prix garanti, mais, dans trois ans, ce sera fini. Le sucre de canne de La Réunion se retrouvera sur le marché européen en concurrence directe avec le sucre de betterave, dont le prix est moins élevé de 200 euros par tonne.
La fin des quotas et la fin du prix garanti du sucre réunionnais vendu en Europe est pour 2017, d’où l’inquiétude des usiniers et des planteurs. Comme vous le savez, la durée de l’exploitation du pied de canne est de cinq à huit ans. S’il faut replanter, il faut le savoir aujourd’hui. Mais, pour l’heure, les planteurs n’ont aucune visibilité sur la question des quotas ou celle du prix d’achat.
Ce grave problème démontre, s’il en était encore besoin, que les politiques nationales agricoles sont largement contraintes par les politiques définies à l’échelle de l’Union européenne et de l’OMC. Or la voie choisie est celle de la dérégulation et de la libéralisation au détriment des hommes et de l’environnement.
Comme vous, nous sommes convaincus que nous avons besoin d’un nouveau modèle agricole à la fois plus durable et à même d’assurer notre indépendance alimentaire. Un modèle qui préserve les écosystèmes et valorise de nouvelles pratiques agronomiques vertueuses pour les hommes et l’environnement. À cet égard, le projet de loi propose des pistes intéressantes et offre des outils pertinents, lesquels trouveront toutefois vite leurs limites si l’on ne soustrait pas l’agriculture aux règles purement marchandes et concurrentielles.
Nous avons également besoin d’un modèle agricole qui garantisse un juste partage de la valeur ajoutée, au service du maintien et du renouvellement des générations d’actifs agricoles, d’un modèle qui assure un revenu décent, une protection sociale efficace pour l’ensemble des femmes et des hommes de ce secteur.
Sur ces exigences, le projet de loi n’a pas su être à la hauteur des besoins, et nous le regrettons. Nombreuses sont les lois qui ont tenté, sans succès, de répondre au déséquilibre des relations commerciales. Nous n’avons jamais pu ou su protéger les producteurs contre les pratiques commerciales inqualifiables des centrales d’achat de la grande distribution, sujet qui fait l’actualité de ce jour.
Il est sans doute temps, là aussi, de changer de paradigme. Après l’agroécologie, peut-être serait-il nécessaire de proposer un autre modèle économique pour toute la filière de commercialisation des produits agricoles ?
Madame la secrétaire d’État, nous comptons sur le ministre Stéphane Le Foll et avons toujours confiance en lui pour poursuivre dans une direction dont nous partageons l’essentiel, au service de l’agriculture française.
C’est vrai, nous, les communistes, sommes à la fois matérialistes et réalistes. Notre politique est toujours teintée d’idéalisme et d’utopie pour que le rêve et l’espoir portent la population. Un peuple sans rêve, sans espoir, sans utopie est un peuple perdu. Sachons ne pas le décevoir, il nous attend ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume, rapporteur. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers Didier Guillaume et Philippe Leroy – je tiens à féliciter les rapporteurs de la commission des affaires économiques de leur travail remarquable –, cher président Daniel Raoul, je voudrais à mon tour présenter mes vœux de prompt rétablissement à notre ministre, Stéphane Le Foll. Madame la secrétaire d’État, je vous prie de bien vouloir lui adresser nos amitiés les plus sincères. Nous sommes sûrs qu’il sera présent demain, à nos côtés, avec la forme et le dynamisme qui le caractérisent.
Nous entamons ce soir la seconde lecture du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, texte dont nous avons longuement discuté au mois d’avril dernier et que la Haute Assemblée a contribué à enrichir. La première lecture au Sénat a en effet permis de trouver plusieurs points de convergence. Nous sommes parvenus, je crois, à un équilibre qu’il ne s’agit pas de rompre ce soir, mais plutôt d’encourager encore.
Avec mes collègues du RDSE, nous avions déposé une cinquantaine d’amendements, dont quelques-uns – pas assez (Sourires.) – ont été adoptés ou satisfaits. Je pense en particulier à la création de zones de protection renforcée contre les attaques de loups, chères à mon collègue Alain Bertrand. Je citerai également l’instauration d’une comptabilité analytique des activités des SAFER en contrepartie de l’élargissement de leurs droits de préemption, conservée et saluée par nos collègues députés.
Je regrette, en revanche, que l’Assemblée nationale ait supprimé la disposition sur les biens de section à vocation agricole opportunément proposée par Jacques Mézard, spécialiste de la question, comme vous l’aviez souligné en première lecture, monsieur le rapporteur. Toutefois, ne vous inquiétez pas, mes chers collègues, nous avons déposé un amendement visant à rétablir l’article additionnel concerné – nous avons de la suite dans les idées. J’espère qu’il sera bien compris malgré, je vous l’accorde, le haut degré de technicité du régime des biens de section, dont tout le monde n’a peut-être pas perçu toutes les subtilités.
Enfin, la diffusion des résultats des GIEE, l’élargissement du registre des actifs agricoles, ainsi que le compromis obtenu pour répondre aux inquiétudes des chasseurs sont autant de mesures qui témoignent de l’esprit d’ouverture qui règne dans nos débats.
De façon plus globale, il faut reconnaître que le projet de loi d’avenir pour l’agriculture traduit bien les enjeux auxquels le secteur agricole et forestier est confronté et apporte, je le répète, des réponses opportunes, même si parfois le souci environnemental prend le pas sur le bon sens paysan.
Quoi qu’il en soit, ce texte suscite beaucoup d’attentes et d’espérances. C’est le cas dans mon département, le Tarn-et-Garonne, quatrième verger de France, où l’agriculture emploie encore 7 % de la population active.
Par ce texte, madame la secrétaire d’État, vous créez les conditions de la promotion de l’agroécologie dans la perspective de concilier performance économique et développement durable. C’est une bonne chose et nous y souscrivons. Avons-nous d’ailleurs d’autre choix que de préserver les écosystèmes par des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement ? Je ne le crois pas. Les agriculteurs sont du reste suffisamment responsables pour avoir pris conscience depuis longtemps de cette nécessité.
Pour en revenir à mon département, l’agriculture raisonnée est une préoccupation bien acceptée dans le Tarn-et-Garonne, notamment à travers la pratique répandue des circuits courts. La déclinaison régionale du programme « Ambition Bio 2017 » a permis d’installer des projets agroécologiques dont nous attendons les retours d’expérience. À cet égard, je voudrais souligner le rôle des chambres d’agriculture, fortement engagées dans la diffusion des pratiques liées à la double performance. Vous me permettrez, madame la secrétaire d’État, une légère digression pour, à l’instar de notre collègue Jean-Jacques Lasserre, m’inquiéter des prochains arbitrages budgétaires, qui pourraient remettre en cause les capacités d’action des chambres d’agriculture. On parle d’une ponction de 136 millions d’euros. Peut-être pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce point ? Je ferme la parenthèse…
Si l’exigence écologique est incontournable, elle ne doit pas pour autant faire oublier que les agriculteurs doivent vivre de leur activité. Le monde agricole, ce sont des milliers d’hommes et de femmes qui travaillent beaucoup, pour des revenus pas toujours à la hauteur de leur investissement personnel. C’est la raison pour laquelle, en première lecture, la commission des affaires économiques du Sénat a ajouté la dimension sociale à la démarche agroécologique. Cette dimension a été réaffirmée hier, en réunion de commission, en réponse à sa suppression par les députés. Je m’en réjouis, car il n’est pas d’autre secteur économique plus confronté à trois types d’aléas : ceux du marché, ceux du climat et ceux liés aux risques sanitaires, tous trois pouvant en outre se cumuler.
Les agriculteurs ont donc besoin d’être davantage protégés et ciblés par les aides. La modernisation des conditions d’affiliation à la MSA, la Mutualité sociale agricole, demandée depuis longtemps par les jeunes exploitants, renforce le statut des agriculteurs, tout comme la création d’un répertoire des actifs agricoles, réclamé par les organisations professionnelles.
J’en viens à la mesure phare du texte, le GIEE. Comme je l’ai dit en première lecture, je partage cette approche qui consiste à créer des synergies collectives. Dans un territoire comme le mien, caractérisé par la ruralité, pour ne pas dire l’hyper-ruralité – nous en avons parlé aujourd’hui lors des questions d’actualité au Gouvernement avec M. le Premier ministre, qui m’a répondu –, les solutions d’avenir passent par une mutualisation des moyens et des objectifs.
À travers différentes mesures, le projet de loi traite d’autres questions qui me tiennent particulièrement à cœur. Je pense à la protection des terres et au renouvellement des générations. Ce dernier point est une véritable préoccupation, pour ne pas dire une angoisse.
Pour ce qui concerne plus particulièrement la maîtrise du foncier, notamment l’élargissement du droit de préemption, le Sénat a eu la sagesse de ne pas aller trop au-delà des modifications importantes adoptées par les députés afin de ne pas encourager le contentieux. Je souscris à ce principe, monsieur le rapporteur, constatant que le projet de loi initial apportait déjà plusieurs réponses satisfaisantes.
Sur la forêt, enfin, j’approuve l’essentiel des mesures telles que la création d’un fonds stratégique ou la mise en place de programmes régionaux, lesquelles donneront une impulsion à l’urgente nécessité de mobiliser et valoriser le bois français. Mon groupe a redéposé un amendement visant à mobiliser la ressource bois énergie, qui n’est pas suffisamment exploitée, alors que ce matériau constitue une alternative intéressante – en phase d’expérimentation dans plusieurs secteurs – aux combustibles fossiles de plus en chers et de plus en plus rares.
Mes chers collègues, élu d’un département rural, j’aurais encore beaucoup à dire, mais je rappellerai simplement mon attachement à une agriculture raisonnée, à visage humain, en mesure de conserver les emplois et de préserver l’environnement, conformément à l’esprit du projet de loi. Je n’oublie pas cependant que c’est la PAC qui structure aussi fortement notre agriculture et que nos ambitions nationales doivent se conjuguer avec notre engagement européen, ce qui, j’en conviens, n’est pas toujours facile. Mais c’est un autre débat…
En attendant, et cela ne vous surprendra pas, le RDSE réaffirme son soutien au texte qui nous est soumis aujourd’hui, en espérant bien évidemment que certains de ses amendements seront satisfaits. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jean-Jacques Lasserre applaudit également.)