M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale chargée de l’examen du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. C’est sûr !
M. Didier Guillaume. Les interventions sur l'article 1er ressemblent en fait à une nouvelle discussion générale ; M. Jean-Pierre Raffarin a fait des propositions et tendu une main et je vais essayer de lui répondre. Encore une fois, on mélange tout : certains sont pour des grandes régions, d’autres pas ; certains veulent supprimer les départements, d’autres pas ; certains avancent que ce qui est possible en zone rurale ne l’est pas forcément en zone urbaine ; certains sont départementalistes, d’autres régionalistes...
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas le sujet !
M. Didier Guillaume. Quoi qu’il en soit, il faut parvenir à un point d’accord. En effet, comme le prévoit la Constitution de la Ve République, le Gouvernement nous soumet un projet de loi qui, s’il mérite certainement des améliorations, reste un texte de base important. C’est tout de même la première fois depuis vingt ans ou trente ans, depuis la décentralisation engagée par François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre, qu’un texte chamboulera ainsi l’administration territoriale. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. François Grosdidier. Et le conseiller territorial ? Vous êtes amnésique !
M. Didier Guillaume. Jusqu’à preuve du contraire, monsieur Grosdidier, le conseiller territorial fusionnait les régions et les départements. (Non ! sur les travées de l'UMP.)
Mme Jacqueline Gourault. Il l’annonçait !
M. François Grosdidier. Ce n’est pas la même assemblée !
M. Didier Guillaume. Or cette réforme n’a pas eu lieu.
La loi de 2010 que vous avez votée et que nous avons bien fait de supprimer fusionnait les régions et les départements pour créer un conseiller territorial...
M. François Grosdidier. Les élus ne sont pas la collectivité !
M. Didier Guillaume. … qui siégeait à la fois aux régions et aux départements.
M. François Grosdidier. Non !
M. Didier Guillaume. Si vous dites l’inverse, vous mentez ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. François Grosdidier. C’est vous qui mentez !
M. Didier Guillaume. Sur le présent projet de loi, il y a matière à discussion.
M. Raffarin nous a tendu la main, proposant de travailler ensemble au découpage des grandes régions. Il s’est ainsi démarqué de beaucoup d’entre vous, mes chers collègues. J’ai apprécié son geste, car depuis des années nous sommes presque tous favorables à de grandes régions.
À l’inverse, pour ce qui concerne les départements, à droite comme à gauche, nous ne sommes pas favorables à la suppression des conseils généraux. En zone urbaine, néanmoins, je considère que cela ne poserait aucun problème.
M. François Grosdidier. M. Valls a annoncé l’inverse hier !
M. Didier Guillaume. Mais si vous aviez assisté à la séance de questions d’actualité au Gouvernement hier après-midi, monsieur Grosdidier, vous auriez entendu le Premier ministre lui-même affirmer que les zones rurales seraient préservées.
M. François Grosdidier. Il a dit l’inverse de ce qu’il avait annoncé !
M. Didier Guillaume. Mais cela vous arrive tellement souvent !
Certes, nous pouvons continuer à repousser la discussion, mais si vous souhaitez que les élections locales se tiennent en 2015, je m’oppose à un tel report. Il n’est pas question de tripatouillage électoral, on ne sait pas ce qu’il adviendra en 2015 ou 2016 ! Mais organiser des élections en sachant qu’une loi interviendra ensuite avec tous les changements qui en découleront n’a aucun sens. De surcroît, traditionnellement, une loi modifiant la carte électorale doit être votée un an avant les élections.
Par ailleurs, monsieur Dallier, pensez-vous que les sénateurs seront nombreux à travailler sur le présent projet de loi aux mois d’août et de septembre, alors que les élections sénatoriales auront lieu cet automne ? Personnellement, je ne le crois pas.
Nous avons le temps, nous pouvons travailler demain ou après-demain. Je propose de suspendre la séance maintenant afin que la commission spéciale se réunisse. Sur la foi des débats et de la main tendue de M. Raffarin, nous pourrons ainsi chercher à trouver un accord sur un socle visant de grandes régions, le maintien des départements en zone rurale et le droit d’option. Si nous y parvenons, la discussion de ces derniers jours aura été utile.
Je le répète, nous ne pouvons pas programmer les élections régionales et cantonales sans connaître le contenu de la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, sur l’article.
Mme Isabelle Debré. La commission spéciale pourrait se réunir cet après-midi, demain ou encore après-demain pour établir une carte, dites-vous monsieur Guillaume. Or ce n’est pas ce que M. Raffarin a suggéré ; il a demandé d’écouter les élus d’en bas pour faire remonter leurs revendications en haut.
Vous proposez, quant à vous, que les élus d’en haut se réunissent dans une petite salle.
M. Didier Guillaume. Il s’agit d’adopter la même méthode que pour les conseillers territoriaux !
Mme Isabelle Debré. M. Raffarin vous a tendu une main en proposant que l’on écoute les élus de la base, que l’on prenne en considération les sondages et les revendications des élus de terrain afin d’établir une carte.
Vous répondez à cette main tendue en proposant que les membres de la commission spéciale s’enferment deux jours dans une petite pièce pour établir une carte !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Sur l’article 1er, de nombreux orateurs siégeant sur toutes les travées de cet hémicycle se sont exprimés. Il faut toujours souligner la dimension positive des débats et la dynamique qu’ils portent.
Ce matin encore, en réponse à vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, nous étions obligés de justifier la pertinence de la réforme. Voilà qu’après le déjeuner on nous explique que celle-ci est possible et qu’il faut prendre du temps pour la réaliser. Débattons encore trois heures et nous la ferons ensemble !
Mme Fabienne Keller. Il nous faudrait trois mois !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous progressons. Vous ne contestez plus la nécessité de cette réforme et du rapprochement des régions pour obtenir un tissu de collectivités territoriales plus fort et plus puissant.
Vous le répétez sans cesse, ce pays a besoin de réformes. Mais lorsque la majorité en présente et propose de les faire vite – car vous réclamez toujours des réformes en urgence sous prétexte que l’on a trop attendu – ce ne sont jamais les bonnes, ce qui vous permet d’ailleurs de continuer à déplorer qu’elles sont insuffisantes. Ce discours a sa cohérence...
Nous avons décidé d’agir et de proposer à la délibération du Parlement des projets de loi qui transformeront profondément notre pays. En effet, nous considérons que la France a besoin d’être réformée, transformée, mais nous ne voulons pas le faire de façon autoritaire et unilatérale ; nous voulons y parvenir avec vous.
C’est la raison pour laquelle j’ai indiqué à plusieurs reprises au cours des dernières heures que nous étions prêts à donner un avis favorable à des amendements émanant de toutes les travées dès lors que leur adoption permettrait d’améliorer le texte.
Après l’urgence des réformes, j’en viens à un deuxième point : la pertinence de la carte.
Nombre d’entre vous sont favorables à la réforme et au rapprochement des régions mais considèrent que la carte proposée n’est pas la bonne. Et, afin qu’une nouvelle carte soit établie, ils estiment que la discussion sur l’article 1er qui pourtant permettrait de modifier la carte du Gouvernement ne doit pas être poursuivie, que cet article doit être supprimé ; ils proposent que nous nous revoyions plus tard, lorsque les esprits auront mûri.
Si la carte n’est pas bonne – nous l’admettons volontiers, car il était difficile d’en proposer une parfaite –, discutons plutôt pour l’améliorer.
Ceux d’entre vous qui se sont essayés à cet exercice le savent, il est très difficile de proposer sur les sujets les plus compliqués les réformes les plus pertinentes de prime abord. Lorsque sont traitées des questions relatives à la géographie et à la politique, il arrive qu’il y ait autant d’avis que d’élus dans les territoires.
À ce propos, permettez-moi de vous faire une confidence. J’ai reçu de nombreux élus locaux au cours des dernières semaines.
Certains m’ont dit que la carte proposée par le Gouvernement correspondait parfaitement à leurs souhaits et qu’ils avaient d’ailleurs suggéré le regroupement de leurs régions avant même que le Gouvernement n’envisage de légiférer.
D’autres, originaires de régions bien connues, m’ont indiqué qu’ils étaient favorables à la carte du Gouvernement mais que les parlementaires de leur région et de leur sensibilité politique n’étant pas d’accord avec leurs propositions, ils resteraient discrets.
M. Éric Doligé. Des gens de gauche, certainement !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non de droite !
Ces élus m’ont assuré qu’ils étaient favorables à la réforme du Gouvernement et m’ont demandé de ne pas céder aux parlementaires de l’opposition.
M. Jean-Claude Lenoir. Citez des noms !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je ne vous les donnerai pas pour ne pas compromettre ces élus. Mais je les confierai, monsieur Lenoir, à mes bons amis !
M. Jacques Mézard. Quelle mesquinerie !
M. Jean-Claude Lenoir. Il n’y a qu’une seule région à droite !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. D’autres parlementaires et présidents de région étaient défavorables à cette carte et souhaitaient en proposer une autre. Dont acte, qu’ils la proposent !
Je le répète, il était difficile de présenter une carte qui fasse l’unanimité, car une telle carte n’existe pas. S’il en faut une autre, travaillons, amendons, réfléchissons ensemble pour établir une carte qui corresponde le plus possible au compromis dont nous avons besoin.
Monsieur Mézard, vous avez abordé différentes questions, et je vous apporterai des réponses précises. Je souhaite qu’elles soient consignées au compte rendu des débats afin que l’on ne puisse pas dire que je me suis refusé à les apporter.
D’abord, parmi les principes qui président à la réforme, l’un consiste à faire en sorte que, au terme de notre débat, il n’y ait pas plus de régions que dans le texte initial, sans quoi l’objectif ne serait pas atteint. Dès lors que ce principe est respecté, nous sommes prêts à accepter bien des amendements, émanant de toutes les travées du Sénat, susceptibles d’améliorer la carte.
Ensuite, nous n’avons pas souhaité mener de front la transformation des cartes régionales et le droit d’option pour les départements. En effet, cela aurait ajouté de la difficulté technique à la difficulté technique. Or si nous voulons que ce débat aboutisse à un accord, il n’était pas nécessaire de rendre cette question encore plus complexe.
Pour autant, la question du droit d’option des départements ne sera pas absente des discussions. D’ailleurs vous avez présenté des amendements en ce sens et, comme je l’ai indiqué devant la commission, nous sommes prêts, dès lors qu’une carte existe – car un droit d’option sans carte n’a pas de sens – à discuter de ce sujet.
Quant au plafond du nombre d’élus par région et au nombre minimal d’élus par département, notamment pour les départements les plus ruraux des régions les plus grandes, des problèmes peuvent surgir, j’en conviens.
D’une part, monsieur Mézard, j’ai répondu précisément au premier point de votre question hier. Comme je l’ai alors indiqué, des amendements ont été préparés par votre rapporteur concernant le plafond et le Gouvernement est prêt à engager avec vous le débat.
D’autre part, avec le mode de scrutin actuel et dans le cadre des régions actuelles, les départements les plus ruraux des grandes régions n’ont pas la garantie d’avoir un représentant. L’article 7 le leur garantit. Par ailleurs, si des amendements constitutionnels et recevables sont présentés, nous les examinerons.
Pour ce qui concerne l’avenir des départements, autre interrogation précise de M. Mézard, ne bloquons pas un débat sur la carte régionale pour cette raison, alors que la question de l’avenir des départements n’est pas inscrite dans le projet de loi que nous examinons. (Mme Isabelle Debré proteste.) Non, si vous trouvez un article dans le présent texte qui aborde la question de la suppression à terme des conseils départementaux, présentez-le-moi sur le champ et je vous ferai mes excuses.
Mme Isabelle Debré. Il y a une incidence, quand même !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vais vous expliquer pourquoi cette question ne figure pas dans ce texte. Cette réforme a pour objet des intercommunalités fortes, des régions puissantes, des administrations déconcentrées de l’État qui s’organisent. Et ce n’est qu’à l’horizon 2020, dans six ans, qu’est envisagée la suppression des conseils départementaux, si l’architecture territoriale que nous mettons en place à travers l’ensemble de ces réformes le permet, sans préjudice pour la solidarité et la proximité. Nous avons six ans pour en parler.
Vous voulez du temps, nous vous en donnons. Vous voulez de la proximité et la garantie qu’il n’y aura pas de décrochage des territoires, nous proposons que la question la plus sensible qui doit faire l’objet des débats les plus longs soit traitée dans six ans pour permettre les discussions.
Que faut-il faire de plus, en étant sincère et franc quant à la méthode et aux objectifs, pour satisfaire des élus qui se posent des questions légitimes ? Je l’avoue, je ne sais pas quel argument supplémentaire témoignant de notre bonne foi permettrait de vous convaincre.
Une autre question est lancinante depuis ce matin : elle concerne les économies et les fonctionnaires. On ne mène pas des réformes en faisant peur. De nombreux postes de fonctionnaires ont été supprimés ces dernières années, et personne ne s’en est ému.
M. François Grosdidier. On l’a assumé, contrairement à vous !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’assume parfaitement ce que je vais vous dire. Ne vous inquiétez pas, monsieur Grosdidier, vous quitterez cet hémicycle en ayant obtenu des garanties et des assurances.
Vous avez supprimé pendant des années un nombre de fonctionnaires considérable sans vous émouvoir à aucun moment des conséquences que cela pouvait avoir sur les services publics, sur la proximité ou sur l’administration des territoires, laquelle suppose des moyens pour être efficace. Vous ne vous êtes jamais demandé si la suppression d’un fonctionnaire sur deux dans les territoires avait des conséquences sur la proximité, sur la solidarité et sur le moral des fonctionnaires. Je fais très amicalement cette dernière remarque à M. Doligé.
M. Philippe Kaltenbach. Dix mille policiers et soixante mille enseignants !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Et voilà maintenant que vous pratiquez la « câlinothérapie » sur des fonctionnaires dont vous avez diminué drastiquement et subitement les effectifs, sans doute parce que vous vous trouvez dans l’opposition et que d’autres, dans la majorité, qui ne menacent pas les fonctionnaires, proposent au contraire de renforcer l’administration déconcentrée de l’État sur les territoires.
Je souhaite à présent répondre aux interpellations concernant les fonctionnaires des collectivités locales. Vous prétendez que la fusion des régions entraînera des transferts massifs de personnels d’une capitale à l’autre. Même Mme Lienemann a évoqué la perte de 4 000 employés à Caen. Soyons sérieux ! Ces sujets doivent se traiter de façon rigoureuse et méthodique.
Nous voulons faire 50 milliards d’euros d’économies, quand vous voulez en faire 100 milliards ! Mais quand on propose de faire des rationalisations, vous considérez que ce ne sont pas les bonnes ! Expliquez-nous donc comment vous comptez faire 100 milliards d’euros d’économies sans supprimer aucune dépense ! Pour notre part, comment entendons-nous procéder ?
En rassemblant les fonctions ressources humaines, financières ou de support des régions qui fusionnent, il est possible de faire des économies. De même, en transférant les collèges et les routes aux régions, nous permettrons à celles-ci de mettre en place une politique d’achats groupés, source d’économies massives – je le dis à M. Savary, qui a évoqué la question à plusieurs reprises, mais aussi au président Jacques Mézard. Je vous signale ainsi que la politique d’achats que nous avons mise en œuvre au sein de l’État depuis deux ans a permis d’économiser 2,5 milliards d’euros. (M. Jacques Chiron opine.)
Bien entendu, tous les départs en retraite ne seront peut-être pas remplacés dans les collectivités locales, dès lors que les regroupements permettront des rationalisations. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il y aura des licenciements (M. Jacques Chiron opine.)…
Mme Fabienne Keller. Si !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … et qu’il faut faire peur aux fonctionnaires qui sont aujourd’hui en poste. Cela veut dire simplement que, par l’effet de la mutualisation et de la rationalisation, nous serons capables de faire des économies de fonctionnement, lesquelles sont nécessaires pour redresser nos comptes et dégager des marges de manœuvre permettant aux collectivités locales d’investir.
Pendant des années, vous avez soutenu que les collectivités locales devaient dépenser moins pour investir plus. Mais quand nous prenons justement des mesures d’organisation qui permettent de dépenser moins pour investir plus, y compris dans les services publics, voilà que vous n’êtes plus d’accord !
La vie politique française s’épuise de ces positionnements où, lorsque l’on est dans la majorité, on propose une chose et, lorsque l’opposition la met en œuvre parce qu’on ne l’a pas accomplie soi-même, cela devient une mauvaise idée !
M. François Grosdidier. Parlez pour vous !
M. René-Paul Savary. On vous a tendu la main, vous l’avez refusée !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Tout cela ne correspond pas aux besoins et attentes des Français !
Oui, nous allons procéder à des réorganisations ! Non, cela ne nuira pas aux fonctionnaires ! Oui, cela permettra de faire des économies de fonctionnement ! Oui, cela permettra d’investir dans les services publics, parce que c’est une nécessité pour le pays, pour le redressement de nos comptes et pour la croissance ! Il n’y aura pas de croissance en France s’il n’y a pas de maîtrise de nos dépenses de fonctionnement pour dégager des marges de manœuvre afin d’investir.
Voilà ce que nous voulons faire s’agissant des fonctionnaires territoriaux.
Quant aux fonctionnaires de l’État, nous ne sommes pas obligés de concentrer tous les services publics dans les capitales des régions de demain. Si vous êtes préoccupés, comme nous le sommes, d’aménagement du territoire, vous pouvez très bien concevoir des collectivités locales avec une assemblée délibérative, une préfecture de région et des services publics dotés d’une unité de commandement mais répartis sur l’ensemble du territoire.
Ce faisant, je voudrais simplement apporter la démonstration qu’il n’y a pas de contradiction entre modernité, rationalisation et proximité. Il est très facile de faire cette démonstration à condition d’être dans l’imagination, la créativité et la modernisation de l’État et des collectivités locales, plutôt que dans l’agitation des peurs, la pusillanimité ou dans cette idée que, comme hier était parfait, demain sera pire qu’hier dès lors que l’on fait en sorte que demain soit différent d’hier ! Il ne me semble pas que l’on puisse raisonner ainsi dans un pays qui doit affronter autant de défis et qui doit démontrer à ce point sa capacité à se réformer.
Enfin, je veux conclure sur un point qui me paraît essentiel. Beaucoup de sénateurs ont évoqué la question des territoires ruraux, et ils ont raison. La peur d’un décrochage des territoires ruraux est légitime. Toutefois, ce décrochage n’est pas devant nous ; voilà des années qu’il se produit !
M. Jacques Mézard. Tout à fait !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Voilà en effet des années que l’on assiste à une relégation des territoires ruraux, des années que les campagnes se désertifient, des années que les agriculteurs vivent dans un habitat diffus ! Les services publics ont quitté les territoires ruraux depuis longtemps, et ceux-ci ont été pénalisés lourdement par les effets de la révision générale des politiques publiques, laquelle a vu les services de l’État s’appauvrirent et se rétrécir considérablement.
Un sénateur du groupe UMP. Cela ne va pas changer !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non, cette tendance ne s’accentuera pas si nous engageons une politique qui consiste, via l’administration déconcentrée de l’État, non pas à reprendre les pouvoirs des collectivités locales – il ne s’agit pas de recentraliser –, mais à déployer et à développer sur les territoires, en particulier ruraux, un certain nombre de compétences aujourd’hui centralisées. (M. Henri Tandonnet s’exclame.) C’est une nécessité si l’on veut éviter le décrochage. Ce sera aussi une nécessité de bien réfléchir à la manière de le faire. Le projet de loi sur la répartition des compétences, porté par André Vallini et Marylise Lebranchu, permettra précisément de réfléchir à la manière dont les collectivités locales pourront déployer leurs compétences dans la proximité, notamment dans les territoires ruraux.
Nous ne pouvons pas réformer un pays en agitant des peurs comme autant de spectres. Nous ne pouvons pas réformer un pays si l’on martèle en permanence l’idée que tout changement se traduira par des services qui reculent et des citoyens qui s’éloignent du centre de décision politique.
Je vous propose donc que l’on se place dans la sincérité de l’engagement, dans l’authenticité du dialogue, et que l’on décide d’engager cette réforme territoriale, non pas dans la suspicion ou dans les procès d’intention, mais en prenant au mot le Gouvernement, en acceptant de le juger sur les actes qu’il pose (M. Éric Doligé s’exclame.) et sur les paroles qu’il prononce devant la représentation nationale, avec respect et détermination. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 37 rectifié ter est présenté par M. Husson, Mme Sittler, MM. Poncelet, de Legge et Pinton, Mme Cayeux, MM. Leleux, Milon, Retailleau, B. Fournier, Houel et Delattre, Mmes Bruguière, Mélot et Troendlé, MM. Bas, Revet, Reichardt, Cardoux, Gaillard, Gilles, Mayet, Savary et Lefèvre, Mme Boog, MM. du Luart et Grignon, Mme Deroche, MM. Marini, J.P. Fournier et G. Bailly, Mlle Joissains et M. G. Larcher.
L'amendement n° 53 rectifié ter est présenté par MM. Doligé, Dubois et Amoudry.
L'amendement n° 105 est présenté par MM. Favier et Le Cam, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. René-Paul Savary, pour présenter l’amendement n° 37 rectifié ter.
M. René-Paul Savary. Monsieur le ministre, nous voici parvenus à l’heure de vérité, et il est temps à présent de passer à l’acte, avec la suppression de cet article 1er.
Jean-Pierre Raffarin a été très clair : une main a été tendue, mais vous l’avez refusée, monsieur le ministre.
Mme Fabienne Keller. Tout à fait !
M. Michel Delebarre, rapporteur. Oh !
Mme Fabienne Keller. Si !
M. René-Paul Savary. Je le dis sans aucune agressivité, monsieur le rapporteur. Vous l’avez refusée, car, dans vos propos, je n’ai perçu aucune volonté de changement.
Nous prétendons pour notre part que la carte régionale doit être la conséquence des moyens et des compétences dévolues à chaque niveau territorial.
Sur le plan régional, monsieur le ministre, je ne vois dans votre réponse aucune avancée. Je n’en vois pas non plus sur la taille des intercommunalités. En outre, vous ne donnez aucune garantie en faveur d’un département équilibré sur ses deux jambes, à la fois amortisseur social et aménageur du territoire.
Ensuite, s’il s’agit de faire des économies en groupant les achats, alors recentralisons tous ces dispositifs, et nous pourrons faire encore plus d’économies !
Toutefois, en procédant à des appels d’offres plus larges, notamment pour le transport scolaire, ne risque-t-on pas de tuer des entreprises locales qui nous dépannent aujourd’hui ?
De même, pour le déneigement des routes, le fait de regrouper les appels d’offres ne va-t-il pas poser problème dans des régions très étendues où l’enneigement risque de ne pas être simultané d’un bout à l’autre du territoire ? Pour l’instant, ce sont souvent des entreprises locales qui déneigent nos routes, voire les agriculteurs dans les zones rurales.
L’achat groupé me semble représenter une économie minime. Certes, elle peut toujours se faire à travers une entente de collectivités, qu’il s’agisse de départements, de régions ou d’intercommunalités. Ces collectivités peuvent toujours réaliser des achats groupés dès lors qu’elles en ont la volonté.
Non, monsieur le ministre, vous n’avez pas répondu à l’appel que nous avons lancé, et nous restons convaincus que le Sénat est dans son rôle en s’opposant à cet article, car les éléments de la réforme ne sont pas présentés dans le bon ordre.
Nous prétendons pour notre part qu’il faut d’abord définir les compétences, les moyens et la fiscalité attribués à chaque niveau de collectivités. Nous devons en outre avoir une idée de la pérennité de chacun des niveaux de collectivités avant de pouvoir prendre des décisions. Nous pourrons donc nous prononcer lors de la deuxième lecture de ce texte, en même temps que nous examinerons en première lecture la deuxième partie de votre projet sur la dévolution des compétences, et peut-être aussi sur les moyens qui seront alloués à cette future organisation.
C’est pourquoi nous présentons cet amendement de suppression.
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, pour présenter l'amendement n° 53 rectifié ter.
M. Éric Doligé. Je ne savais pas que nous serions si nombreux à présenter un tel amendement de suppression, et je m’exprimerai donc brièvement.
Monsieur le ministre, votre réponse à la question posée tout à l’heure par Jacques Mézard est en effet exacte – j’avais d’ailleurs posé exactement les cinq mêmes questions hier lors de mon propos liminaire.
Vous avez parfaitement raison, monsieur le ministre : il n’est pas inscrit dans le texte que les départements vont disparaître en 2020. Je viens de le relire, et j’admets que nous nous laissons parfois impressionner par les interventions de certaines personnalités importantes au plan national.
En effet, il est prévu à l’article 12 du projet que le mandat des conseillers départementaux élus en décembre 2015 prendra fin en mars 2020. Il n’est donc pas dit que les départements disparaîtront.
Le problème, ce sont les propos du Président de la République. Peut-être que ses déclarations n’ont pas beaucoup d’importance pour les membres du Gouvernement, mais, pour les citoyens ordinaires que nous sommes, elles ont incontestablement un certain poids. Or le Président de la République a déclaré que les départements avaient vécu, et qu’ils allaient disparaître à l’horizon 2020.
Si on lit le 3° du I de l’article 12 du projet de loi à la lumière de ces deux remarques faites par le Président de la République, et peu ou prou reprises par le Premier ministre, il paraît tout de même assez clair que la fin des départements est programmée, sauf à ce que la parole des deux têtes de l’exécutif n’ait aucune importance.
Ce n’est donc pas écrit dans le texte, mais cela apparaît tout de même, au moins de façon subliminale, dans les interventions du Président de la République. Et, sans vouloir vous vexer, monsieur Cazeneuve, je crois tout de même plus en la parole du Président qu’en celle de ses ministres.
Ensuite, s’agissant des économies, effectivement, il est possible d’en réaliser, monsieur le ministre. Mais encore faudrait-il que l’on nous aide à en faire, et c’est là que la loi peut jouer un rôle intéressant.
Ainsi, nous sommes trois départements, le 28, le 41 et le 45, à nous être regroupés depuis plus d’un an sur vingt thèmes, dont les achats. Nous avons créé une centrale d’achats, Approlys, ouverte à tous, qui va mettre en commun 320 millions d’euros d’achats et nous permettre de réaliser 15 % d’économies, soit 45 millions d’euros environ. Et nous pouvons potentiellement regrouper à terme 1 milliard d’euros d’achats.
Nous n’avons pas besoin de la loi pour opérer ces regroupements. Il suffit juste de rendre plus facile la mise en place d’une centrale d’achats. En effet, c’est bien compliqué avec la législation actuelle, et ce projet de loi n’a pas prévu de simplification en la matière.
Vous voulez que l’on vous prenne au mot, monsieur le ministre. J’ai envie de vous inviter à faire de même. Nous vous tendons la main ; laissez-nous juste quelques mois et nous vous proposerons une carte.
Je remarque simplement que, à la fin de vos propos, vous n’avez été applaudi que par huit de nos collègues, monsieur le ministre. C’est bien la preuve que vous n’avez pas véritablement une majorité derrière vous, la plupart de nos collègues étant plus proches de nos positions que des vôtres. J’en suis désolé, car ce pourrait être un bon texte, à condition que vous acceptiez de nous suivre ! (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP.)